Brésil / Modernisation et restructuration urbaine dans le contexte de mégaévènements sportifs : réflexions sur le droit à la ville à partir du cas de Natal (Brésil)

Eliana Costa Guerra, Maria Dulce Bentes P. Sobrinha et Alessandro Ferreira Cardoso da Silva

L’article au format PDF


Pendant les trois dernières décennies le Brésil a vécu des changements sociaux, économiques et culturels assez importants, aux effets indéniables sur les espaces urbains de toutes tailles et la vie de leurs habitants. Le Brésil s’affirme ainsi comme un pays éminemment urbain, même s’il faut garder à l’esprit que, sous cette désignation, se cachent des réalités urbaines aux morphologies et dynamiques socio-spatiales très différentes. Ces réalités diverses – depuis les grandes et petites villes amazoniennes jusqu´aux importantes cités industrielles de São Paulo – composent de complexes paysages urbains et posent des problèmes urbains assez importants. Les données officielles indiquent que 84% de la population brésilienne vit en milieu urbain.

Au Brésil, la logique sur laquelle se fonde historiquement le processus d’urbanisation est à l’origine de modalités d’expansion urbaine orientées par les impératifs du marché. Il en résulte des réalités urbaines marquées par des formes de ségrégation socio-spatiale, par la profusion de zones précaires d’habitat populaire – démunies de toute infrastructure et de services urbains – par des quartiers aux habitations inadéquates, voire insalubres.

À partir de ces constatations et en tenant compte des changements récents liés aux aménagements urbains de la Coupe du monde de 2014 et des Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016, nous proposons les questions suivantes : quelles transformations urbaines sont en cours dans les principales villes brésiliennes en lien avec ces grands événements et leurs aménagements ? Quelles tensions, quels conflits émergent et comment sont-ils pris en compte par l´État ? Quel projet de ville est mis en avant dans ce cadre ? Quelles villes naîtront de ces enjeux ?

L’article en question reprend le contexte brésilien des 20/25 dernières années en mettant en évidence les changements politiques et institutionnels liés à la question urbaine. Ensuite, il présente les perspectives politiques inscrites dans les changements récents, le processus de mondialisation et les enjeux pour la ville. Enfin, nous retiendrons plus particulièrement le cas de la ville de Natal avec notamment les effets des interventions urbaines liées à la préparation de la Coupe du Monde de Football de la FIFA. En effet, Natal (Capitale de l´État du Rio Grande du Norte, Nordeste Brésilien), figure parmi les douze villes qui recevront les matchs de la Coupe de 20141.

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élaborée par Aiade Guerra (étudiante en architecture) à partir des donnés de l´IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistiques) et de la carte publiée dans le site : http://www.and.org.br/associados/)

élaborée par Aiade Guerra (étudiante en architecture) à partir des donnés de l´IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistiques) et de la carte publiée dans le site : http://www.and.org.br/associados/)

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Tableau 1

Brésil : distance entre les villes d´accueil des matches de la Coupe du monde de 2014 (en km) (Elaboration : ECOHabitat/Aiade Guerra, à partir des sources du tableau Distances entre les principales capitales brésiliennes, http://www.goodway.com.br/distancias.htm)

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Compte tenu la dimension continentale du Brésil (8.515.767,049 km², selon les données officielles), les déplacements entre les différentes villes qui accueillent les matches et les diverses activités culturelles dans le cadre de la Coupe du Monde de 2014 sont importants. Mais, au-delà de cette période, à part les principales villes du Sud et du Sud-est brésilien, les autres agglomérations garderont des équipements et infrastructures aéroportuaires sous-utilisés. De plus, pour la population brésilienne, ce grand évènement sportif laissera comme héritage, en plus d´un alourdissement de la dette publique, la privatisation des stades et aéroports en très grande partie financées par des investissements publics En fait, le Brésil a dépassé l’Afrique du Sud et l´Allemagne en ce qui concerne les coûts d´aménagement et de construction des 12 stades de football. Le coût annoncé au départ était de 8 milliards de reais (soit environ 2,67 milliards d´euros)2. Toutefois, le Syndicat National des Ingénieurs et Architectes, qui suit de près l’avancée des travaux urbains, avance que le total des investissements atteindra 28 milliards de reais (soit, environ 9,35 milliards d´euros). Or, en plus des travaux des stades, il y a eu des projets liés à la mobilité urbaine, de renouvellement et/ou construction des aéroports et des ports, des dépenses en sécurité publique, en télécommunication et autres infrastructures touristiques.

