#2 / Ville et catastrophe naturelle, responsabilités et opportunités ? Cas du séisme de Port au prince

Béatrice Boyer

L’article de Béatrice Boyer au format PDF


Les villes n’échappent pas aux aléas naturels, phénomènes environnementaux violents, de plus en plus fréquents et inattendus dans leurs formes. Leurs impacts destructeurs y sont démultipliés, transformant fréquemment l’aléa en catastrophe urbaine. Différents facteurs accompagnent ou provoquent ces effets : défaut de gouvernance, développement urbain mal maîtrisé, occupations dangereuses sur des territoires à risques. Ignorance, méconnaissance, oubli quand ce n’est pas déni des populations comme des autorités locales aux risques potentiels sont autant de facteurs d’impréparation aux risques.

Une des grandes catastrophes majeures récente est le séisme qui s’est abattu sur la zone métropolitaine de Port au Prince, en 2010 en Haïti. Après avoir sidéré ses habitants et l’ensemble de la communauté internationale, l’ampleur et la violence de ses impacts a révélé non seulement une absence de maîtrise urbaine, une absence d’application de normes de construction et un déficit d’infrastructures adéquates mais surtout une très grande difficulté pour y apporter l’aide. La présence des gravats partout dans la ville n’étant qu’un des aspects. Une véritable crise des processus de gestion des interventions en milieu urbain s’est ajoutée à la catastrophe urbaine.

Cette catastrophe s’est révélée être le résultat d’une conjugaison d’effets dont les causes sont tout à la fois d’origines naturelles et d’origines anthropiques sur un tissu urbain très anarchique aux limites indéfinies. Cependant, face à d’autres types d’aléas, des villes plus structurées se sont aussi trouvées confrontées à des difficultés comparables. Pour exemple, les cyclones ayant touché la Nouvelle Orléans, plus récemment New York, en submergeant des pans entiers de ville et en mettant en danger les populations, ont révélé une impréparation des autorités locales à ces phénomènes. Autre aspect de risques non anticipés, au Japon, pourtant rôdé à la prévention des risques sur son territoire, des phénomènes naturels extrêmement violents, séisme doublé d’un tsunami, ont mis en évidence la dangerosité de la présence d’activités comme une centrale nucléaire dans ces situations à hauts risques potentiels, de plus au sein d’une zone d’occupation dense, la ville de Fukushima. Les conséquences ne sont pas même mesurables sur le long terme.

Cependant, aussi compliqués et dramatiques puissent être ces évènements, ils offrent une opportunité dans la prise de conscience des risques qui pèsent sur les villes et sur la nécessité de renforcer les capacités de prévention et de résilience des villes. Port au Prince sert ici d’analyse où sont posés les questions et les enjeux qui se présentent aux interventions à la fois dans la phase de post urgence et à la fois en termes de relèvement précoce1 de la situation avant même de parler de reconstruction post catastrophe.

La catastrophe en ville est un désastre mais paradoxalement aussi une opportunité pour la ville

 

Risque oublié mais responsabilités engagées

Le séisme du 10 janvier 2010 a été  dévastateur, avec plus de 250 000 morts, près d’un million et demi de personnes déplacées dans la ville et hors la ville et des quartiers entiers d’habitations transformés en gravats. Mais, une grande partie de la métropole est construite sur des zones à risques, pentes glissantes, failles sismiques, zones de sédimentations de déchets instables en littoral, toutes zones échappant complètement à une maîtrise territoriale. L’urbanisme de Port au Prince est le résultat d’intérêts et de pouvoirs particuliers : laisser faire ou instrumentalisation de l’accès à la ville par distribution de terrain ou déplacements de population, plus enjeux politiques que stratégies de développement urbain. Aussi les effets provoqués par le séisme ont été amplifiés par ces situations incontrôlées et à risques. L’aggravation des impacts est aussi à comprendre du fait de facteurs comme la déforestation systématique des pentes boisées au-dessus de Port au Prince, l’inapplication des règles constructives par l’administration ou les malfaçons systématiques de la construction ; en particulier de l’auto-construction.

