Mondes urbains britanniques / Logement et aménagement du territoire en Grande-Bretagne, l’expérience travailliste : le « programme des communautés durables »

William Le Goff


« Les villes sont de nouveau sur le devant de la scène car elles demeurent les centres de création de richesse, du commerce et de la culture. Elles sont aussi devenues plus propres, plus sûres et plus vertes. Les centres des villes sont transformés : grâce au partenariat et à la responsabilisation, on est ainsi parvenu à concilier succès économique, justice sociale et communautés durables » (ODPM, 2004 b). Tel est l’autosatisfecit que se décerne en 2004 le gouvernement néotravailliste au pouvoir depuis 1997 avec l’élection de Tony Blair comme Premier ministre.

Les gouvernements travaillistes ont répondu, de leur façon, à un problème qui structure l’organisation de l’espace britannique : l’opposition nord/sud (North-South divide) entre un sud florissant, gagnant d’une économie mondialisée, et un nord appauvri, symbole de la désindustrialisation (carte 1). L’objet de cet article est ainsi de présenter le « programme des communautés durables » qui répond aux problèmes des marchés du logement britannique, à savoir la faible demande et l’état d’abandon qui concerne des milliers de logements dans le nord du pays ainsi que le manque de logements et l’inflation immobilière dans le sud.

Rappelons que la géographie régionale de l’Angleterre se caractérise depuis les années 1920 par la division entre un sud du pays prospère et un nord traditionnellement industriel (House of Commons, 2003). Certains avancent même qu’il existerait un lien entre la distance à Londres et la prospérité économique (House of Commons, 2003). En 2006, le PNB par habitant était supérieur à la moyenne nationale dans seulement deux régions, Londres et la région du sud-est. La carte n° 1 illustre cette division nord-sud marquée mais qui participe aussi de la mythologie nationale.

Carte n° 1 : revenus disponibles par personne (en livres, 2010).Source : Office of National Statistics, Regional Gross Disposable Household Income 2010, Statistical Bulletin.

Carte n° 1 : revenus disponibles par personne (en livres, 2010). Source : Office of National Statistics, Regional Gross Disposable Household Income 2010, Statistical Bulletin.

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Le programme des communautés durables : lutter contre la « faible demande » et répondre à la croissance du Sud

C’est en février 2003 qu’a été initié le « programme des communautés durables » (Sustainable Communities Plan). Il s’agit du principal programme néotravailliste visant à lutter contre les problèmes relatifs au logement et à l’habitat. Ce programme cherche à répondre avant tout à une « faible demande » et à l’abandon de quartiers entiers dans le nord de l’Angleterre. Cette déshérence dans le nord du pays contraste avec le manque de logements et les pressions inflationnistes du sud du pays. Ainsi, la notion de « communautés durables » est au cœur des récents débats qui portent sur le cadre de vie.

La notion de « faible demande » s’applique généralement au logement situé dans des quartiers où les problèmes s’enchevêtrent (vacance, difficultés de location, taux de rotation élevé des résidents, prix immobiliers bas et en déclin) et où les difficultés de location ou de vente résultent du manque d’acquéreurs potentiels et de la baisse de la population dans le quartier en question.

Les causes de la « faible demande » sont connues. Elles sont liées à la désindustrialisation qui a occasionné des migrations centrifuges. En même temps, la propriété-occupante devient de plus en plus populaire aux dépens du logement social concerné par les « comportements anti-sociaux ». Le « programme des communautés durables», contrairement au programme national de rénovation urbaine (National Strategy for Neighbourhood Renewal), reconnaît la nécessité de changements structurels (Bramley, Pawson, 2002).