Natal, l’une des capitales du Nordeste du pays, relativement méconnue et modeste comparée aux villes du sud ne fut pas exclue des méga projets liés à la Coupe du Monde. Ces projets comportent des actions de modernisation et de restructuration urbaine pour les douze villes réparties du nord amazonien au sud du territoire brésilien. Nous prendrons comme base les données du Rapport de Suivi des travaux urbains réalisés à Natal (Silva, 2013) liés à la Coupe du Monde de Football, notamment celles qui concernent les violations des droits de l’homme.

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Brésil : réinvention de la démocratie et consolidation d´une société éminemment urbaine et inégalitaire

Il est important de revenir sur le contexte brésilien des 20/25 dernières années pour comprendre les effets des changements économiques, politiques et sociaux sur l´urbain et, plus récemment, les enjeux liés aux restructurations urbaines inscrites dans le cadre des projets urbains associés à la Coupe du Monde de Football. En effet, dans la deuxième moitié des années 1980, après 20 ans de dictature militaire, le pays se démocratise. Des mouvements sociaux peuvent alors émerger pour mener un combat en faveur des droits politiques, mais aussi sociaux, revendiquant des réformes sociales et urbaines, le « droit à la ville » – reprenant les termes d’Henri Lefebvre (1968). Parmi les mouvements sociaux apparus dans le cadre des luttes pour la démocratisation du pays, figure le Mouvement National de Lutte pour la Réforme Urbaine. Celui-ci prône, entre autres, le droit à l’habitat et à la ville pour tous. Ces idées guident tout un ensemble de mouvements sociaux, dont les revendications proposent un projet de société, inspiré des idées des réformateurs en faveur des droits universels, et des politiques publiques pour l’ensemble des Brésiliens (politiques de santé, d´éducation, d´habitat social, d´assistance sociale parmi d´autres).

Ce projet réformateur, qui émerge des luttes urbaines, incarne l’idéal de la ville pour tous. Autour de ce mouvement s’organise un courant de militants qui prennent part à l’élaboration de la Constitution Fédérale promulguée en 1988. Celle-ci apporte des avancées, notamment en ce qui concerne la politique urbaine. Un document – « Estatuto da Cidade », voté en 2001, a un statut de loi d’orientation. Il vise à orienter l’aménagement et la gestion urbaine. Il envisage de donner l’accès aux services publics de base à l’ensemble des Brésiliens, mais surtout aux travailleurs les plus pauvres qui n’ont pas pu profiter des fruits de la « modernité capitaliste », les laissés-pour-compte du progrès et du développement. Sur la base de ce document, les militants s’attendaient à ce que les besoins historiques en habitations, équipements et services urbains de la plupart des quartiers populaires des grandes et petites villes du pays soient en partie satisfaits. Ils espéraient faire face à la « ville duale », à la ville aux réalités inégalitaires, où les infrastructures, services et équipements urbains bénéficient en priorité aux populations les plus aisées En attendant, le processus d’urbanisation s’accentue. En 2010, selon le dernier recensement officiel, le pays atteint plus de 180 millions d’habitants, dont 84 % habitent les villes.