Construction irresponsable!, Port au Prince, Port au Prince (Boyer, 2010)

Construction irresponsable, Port au Prince, Port au Prince (Boyer, 2010)

Malfaçons ou absence de normes ? Port au Prince (Boyer, 2010)

Malfaçons ou absence de normes ? Port au Prince (Boyer, 2010)

 

Cumul de risques

Certains risques sont connus et récurrents sur cette région tels les cyclones (par exemple ceux qui sont intervenus dans les mois qui ont suivi le séisme : Thomas, Sandy, Isaac), les pluies et les glissements de terrain associés. Mais Haïti s’est trouvé aussi confronté à d’autres risques totalement inattendus qui se sont surajoutés et qui auraient pu être évités comme l’introduction dans le pays du choléra, importé de plus par la présence internationale. Cette autre catastrophe s’est avérée majeure, en particulier en ville où tant de gens vivent dans la promiscuité de la précarité des camps provisoires issus du séisme. Le choléra et la crise qu’il a engendrée risquent d’être plus profondément ancrés dans l’esprit des Haïtiens que le tremblement de terre, car la responsabilité en est identifiée. En ville le cumul de ces impacts a posé de sérieux problèmes de coordination à l’ensemble des acteurs sur place, décideurs internationaux et Haïtiens.

Prise de conscience collective d’une responsabilité face aux risques

Le séisme a été une catastrophe soudaine meurtrière pour les territoires communaux des villes2 de la Zone métropolitaine de Port au Prince avec des impacts d’autant plus violents et paralysants qu’il s’agit de la capitale du pays, centre névralgique des pouvoirs et de l’économie haïtienne. Cependant en 2013 paradoxalement, avec le recul des trois années et une meilleure connaissance et analyse du contexte et des mécanismes de l’aide, le séisme apparaît comme une opportunité pour enclencher un processus de réflexion et de pistes d’action de prévention des risques en ville. Cela concerne autant les acteurs locaux, autorités gouvernementales et municipales que les acteurs internationaux de la gestion de crise (système onusien, système des Croix Rouges, ONG et bailleurs de l’aide). Cette catastrophe a révélé la nécessité d’intervenir efficacement et durablement dans une ville qui subit une crise soudaine, et parallèlement a fait prendre conscience des risques et responsabilités qui pèsent sur les autorités nationales et urbaines locales en matière de prévention de risques. L’intervention en milieu urbain suite à une catastrophe et la préparation et/ou l’anticipation de nouvelles crises sont aujourd’hui au cœur des réflexions non seulement des Haïtiens eux-mêmes, victimes, mais de l’ensemble des acteurs de la gestion de crise.

Quelle responsabilité pour les acteurs des villes ?

Au-delà, c’est la responsabilité des acteurs de la ‘gestion urbaine’ qui est en question. Pourquoi ne voit-on pas ou trop peu sur place en situation de post-crise des représentants des coopérations décentralisées des villes, des urbanistes, des architectes, des géographes, des spécialistes des risques, des sociologues, techniciens d’infrastructures ou des chercheurs, experts de disciplines croisées, qui pourraient appuyer plus tôt et efficacement les processus de relèvement, early recovery  ou relèvement précoce dans le jargon onusien ?

Catastrophe urbaine, crise humanitaire !

Le cas de Port au Prince a en effet révélé des limites aux modalités d’action, de financements, de compétences spécialisées dans les gestions de crises, habituellement menées par l’aide d’urgence de l’ensemble de la communauté internationale. D’un côté, les acteurs humanitaires n’étaient pas préparés à intervenir dans la complexité urbaine. D’un autre, les autorités locales, peu préoccupées de la gestion de la ville en général, se sont trouvées victimes elles-mêmes des destructions. Les services de protection civile et pratiquement tous les organes de l’État, seize ministères sur dix-neuf auraient subi des dégâts, allant de l’écroulement total des bâtiments à des endommagements majeurs sans parler des très nombreux morts parmi leurs personnels. Certains quartiers de la ville se sont écroulés sur place, laissant un champ de gravats les rendant inaccessibles, d’autres ont pu continuer à fonctionner à peu près. Toute la mécanique de l’aide s’est heurtée à cette ville/éboulis en partie immobilisée.

