#3 / Vitrine
Périscope
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L’article du collectif Périscope au format PDF
En décembre 2013, Urbanités nous a demandé de réaliser un portfolio pour son numéro consacré aux plaisirs urbains. Pour répondre à cette commande, nous avons choisi d’interroger les différentes façons dont la ville donne du plaisir — ou plus exactement la manière dont la ville se consomme en plaisirs.
Plaisirs urbains et plaisirs de la consommation, de la consommation de la ville elle-même, et des espaces qu’elle abrite. C’est dans notre quotidien de citadins que nous avons ancré ce travail : Paris, ville contemporaine, ville show, ville musée, ville shopping. Nous nous sommes donnés deux contraintes. Un thème, celui de la vitrine, et une forme, celle du triptyque photographique. Le résultat est une série de 12 images qui témoignent de quelques fragments de plaisirs — souvent un peu amers. À croire que finalement, nous ne consommerions pas notre jouissance si facilement. Ou alors pas sans se poser quelques questions.
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En photographiant des sex-shops, la vitrine la plus outrancière du plaisir dans l’espace urbain, Sylvain Granjon a choisi d’interroger la place de ces lieux de plaisirs dans la ville. Ces façades closes de la rue Saint-Denis, photographiées de manière frontale, de jour et un dimanche matin, nous ramènent à une réalité triviale, loin du bling-bling sexy, touristique, et nostalgique du quartier de Pigalle. Ici, la promesse en grosses lettres roses se heurte à la réalité d’un rideau baissé. Fermé. La chair citadine est triste, parfois.
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Céline Gaille s’est perdue sur les Champs-Elysées. L’avenue du plaisir, d’un plaisir pour tous qui s’écartèle entre Vuitton et Quick. Ici, on fait corps avec la vitrine. On s’y colle, on y entre, on y est. L’avenue entière devient une vitrine et chacun cherche, ne serait-ce qu’un instant, à passer de l’autre côté du miroir. Le rêve de la consommation est dépassé, il ne suffit plus de regarder et de désirer. Ce qui prime, c’est de devenir soi-même l’incarnation du désir consumériste, d’être soi-même un objet de désir et de convoitise. Ce nouveau moi cherche à se tisser à la ville, à en occuper un espace devenu publicitaire, avec un but : faire de son corps la réclame du rêve des autres.
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En montant à bord de l’un de ces bus touristiques qui sillonnent Paris, Aurélien Cohen cherchait cet enfermement volontaire que choisissent certains visiteurs en quête de tranquilles découvertes. Selon un parcours bien défini, le bus promène le promeneur, devenu spectateur, bien assis sur l’impériale, entre une vitre et un garde-fou. Et ainsi se consomme la ville, paisiblement, au fil du trajet, d’attraction en attraction. Elle est devenue un zoo à l’envers. La rue a disparu, ne reste des habitants que des tâches sombres autour des monuments. Le touriste a achevé sa métamorphose : il s’est extrait de la fourmilière et pour lui, l’espace urbain n’est désormais plus qu’une vitrine, pour le seul plaisir de ses yeux.
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Le choix du musée est apparu avec évidence dans la proposition de David Chantoiseau. Ici, la notion d’espace se conjugue à la scénographie d’une exposition, avec ses détours et ses raccourcis. Quel plaisir cherche t-on dans cette visite ? Comment consomme t-on la culture ? Autant de questionnements en germe dans ce panoramique en trompe-l’œil qui, par une recomposition artificielle des lieux, interroge le rapport du public à l’espace muséal. En esquissant l’interchangeabilité des espaces, à la manière d’un puzzle en perspective, la photographie pose la question de la linéarité et de l’organisation des espaces d’exposition, et donc, en filigrane, celle de la discipline et du sens critique du spectateur-consommateur d’œuvres d’art.
PÉRISCOPE
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Périscope est un collectif de photographes, né de la rencontre entre David Chantoiseau, Aurélien Cohen-Guillaume, Céline Gaille et Sylvain Granjon. Au coeur des questionnements actuels, avec le désir d’atteindre un public toujours élargi, Périscope veut rendre compte du temps présent et de ses problématiques. Pour cela, le collectif explore la photographie sous toutes ses formes techniques et dans toutes ses extensions fondamentales – argentique et numérique, documentaire et plasticienne, conceptuelle et journalistique – pour mieux prélever et donner à voir des fragments pertinents du monde contemporain.
Image de couverture : Céline Gaille / Périscope (2013)