Pendant un certain temps, le pays manque de cadre légal et institutionnel pour appuyer la gestion urbaine démocratique. Il a fallu attendre l’année 2003 pour voir la création du Ministère de la ville, organisme chargé de piloter la politique d’aménagement urbain et la politique de la ville. Le contexte politique n’était plus favorable aux idées réformistes. Or, entre temps, d´importants changements politiques et économiques avaient vu le jour. Ces changements contraignent le gouvernement à mettre en place des plans d’ajustement structurel. Ces plans, imposés par les organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, proposaient des mesures en vue de redresser l’économie brésilienne. Il était question de contrer l’hyperinflation et de restructurer l’économie pour engager un nouveau cycle de croissance. Il s’agissait, en plus, de mettre en place des mesures visant à ouvrir l’économie brésilienne aux investisseurs étrangers et aux capitaux internationaux en quête de valorisation, dans une conjoncture marquée par la prééminence du monde des finances sur les investissements productifs. L’insertion du pays dans le processus de mondialisation se matérialise par une aggravation de la dette externe, comme résultat de la politique macro-économique, avec des taux d´intérêt pratiqués sur le marché financier brésilien parmi les plus élevés du monde.

Les plans d’ajustement imposaient la réduction des dépenses publiques, notamment dans le domaine des politiques sociales. De plus, en écho avec la nouvelle phase d’accumulation du capital – la « mondialisation financière » – et en vue de permettre à l’économie brésilienne de s´ouvrir, des mesures économiques furent prises.

Signalons que les projets et les idéaux des mouvements sociaux qui prônaient la réforme urbaine étaient en nette contradiction avec les idées néolibérales qui gagnaient du terrain et devenaient vite hégémoniques au sein de la société. Deux logiques s’opposaient alors : le projet réformateur et le projet d´ajustement structurel. Le projet réformateur mettait en débat le besoin historique d’élargir l’action de l´État surtout dans le domaine des politiques sociales et des politiques urbaines à connotation sociale. Pour le projet néolibéral, les besoins de la société devraient être résolus et réglés dans et par le marché. Avec ce scénario, la société brésilienne a entamé sa transition vers le XXIème siècle.

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Le Brésil contemporain et les mégaévènements sportifs : contradictions et défis actuels

À l’aube de ce nouveau siècle, le pays et les gouvernements urbains sont appelés à préparer les principales villes pour accueillir de grands évènements à caractère mondial (conférences, jeux, championnats internationaux, manifestations religieuses). Elles sont mises en concurrence dans un marché mondial, dans lequel s’affrontent les État et les grandes villes pour recevoir des évènements qui attirent des visiteurs, des touristes étrangers, mais surtout dont la préparation impacte l’économie urbaine et renforce certains secteurs avides de multiplier et accumuler leur capital.

Dans le contexte de préparation des villes pour accueillir les évènements sportifs, la crise structurelle du capital et les effets des processus de restructuration productive, liés à la mondialisation du capital, sont de plus en plus visibles sur le territoire brésilien : précarisation des relations et des conditions de travail ; augmentation du nombre de sans domicile fixe ; aggravation de la crise urbaine ; informalité et illégalité croissantes dans le monde du travail ; crise des services publics et croissance du secteur privé, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé. Paradoxalement, le pays apparait sur la scène mondiale comme une économie dynamique. Mais, en fait, le Brésil redevient un pays qui exporte surtout des matières premières et des minéraux, dont la valeur ajoutée est bien limitée, et revient à la primarisation de son économie, avec pour conséquence, encore une fois, la dépendance et une plus forte subordination au capitalisme financier, en temps de mondialisation, et aux politiques néolibérales (Paulani, 2012a ; 2012b).

Nous assistons alors au renouveau de grands projets d´aménagement urbain, avec la construction de nouveaux ports et aéroports pour permettre le flux de marchandises, de voyageurs et rendre possible aussi bien l’exportation de matières premières que l’importation de produits manufacturés. En même temps, dans divers secteurs de l´économie, aidée par la tertiarisation, l’informalité s’affirme comme une « façon d´être » du processus d’accumulation. Dorénavant, elle devient un mécanisme qui fait partie de la dynamique de l’accumulation. Pour la plupart de la population citadine, le revers de la médaille se présente sous forme de spéculation foncière et immobilière, de violences, de privatisation des espaces publics, d’approfondissement du processus de marchandisation de toutes les dimensions de la vie.