Le « programme des communautés durables » intègre des programmes antérieurs : c’est ainsi le cas pour le Housing Market Renewal, mis en œuvre en avril 2002 et doté d’un budget de 2,2 milliards de livres pour la période 2003-2011, qui visait à régénérer les marchés du logement de neuf régions du nord et des Midlands où se concentrait la moitié du parc touché par la « faible demande ». L’objectif fixé était de lutter contre le déclin du parc en améliorant « l’offre » de logement. Le Housing Market Renewal a ainsi été complètement intégré dans le « programme des communautés durables » et en est devenu l’outil qui vise à lutter contre les problèmes d’habitat dans les villes en déclin :

« La feuille de route des plans stratégiques implique une action radicale et soutenue afin de remplacer un logement obsolète par un logement moderne et durable. On privilégiera la démolition, la réhabilitation de logements ainsi que leur reconstruction. Cela conduira à une meilleure mixité résidentielle, et parfois à une baisse du nombre de logements. » (ODPM, 2003)

Par exemple, le programme envisageait, dans un premier temps, de détruire 90 000 logements entre 2003 et 2018. Ce chiffre a été revu à la baisse – environ 57 000 logements – compte tenu du coût élevé des préemptions. En même temps, 67 000 logements doivent être construits au cours de cette même période.

La « faible demande » est la conséquence exceptionnelle du fonctionnement du marché du logement anglais et concerne seulement quelques quartiers du nord du pays et des Midlands. En 2001, seuls 175 000 logements ont été construits, soit le nombre le plus faible depuis 1945. Si ce problème est d’ampleur nationale, il se concentre surtout à Londres et dans le sud du pays (Barker, 2004).

Selon le « Programme des communautés durables », les principaux défis adressés à la région du sud sont les suivants :

« La priorité est d’accueillir le succès économique de Londres et de sa région environnante, le sud-est. On s’assurera ainsi de la compétitivité internationale de la région, pour le bénéfice de la région mais aussi du pays tout entier. » (ODPM, 2003)

Ce programme renforce ainsi le choix du gouvernement qui considère la région du sud-est comme économiquement stratégique – elle est souvent qualifiée de « nouvelle usine » de l’Angleterre. La décision de stimuler la croissance du sud est soutenue par la croyance suivante : ce sont la finance, les services commerciaux et les secteurs à haute valeur ajoutée qui sont les « moteurs économiques » clés de la Grande-Bretagne.

Le « programme des communautés durables » propose un « changement de braquet » en matière d’offre de logements dans la région du sud. Parallèlement, quatre « espaces de croissance » ont été définis le long des principaux axes de transport situés en dehors de Londres, en particulier le Channel Tunnel Rail Link (carte n° 2) qui pourrait potentiellement accueillir 200 000 nouveaux logements d’ici 2016. 610 millions de livres ont été dédiés par le gouvernement à ces « espaces de croissance » dont les deux tiers sont destinés à celui du Thames Gateway. Cette somme est destinée à restructurer le foncier, à recycler des friches industrielles, à établir des nouveaux partenariats, à développer une nouvelle offre de logements abordables et à financer une infrastructure locale.

Carte n° 2 : Channel Tunnel Rail Link. Source : Université de Nottingham, http://www.nottingham.ac.uk/transportissues/appraisal_ctrl.shtml.

Carte n° 2 : Channel Tunnel Rail Link. Source : Université de Nottingham, http://www.nottingham.ac.uk/transportissues/appraisal_ctrl.shtml

 

La politique d’aménagement du territoire des anciens travaillistes était redistributive, ce que Ron Martin et Peter Tyler (1993) qualifient de « keynésianisme spatial ». Les néotravaillistes, de leur côté, encouragent une croissance endogène en s’appuyant sur leur réseau d’agences de développement régional en charge de promouvoir une « économie de la connaissance ». Cette façon de résoudre les problèmes est qualifiée « d’amorçage » : elle est définie par son manque de moyens et d’ambition, et repose néanmoins sur l’espoir que les régions les plus pauvres seront entraînées par les plus dynamiques.

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La Northern Way : pour que « quelque chose se passe »

En réponse à ces critiques, un projet à long terme, destiné aux régions du nord et intitulé Making it Happen, the Northern Way, a été publié en février 2004 (ODPM, 2004b). Il s’agit de rééquilibrer la croissance des régions du sud même si la « Northern Way » ne constitue pas un projet réfléchi pour le développement des régions du nord. Ce projet se contente de passer en revue les progrès des initiatives existantes tel le New Deal for Communities et, contrairement au titre du rapport, offre peu de propositions pour que « quelque chose se passe » dans le nord du pays.