Ville /éboulis : équipe de déblaiement payée en Cash for work par l'aide internationale, (Boyer, 2010)

Ville /éboulis : équipe de déblaiement
payée en Cash for work par l’aide internationale, (Boyer, 2010)

 

Une phase d’urgence très courte

Au-delà des difficultés d’accès dues aux gravats, ce sont des difficultés d’une autre nature qui sont apparues. En intervention d’urgence, les mandats des structures de l’aide visent à apporter des réponses rapides à la personne. Elles ne cherchent pas à répondre à des besoins structurels relevant de réseaux matériels endommagés (dégagement de voiries, infrastructures, assainissement…) ou de réseaux immatériels sociétaux (économiques, sociaux, culturels…). Il faut signaler ici l’action importante du réseau de téléphonie mobile Digicel qui a tout de même joué un rôle important. Mais les objectifs des acteurs de l’urgence ne relèvent pas d’enjeux durables. La Phase d’urgence qui vise à sauver des vies est en réalité très courte. Les logistiques des secours mobilisées dans cette phase sont efficaces, mais elles arrivent après les actions d’auto-solidarités locales (les habitants eux-mêmes qui sauvent leurs voisins). Et ces premières actions ne sont pas toujours prises en compte dans les opérations qui vont suivre, ce qui apportera par la suite des erreurs ou des retards dans la compréhension des situations.

La phase de post-urgence : une transition sans vision durable

La phase d’urgence ne dure que quelques jours mais pose aussi les bases des actions ultérieures de la phase post-urgence où se mettent en place d’autres mécanismes de l’aide. Tout l’effort international va porter sur cette période, sorte de transition avant la reconstruction. Et c’est cette phase qui pose problème : ni vraiment de l’urgence, ni engagée sur du structurel. Les actions menées dans cette période vont l’être par des acteurs et avec des moyens généralement engagés sur des situations d’urgence : situations de post conflit ou de post catastrophe où dominent des problèmes de droit international et de déplacements de populations, souvent regroupées dans des camps provisoires plutôt que des problèmes de reconstruction. Ce sont des logistiques rapides et standardisées de distributions y compris d’abris temporaires qui vont primer sur la prise en compte des particularités locales urbaines, et sur les potentiels locaux.

La phase de reconstruction : difficultés de l’aide en ville

Au-delà des premières phases de gestion de la crise, d’une part en urgence et d’autre part en post-urgence, l’effort de reconstruction d’une ville affectée par une catastrophe touchant autant son territoire, ses institutions, sa juridiction que son fonctionnement en flux multiples, s’est avéré dépasser les mécanismes de l’aide internationale post-crise. Les bailleurs et opérationnels de programmes opèrent plus par logistiques que comme maîtres d’œuvre d’opérations urbaines. Face à ces très nombreuses structures internationales, mêlant aide désintéressée et intérêts variés, ce sont les habitants eux-mêmes qui se sont trouvés un peu pris en otage au centre de cette grande foire que sont devenus ces terrains de gestion de crise. La particularité est que ce terrain de crise est aussi une ville et non un no man’s land dans le désert avec des camps de réfugiés habituellement objet des mécanismes de l’aide internationale.

De très nombreuses questions sont venues rythmer les échanges et rencontres entre les acteurs internationaux et les acteurs nationaux avec des revendications légitimes des institutionnels locaux trop souvent laissés en dehors des décisions d’actions sur leur propre territoire. Des observateurs, à commencer par les observateurs nationaux haïtiens, suivent avec critiques les résultats tangibles de la présence internationale. Tenter de décoder ces situations s’assimile aux difficultés exprimées jusque dans les documents de coordinations internationales des plus hautes instances onusiennes avec l’établissement de cartographies de la ville intitulée « WHO, WHERE, WHAT ». Finalement cette formule montre à quel point en ces phases d’intervention, la ville est apparue  comme un terrain d’intervention complexe où les mécanismes habituels de l’aide ne fonctionnaient pas.

Quand venir aider ? Quand partir ? Quelle pérennité de l’action engagée ?

 

Une première question : quand intervenir ?