Dans ce contexte, l’accueil de mégaévènements sportifs est présenté à la société comme une opportunité à ne pas rater. Parmi ces évènements se trouve la Coupe des Confédérations, organisée à Rio de Janeiro en 2013 et la Coupe du Monde de Football en juin/juillet 2014. Cependant, pour ce faire, il faut s’adapter aux orientations, exigences et impératifs des organisateurs, représentés par tout un ensemble d’organismes internationaux et fixer des accords avec des investisseurs. Dans le cadre de la Coupe du Monde, le cahier de charges est très lourd. Le pays s´est engagé à construire et à renouveler des infrastructures urbaines, à réformer, à démolir et/ou reconstruire les principaux stades de football, améliorer, voire à construire de nouveaux aéroports, aménager les voies urbaines et les espaces publics dans les 12 villes où ont lieu les matches de la Coupe du Monde, organisés par la FIFA.

À partir de 2011, les travaux urbains dans les principales villes brésiliennes s’accélèrent, mais en même temps, les effets de la crise économique et les impacts urbains et sociaux des évènements deviennent manifestes. Selon Raquel Rolnik, professeur à l´Université de São Paulo et rapporteur spécial au Conseil des Droits de l´homme de l’ONU pour le droit au logement et à la ville, dans le cadre de la mise en œuvre des projets urbains liés à la Coupe du Monde, il y a eu des atteintes aux droits de l’homme, des interventions violentes de la police et des agents de l’ordre, notamment lors des expulsions de familles. Des milliers de maisons furent détruites pour laisser place aux grands projets urbains et à la construction des nouveaux stades et la restructuration urbaine de leurs environs. Des manifestations et des formes de résistances s’organisèrent.

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PHOTO 1.Contra Remoção

Manifestations à Natal (Comitê Popular da Copa de Natal, 2012)

Manifestations à Natal (Comitê Popular da Copa de Natal, 2012)

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Face à un scénario de croissantes et manifestes inégalités dans les villes du pays, les mouvements sociaux ressurgissent avec force depuis 2013. Des milliers de Brésiliens occupent alors les principales villes, motivés au départ par des revendications concernant les coûts des transports urbains. Rapidement, les manifestations se tournent vers d’autres aspects qui intéressent la vie quotidienne rendue de plus en plus difficile, par les choix politiques mis en œuvre par l’État.

Des mouvements sociaux se mobilisent pour résister : la lutte pour l’accès au logement, aux transports publics de qualité, pour la mise en place d’équipements urbains et de services publics prend force. De nombreuses manifestations prennent une plus grande envergure en 2013, puisque des milliers de personnes des 120 grandes villes brésiliennes gagnent les rues et principales avenues. Elles mettent en évidence non seulement les coûts élevés et la mauvaise qualité des transports collectifs, mais rejettent aussi l’idée de la « ville d´exception » qui est en construction au Brésil, grâce aux investissements de l’État, en réponse à l’appel de la FIFA. Rappelons que, pendant cela des milliers de Brésiliens (environ 5,5 millions) vivent dans des logements insalubres, dans des quartiers aux infrastructures précaires, voire inexistantes, difficiles d’accès, où les services urbains sont très rares et/ou insuffisants. Ces habitants sont très vulnérables et subissent une mobilité urbaine très difficile, due aux systèmes de transport au moins inefficaces et au pire risqués ; et, plus grave encore, sont confrontés à une impossible mobilité sociale.

Pour David Harvey (2013) les expropriations urbaines et l’aggravation des niveaux de ségrégation socio-spatiale sont une des premières réalités des villes accueillant des « mégaévènements ». En fait, pour David Harvey, les mégaévènements sont des excellentes occasions pour faire valoir les intérêts immobiliers des promoteurs urbains et une bonne excuse pour « nettoyer » des espaces, depuis longtemps convoités par le capital et, par manque de courage, laissés à l’abandon. Les Jeux olympiques et les grands évènements sportifs constituent des occasions pour réaliser le délogement des populations les plus pauvres de certains quartiers et secteurs des grandes villes.

