#1 / Pour une urbanité souterraine de qualité
Gwenaelle Zunino
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L’article de Gwenaelle Zunino au format PDF
Dans un objectif de ville durable, compacte et intense, le sous-sol constitue un véritable potentiel car il permet de préserver l’espace et le paysage. Néanmoins, il est soumis à de nombreuses contraintes, qu’elles soient techniques, juridiques, patrimoniales ou sécuritaires. L’exigence de qualité est d’autant plus importante dans l’aménagement et l’ambiance des espaces créés.
Aujourd’hui, l’espace souterrain est très peu pris en compte dans la conception de la ville pour plusieurs raisons : une mauvaise image, une méconnaissance des lieux et une incertitude sur les surcoûts occasionnés. Pourtant, au cours de l’histoire, l’espace souterrain a été utilisé pour des lieux de circulation dans les villes médiévales, pour des espaces de vie et d’habitation dans les villes troglodytes, et plus récemment, il accueille de nombreuses infrastructures liées aux transports.
La ville du 21ème siècle exige un développement urbain compact et intense. Dans cette optique, l’espace souterrain représente un véritable potentiel de densification pour la ville car il participe à la rationalisation de l’espace et au développement de nouveaux usages.
Dans un contexte où l’espace souterrain est conçu d’une manière très technique, cet article a pour ambition d’apporter quelques éléments quant à la qualité urbaine nécessaire à ces espaces pour participer à la ville de demain.
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Promouvoir la ville compacte et préserver la qualité environnementale
L’aménagement de l’espace souterrain doit répondre à un double objectif : promouvoir la ville compacte et préserver la qualité environnementale de la ville.
Tout d’abord, l’espace souterrain participe à la ville compacte à travers la réduction de la consommation des sols. En effet, son utilisation augmente la densité des bâtiments et permet donc d’économiser de l’espace. Il est intéressant de comprendre comment la construction de bâtiments, en partie en souterrain, permet de gagner et de mettre en valeur l’espace public au niveau du sol. De plus, la question de l’échelle du projet est importante. En effet, en France, il n’est pas question de concevoir une ville ou même un quartier en souterrain, mais bien de réaliser des projets ponctuels en lien avec la ville. Par conséquent, l’utilisation de l’espace souterrain participe également à l’intensité et à l’attractivité urbaine dans le sens où l’activité et la qualité urbaines sont augmentées.
Le second objectif est de préserver la qualité environnementale de la ville, par la préservation de la ressource en eau, la stabilité des sols et la diminution de la pollution. L’espace souterrain est le lieu de ressources multiples : en espace, en matériaux, en eau et en énergie par la géothermie. Il est le support de la ville par ses fondations et il sert également à fabriquer la ville par l’extraction de matériaux. Un des problèmes majeurs avec l’urbanisation des espaces souterrains est la gestion des zones inondables car l’imperméabilisation du sol et du sous-sol accroît le ruissellement et les dégâts des inondations. Il porte également atteinte au stockage d’eau à travers les nappes phréatiques. Les études d’impact sont d’autant plus importantes que ce milieu a beaucoup de caractéristiques physiques et biologiques (résistance, pressions, mouvements et dynamiques, hydraulique, biodiversités…) qui ne sont pas prises en compte dans l’aménagement et où des constructions auront un effet irréversible. Cela implique d’anticiper les conséquences encore plus loin dans le temps et d’agir avec cohérence, prudence et soin.
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Faire évoluer la réglementation et mutualiser les connaissances
Il n’existe pas aujourd’hui de réglementation globale et cohérente sur l’urbanisation du souterrain, ni de document d’urbanisme spécifique qui le prenne en compte. L’espace souterrain est encore pensé de manière partielle et surtout disséminé à travers différents aspects : les ressources et les droits de propriétés.
Aujourd’hui, l’espace souterrain est pensé de manière morcelée : morcellement des compétences qui le conçoivent (ingénieurs et architectes), morcellement des études et des interventions, morcellement des pouvoirs, morcellement de la réglementation avec le problème de la propriété. Cela participe à freiner l’utilisation du sous-sol et à sa méconnaissance globale.
L’espace souterrain doit être vu dans une double dimension, technique et urbaine, il doit être réfléchi comme un espace urbain, de manière globale avec l’espace aérien qui lui correspond et surtout, en intégrant la dimension humaine dans chaque proposition d’aménagement.
Le sous-sol doit être un lieu au service des habitants, il est possible d’y accueillir un grand nombre d’équipements, bien sûr, tout ce qui est lié aux réseaux, aux flux et à la géothermie, mais ce qui nous intéresse particulièrement, ce sont les équipements publics. L’objectif est de concevoir l’aménagement souterrain d’une manière plus cohérente et d’essayer de comprendre ce que pourrait être une certaine urbanité souterraine.
