Lu / Planification urbaine. La ville en devenir, Xavier Desjardins

Guilhem Blanchard

Le Lu de Guilhem Blanchard au format PDF


Dès les premières lignes de son ouvrage paru en 2020, Xavier Desjardins, professeur en urbanisme et aménagement de l’espace à Sorbonne Université, dévoile la préoccupation qui l’anime : « que valent les plans face à la transformation du monde ? ». À cette question presque philosophique, succèdent immédiatement diverses questions pratiques que se posent citoyens, praticiens et chercheurs dès lors qu’il s’agit de peser sur le devenir de notre cadre de vie : comment préserver les fonctions résidentielles face au phénomène Airbnb ? Peut-on peser sur les marchés immobiliers face à la dynamique macro-économique des taux d’intérêt ? La réglementation de l’occupation des sols a-t-elle encore un sens quand la place des réseaux de transport et de communication est devenue si importante ?

C’est ainsi avec une focale résolument pragmatique, cherchant à donner du sens à notre capacité collective d’action sur les territoires, que Planification urbaine s’attache à présenter, expliquer et critiquer les instruments de la planification territoriale, sans s’interdire d’ailleurs de proposer des orientations pour en faire évoluer tant l’analyse que la pratique.

Pour ce faire, l’ouvrage d’environ 200 pages – et dont on saluera l’écriture limpide – se structure de la manière suivante : d’abord une présentation du fonctionnement des instruments de la planification urbaine française et de leur histoire ; puis une mise en perspective de ces instruments au vu de la planification pratiquée dans d’autres territoires européens ; et enfin plusieurs focus sur diverses composantes importantes de la planification, qu’il s’agisse de ses acteurs, des dynamiques économiques dans lesquelles elle s’inscrit, ou encore de certains débats thématiques qui la traversent actuellement.

Planification urbaine à la française : dans les rouages des instruments formels de l’action publique

L’auteur consacre ses trois premiers chapitres aux instruments (Lascoumes et Le Galès, 2005) de la planification urbaine française : plans locaux d’urbanisme (PLU), schémas de cohérence territoriale (SCoT) et plans sectoriels. Une courte approche historique des démarches françaises de planification depuis la fin de la seconde Guerre mondiale lui permet par ailleurs de mettre en exergue les différentes approches idéales-typiques de la planification, l’évolution dans les enjeux prioritaires des pouvoirs publics, mais aussi la continuité de certains principes forts au cours d’une histoire législative pourtant longue d’un siècle.

Il s’agit clairement de la partie la plus approfondie de l’ouvrage, dont le contenu bénéficie à la fois des nombreux travaux académiques de l’auteur et de son expérience pratique. On apprécie ainsi la prise en compte multidimensionnelle de la planification, puisque Xavier Desjardins prend au sérieux non seulement le caractère éminemment économique de la production urbaine, qui se traduit tout particulièrement dans la régulation foncière, mais aussi ses aspects politiques et sociologiques au travers des enjeux de prospective territoriale et de coordination de l’action collective. On apprécie également la capacité de l’auteur à éclairer la planification urbaine en mettant en lumière les mécanismes à l’œuvre au-delà de la seule description technique et juridique des dispositifs telle qu’on peut la trouver dans certains manuels. À ce titre, les illustrations concrètes des tensions qui traversent l’exercice de planification et des doutes quant à son efficacité sont particulièrement bien choisies, à l’image des difficultés de la planification face à l’urbanisme commercial.

Standardisation ou territorialisation ? Pratiques de la planification en Europe

Les deux chapitres suivants sont consacrés à une mise en perspective européenne des pratiques françaises précédemment décortiquées. L’ouvrage propose de manière astucieuse deux échelles de réflexion : l’échelle nationale, en comparant la France aux Pays-Bas, à l’Allemagne et à l’Angleterre ; et l’échelle territoriale, en comparant Paris et Londres. Si l’on peut regretter que la démarche n’ait pas été étendue à des villes moins exceptionnelles que ces capitales mondiales, elle a l’immense mérite d’essayer de faire la part des choses entre ce qui relève d’une conception nationale de la planification et ce qui se construit de manière différenciée dans chaque territoire.

L’auteur ne prétend pas décrire de manière exhaustive les systèmes de planification territoriale auxquels il fait référence, mais s’attache à mettre en avant certaines de leurs caractéristiques au travers d’un nombre réduit d’exemples. Les choix opérés sont doublement réussis : clairement décrits et cohérents, ils permettent au lecteur néophyte de comprendre les grandes orientations retenues dans chacun des pays/villes ; suffisamment approfondis, ils offrent une véritable résonance vis-à-vis des expériences française et francilienne.