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Natal dans le réseau urbain brésilien en mutation

Située dans une zone métropolitaine étendue sur 2 819 km², comprenant 12 communes et une population de 1 351 004 habitants, Natal a vécu d´importantes transformations urbaines ces dernières années. D’une part, l’entrée de capitaux dans les secteurs de l’immobilier et dans les activités touristiques fit exploser les prix, dans une spirale ascendante avec pour effet des expropriations et des formes de ségrégation provoquant le départ des populations à moindre revenus vers les quartiers périphériques et zones d´habitat précaire.

D’autre part, les aménagements urbains pour permettre l’implantation d’hôtels de luxe, de restaurants et toutes sortes de services et de commerces destinés spécialement aux touristes étrangers vidèrent certains espaces de la ville de ses habitants. La vitesse des transformations et de l´accroissement de l´aire métropolitaine se fit aux dépens de la plupart des habitants et au bénéfice des investisseurs locaux et étrangers.

Natal, ville moderne et équipée, commande alors une métropole en voie d’affirmation dans le réseau urbain brésilien. Les projets urbains liés à la Coupe du Monde de Football et aux investissements pour permettre le développement de l´agro-business comme l´exploitation de la canne à sucre pour la production de d’agro-carburant, renforcent la dynamique d’expansion urbaine et de métropolisation. La construction du nouvel aéroport fait figure de cas emblématique. Cet équipement fonctionne comme vecteur d´expansion urbaine, en ouvrant des opportunités de valorisation foncière et de promotion immobilière.

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Aire Métropolitaine de Natal - Nouvel Aéroport de São Gonçalo (Blog du BG (Bruno Giovanni) – 27 juillet 2013, http://blogdobg.com.br/fotos-veja-como-estao-as-obras-do-aeroporto-de-sao-goncalo/)

Aire Métropolitaine de Natal – Nouvel Aéroport de São Gonçalo (Blog du BG (Bruno Giovanni) – 27 juillet 2013, http://blogdobg.com.br/fotos-veja-como-estao-as-obras-do-aeroporto-de-sao-goncalo/)

Aéroport de Sao Gonçalo (Eliana Guerra, 31 mai 2014)

Aéroport de Sao Gonçalo (Eliana Guerra, 31 mai 2014)

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Malgré des investissements importants, les principaux lieux de la Coupe du Monde ne sont pas prêts pour l’accueil des touristes internationaux tant attendus. Le 31 mai, à une dizaine de jours du début de la grande fête, les travaux de l’aéroport ne sont pas encore terminés, les aménagements aux alentours du nouveau stade et les travaux urbains sont aussi inachevés. Mais, les taux d’endettement sont déjà connus3, bien que la plupart des citoyens ne soient pas au courant. Ci-dessous la répartition des investissements réalisés à Natal par type d’investissement réalisé. La somme finale qui atteint 1,5 milliard de reais (soit, environ, 600 millions d´euros) est destinée à des projets urbains qui laissent à l’écart la plupart de la population de l’agglomération, qui souffre encore du manque, de l’insuffisance et de la précarité des infrastructures et des services de base.

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Brésil, Natal – investissements (en R$ millions) par type d’infrastructure Source: Matriz de Responsabilidades (plateforme des responsabilités) en septembre 2013. Portal da Copa, http://www.copa2014.gov.br/pt-br)

Brésil, Natal – investissements (en R$ millions) par type d’infrastructure
Source: Matriz de Responsabilidades (plateforme des responsabilités) en septembre 2013. Portal da Copa, http://www.copa2014.gov.br/pt-br)

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Les projets liés à l’accueil des matches de la Coupe du Monde de Football de 2014 ont renforcé les disparités déjà existantes à Natal. D’un côté, les zones sud et est, aménagées et bien desservies en infrastructures et services, aux larges avenues bordées de grands arbres ; de l’autre côté, la zone ouest, en expansion et en transition et la zone nord, au-delà de la rivière liée au reste de la ville par le vieux pont. Très peuplée, composée de quartiers populaires, de zones d´habitat précaire, de bidonvilles, la zone nord se développe comme une ville à part, peu ou mal connue de la plupart des habitants des zones riches et même des autorités locales.

