Appel #12 / La ville (s)low tech
Il y a un an démarrait en France le Low Tech Tour. L’initiative a été lancée par une association regroupant ingénieurs, designers et touche-à-tout en tout genre, le Low Tech Lab. Son objectif est aussi simple qu’ambitieux : penser et produire les objets et outils permettant d’avoir un habitat plus sobre et de ce fait plus pérenne. Ce projet rejoint une série toujours plus nombreuse d’initiatives autour des « basses » technologies et des manières de produire autrement nos villes, ouvrant ce que Philippe Bihouix appelle L’âge des low tech (2014). On y croise à la fois des actions concrètes et une réflexion portant non seulement sur les technologies et l’énergie, mais plus généralement sur la qualité de vie en ville, dans l’esprit de ce que développait Ivan Illich dans Énergie et équité, pour qui consommation d’énergie et qualité des relations humaines allaient de pair.
À l’occasion de son numéro #12, la revue Urbanités souhaite donc explorer « la ville (s)low tech ». Celle-ci se situe à la croisée de deux chemins scientifiques convergents, celui des questions sur les rythmes de la ville et celui sur la place de la technologie dans la façon de gérer les villes et de les habiter.
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L’envers de la smart city ?
Le principe d’une ville, d’un quartier ou d’un immeuble reposant sur les basses technologies pourrait apparaître comme un contrepied total et frontal à l’idée émergente d’une ville intelligente, la smart city. Le lien à cette smart city est cependant plus complexe, et le numéro #12 de la revue Urbanités souhaite mettre en avant cette complexité.
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Le low tech et la ville ordinaire
Les défenseurs de l’utilisation de technologies de faible intensité pour produire la ville proposent ainsi un récit concurrent non pas à la smart city en général, mais à une certaine déclinaison de cette smart city, portée notamment par certains acteurs industriels comme Cisco ou IBM, qui développent des solutions intégrées pour les autorités locales. Il existe en effet une autre manière de penser la ville et l’intelligence urbaine, sans forcément l’asseoir sur une capacité calculatoire de plus en plus développée et une mise en chiffres ordonnée de l’ensemble des comportements urbains.
La ville low tech n’est pas forcément la ville anti-high tech, mais une ville où se développent des services et des systèmes alternatifs au toujours plus smart, et où la technique prend le pas sur la technologie, sans forcément perdre en efficacité. La déclinaison de stratégies urbaines cherchant à re-naturaliser la gestion de certains enjeux urbains pourra faire l’objet d’analyses critiques. On pense par exemple à la stratégie de la « ville-éponge », développée dans le cadre de la lutte contre les inondations en Chine, et où l’on cherche à retrouver les mécanismes naturels de gestion des flux comme l’eau de pluie, ou à d’autres stratégies similaires qu’il serait pertinent de déplier.
Le développement d’outils de gestion urbaine reposant sur les hautes technologies et créant de nouvelles métriques urbaines implique un coût financier et un accès à des ressources énergétiques ou matérielles toujours plus importantes liés à ces infrastructures technologiques, qu’incarne le centre de gestion stratégique de Rio conçu par IBM pour les autorités municipales (Luque Ayala et Marvin, 2015). Pourtant, dans cette même ville de Rio, tout comme dans la plupart des villes et métropoles non-occidentales, une partie du développement urbain se fait de façon informelle et donc imparfaitement maîtrisée et mesurée. Dans certains quartiers, dans certaines villes, le low tech correspond au quotidien et non à l’exception : il est le paysage de la ville ordinaire. Il produit des métriques alternatives, repose sur des ressources théoriquement plus facilement accessibles, et mobilise des acteurs différents de la gestion urbaine, à un échelon plus local.
La compréhension des modalités de mise en place de ces systèmes alternatifs pourra faire l’objet de propositions d’articles, que le low tech soit utilisé par absence de technologie accessible (financièrement ou techniquement) ou par choix radical de refus des systèmes high tech. L’analyse de ce que produisent ces systèmes low tech, en termes de sociabilité, de modes de gouvernance ou de systèmes d’acteurs sera bienvenue dans ce numéro.