Quand une catastrophe arrive et que la demande d’aide se déclenche à travers l’ONU, la question de la de l’intervention se pose. On fait appel à des mécanismes éprouvés pour apporter de l’aide à des victimes. Mais il devient compliqué de décider de la durée de l’action quand les effets de la crise dépassent les capacités et les compétences des intervenants. Et surtout quand l’origine de la catastrophe ou d’autres aspects de vulnérabilités urbaines, comme la pauvreté récurrente, se révèlent plus importants encore que la crise elle-même. La question « quand intervenir ? » ne se pose pas aux structures de l’aide d’urgence qui ont comme mandat de sauver des vies, donc d’agir vite et de façon autonome par rapport aux ressources locales de manière à ne pas peser sur les situations déjà lourdement affectées. Ces logistiques d’interventions post-urgence sont préprogrammées et ne sont pas destinées à s’enliser dans des situations de long terme ni à ancrer leurs actions dans les structures locales. Les programmes relevant du secteur et des compétences humanitaires sont des programmes devant se déployer en actions dans la ville (aide et distribution) et non en actions sur la ville (renforcement d’infrastructures, construction…). Pour exemple, dans ces phases de l’aide, pour répondre aux besoins des sans-abris, seront distribués et posés des habitats précaires ou de transition, la plupart du temps réalisés avec des matériaux importés, préfabriqués plutôt que seront construits des habitats avec fondations. L’installation d’abris de transition, sous forme de petites entités –maisons- répond au besoin urgent de mise à l’abri mais risque d’handicaper la future reconstruction des quartiers.

Installation d'abris provisoires On ne reconstruit pas une ville en posant des petites maisons précaires côte à côte Port au Prince, (Boyer, 2011)

Installation d’abris provisoires
On ne reconstruit pas une ville en posant des petites maisons précaires côte à côte
Port au Prince, (Boyer, 2011)

 

Quand se désengager ?

Pourtant, avec la nature complexe et souvent récurrente plus qu’accidentelle de la catastrophe en ville, apparaissent des facteurs bien plus anciens et plus profonds de crises comme expliqué plus haut : vulnérabilités des modes de vie, déficiences de services de bases, mauvaises constructions, emplacements de quartier dans des zones dangereuses, nécessitant des actions structurelles à engager sur le long terme. Aussi décider « Quand se désengager »3 n’est pas simple pour beaucoup de ces organisations de l’aide, mesurant l’ampleur des besoins et leurs propres difficultés à y répondre en l’absence d’acteurs compétents en questions liées à la ville. Or le constat est que les experts urbains ne sont pas présents lors de ces phases de catastrophes qui nécessiteraient des approches globales, des compréhensions de la spatialité de la ville, des outils urbanistiques d’aide à la décision. Il est regrettable que les urbanistes fassent défaut dans ces phases de post urgence !

 

Pour qui intervenir, pour quoi ?

 

Entre individus, communautés et sociétés vulnérables, qui aider en ville ?

Les acteurs de l’aide d’urgence ont pour missions et mandats de venir en aide aux personnes comme dit précédemment. Pourtant la réponse à la question de « pour qui intervenir ? » en situation de catastrophe sur la ville n’est pas si simple à gérer : a priori il s’agit pour les organismes humanitaires d’intervenir auprès des populations directement affectées par la catastrophe. Cependant cibler les personnes les plus affectées  dans ces ensembles complexes que sont les sociétés urbaines s’est avéré particulièrement sensible à Port au Prince. La notion de communauté urbaine ne va pas de soi. La densité et l’interrelation des activités des habitants rendent les processus d’identification, de communication, souvent de négociation, aussi compliqués et risqués que des processus politiques. Et l’intrusion d’acteurs étrangers dans la gestion de la ville, potentiellement capables d’apporter des moyens, de pallier les déficits locaux en matière de besoins de base des habitants, provoquent autant d’espoirs que d’ambivalences ou de jalousies sur les attendus, entrainant des phénomènes de perturbations sociales au-delà des cas des personnes. D’autre part, la position et le pouvoir d’apporter de l’assistance aux habitants présentent des risques importants de substitution des services publics, voire d’affaiblissement des autorités en charge de ces services.

 

Des critères sélectifs de « bénéficiaires » insatisfaisants ?