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Vue de la zone sud de Natal, indiquant le prolongement de l´Avenue Prudente de Morais, qui longe le stade de football « Arena das Dunas » (Canindé Soares)

Vue de la zone sud de Natal, indiquant le prolongement de l´Avenue Prudente de Morais, qui longe le stade de football « Arena das Dunas » (Canindé Soares)

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À Natal, les premières estimations indiquaient l’expropriation d´environ 1 400 familles installées dans les quartiers touchés par les travaux liés à la préparation de la Coupe du Monde. Un mouvement local lié au Comité Populaire de la Coupe du Monde fut constitué. Ce mouvement a pris de l´importance et a contraint les autorités locales à revoir le projet original. Le tracé proposé a été modifié pour réduire le nombre de maisons à exproprier et détruire. Au début de la mise en œuvre des projets urbains, environ 400 familles qui habitaient le long de routes et des voies dans lesquelles certains réseaux d´assainissement et de drainage devraient être installés étaient menacées d´expulsion. Au final, moins de 20 maisons furent détruites. Cela ne fut pas le cas dans la plupart des villes brésiliennes.

En effet, pour la plupart des villes où les matches auront lieu, l’accueil de la Coupe du Monde a eu des effets pervers pour des centaines et milliers de personnes et de familles4. Sous prétexte de moderniser les villes, de construire ou de réformer les stades, d’aménager leurs environs, d’élargir les voies d’accès, d´améliorer la mobilité urbaine, des milliers de familles furent expulsées des lieux où elles vivaient depuis des décennies. Certains analystes et chercheurs parlent de processus d’« hygiénisme social » dans les villes brésiliennes ou de quête d´une nouvelle esthétique moderne des villes dans laquelle il n’y a pas de place pour les quartiers précaires, favelas ou toute autre forme de pauvreté apparente.

Les familles subirent des pressions diverses et furent contraintes par la municipalité de quitter leurs maisons, par voie d’expropriations. Depuis l’annonce des travaux en 2009, et jusqu´en 2013, ces familles ont entrepris une lutte, ont organisé des formes de résistance, ont créé une association pour défendre les intérêts des familles directement atteintes, un comité populaire local qui intègre un réseau d´échelle nationale, pour se défendre et s’opposer aux intérêts des promoteurs urbains en quête d’espace pour rentabiliser leurs investissements, par la voie de la spéculation. À Natal, elles ont réussi à infléchir le projet initial et, ainsi, à réduire le nombre d´expropriations. Il faut savoir que les prix payés lors d´une expropriation sont sous-estimés. Dans la plupart des cas, ces quartiers étaient construits sur des terrains « non régularisés ». Les propriétaires ne possèdent donc pas de titres de propriété, même s’il y sont installés depuis 40 ou 50 ans. Les sommes proposées ne leur permettent pas d’acheter dans les environs une habitation équivalente. Ainsi, les expropriations liées aux travaux préparatoires pour la Coupe comme effet l’aggravation du déficit de logements, dans des contextes où celui-ci est déjà très important.

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Brésil, Natal – Grand Stade Arena Das Dunas (Portal da Copa, site du gouvernement brésilien sur la Coupe du Monde de 2014, http://www.copa2014.gov.br/pt-br/sedes/natal/arena - juin 2014)

Brésil, Natal – Grand Stade Arena Das Dunas (Portal da Copa, site du gouvernement brésilien sur la Coupe du Monde de 2014, http://www.copa2014.gov.br/pt-br/sedes/natal/arena – juin 2014)

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De plus, les fonds publics sont attribués à des travaux qui privilégient, en général, les zones mieux aménagées et permettent de construire des équipements sportifs, très vite privatisés. Cela contribue à renforcer le fossé qui sépare la « ville légale », moderne urbanisée et bien équipée et la « ville informelle », illégale, précaire et déficitaire en infrastructures et services, avec des effets sur l´accroissement des inégalités sociales.