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Le low tech et la ville réparable et démachinisée
La ville low tech n’est cependant pas qu’une ville où règne le système D. Une partie du mouvement faisant la promotion de technologies à plus faible intensité défend en effet une autre vision de la ville, une ville réparable, démontable, où les usagers peuvent maintenir et « bricoler »1 directement leurs espaces ou services urbains. Le développement de certains lieux comme les repair cafés en donne une illustration, et montre que le réparable ne va pas sans le développement de nouvelles sociabilités. Les propositions analysant l’émergence de ce type d’acteurs et leurs modes de fonctionnement seront ainsi bienvenues.
Ces nouveaux lieux et services participent d’une production urbaine qui serait démachinisée (Bihouix, 2014), et dont les développements, à l’opposé de ce que proposent les géants industriels d’une certaine smart city, seraient libres d’accès, dans la logique de l’open source. C’est le principe qui prévaut dans certains fabs labs, comme celui de Ker Thiossane, à Dakar, qui met en place régulièrement des sessions d’une École des Communs autour des savoirs partagés, et dont l’analyse critique pourra faire l’objet de propositions. Dit autrement, la ville low tech et ses acteurs sont les représentants du pari d’une ville décodée plutôt que les tenants d’une ville encryptée.
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Des villes à l’empreinte matérielle plus limitée
Des villes qui réfléchissent à leurs métabolismes
Derrière la notion de ville (s)low tech, la revue Urbanités attend également des réflexions sur l’empreinte matérielle des villes. Quelques villes, comme la ville de Paris, commencent à se doter d’outils pour documenter le processus, et cartographier les différents flux de matière qui traversent la ville2. Cette préoccupation est embryonnaire, et pourrait faire l’objet de propositions pour en détailler le contenu et comprendre les implications stratégiques de ces outils. Elle a pour corollaire un questionnement environnemental et économique, visant notamment à réduire les besoins en ressources matérielles diverses pour produire la ville et à l’imaginer comme un être vivant dont le métabolisme serait toujours plus circulaire.
C’est dans cette logique qu’on peut comprendre le développement d’une production urbaine reposant sur le réemploi et le recyclage. Des expériences se voulant pionnières ou modèles, notamment sur le réemploi des déchets de construction, se sont développées, comme dans le quartier Néaucité, à Saint-Denis. Certains acteurs, comme l’association Bellastock, ont même fait du recyclage urbain et du réemploi un credo. Comprendre comment ces acteurs ont émergé et le type de ville que cela conduit à produire fait partie des axes que la revue souhaite explorer dans ce numéro.
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Des modèles pour nos villes futures ?
Au-delà du réemploi, de nouveaux référentiels de production urbaine sont mobilisés pour essayer de limiter l’empreinte matérielle des villes. Dans un contexte de raréfaction des réserves énergétiques et métalliques facilement accessibles et d’accélération des changements climatiques (Steffen et al., 2015), de nouveaux modèles et chemins urbains émergent ou refont surface.
La production de bâtiments ou de quartiers suivant les principes du biomimétisme, cherchant ainsi à s’inspirer de propriétés observées dans le monde du vivant, participe du développement d’une ville à la fois low tech et innovante. C’est dans le même esprit que certains aménageurs essaient de revivifier certaines architectures vernaculaires oubliées, notamment dans les zones régulièrement très chaudes (en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient) ou très froides (autour du cercle polaire) jugées plus adaptées aux changements climatiques et ne reposant pas sur un surcroît technologique.
Au fond, un certain nombre des alternatives existantes au tout numérique peuvent apporter des réflexions et nourrir les modèles de nos villes futures.
Cette réflexion sur l’empreinte matérielle des villes fait apparaître des figures comme celle de la ville sobre et de la ville frugale, qui force aussi à repenser les rythmes urbains, pour imaginer une ville plus lente et faire le pas du low tech vers le slow tech (Bihouix, 2014)
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Des villes plus lentes et donc plus justes ?
Doit-on faire l’Éloge de la lenteur3 ?
La prise en compte de l’empreinte matérielle des villes et des limites des ressources nécessaires à leur fonctionnement converge avec un autre courant de réflexion et d’action urbaine, celui des villes lentes. Depuis 1999, le réseau Slowcitta s’est développé en ce sens. Parti d’Italie autour de la ville de Greve in Chianti, il promeut l’idée que la qualité de vie doit l’emporter sur la logique d’équipement. Le mouvement a essaimé et compte désormais 177 villes réparties dans 27 pays, aussi bien au Canada, en Chine, en Afrique du Sud, au Japon, en Turquie qu’en France. S’inspirant du mouvement slow food, qui recherche une qualité alimentaire locale supérieure, le mouvement slowcitta cherche à le dupliquer dans l’ensemble des composantes de la ville (Dietschy, 2016).