En ville, démêler les besoins entre personnes impactées par la crise et personnes aux vulnérabilités récurrentes nécessitant aussi de l’aide s’avère beaucoup plus compliqué qu’en milieu rural pour les acteurs de l’aide. Comment établir en ville des critères sélectifs de « bénéficiaires » ? Pour en vérifier et valider les résultats, l’aide d’urgence a cherché des interfaces auprès de certaines communautés urbaines. Comme expliqué plus haut, la notion de communauté en milieu urbain, et surtout de légitimité de sa représentation, a constitué un véritable défi pour les acteurs de l’aide œuvrant en ville. Entre les représentants des habitants de la rue, du quartier, de la municipalité, quelle légitimité des uns et des autres pour identifier les besoins, prioriser les personnes à qui il fallait apporter de l’aide ? Le ciblage de l’aide à la personne en ville comme la justification d’interlocuteurs légitimes, identifiés en urgence ou de l’extérieur par les structures de l’aide, s’est heurté aux spécificités de fonctionnements sociaux urbains, comme aux dysfonctionnements (absence de puissance publique, présence de gangs par exemple) méconnus des acteurs de l’aide d’urgence. Des difficultés de programmes se sont présentées : aide dans les camps installés dans les quartiers au détriment des gens du quartier, dérivation des bénéfices de l’aide vers certains, recherche d’instrumentalisation de l’aide, parfois avec intimidation, création de mécontentement de la population… En ville, tout prend rapidement de l’ampleur par la propagation de la rumeur.

 

Enfin, intervenir en coordination avec qui  en ville et comment ?

 

Avec quels interlocuteurs institutionnels en l’absence de structure de reconstruction ad hoc ?

Le fonctionnement de la gouvernance urbaine, qui renvoie aux mécanismes de décisions politiques, de directives territoriales, de pilotages politiques, opérationnels et de coordination, est essentiel au fonctionnement de la ville. Or en ces situations perturbées, chaotiques, suite à une catastrophe, comment établir des liens avec des Institutions gouvernementales, locales, municipales, administratives, techniques qui peuvent être elles-mêmes victimes de la crise quand elle ne sont pas  en partie responsables de celle-ci, par absence de responsabilisation, de planification, de prévention ou par « laisser faire » ou corruption ? Avec quels acteurs interagir quand il n’existe pas d’organisme transitoire  national ad hoc créé au moment  de la crise pour la gérer, comme cela a pu être fait en Indonésie par exemple après le tsunami en Aceh (Indonésie) avec le BRR, ou Bureau de la Réhabilitation et Reconstruction ?4

Structure intérimaire

En Haïti, l’afflux de fonds issus des grands bailleurs internationaux comme ECHO5, OFDA6 ONU, Banque Mondiale, Banque Inter Américaine de Développement, ou des nombreux appuis des coopérations nationales régionales (CUBA, VENEZUELA, BRESIL) ou internationales (ACDI7, AFD8, USAID9) a nécessité la mise en place d’une structure de coordination de gestion des fonds. La CIRH, ou Commission Intérimaire de Reconstruction d’Haïti a été créée. Cependant cette commission dirigée de façon bicéphale, nationale (par l’ex premier Ministre M. Bellerives) et internationale (par Bill Clinton), était intérimaire comme son intitulé l’indiquait, avec une durée de vie limitée à deux années. Elle n’avait donc pas pour objectif de guider des actions structurantes et pérennes de reconstruction urbaine, mais seulement de réorienter avec le gouvernement haïtien les flux financiers d’urgence vers des programmes d’urgence.

 

Limite des clusters

Sur le plan opérationnel une coordination  internationale s’est aussi mise en place, sous l’impulsion et selon la mécanique onusienne  avec le système des « clusters ». Mais ce système a trouvé des limites dans la crise urbaine : en effet les clusters sont des réunions aux objectifs sectoriels et techniques, répondant aux enjeux humanitaires plus qu’aux problèmes de la ville, qui sont eux intersectoriels et portent autant sur des enjeux sociétaux que sur des questions techniques. De plus, toutes ces réunions étaient en anglais et se tenaient en un lieu quasi inaccessible pour les nationaux, sous protection militaire des casques bleus, la Logbase. Ce mécanisme humanitaire était peu adapté à la ville, et à la coordination avec les autorités nationales.

 

Des enjeux intersectoriels : les logements liés au quartier !

