#14 / Refaire village au-delà de la métropole parisienne : du village-dortoir au centre-bourg

Claire Fonticelli

L’article de Claire Fonticelli au format PDF


Le périurbain est encore largement vu comme l’espace du tout automobile, de l’étalement urbain, du pavillonnaire, du surendettement des ménages, voire du vote extrémiste (voir Billard et Brennetot, 2009). La recherche française souligne depuis une trentaine d’années (Berger, 2004 ; Aragau, 2018) qu’il existe pourtant des communes périurbaines de nature variée, socialement différenciées situées plus ou moins proches de l’agglomération, disposant de transports en commun, aux aménités paysagères et naturelles contrastées… Eric Charmes démontre ainsi que les communes se différencient socialement en suivant une logique de club résidentiel (Charmes, 2011). L’ancienneté du phénomène de périurbanisation, notamment dans le périurbain francilien explique l’existence de différents temps de la périurbanisation. Depuis quelques années, on voit, notamment dans l’Ouest francilien, des éléments indiquant une maturité de certaines communes (Berger et al., 2014). Celle-ci se lit de nombreuses façons : recentrement des mobilités, diversification des activités et des populations, retour de commerces de proximité en centre-bourg, limitation de l’étalement urbain… Elle se traduit également par une diversification des façons d’aménager et de construire dans les communes, en partie liée aux pressions législatives et réglementaires nationales et régionales, qui tentent de limiter l’étalement urbain et font de la densification un idéal pour construire la ville depuis les années 2000 (Touati, 2010). L’évolution de la législation pousse de plus en plus les élus périurbains à construire différemment (Fonticelli, 2019). Les maires rencontrés en attestent : « commençaient à arriver un certain nombre de contraintes demandant de ne pas consommer de façon excessive les terres agricoles et naturelles, donc à partir de là, on a regardé deux trois choses au centre du village. C’est comme ça qu’on est passé d’une logique de lotissement à une logique de densifier » (entretien maire de Plailly, 2016). L’objectif de densification est d’autant plus marqué au sein de la région Ile-de-France où le Schéma Directeur Région Ile-de-France (SDRIF) impose des objectifs importants de limitation de l’étalement urbain.

Si ces acteurs poussent à réaliser une densification périurbaine, c’est pour favoriser la diversification des populations en présence, permettre un parcours résidentiel, mais aussi accueillir des publics davantage diversifiés. Le parc de logement des bourgs est en effet plutôt homogène et correspond en partie à l’image du pavillon isolé sur sa parcelle. Dès lors, le périurbain et ses bourgs correspondent bien à leur réputation de lieu de vie des familles (Jaillet, 2004). Mais ces familles habitant dans le périurbain connaissent des évolutions générationnelles. Devant le manque de diversité du parc de logement, les élus s’interrogent sur leur capacité à loger les jeunes ménages décohabitants et à proposer une offre adaptée aux familles monoparentales, et aux personnes âgées. Pour les élus, le logement collectif apparaît alors comme une solution pour répondre aux injonctions de l’État mais également aux demandes de leurs administrés.

Tous les élus ne vont pas dans ce sens, et les différents entretiens que nous avons menés durant notre recherche doctorale ont mis en avant des réactions très variées face à l’injonction de densifier1. Nous avons identifié quatre types de réactions : les élus malthusiens, qui tentent de prémunir leurs communes de toute tentative de densification (1) ; les élus qui se saisissent peu de ces questions, et laissent le marché libre (2) ; les élus des communes sur lesquelles l’obligation de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) d’avoir 25 % de logements sociaux s’applique, les incitant à construire à toute vitesse du logement social2 (3) ; les élus qui se saisissent de l’obligation de densifier et en font un véritable projet municipal (4).