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Tirer des leçons des projets contemporains
Dans le souci d’utiliser le souterrain pour plus de densité et dégager des espaces publics en surface, plusieurs projets accueillant du public ont été recensés : des espaces commerciaux, des bureaux, des salles de spectacles, des bibliothèques, des universités. Ils ont été analysés à partir de différents points de vue : les raisons de la réalisation de ces projets souterrains ; leur lien à la ville, leur visibilité depuis la ville et inversement ; la prise en compte de la lumière naturelle dans le projet ; et plus globalement, les problématiques liées à l’espace public. Ces projets ont en commun d’apporter une solution dans un tissu urbain dense complexe et pour des sites historiques. De plus, le travail sur la topographie permet de créer des perspectives et des liens entre les différents quartiers de la ville.
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Faciliter le repérage : Carrousel du Louvre – Paris – 1993 (Architecte : Mickaël Macary)
Le Carrousel du Louvre est une réponse à une évolution programmatique des musées, intégrant des espaces commerciaux choisis. Il se situe dans un contexte urbain très particulier qui est le cœur historique de Paris. En effet, la préservation du site et le respect des monuments historiques ont été un point essentiel, auquel le projet a répondu par une utilisation de l’espace souterrain. La visibilité du Carrousel depuis la ville est discrète, les entrées sont dissimulées dans les arcades du Louvre.
La lumière est un élément fondamental de ce projet. Les pyramides de verre inversées permettent de faire entrer la lumière naturelle, d’avoir des vues sur la ville et de créer des repères dans l’espace souterrain. Ces fenêtres ouvertes sur l’extérieur immergent de lumière l’espace souterrain sous les places de la Pyramide et de la pyramide inversée.
Ces éléments référentiels au monde extérieur se retrouvent également par l’utilisation d’arbres et de plantes, et par la dénomination des allées souterraines comme si c’était des rues. L’espace public souterrain est composé d’allées, de galeries et de places faisant référence au système traditionnel de l’espace public en surface. Ces espaces sont qualifiés, nommés et différenciés. Ils sont de dimensions généreuses, à la taille d’une petite ville. Il faut néanmoins faire attention à ne pas amplifier la notion d’artifice.
Le Carrousel du Louvre est exemplaire à plusieurs titres : l’éclairage naturel des espaces souterrains ; qui sont qualifiés et différenciés, permettant un repérage facile dans l’espace.
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Imaginer une ambiance spécifique : Bibliothèque Nationale de France François Mitterrand – Paris – 1995 (Architecte : Dominique Perrault)
La bibliothèque François-Mitterrand fut le projet emblématique du nouveau quartier parisien Paris Rive Gauche. Un travail sur la topographie du site a permis de créer une esplanade sur la Seine et de creuser dans le socle des jardins éclairant les salles de travail. Ces patios ont permis de créer une ambiance calme et distincte pour la bibliothèque, dans un quartier intensément urbain.
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S’inscrire dans un site patrimonial : Bibliothèque Universitaire – Bayonne – 2009 (Architecte : Duncan Lewis et Jean de Giacinto, Architecture Composite)
La singularité de la nouvelle bibliothèque universitaire de Bayonne est l’utilisation d’un site patrimonial et son implantation, étant donné qu’elle s’insère dans le profil originel des talus défensifs des remparts de Vauban, soit avec une pente de 43°.
Le projet est donc semi-enterré. Les alcôves sont enfouies sous terre et servent à l’entreposage des livres. Elles bénéficient de puits de lumière placés au sommet du talus, contribuant au désenfumage.
Les objectifs du projet étaient de protéger le lieu et d’ouvrir la salle de consultation à la lumière naturelle. Du point de vue de la consommation énergétique, ce bâtiment bénéficie d’une grande inertie grâce aux 3 mètres de terre qui l’enveloppe. Le système est complété par un puits canadien et une pompe à chaleur.
Ce projet est intéressant car il respecte l’histoire du lieu, préserve la topographie initiale, et utilise le sous-sol au profit de la bibliothèque, dans un souci de consommation énergétique intéressante.
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Créer un espace public : Extension de la Mairie de Marseille – 2007 (Architecte : Frank Hammoutène)
L’extension de l’hôtel de ville de Marseille s’inscrit dans un contexte urbain complexe. En effet, le paysage urbain autour de l’hôtel de ville est assez « théâtral », avec le Vieux Port, Notre Dame de la Garde d’un coté, et l’Hôtel-Dieu de l’autre. Le site du projet, situé à l’arrière de la Mairie, était un espace en friche.
La proposition de Franck Hammoutène a été de construire l’extension en souterrain, libérant ainsi la surface du sol pour une place de plus de 2 hectares, n’interférant pas, et même valorisant ce paysage urbain patrimonial et emblématique de Marseille. En ne construisant pas en hauteur, cela a permis de préserver la perspective et le lien physique depuis le quartier du Panier vers le Vieux Port et Notre Dame de la Garde.
L’extension a profité de retrouver la topographie originale du site pour rationaliser l’espace et les flux. Les bureaux et salles de réunion sont organisés autour d’un patio central vitré, comme un cône de verre inversé. Selon l’architecte, dans l’aménagement d’espaces souterrains, il est primordial de ne pas avoir de répétition.