Carte n° 3 : le Nord de l’Angleterre, la Northern Way et les city-regions. Source : http://geocarrefour.revues.org/docannexe/image/6002/img-1.png

Carte n° 3 : le Nord de l’Angleterre, la Northern Way et les city-regions. Source : http://geocarrefour.revues.org/docannexe/image/6002/img-1.png

 

Ce projet embryonnaire peut être résumé de la façon suivante : le développement économique sera concentré dans deux corridors, lesquels comprennent huit régions urbaines. Ces corridors, structurés autour de réseaux de transport existants, s’étendent de Liverpool à l’est, à Hull à l’ouest, ainsi que de Newcastle au nord, et à Sheffield au sud. Ce qui s’y développera, selon le Vice-Premier ministre, « contribuera à ce que l’activité économique atteigne une certaine masse critique, à l’échelle des régions du nord, ce qui permettrait de produire un effet levier en vue de nouveaux investissements qui eux-mêmes renforceraient le nord du pays, pour en faire une force économique en Europe » (ODPM, 2004c).

Pour la première fois depuis des années, les régions du nord, grâce à la « Northern Way », sont placées au cœur des préoccupations et des débats en matière d’aménagement du territoire. Cependant, le « projet de croissance » de la « Northern Way » est conçu selon le principe qui prévaut dans le sud, celui de la « gestion de la croissance ». Or ce principe ne peut s’appliquer au nord comme il le fait au sud, dont la croissance est entraînée par l’économie de la « ville mondiale » qu’est Londres. On y trouve le marché où les consommateurs sont les plus riches du pays, la plus importante concentration de secteurs à haute valeur ajoutée, des centres d’excellence en matière de recherche, de développement et de formation. Par conséquent, cet espace peut attirer les jeunes diplômés venant de toute l’Angleterre. Les régions du nord, de leur côté, ont un besoin impératif de stimulation de la demande. Barry Goodchild et Paul Hickman ont qualifié la rhétorique néotravailiste appliquée à la « Northern Way » d’obsession de la croissance quand la réalité appelle à la gestion du déclin (Goodchild et Hickman, 2006).

Le lancement de la Northern Way est ainsi devenu le fer de lance de la croissance économique régionale. Le thème de la « faible demande », qui était défini par la vacance, l’abandon de logements et la dépréciation des valeurs immobilières, est remplacé par celui de la « modernisation ». Il s’agit de démolir le parc obsolète et de le remplacer par un parc de logements de qualité, au mode d’occupation et à la forme adaptés à la nouvelle demande. Selon les mêmes commentaires, le logement de masse destiné à la classe ouvrière serait dépassé car lié à un paradigme économique révolu. L’offre de logement est aujourd’hui un élément crucial, à l’échelle locale si ce n’est régionale, de la croissance économique. Elle permet en effet d’attirer une main-d’œuvre relevant de l’« économie du savoir ». Stuart Cameron évoque le parallèle entre cette « modernisation » et celle qui était incarnée par le programme d’éradication des taudis des années 1960, puis de construction massive de logements sociaux : ce programme avait tout d’abord une action limitée dans le temps puis se justifiait par des motifs de santé publique. On a ensuite observé une montée en puissance de cette action. Le Housing Market Renewal est quant à lui justifié par la « faible demande », et donc l’obsolescence du parc ; il se développe de façon exponentielle et s’intègre au programme, plus vaste, de « modernisation » qui comprend les dimensions « lutte contre les taudis » et « déplacement des communautés ». De plus, on observe un basculement du référentiel de l’action publique, qui passe de la « faible demande » à la transformation économique. Compte tenu des justifications sous-jacentes ambitieuses de ce programme – prospérité économique, modernisation de la société, etc. – les démolitions, les reconstructions et les relogements des résidents s’effectuent au détriment des intérêts considérés comme « étroits » et des besoins des habitants (Cameron, 2006).