C’est ce dernier type de réaction municipale que nous souhaitons ici interroger et comprendre, dans le contexte du périurbain francilien, et plus particulièrement de ses bourgs3. Dans ces communes, les élus se détournent des opérations d’aménagement jusque-là réalisées en étalement urbain, pour réaliser des opérations de petits collectifs denses en centre-bourg. Ces opérations sont liées à une volonté de refaire village, de renouer avec un urbanisme plus classique : aménager des espaces publics, réintroduire des commerces, de la densité, diversifier le parc de logement, bref, reconstruire de l’urbanité, dans des communes périurbaines souvent décrites comme n’en disposant pas (Lévy et Lussault, 2014). Par le biais de ces opérations, les élus tentent également de refaire centre pour des communes qui n’étaient plus perçues que comme des périphéries. 

Quelle allure revêtent ces opérations visant à « refaire village » ? Quelles sont les politiques d’aménagement mises en place pour y parvenir, et leurs difficultés opérationnelles ? Surtout, qu’est-ce que ces projets d’aménagement disent des rapports de ces communes périurbaines à la métropole, et aux intercommunalités souvent désormais urbaines dans lesquelles leurs communes s’inscrivent ? 

Nous montrerons dans un premier temps que les projets de densification viennent conforter un idéal villageois qui se traduit notamment dans les choix architecturaux des projets. Dans un deuxième temps nous verrons que les difficultés rencontrées pour réaliser ces projets sont nombreuses et réelles. Dans un dernier temps, nous soulignerons que la volonté de refaire village est également à lire dans une transformation des rapports de force entre les communes et les intercommunalités. 

Projets de densification de l’immeuble au quartier : le village, un idéal ?

Dans un premier temps, nous analyserons les éléments constitutifs d’une volonté de « refaire-village ». Si des projets de réfection de centre-bourg, de création d’équipement voire de zones d’activités pourraient s’inscrire dans cette logique, nous nous attacherons à analyser les projets de densification par le logement collectif en centre-bourg. En effet, ceux-ci incarnent un retour à une manière d’aménager qui était dominante jusque dans les années 1950, mise à mal par l’étalement urbain. L’un des ressorts majeur de la volonté de « refaire-centre » s’incarne dans la construction de ces projets de logement collectif. 

Le néo-village : l’imaginaire du village incarné par le logement collectif 

Pour connaître l’allure des opérations de densification par l’habitat collectif réalisées en centre-bourg, nous avons construit une base de données recensant les programmes de construction réalisés en densification dans les bourgs périurbains franciliens et dont les permis de construire avaient été déposés entre 2009 et 2013. Un style architectural nous a semblé omniprésent, que nous avons qualifié de « néo-village ».

1. Une construction de type « néo-village » à Montfort l’Amaury (78) (Fonticelli, 2017)

Le type « néo-village » repose sur une morphologie urbaine récurrente : hauteurs modérées et façades comportant peu de décrochés. L’implantation urbaine est à l’alignement sur rue ou en rapport à l’espace public. Les programmes s’insèrent d’ailleurs avec des hauteurs proches de celles des constructions alentour, souvent légèrement plus élevées, mais il n’y a pas de rupture réellement marquée. En revanche, le jardin de fond de parcelle – historiquement dédié aux jardins des immeubles de bourgs – disparaît le plus souvent, au profit d’une nouvelle construction. Ce style s’appuie sur l’utilisation d’éléments décoratifs, comme des porches pour marquer un alignement sur rue. Autres éléments caractéristiques : les toitures, en pente, sont couvertes de tuile petit-moule, alors que les façades sur rue sont recouvertes d’enduit de couleur crème. Le « néo » s’apparente au pastiche, car les architectures de ces programmes visent à donner l’illusion que les nouvelles constructions ont les mêmes morphologies que les immeubles de bourgs entre lesquels ils s’insèrent, en utilisant des artifices architecturaux : rythme de façade et de toiture, porches (voir figures 1, 2 et 3)…  

Si l’on ne construit pas des architectures « néo » qu’en périurbain, dans ces communes, le type « néo-village » (Fonticelli et Moquay, 2019) est toutefois particulièrement présent. Nous avons ainsi pu identifier 86 opérations de logement réalisées en neuf et en recueillir un visuel. Or, parmi les opérations visitées, beaucoup (45) avaient une architecture assez homogène de type « néo-village », les autres ayant une architecture dérivée de ce « néo-village » (30) ou, éventuellement, une allure contemporaine plus affirmée (11)4.