Loin d’une opposition stérile entre standardisation des pratiques et singularités territoriales, l’analyse met bien en évidence les différents cadrages possibles de la planification, aussi bien dans l’organisation et la structuration des instruments formels que dans les priorités que ces dispositifs doivent traduire. Ces cadrages variés résultent d’une alchimie complexe entre les spécificités géographiques et politico-administratives de chaque territoire et les trajectoires historiques de l’action publique qui y est menée. Mais tous sont également soumis à des tendances génériques, qu’il s’agisse des modalités de la planification (désormais « flexible », « continue » et faiblement interventionniste sur le plan foncier) ou des macro-dynamiques urbaines (extension, puis renouvellement, puis densification urbaine).

Des focales thématiques sur diverses composantes de la planification

La seconde moitié de l’ouvrage est structurée en sept chapitres, dont trois sont consacrés à certains des acteurs de la planification (les urbanistes, les élus et les habitants), un à la lecture néomarxiste de l’urbanisme (Harvey, 1985) et trois à des tensions thématiques qui traversent la planification contemporaine (réseaux et/ou territoires, planification ou non-planification, et effectivité de la planification en matière de transition écologique). À l’exception du chapitre sur l’urbanisation du capital, sur lequel on ne sent pas l’auteur très à l’aise, chacun de ces focus propose une réflexion fort intéressante sur le sujet abordé. Les pistes identifiées sont passionnantes et font toujours référence à des enjeux d’actualité, tant académique qu’opérationnelle.

En revanche, la richesse de sujets traités dans un format très synthétique provoque un effet un peu « patchwork », le chapitre sur les urbanistes passant par exemple de discussions sur les modalités de formation et de structuration professionnelle à la présentation de recherches européennes sur la justification socio-économique des mégaprojets. De même, les morceaux choisis laissent parfois de côté des pans importants du sujet : ainsi, le chapitre sur les élus discute longuement des formes d’intégration du gouvernement urbain et de l’articulation des échelles de gouvernement, mais ne fait que très peu référence aux dynamiques sociales et institutionnelles qui permettent la construction de compromis (Pinson, 2009), ou encore aux dynamiques économiques qui pèsent sur les objectifs et les marges de manœuvre des gouvernements urbains (Guironnet et Halbert, 2018).

Il convient toutefois de noter que le livre présente les défauts de ses qualités : pédagogique et synthétique, il fait finalement peu référence aux nombreux travaux académiques parfois pointus sur les pratiques de planification urbaine, et notamment aux planning studies anglo-saxonnes (voir par exemple Healey et al., 1997 ; Salet et Gualini, 2007). Affichant un périmètre délibérément restreint à la planification, il fait peu de liens avec les autres échelles de la fabrique urbaine, qu’il s’agisse de la gouvernance de l’action collective ou de l’articulation aux projets opérationnels1. Une lecture combinée avec les autres ouvrages de la même collection Le siècle urbain (Bognon et al., 2020 ; Lefèvre et Pinson, 2020) n’en est que plus recommandable.

GUILHEM BLANCHARD

Ingénieur des ponts des eaux et des forêts, Guilhem Blanchard a soutenu une thèse en aménagement urbain au LATTS (CNRS – Ecole des Ponts ParisTech – Université Gustave Eiffel). Il a ensuite exercé des fonctions managériales autour de grands projets d’aménagement du territoire, d’abord aéroportuaires puis pénitentiaires et judiciaires.

guilhem.blanchard@apij-justice.fr

Référence de l’ouvrage : Desjardins X., 2020, Planification urbaine. La ville en devenir, Armand Colin, 234 p.

Couverture : Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la Ville de Paris (Ville de Paris, 1977).

Bibliographie

Bognon S., Magnan M. et Maulat J. (dir.), 2020, Urbanisme et aménagement. Théories et débats, Malakoff, Armand Colin, 288 p.

Guironnet A. et Halbert L., 2018, « Produire la ville pour les marchés financiers », Espaces et sociétés, 174 (3), 17-34.

Harvey D., 1985, The Urbanization of Capital: Studies in the History and Theory of Capitalist Urbanization, Baltimore, John Hopkins University Press, 239 p.

Healey P., Khakee A., Motte A. et Needham B. (dir.), 1997, Making strategic spatial plans: Innovation in Europe, London, UCL, 307 p.

Lascoumes P. et Le Galès P., 2005, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences‑Po, 370 p.

Lefèvre C., Pinson G., 2020, Pouvoirs urbains. Ville, politique et globalisation, Malakoff, Armand Colin, 240 p.

Pinson G., 2009, Gouverner la ville par projet : urbanisme et gouvernance des villes européennes, Paris, Presses de Sciences-Po, 420 p.

Salet W. et Gualini E. (dir.), 2007, Framing strategic urban projects: learning from current experiences in European urban regions, London, Routledge, 307 p.

Pour citer cet article : Blanchard G., 2021, « Lu / Planification urbaine. La ville en devenir, Xavier Desjardins », Urbanités, septembre 2021, en ligne.

  1. C’est d’autant plus étonnant que les interfaces entre planification et projets sont très fortes, y compris quand le projet vient réécrire la planification a posteriori, notamment au travers des déclarations d’utilité publique valant mise en compatibilité des documents d’urbanisme. []

Comments are closed.