L’extension de la mairie de Marseille, par son utilisation du souterrain a permis de créer un espace public important, reliant deux quartiers historiques, tout en retrouvant la topographie originelle du site et permettant aux bureaux d’être éclairés naturellement.
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Profiter d’une situation exceptionnelle : Forum Grimaldi– Monaco – 2000 (Architecte : Frédéric Genin)
A Monaco, dans un contexte urbain particulier de surdensité, le Forum Grimaldi est un ensemble de salles de spectacles, de congrès et d’expositions construit pour l’essentiel en souterrain, ce qui a permis de dégager un grand espace public en situation exceptionnelle, sur la mer. Afin d’éviter le sentiment d’enterrement, la lumière est apportée dans le sous-sol par de grandes verrières.
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Relier la ville : Université féminine d’Ewha – Séoul, Corée – 2009 (Architecte : Dominique Perrault)
L’université féminine d’Ewha à Séoul est un nouveau bâtiment accueillant 20 000 étudiantes avec un programme à la fois académique, administratif et commercial. Par un travail sur la topographie, ce projet permet de faire le lien entre la ville basse et la ville haute. L’espace public créé en lien avec l’université participe au réseau de la ville. Une relation physique, sensible et paysagère entre l’université et la ville permet de préserver les perspectives vers le grand paysage.
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Mieux prendre en compte quelques principes d’aménagement
Actuellement, certains principes sont déjà pris en compte lors de la réalisation d’espaces en souterrain. Il s’agit plutôt de principes de gestion, tels que l’accessibilité réduite dans le temps, les autorisations nécessaires, les contraintes de sécurité, la surveillance et les normes. Or, afin d’améliorer la qualité urbaine dans les espaces souterrains, certains principes qualitatifs devraient être pris en compte dans l’aménagement.
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Travailler les ambiances
A commencer par les ambiances. La notion d’ambiance recouvre à la fois une dimension physique par les espaces et les objets, mais aussi une dimension humaine et sociale. L’espace souterrain amplifie les ambiances urbaines, qui sont liées aux différents sens de l’homme : le visuel, l’espace, l’olfactif, la minéralité et l’absence d’indice sonore de la ville. Le souterrain est plutôt le symbole du silence. L’acte de sortir est toujours considéré comme positif. L’ambiance que l’on souhaite donner à un espace souterrain doit être réfléchie très en amont du projet, avant même la conception des espaces.
Certains principes d’aménagement participent au bien-être, à la convivialité et au sentiment de sécurité de chacun, c’est pour cela qu’il est important de les prendre en considération dans la conception d’espaces souterrains, afin de mettre le qualitatif et l’humain au premier rang, avant l’intérêt technique.
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Donner de l’ampleur
Tout d’abord, le travail sur les volumes est très important. En effet, la hauteur et l’ampleur des espaces sont souvent en relation avec l’impression de claustrophobie. La hiérarchie et la différenciation des espaces permettent un meilleur repérage, qui est également amélioré par la signalisation.
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Se repérer
Ensuite, le passage entre la surface et le sous-sol nécessite un traitement spécifique. Pour l’entrée dans un souterrain, l’organisation de l’espace, l’orientation, la mémoire du trajet et les séquences méritent encore plus d’attention dans la conception. Pour la mémorisation du trajet, l’organisation de l’espace n’est pas neutre quant à l’orientation, les changements de directions dans la marche, les rythmes et les paliers de descente. La mémoire du trajet s’atténue avec deux paramètres : la durée et les changements de direction. Concernant les séquences, le passage à l’ambiance sonore et à la lumière artificielle du souterrain peut être plus ou moins découpé et mixé à travers différentes séquences « d’acclimatation ».
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Apporter de la lumière naturelle
Concernant la conception des espaces souterrains, un élément essentiel pour accueillir du public en souterrain est la lumière naturelle. On constate qu’un apport certain de lumière naturelle par des verrières permet à tous de mieux vivre l’espace souterrain. Le verre permet également de voir la ville extérieure et inversement.
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Rappeler les éléments naturels
En outre, la qualité donnée aux espaces publics souterrains doit être encore plus grande que pour les espaces en surface. Un des moyens est de récréer un environnement qui ressemble à la surface, en réintroduisant des éléments comme la lumière et l’eau, en utilisant des matériaux naturels comme le bois ou la pierre, sans chercher à recopier les volumes et les formes des éléments extérieurs.
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Mettre les sens en éveil
Enfin, les espaces souterrains offrent une atmosphère et des ambiances différentes de la rue. Entrer en souterrain peut être un réconfort, notamment pour échapper aux aléas du climat (la pluie, le froid, la neige, etc.). En revanche, la sortie d’un souterrain met les sens en éveil : le son de la rue, la lumière et le contre-jour, l’air, les mouvements d’air et son odeur.
Gwenaelle Zunino
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Gwenaelle Zunino est architecte urbaniste à l’IAU-Ile de France.
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