Dans ces communes très largement construites par du logement individuel de type pavillonnaire depuis les années 1950 à 1960, cela marque un retour à l’immeuble de bourg. Dans les entretiens menés, beaucoup d’élus sont très critiques de la forme pavillonnaire : « C’est pour ça que moi je dis que tous ces lotissements qui ont été faits sont totalement impersonnels et les gens sont devenus égoïstes » (entretien maire de Chevannes (91), 2016). Certains élus adhèrent aux logements collectifs, dont la construction apparaît davantage comme un moyen de renouer avec l’histoire des bourgs et des villages français et avec leur patrimoine que comme une réelle rupture. Ce qui est valorisé, dans l’immeuble, c’est la forme urbaine, qui permet de créer une continuité avec les morphologies du village : « Et donc ça a démarré de là, et peu à peu, la réflexion a cheminé pour densifier le centre de façon à avoir un vrai cœur de village » (entretien maire de Moussy-le-Neuf (77), 2016). 

L’immeuble est pourtant historiquement rarement présent dans les bourgs, surtout dans ceux de l’est parisien. L’histoire villageoise française est plutôt marquée par la présence de maisons individuelles accolées, où de rares petits immeubles avaient des vocations spécifiques et souvent peu résidentielles. Si les maisons de villes ont pu être divisées en appartements au cours du temps, et que les immeubles réalisés imitent les morphologies des maisons de ville, le choix de l’immeuble repose sur un fantasme de la ruralité : l’opposition des élus à une forme urbaine très bien identifiée (le pavillon périurbain) et la mise en scène d’une ruralité fantasmée, qui s’appuie en réalité sur une forme au départ plutôt urbaine.

2. Une opération néo village en centre-bourg à Coubert (77) (Fonticelli, 2018)

De la construction au quartier « néo-village »

L’architecture « néo » peut se retrouver à une autre échelle, celle du quartier. Certaines constructions d’immeubles de centre-bourg s’accompagnent de réalisations parfois plus larges de quartiers allant jusqu’à la recréation ex nihilo de centres-bourgs. À Moussy-le-Neuf (77), une commune à quelques kilomètres de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, une halle en bois à l’allure très classique a été réalisée. L’église du village qui tombait en ruine a été rénovée à grands frais. Enfin, l’espace public a été refait : réfection des rues limitrophes, de la place de l’église (voir figure 3)… Le maire de Moussy souligne qu’il s’agit d’une création de centre-bourg artificielle : « CF : Il y a une volonté de refaire un centre-bourg qui jusque-là n’existait pas auparavant. / Maire : Oui, il n’existait absolument pas. Vous voyez de quoi on est partis ! » (entretien maire de Moussy-le-Neuf (77), 2016). 

La réfection de ces éléments marquant une centralité villageoise – l’espace public, l’église, des commerces, une halle pour le marché – s’est accompagnée de la construction d’une centaine de logements privés, réalisés par un promoteur dans une première phase. Une seconde phase est en cours de construction. Ces constructions s’articulent avec l’espace public et entérinent cette patrimonialisation artificielle. La densité devient le marqueur d’une centralité, au même titre que les équipements réalisés. Dans ce bourg, ce n’est plus seulement l’immeuble briard que l’on pastiche, c’est tout le village5. Le projet de cœur de bourg de cette commune vise ainsi à imiter et à recréer ce qui fait l’imaginaire du village : une halle, des locaux commerciaux, du petit collectif. 

Si le « néo-village » s’impose dans ces centres-bourgs, c’est à la fois lié à la volonté des élus – traduite par leurs interventions directes aussi bien que dans les Plans Locaux d’urbanisme (PLU) qui contraignent l’architecture des constructions – que du fait d’une volonté de réaliser une densification discrète, qui se donne moins à lire et à voir et serait ainsi mieux acceptée par leurs administrés.

3. Moussy-le-Neuf (77) : son église et ses logements réalisés en densification (Fonticelli, 2018)

Devenir centre au-delà de la métropole : renouer avec l’urbanité ?