Bien que les transformations urbaines liées à la Coupe du Monde de 2014 à Natal soient moindres comparées à celles d’autres villes brésiliennes, où les interventions urbaines ont atteint directement des centaines, voire des milliers de personnes, la démolition du Stade et d’un centre sportif pour donner naissance au nouveau Grand Stade avec la capacité d’accueillir 45 000 supporteurs entraîna des problèmes de différents types. Pendant les travaux, compte tenu de la centralité de l´équipement dans la ville, c’est la circulation de la plupart des habitants qui fut perturbée, avec pour effet des ralentissements, embouteillages, rallongement des temps de déplacement quotidiens. En plus des ennuis et des bouleversements engendrés par les travaux d’infrastructures et de voiries encore en cours de réalisation, la perspective de transfert avec l´expropriation des familles dans certaines zones touchées par ces travaux urbains fit émerger non seulement des formes de violence et d’atteintes aux droits de l’homme, mais aussi des manifestations parfois violentes envers les autorités publiques. Les délogements, les expulsions des habitants pauvres, les interdictions de transiter dans certains secteurs des villes, la militarisation des villes prétendument pour assurer la sécurité des visiteurs, la primauté des lois de la FIFA sur les lois brésiliennes dans certains territoires occupés par les activités liées à la Coupe du Monde de Football s’ajoutent aux privatisations des espaces et équipements construits et/ou réaménagés avec de l´argent public. Les militants et les organisations de la société civile s´interrogent : qui gagne, en réalité, avec ce mégaévènement ? En fait, la Coupe du Monde de 2014, organisée au Brésil, aura été l’une des plus lucratives de l’histoire de la FIFA. Les estimations indiquent un bénéfice d’environ 3,8 milliards de dollars. Elle aura été plus profitable à la FIFA que la Coupe du Monde en Afrique du Sud (2010) et en Allemagne (2006).

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Au final, les recherches indiquent que les investissements dans les travaux de mobilité se trouvent parmi les principaux en ce qui concerne la restructuration urbaine avec pour effets, entre autres, la (re)valorisation de certaines portions des villes et l’ouverture aux investissements de promoteurs internationaux et locaux par l’expansion, mais aussi par la densification des villes. Au-delà des difficultés ci-dessus présentées, les enjeux sont encore plus importants. Les choix politiques mettant en priorité des réalisations et des travaux au coût très élevé et aux bénéfices très faibles, voire inexistants, pour la plupart de la population citadine, particulièrement pour les habitants les plus démunis, indiquent bien qu’il s’agit là, encore une fois, de l’évidente hégémonie de la perspective néolibérale de gestion urbaine. À partir de cette perspective sur laquelle se fonde la « démocratie directe du capital », le marché est au centre de la vie en ville, en plus d´être le lieu par excellence où se règlent toutes les demandes et tous les besoins des habitants et visiteurs les plus riches.

Cela peut, en outre, entraîner un surendettement permettant de soutenir les niveaux de consommation actuels et une certaine croissance économique. Mais, les dés ne sont pas encore tous jetés : discrètement, dans différents secteurs des villes, des centaines de jeunes s´interrogent. De leur côté, sans trop alarmer, les autorités s´inquiètent de suites possibles des mouvements de juin 2013. Alors que les prix des produits de base ne cessent d´augmenter, le gouvernement utilise toutes sortes d´artifices pour cacher l´inflation.

Face à ces constatations, nous nous interrogeons sur le futur de nos principales villes et, particulièrement, sur le cas de Natal. Quels seront les impacts à long terme des interventions urbaines liées à la Coupe du Monde de Football à Natal ?

Les gouvernements locaux s´endettent envers les banques nationales et internationales à hauteur d´environ 2 milliards de reais (soit environ 600 millions d’euros), alors qu’elles sont déjà confrontées à des situations de crise. Cet endettement compromet à terme les possibilités d’investissements dans des projets urbains et sociaux qui pourraient bénéficier à une plus grande partie de la population de l’agglomération. Les nouveaux aménagements et projets urbains ont fait grimper les prix du foncier sur le marché immobilier local, avec pour conséquence la hausse des prix des loyers, qui pénalise, surtout, les populations aux plus bas revenus. De plus, nous constatons la privatisation des espaces et des équipements publics, le renforcement de la ségrégation socio-spatiale ; le difficile accès aux stades pour la plupart de la population citadine, en raison des prix de billets pratiqués par les entreprises privées gestionnaires de ces équipements. Finalement, nous sommes face à un modèle entrepreneurial de gestion urbaine qui renforce les coalitions entre corporations internationales et capital national au bénéfice de l´accumulation et au détriment du droit à la ville Ce modèle, au-delà de la production de nouvelles formes de fragmentation compromet le futur des comptes publics et, à terme, les conditions de vie des populations citadines, notamment des populations les plus fragiles.