Photo n° 1 : exemple d’un parc immobilier touché par la « faible demande » : maisons en bande des quartiers est de Durham. Source : County Council de Durham, http://durhamcc-consult.limehouse.co.uk/portal/planning/csiando/csio2010?pointId=1275918885014

Photo n° 1 : exemple d’un parc immobilier touché par la « faible demande » : maisons en bande des quartiers est de Durham. Source : County Council de Durham, http://durhamcc-consult.limehouse.co.uk/portal/planning/csiando/csio2010?pointId=1275918885014

 

En revanche, on peut souligner, dans le « programme des communautés durables », l’absence de définition du terme même de « communautés durables ». La seule définition que le gouvernement a proposée est postérieure au lancement du programme : « Les communautés durables correspondent aux besoins variés des résidents présents et à venir. Leurs enfants ainsi que les usagers du quartier participent à une qualité de vie élevée, et permettent ainsi une vie faite de choix et d’opportunités. Cela est rendu possible grâce à une utilisation efficace des ressources naturelles, à l’amélioration de l’environnement, à la promotion de la cohésion et de l’inclusion, et grâce enfin à une prospérité économique renforcée » (ODPM, 2004a).

Sans que cela soit explicitement développé, les termes de « diversité », d’« inclusion » et de « cohésion » désignent la « mixité sociale ». L’emploi de celle-ci permet de mieux comprendre l’approche du New Labour. La « mixité sociale » est néanmoins devenue la nouvelle orthodoxie en matière de renouvellement de l’habitat en Angleterre.

Les « communautés mixtes » procèdent d’un raisonnement qui leur prête un certain nombre de vertus : elles permettraient une dilution de la pauvreté, un soutien à l’économie locale grâce au pouvoir de consommation des classes moyennes qui s’implanteraient dans les quartiers difficiles, la construction d’un capital social en encourageant les réseaux sociaux à se constituer, et elles participeraient à modifier le comportement des habitants en le normalisant grâce au « modèle positif » que constituent les classes moyennes qui ont emménagé dans des zones auparavant ségrégées (Bailey et Manzi, 2008).

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Renouveler le parc de logement vacant : l’exemple du Housing Market Renewal de Manchester

L’exemple du Housing Market Renewal de Manchester est de nature à éclairer les propos que nous venons d’exposer.

Un manuel qui traiterait des conurbations industrielles anglaises en difficulté pourrait proposer l’exemple emblématique de l’agglomération de Manchester. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le déclin démographique de Manchester et de Salford, les deux principales villes de l’agglomération, est au-dessus de 10 % de perte de population entre chaque recensement décennal. En parallèle, le nombre d’emplois a baissé de 23 % entre 1973 et 1995 et, depuis 1995, a connu une augmentation sensible.

Le Housing Market Renewal concerne 27 quartiers, 23 d’entre eux étant considérés comme appartenant aux 10 % les plus pauvres du pays. Ce territoire englobe 40 % de l’ensemble des logements des deux villes. Il est caractérisé par une offre surabondante de logements en bande, construits avant la Première Guerre mondiale, et d’appartements réalisés après la Seconde Guerre mondiale (photo n° 2). Le prix moyen d’une propriété s’y élève à 55 000 livres pour une moyenne nationale de 136 000 livres (Audit Commission, 2005).

Photo n°2 : logements en bande à Manchester. Source : http://www.manchestersalfordhmr.co.uk

Photo n°2 : logements en bande à Manchester. Source : http://www.manchestersalfordhmr.co.uk

 

L’organisation de ce Housing Market Renewal se structure autour du partenariat informel entre les mairies de Manchester et de Salford, le Manchester Salford Partnership. Notons aussi la participation active de promoteurs et d’acteurs en charge de la protection du patrimoine et de la sécurité. Son conseil d’administration a une fonction stratégique et est présidé par le sociologue Michael Harloe, Vice-Chancellor de l’Université de Salford.