Les élus tentent par le biais de ce projet de redevenir un village, dans une lecture christallerienne de l’organisation de l’espace (Christaller, 1933), le bourg étant le premier échelon de mixité et de diversité dans la hiérarchie communale française. Le logement collectif est pour ces élus le moyen de réintroduire de la mixité fonctionnelle et sociale, et de faire du bourg un lieu de vie, de redevenir un village, en opposition aux lotissements. C’est également la possibilité de réintroduire des rez-de-chaussée commerciaux qu’on imagine remplis de commerces et de vie. On peut y voir la croyance en un effet structurant (Offner, 1993) : si on construit un équipement, il va magiquement prendre vie et fonctionner. De même, la réalisation de locaux commerciaux est envisagée comme la seule condition nécessaire pour favoriser l’implantation de commerces, alors que beaucoup restent vacants.  

La réintroduction d’espaces publics, de centralités, mais également des commerces est au cœur des projections des élus : « déjà le fait que la place, on va dire communale retrouve un petit peu de vie, où les gens échangent, se rencontrent, se disent bonjour, vont chercher un bouquin, il y aura un bar « Tiens viens on va boire un petit coup » et on refait le monde. Ça c’est le village, c’est ça que je veux. » (entretien maire de Chevannes (91), 2016). Ces discours traduisent une aspiration à une alter-ruralité (Jousseaume, 2016), à une volonté de retour à une ruralité perdue, que les projets seraient à même de

favoriser. La production de logement collectif, à l’inverse de projets de lotissement, peut être vue comme le moyen de renouer avec une vie de village, une convivialité rurale, notamment parce que l’immeuble est non seulement un lieu d’habitation, mais il peut être également dédié à une vocation tertiaire : commerces, équipements… 

Au-delà, ces projets permettent d’espérer retrouver une autonomie fonctionnelle perdue en (re)devenant un centre, au-delà de la métropole parisienne, d’où ces communes n’étaient jusqu’alors perçues que comme des périphéries. En cela, le « néo-village », qu’il concerne l’immeuble ou le quartier s’inscrit dans cet imaginaire nostalgique et témoigne d’un retour à une forme urbaine idéalisée, celle de la ville européenne classique, quand les formes urbaines de type grands ensembles ou lotissements concentrent les critiques des élus. Ils s’opposent à la « mort de la ville » ou du village et  « au règne de l’urbain généralisé » (Choay, 1994).

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Refaire village, un nouvel idéal inatteignable pour les communes périurbaines 

Pourtant, construire du logement collectif, qui plus est en densification, est compliqué. D’une part, l’équilibre économique des opérations construites en densification est précaire. Elles s’avèrent paradoxalement plus coûteuses que de réaliser du logement individuel (Castel, 2013), alors que les prix de vente au mètre carré des logements sont inférieurs. Les difficultés de commercialisation sont réelles dans certains bourgs, à l’instar de Plailly (60). Dans cette commune, le bailleur social (OPAC de l’Oise) a réalisé 14 appartements locatifs et 17 appartements en accession à la propriété avec 4 commerces au rez-de-chaussée et un parking sous-terrain de 50 places. La majeure partie des appartements en accession à la propriété n’a pas trouvé d’acheteur : « C’était de l’accession traditionnelle, on s’est complètement trompés » (entretien OPAC de l’Oise, 2016). Finalement, après être restés vacants plusieurs années, ces logements invendus ont été reconvertis en logements sociaux par le bailleur.

L’équilibre est également dur à trouver pour les opérations de logement social, du fait des coûts de construction élevés et des loyers plafonnés par la loi et sectorisés. Ainsi, pour que ces constructions voient le jour, il faut un apport important d’argent public. Or, dans un contexte général de diminution des ressources des collectivités territoriales, les élus peinent à trouver des fonds pour ces projets, d’autant que la densification, qui plus est lorsqu’elle se réalise en logement social, est difficilement acceptée par les administrés (Touati, 2015). 