Il a fallu beaucoup de temps et un travail tenace de la part de quelques urbanistes de la structure onusienne ONU-Habitat pour encourager l’ensemble des intervenants à mener une approche urbaine réfléchie. Ces urbanistes ont incité à penser des stratégies d’intervention en termes d’échelles de périmètres de vie, d’activités et de structuration à long termes plus qu’en termes provisoires, d’actions ponctuelles ou de secteurs techniques. Ainsi de la problématique du relogement provisoire des habitants sinistrés  réfugiés dans des tentes partout en ville, on est passé  à celle du retour dans les quartiers d’origine. Animées par ONU-habitat, progressivement les réunions sur le relogement se sont élargies aux enjeux d’intégration du relogement dans le quartier. Des groupes de réflexion  sur le « Logement – Quartier », le « Foncier-Logement », sont sorties de la logique de fourniture d’abris provisoires ou de transition (T-Shelter) déconnectés du contexte urbain. Cette impulsion donnée vers un changement de modalités d’action, d’interventions purement techniques et ponctuelles à des actions cohérentes sur des quartiers urbains, a porté ses fruits. C’est aujourd’hui l’objectif mis en avant par tous les bailleurs susceptibles d’apporter des fonds pour la reconstruction de la ville. Elle est menée en association avec des autorités locales appuyées de leur côté en termes de renforcements de compétences pour décider et gérer toutes ces opérations simultanées sur la ville.

 

Qu’en est-il trois ans après la crise ?

Il a fallu attendre trois ans après le séisme pour voir se mettre en place une réflexion sur le besoin de programmes de reconstruction à l’échelle des quartiers avec des interventions structurelles comme des réparations de réseaux, un renforcement de compétences et de l’économie locale, ou de l’appui à des politiques urbaines. Aujourd’hui en Haïti, malgré les critiques, il semble que des prises de conscience des caractéristiques urbaines et du besoin de repenser la ville dans son ensemble soient amorcées. Mais la tâche est de grande ampleur et complexe tant elle nécessite d’une part l’assainissement de la gouvernance locale et une modernisation administrative, technique et économique, d’autre part une mise en question de l’action humanitaire en ville.

La question s’adresse aux acteurs et bailleurs de l’urbain, de la ville, du logement et ou du développement. Pourquoi ne sont-ils pas sur place pour appuyer de leur savoir-faire les autorités et compétences urbaines locales pour lancer des études stratégiques comme des schémas de planification urbaine, tenant compte des opportunités de la reconstruction, ou des programmes d’opérations de reconstruction physiques des réseaux d’infrastructures, ou économiques d’appui à la production de logements ? Comment apporter ces compétences de villes plus tôt dans le déroulement de la gestion de crise en ville, de manière à lancer les processus de reconstruction plus rapidement et avec des visions à plus long terme ? C’est une question qui mérite de mettre autour de la même table les professionnels de l’urbain et les humanitaires.

BEATRICE BOYER

 

De formation et d’activité d’architecte libérale pendant plus de vingt ans, travaillant beaucoup sur de la réhabilitation de bâtis existants en milieu urbain, Béatrice Boyer s’est ensuite tournée vers des enjeux de rénovation urbaine des quartiers sociaux en participant à des montages de programmes de l’Agence de Rénovation Urbaine (ANRU) en région parisienne. Depuis plus de huit ans, responsable du pôle recherche « habitat et urbain » dans le think tank Groupe URD (Urgence Réhabilitation Développement), spécialisé sur les questions de gestion de crise, Béatrice Boyer est responsable des activités de recherches et d’évaluation sur la thématique « Habitat et urbanisme, crise et reconstruction ». À ce titre elle a couvert l’analyse des situations post conflit en Afghanistan, post tsunami dans les régions touchées du Pacifique et plus récemment la suite du tremblement de terre en Haïti.

bboyer AT urd DOT org

 

  1. Traduction de Early Recovery, dans le langage onusien des clusters, groupes de coordinations sectorielles post urgence. []
  2. Port au Prince est une métropole à la géographie un peu indéfinie avec près d’une dizaine de villes s’y rattachant dont la municipalité même de Port au Prince,  Pétionville, Delmas, Tabarre, Cité Soleil, Carrefour, Gressier, Croix-des-Bouets, Kinscoff. []
  3. Exit strategy []
  4. Ou comme le déclenchement du Plan ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) en France []
  5. Commission’s European Community Humanitarian Office []
  6. Office of U.S. Foreign Disaster Assistance []
  7. Agence Canadienne de Développement International []
  8. Agence Française de Développement []
  9. United States Agency for International Development []

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