Ce partenariat a été le premier à avoir déposé un projet de dossier auprès du gouvernement en juin 2003. Son financement initial s’élevait à 221 millions de livres entre 2003 et 2008, puis s’est enrichi de 140 millions pour la période allant de 2008 à 2011.

L’objectif général du projet mancunien, tel qu’il était défini en 2003, était de « bâtir des communautés stables et durables où le logement et l’investissement dans le secteur social correspondent aux besoins des habitants » (Audit Commission, 2005).

Les deux objectifs stratégiques étaient les suivants :

  • produire un marché du logement durable qui corresponde aux besoins des habitants présents, d’une part, et qui attire et retienne de nouveaux et d’anciens résidents, d’autre part ;
  • travailler avec les secteurs publics et privés en vue de planifier les investissements qui garantiront un marché du logement renouvelé. Ce marché accueillera une structure économique et sociale améliorée.

L’utilisation de l’expression « communautés durables » conduit à proposer un large choix de logements pour des habitants de tous âges et de toutes conditions sociales. Autrement dit, la « mixité » peut être garantie dans le projet mancunien si on élève la densité urbaine afin de rendre pérennes les services publics et privés, et d’en assurer la rentabilité.

Le principal défi est le suivant : il existe une forte demande régionale de logements mais cette demande ne se situe pas dans les territoires du Housing Market Renewal. Le mauvais état de cette offre de logement en serait la cause. C’est ainsi que le projet mancunien a défini une « vision » de ce qu’une offre attractive pouvait être en terme de densité, de mixité et de services de proximité. Cette réflexion rejoint celle portée dans le cadre de la « renaissance urbaine » qui promeut l’idée de « vivre la ville ». Cependant le contenu de cette idée de « vivre la ville » est déterminé par les investisseurs et non par la demande des ménages. Le résultat est une surproduction de petits appartements qui ne sont pas appropriés aux familles, qui constituent pourtant le pilier des communautés « mixtes ».

Le programme mancunien propose la démolition du parc de logements à bas prix. Il s’est cependant publiquement engagé à maintenir la population résidant sur place. Par conséquent, il s’agit de produire 22 500 nouveaux logements supplémentaires en treize ans dans le territoire de l’Housing Market Renewal en réponse à la croissance démographique et à l’objectif de densités résidentielles durables.

Néanmoins, huit « quartiers d’intervention majeure » ont été définis en 2005. Il s’agit de quartiers où le marché seul ne pourra pas impulser de changements. Le but est ainsi de les « stabiliser » grâce à des investissements substantiels de la part des services publics, en particulier dans l’éducation et la santé, pour créer un « quartier où l’on habite par choix », en conformité avec l’économie générale du programme.

À partir de 2008, le partenariat mancunien s’est peu à peu intégré à l’agenda, plus étendu, de la région de Manchester. Cet agenda régional dépendait, disait-on, de la qualité du marché du logement et de la nécessité, qui faisait consensus, de repeupler les centres-villes de Manchester et de Salford. L’objectif général du partenariat mancunien est ainsi redéfini pour permettre « d’accueillir la croissance économique de la région de Manchester en créant des quartiers où l’on habite par choix, qui correspondent aux besoins des résidents actuels et qui attirent de nouveaux ou d’anciens résidents. » (MSP, 2008).

Conformément à l’agenda national du Housing Market Renewal, le programme mancunien est fortement tourné vers de lourdes dépenses d’investissement. Ces dépenses concernent principalement l’acquisition de foncier et du bâti, le coût des indemnisations pour les résidents, leur relogement et la reconstruction de nouveaux logements. L’investissement est aussi important dans la réhabilitation et l’amélioration de la gestion des quartiers.

En 2008, le programme mancunien a permis le développement d’un parc privé dans des quartiers longtemps ignorés par le marché : 10 000 logements neufs ont ainsi été livrés au cours des cinq premières années du programme, ce qui correspond à un milliard de livres investies par le secteur privé (photo n° 3). De plus, ce sont 11 000 propriétés qui ont bénéficié d’une amélioration de leur bâti.