Refaire village suppose également de renforcer les commerces de proximité. Pourtant, il est difficile d’attirer des commerçants dans ces communes. Beaucoup de baux commerciaux ne trouvent pas preneurs, et si tous les locaux commerciaux réalisés ne demeurent pas vacants, ils sont le plus souvent occupés par des commerces peu créateurs d’une réelle centralité ou de vie locale, et dont une part non négligeable de l’activité est liée à des déplacements à domicile, comme à Moussy-le-Neuf (auto-école, esthéticienne). On est loin du petit bar de village créateur de centralité et de sociabilité rêvé à l’origine par le maire. 

Les difficultés réelles pour renouer avec un idéal villageois en réalisant des immeubles en centre-bourg se traduisent par l’abandon de nombreux projets, ou par des réalisations n’atteignant pas les ambitions initialement annoncées. À Chevannes, en Essonne, un projet de réhabilitation d’un corps de ferme devant permettre de réaliser une trentaine de logements sociaux et des commerces et de « ramener de la vie » (entretien maire de Chevannes, 2016), a finalement abouti à la réalisation d’une opération privée d’une trentaine de logements. Le projet avait pourtant été assez loin : la mairie avait sélectionné un bailleur social qui avait déposé un permis de construire pour l’opération. Cas parmi d’autres d’abandon de projet, à Orgerus, dans les Yvelines, alors qu’un permis de construire avait été déposé pour une opération de construction d’une quinzaine de logements à proximité immédiate de la gare, le changement de municipalité au moment des élections municipales a mis fin au projet. 

Si certaines opérations de densification sont de belles réussites – comme le projet de réhabilitation d’un presbytère à Bouray-sur-Juine (91) et sa transformation en 7 logements sociaux, qui a été labélisé « éco-quartier » par le Ministère de la Cohésion des territoires – elles font malheureusement figures d’exception et l’abandon des projets, ou les déceptions lors de leur réalisation sont fréquentes. Ils soulignent l’inégale capacité des élus à mobiliser des capitaux et des ressources pour réaliser les opérations dont ils rêvent. Souvent, ce sont les communes ayant déjà des atouts – ici liés à la présence d’une ingénierie (un parc naturel régional (PNR) ou d’un conseil en architecture urbanisme et environnement (CAUE) actif), ou bien à l’influence d’un élu à une autre échelle que celle de sa commune – qui vont être à même de favoriser la réalisation de densification sur ces communes. Les ressources se concentrent là où on a les plus grandes capacités à répondre aux appels à projet.

Recréer une centralité pour contrer les effets de la métropole

Pour surmonter les difficultés à densifier, les élus doivent se montrer particulièrement tenaces. Nous avons ainsi pu parler d’élus chefs d’orchestre qui « doivent articuler, orienter, influencer, militer pour pouvoir réaliser des opérations de logement collectif en périurbain » (Fonticelli, à paraître). Les raisons de leur motivation sont à chercher au-delà d’un enjeu de diversification du parc de logement pour répondre de leurs administrés, ou de la simple réponse à une incitation nationale. Leurs motivations nous interrogent : elles sont à trouver au-delà d’aspirations électoralistes, car réaliser du logement collectif, notamment social, est encore mal vu par une partie des habitants. Nombre d’élus ont ainsi témoigné du rejet du logement collectif par une partie de leurs administrés lors de l’annonce des projets : « Il y a un rejet qui relève de l’irrationnel. La peur des autres ; la peur d’éléments étrangers et un racisme social. » (entretien maire d’Itteville (91), 2016). 

Du bourg au centre de son intercommunalité à la commune noyée dans une intercommunalité

Nous lisons également dans cette volonté de refaire-centre une volonté de s’affranchir d’une dépendance de la métropole, un moyen de conserver des fonctions et des structures de pouvoir, dans un contexte intercommunal mouvant.