La charte de fonctionnement de ce mouvement rejoint des préoccupations très proches des considérations sur le low tech, puisqu’elle fixe des objectifs de limitation des constructions, de réduction des consommations énergétiques, de développement de lieux de convivialité et de diminution des déchets. Que ce soit à travers l’analyse de ce que produit ce mouvement slowcitta ou à travers d’autres initiatives, portées à différentes échelles (un bâtiment, un quartier, une région), les propositions abordant les enjeux de gestion urbaine liée à des pratiques de lenteur et au recours au low tech s’intègreront parfaitement dans ce numéro. Ces initiatives ont souvent développé des outils qui leur sont propres, comme des monnaies alternatives ou des systèmes d’échanges locaux, non monétisés, qui pourront faire l’objet de réflexions sur les nouvelles formes d’urbanités que cela conduit à faire germer.
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Slow tech et justice spatiale
La revendication d’une certaine lenteur est souvent accompagnée d’une certaine conception politique des rapports sociaux en ville. Certains chercheurs considèrent ainsi que la vitesse, dans les différents processus urbains, fait rapidement l’objet d’une captation politique au profit d’une certaine élite et empêche le développement de débats urbains pleinement ouverts. « Toute augmentation de la vitesse engendre un transfert de pouvoir des membres les plus lents vers les plus rapides, donc des plus pauvres vers les plus riches » (Leray, 2015 :1044). L’assimilation d’un fonctionnement urbain plus lent et plus sobre pour être plus inclusif ne va cependant pas de soi, et pourra être discuté dans les diverses propositions, afin de discuter les enjeux liant choix technologiques, rythmes urbains et inégalités urbaines.
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Modalités de soumission
La proposition comprendra un résumé d’une page maximum (notes comprises, Times New Roman 12, interligne simple). Elle devra énoncer une problématique de recherche claire, les méthodes adoptées, ainsi que les axes que l’article abordera s’il est retenu. La claire mention de quelques références bibliographiques que l’article utilisera sera appréciée. Pour les propositions de portfolio, veuillez joindre au moins 5 photos qui reflèteront le travail final proposé s’il est retenu.
La proposition précisera les nom, prénom, statut et email de l’auteur.e. La date limite de soumission des propositions est le lundi 26 novembre 2018.
Elle est à renvoyer à l’adresse suivante : contact@revue-urbanites.fr
Rédacteur.rice.s en chef du #12 : Daniel Florentin (daniel.florentin@revue-urbanites.fr) et Charlotte Ruggeri (charlotte.ruggeri AT revue-urbanites DOT fr).
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Calendrier prévisionnel
Retour des propositions : lundi 26 novembre 2018
Acceptation du comité de rédaction : Fin novembre 2018
Première version de l’article : Fin janvier 2019.
Publication : Septembre 2019.
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Bibliographie indicative
Bihouix, P., 2014. L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable, Paris, Seuil, 334 p.
Delprat E. et N. Bascot, 2016. Manuel illustré de bricolage urbain, Paris, Éditions Alternatives, 128 p.
Dietschy, M., 2016. Enquête sur une éthique du rythme : analyse sociologique et pragmatiste de la diffusion du slow, Paris, thèse de doctorat, Telecom Paris Tech, 405 p.
Honoré C., 2005, Éloge de la lenteur, Paris, Éditions Marabout, 287 p.
Illich V., 1973. Énergie et équité, Paris, Seuil, 140 p.
Leray, F., 2015. Article « Villes lentes » in Bourg D. et Papaux A., Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF, 1044-1047.
Luque Ayala A. et S. Marvin, 2015. « Developing a critical understanding of smart urbanism? », Urban Studies, 52 (12), 2105-2116.
Steffen, W., Broadgate, W. et Deutsch, L., 2015. « The Trajectory of the Anthropocene. The Great Acceleration », The Anthropocene Review.
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Couverture : balcon et récupération sur l’île de Gorée (Sénégal) (Florentin, 2018)
- On peut ainsi penser aux projets « Do It Your City » (Delprat et Bascot, 2016). [↩]
- La ville de Paris a développé ainsi un outil en ligne pour suivre ce métabolisme : http://metabolisme.paris.fr/ [↩]
- Du nom du best-seller de 2005 écrit par le journaliste canadien Carl Honoré [↩]