Photo n° 3 : nouveaux appartements à Beswick (est de Manchester). Source : http://www.east-manchester.com/living/living-neighbourhoods/beswick/index.htm

Photo n° 3 : nouveaux appartements à Beswick (est de Manchester). Source : http://www.east-manchester.com/living/living-neighbourhoods/beswick/index.htm

 

Cependant, cette expérience mancunienne, comme le Housing Market Renewal dans son ensemble, ont été l’objet de débats critiques très virulents.

Un certain nombre de critiques opérationnelles ont été formulées à l’encontre de la gouvernance du partenariat, par exemple. On en déplorerait ainsi l’absence de « visage humain » et le manque de transparence du processus de décision. De plus, la faiblesse des investissements en matière de lutte contre la délinquance et contre la dégradation du cadre de vie peut conduire à l’aggravation de ces deux éléments.

Des critiques plus profondes encore ont été formulées ; elles portent sur la nature même du programme.

La critique la plus vive concerne l’impact du programme, qui ferait le lit de la gentrification. Nombreuses sont les inquiétudes au sujet du rejet de la population locale qui serait contrainte à déménager, victime de l’augmentation des prix immobiliers et de la spéculation immobilière.

L’Audit Commission considère que le Housing Market Renewal de Manchester et de Salford est représentatif de la « difficulté à trouver l’équilibre entre un renouvellement physique nécessaire pour attirer de nouveaux habitants et la nécessité de répondre aux besoins de la population locale. On a le sentiment que la ville se porte mieux, surtout le centre-ville, mais on a aussi le sentiment d’une fragmentation. Le renouvellement n’apparaît pas mis en œuvre pour le bénéfice des habitants ; en outre, il répond de façon inadéquate à leurs problèmes. » (Audit Commission, 2008).

Le risque fondamental que le partenariat mancunien doit affronter, en particulier si on prend en compte les difficultés économiques actuelles, repose sur le fait qu’il est construit sur des projections économiques et démographiques qui pourraient ne pas se réaliser. Les effets attendus dépendent d’une croissance économique que tous les documents de planification régionaux appellent de leur vœu.

Le « programme des communautés durables » visait à répondre aux nouvelles demandes immobilières induites par l’économie contemporaine. Il s’inscrivait ainsi dans une politique d’aménagement du territoire, volontariste mais basée sur la nécessité de répondre aux besoins économiques : c’est ainsi que les néo-travaillistes ont affronté le défi du « North-South divide ». Notons que ce volontarisme en matière d’aménagement du territoire s’est essoufflé suite à l’élection de gouvernements tory (conservateurs). Les conséquences en matière de construction de logements sont très claires : entre 2004 et 2007, 210 000 logements ont été construits par an en Grande-Bretagne. Entre 2010 et 2013, c’est-à-dire sous les gouvernements conservateurs, ce sont 140 000 logements qui ont été bâtis par an. Cette baisse de la construction aggrave la pénurie de logements dans les régions économiquement dynamiques. Dans les villes dévitalisées, compte tenu des critiques envers le Housing Market Renewal, l’heure est à la réhabilitation des logements et non plus à leur démolition-reconstruction : les opérations de réhabilitations sont moins coûteuses et prennent mieux en compte les besoins des populations locales. La structuration de l’espace britannique autour du « North-South divide » reste bien d’actualité à l’heure où l’aménagement du territoire n’est plus une priorité gouvernementale.

William Le Goff

 

Professeur associé à Paris 4 Sorbonne, William Le Goff est lauréat du prix de thèse sur la ville APERAU/CERTU/CFDU/PUCA en 2007. Sa thèse a été publiée par le CERTU sous le titre « La ville et ses minorités » (http://www.certu-catalogue.fr/la-ville-et-ses-minorites.html). Son expérience professionnelle le conduit à travailler sur les questions du logement et de l’habitat chez des acteurs publics ou parapublics.

Photo de couverture : maisons ouvrières à Bradford. Source : photo personnelle, William Le Goff

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