La réalisation de logements collectifs est présentée comme l’affirmation de la compétence du maire, dans un moment de fusions intercommunales faisant perdre à ces élus la présidence de la communauté de communes qu’ils tenaient jusque-là. Si la couverture intercommunale a mis du temps à s’imposer en Ile-de-France, et que persistaient jusque très récemment de nombreuses intercommunalités composées de petites communes périurbaines, la loi NOTRe (2015) a déstructuré de nombreuses intercommunalités existantes et rattaché des communes périurbaines à de plus grandes intercommunalités urbaines. La trajectoire intercommunale de Moussy-le-Neuf est à ce titre exemplaire. De 1973 à 2015, le maire de la commune était président de la communauté de communes : communauté de communes du Pays de la Goële et du Multien jusque 2013, puis communauté de communes plaines et monts de France jusqu’en 2015. Puis, la commune de Moussy-le-Neuf s’est vue rattachée à l’intercommunalité de Roissy Pays-de-France (42 communes, 350 000 habitants), qui a généré un changement des rapports de pouvoir au sein de l’intercommunalité, le maire de Moussy-le-Neuf devenant simple conseiller communautaire. Cette décision, entérinée par les préfets du Val d’Oise et de Seine-et-Marne, a été mal vécue par le maire en place : « Nous nous étions opposés au démantèlement puisque ça démantelait une communauté de communes de 37 communes qui regroupait toutes les communes du nord de la Seine-et-Marne, bon, c’est pour parler clairement, […] ça a été un coup politique. Un coup politique monté au plus haut niveau gouvernemental […] pour piquer le pognon de la Seine-et-Marne qui tombait de Roissy. » (entretien maire de Moussy-le-Neuf, 2016).

L’élu-bâtisseur au cœur de l’engagement municipal

Les élus qui choisissent alors de construire font de ces projets de densification l’incarnation de leur engagement communal. Ces maires bâtisseurs manifestent ainsi l’étendue de leur compétence urbanisme, en réaction à cette menace – ou à ce qui est perçu comme telle – intercommunale. Comme l’écrit Eric Charmes : en périurbain, « être maire, c’est être tourné vers l’action, ce qui conduit certains élus à éloigner une commune des rivages de la résidentialité pour lui faire aborder ceux de la centralité. Tel maire de petite commune résidentielle qui se verrait bien à la tête d’un pôle administratif et commercial conduit ce faisant sa commune résidentielle sur le chemin de la centralité. » (Charmes, 2011 : 61). 

Or, devenir une centralité apparaît comme une nécessité pour affirmer la compétence urbanisme de la commune. Si la région parisienne est traditionnellement en retard face aux réformes intercommunales, et que l’attachement à l’échelon communal y est particulièrement fort (Desjardins, 2007), l’attachement à la compétence urbanisme a été très marqué dans les entretiens que nous avons menés. Les maires que nous avons enquêtés se sont toujours positionnés comme hostiles au plan local d’urbanisme intercommunal, alors qu’ils exprimaient leur attachement à cette compétence. Construire de façon parfois intensive souligne la nécessité de se rattacher à la compétence urbanisme dans ce contexte qui confisque une fonction politique à beaucoup d’élus périurbains. Le maire de Moussy-le-Neuf l’illustre : sa commune compte aujourd’hui 3 000 habitants mais il envisage qu’elle en compte 4 000 à l’horizon 2030, les logements à créer étant dans des programmes organisés et maîtrisés par la municipalité.

Ainsi, refaire-centre peut être lu comme une volonté de maintenir la commune comme un maillon important dans une posture de résistance face à une métropole débordante. Mais c’est également un moyen pour des élus de s’affirmer dans leur rôle de maire dans un contexte où leurs compétences réelles sont menacées – montée en puissance de l’intercommunalité dont elles ne sont plus qu’un maillon et risque de transfert de la compétence urbanisme – et de résistance face à une perte symbolique de compétences.

Conclusion

Dans les bourgs périurbains, les opérations réalisées en densification revêtent le plus souvent une allure « néo-village », qui évoque l’image de l’immeuble de centre-bourg. Le « néo-village » peut même, au-delà, de l’architecture d’un immeuble, concerner un quartier entier. L’architecture utilisée souligne un retour à une forme urbaine classique, celle du village et les projets l’accompagnant visent à réintroduire des éléments structurants d’une urbanité villageoise : présence de petits commerces, d’espaces publics, de quelques équipements, d’animation urbaine. 