ELIANA COSTA GUERRA, MARIA DULCE BENTES P. SOBRINHA ET ALESSANDRO FERREIRA CARDOSO DA SILVA

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Eliana Costa Guerra est professeur au Département de Travail Social de l´Université Fédérale de Rio Grande do Norte (Programme de Post-Graduation en Travail Social/Groupe de Recherches ECOHabitat -Études Contemporaines de l´Habitat)

Maria Dulce Bentes P. Sobrinha est professeur au Département d´Architecture et d´Urbanisme de l´Université Fédérale de Rio Grande do Norte (Programme de Post-Graduation en Urbanisme et Architecture/ Groupe de Recherches ECOHabitat – Études Contemporaines de l´Habitat)

Alessandro Ferreira Cardoso da Silva est professeur au Département de Politiques Publiques de l´Université Fédérale de Rio Grande do Norte (Programme de Post-Graduation en Politiques Publiques/ Groupe de Recherches ECOHabitat – Études Contemporaines de l´Habitat)

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Bibliographie

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Paulani L.M., 2012a, « A inserção da economia brasileira no cenário mundial: uma reflexão sobre a situação atual à luz da História », Boletim de Economia e Política Internacional, Número 10, IPEA, Abril/Junho.

Paulani L.M., 2012b, « A dependência redobrada », Le Monde Diplomatique Brasil,Ano 6, número 61, São Paulo, Instituto Pólis/Palavra Livre, Agosto, 2012.

Silva, A.F.C. da (Coord.), 2013, Metropolização e Megaeventos: impactos da Copa do Mundo 2014 em Natal, Projeto de Pesquisa (Relatório Parcial), Natal, UFRN, Observatório das Metrópoles.

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  1. La population des Régions Métropolitaines (agglomérations) qui accueilleront les matchs de la Coupe du Monde de 2014: Manaus (2,1 millions d´habitants) ; Fortaleza (3,6 millions d´habitants) ; Natal (1,4 millions d’habitants) ; Recife (3,7 millions d´habitants) ; Salvador (3,7 ,millions d´habitants) ; Belo Horizonte (4,9 millions d´habitants) ; Rio de Janeiro (11,8 millions d´habitants) ; São Paulo (19,7 millions d´habitants) ; Curitiba (3,2 millions d´habitants) ; Porto Alegre (4 millions d´habitants) ; Cuiabá (560 000 habitants). Ces agglomérions se situent dans les différentes régions brésiliennes du Nord Amazonien au Sud. []
  2. La conversion en euro à partir de la monnaie brésilienne (real) a été faite en prenant la valeur commerciale du real en 27 juin 2014 par le système en ligne du site : http://economia.terra.com.br/herramientas/calculadoras/conversor.aspx []
  3. Une enquête du Journal Folha de São Paulo auprès de la Banque Centrale brésilienne indique que, en deux ans, les dettes des 12 villes qui recevront les matchs de la Coupe du Monde de Football envers le Trésor National et les banques publiques augmenteront, en moyenne, de 51%. Dans les 11 capitales où siègeront les matches, l´endettement vis-à-vis de l´État Fédéral varie entre 3% et 256% depuis le début 2012. Dans 5 villes sur les 12, l´enquête constate un changement drastique dans la proportion entre les recettes et les dettes. http://www1.folha.uol.com.br/fsp/poder/162221-divida-publica-sobe-mais-em-cidades-sedes-da-copa.shtml, reportage mis en ligne le 20 avril 2014. []
  4. Selon le site du Comité Populaire de la Coupe, environ 170 000 personnes furent directement touchées par les travaux urbains liés à la Coupe du Monde de football, dans l´ensemble des 12 villes où se dérouleront les matches. []

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