Pour les élus, les opérations de densification, qui plus est lorsqu’elles sont réalisées en « néo-village », sont envisagées comme permettant de « refaire village », réintroduire une diversité sociale voire fonctionnelle lorsque l’immeuble dispose de locaux commerciaux. Ils accompagnent le souhait de réintroduire de la vie, symbolisé par la réinstallation du café ou du petit bar de village dont plusieurs élus rêvaient. 

Pourtant, l’équilibre est dur à trouver entre une volonté de transformer les pratiques d’aménagement et la réalité du marché immobilier en périurbain. Redevenir village pour incarner une échelle locale face à une métropole vue comme tentaculaire demeure compliqué, d’autant que cette volonté municipale se confronte à un contexte intercommunal changeant. 

CLAIRE FONTICELLI

Claire Fonticelli est post-doctorante au sein de l’Université de Genève (Suisse), et chercheuse associée au sein du LAREP. Ses recherches portent sur le périurbain, les modes d’habiter, et les politiques de densification et leurs traductions paysagères et architecturales.

claire.fonticelli@gmail.com 

Couverture : Programme de logement collectif à Anet (28) (Fonticelli, 2018).

Bibliographie 

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Choay F., 1994, « Le règne de l’urbain et la mort de la ville », La ville, art et architecture en Europe, 1870-1993. Paris : Centre Georges Pompidou, 26-35.

Christaller W., 1933, « Les lieux centraux en Allemagne du Sud Une recherche économico-géographique sur la régularité de la diffusion et du développement de l’habitat urbain (1933). », Cybergeo : European Journal of Geography, en ligne

Desjardins X., 2007, Gouverner la ville diffuse. La planification territoriale à l’épreuve., Thèse de doctorat en géographie, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 526 p.

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Fonticelli C., 2019, « Ce que les politiques de densification font au périurbain », Pour, n° 234. 39-46.

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Fonticelli C. et Moquay P., 2019, « Modèle et standardisation. Effets des politiques de densification du périurbain francilien », Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 113, 115-125, en ligne.

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Touati A., 2010, « Histoire des discours politiques sur la densité », Etudes Foncières, 24-26.

Pour citer cet article : Fonticelli C., 2020, « Refaire village au-delà de la métropole parisienne : du village-dortoir au centre-bourg », Urbanités, #14 / Il n’y a pas que la taille qui compte, novembre 2020, en ligne.

  1. La proposition d’article s’appuie sur une thèse achevée en 2018. Elle repose notamment sur un corpus d’une soixantaine d’entretiens réalisés auprès d’acteurs de la densification périurbaine. []
  2. En effet, certaines communes périurbaines sont soumises à l’obligation d’avoir 25 % de logement sociaux d’ici 2025, ce qui s’avère souvent compliqué, cet impératif n’ayant été que très rarement anticipé par les maires. []
  3. Nous nous sommes intéressés aux bourgs du périurbain francilien, entendus comme étant des communes comptant entre 500 et 7 500 habitants qui conservaient des fonctions de centralité et de proximité. Nous avons définis ces fonctions au travers de la Base permanente des équipements de l’INSEE. Il en résulte l’existence de 254 bourgs périurbains sur les 1 286 communes périurbaines de l’aire urbaine de Paris (pour la définition exacte de ces bourgs, voir Fonticelli, 2018). []
  4. Ces différentes architectures ont été longuement présentées dans la thèse de doctorat dont cet article est en partie issu, voir Fonticelli C., 2018. Construire des immeubles au royaume des maisons La densification des bourgs périurbains franciliens par le logement collectif : modalités, intérêts et limites, thèse de doctorat IAVFF, Paris. []
  5. Soulignons également que la mairie a mis en place un « crieur public », présent à la halle de Moussy-le-Neuf tous les premiers dimanches du mois. Bien qu’anecdotique, la présence d’une telle animation souligne la fascination des élus pour des éléments qui rappellent un imaginaire villageois. []

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