#2 / Edito – Crises en ville, villes en crise

Frédérique Célérier et Flaminia Paddeu

L’édito au format PDF

Le second numéro de la revue Urbanités aborde une question qui se veut ultra-contemporaine, celle de la crise. La crise – notamment depuis celle de 2008 et sa jumelle, la crise des subprimes est devenue le mot-clé récurrent de toute actualité, le concept privilégié pour évoquer les maux dont nous sommes touchés. Il semble d’abord essentiel de comprendre sous quelles formes et selon quelles modalités cette nébuleuse de problèmes – puisqu’il y a définitivement des crises – à la temporalité et la spatialité imprécises, se matérialise et se déploie dans les villes. Mais ce numéro n’aurait pas été concevable sans que l’on se penche sur les solutions proposées, dans le contexte urbain, pour lutter contre les effets néfastes induits et œuvrer à une sortie de crise.

Des crises urbaines protéiformes

La réflexion sur la crise en ville appelle au préalable un travail de définition et de délimitation des diverses crises évoquées : crise économique et financière ; crise urbaine ; crise immobilière; crise sanitaire ; crise environnementale ; crise alimentaire etc. Les contributions, en proposant un large panel de types de crises, ont ainsi permis d’isoler des problèmes précis et des champs d’action à privilégier. Il s’agit par exemple de voir, sur le temps long, comment la désindustrialisation et la crise économique ont fait de villes florissantes des shrinking cities, dont les habitants sont à la fois victimes et acteurs de ces territoires en pleine transformation (Florentin & Paddeu, « Le déclin au quotidien : crise perçue et espaces vécus à Leipzig et Detroit »). Dans une temporalité plus immédiate, il s’agit de comprendre l’impact des crises comme violents bouleversements sur les villes, qu’elles soient incarnées par le conflit (Grunewald, « Guerres en villes et villes en guerre : Crises urbaines et défis humanitaires face aux conflits armés ») ou la catastrophe naturelle (Boyer, « Ville et catastrophe naturelle, responsabilités et opportunités? Cas du séisme de Port au prince»). La violence de la crise peut aussi s’analyser dans une perspective historique et notamment via le cas des émeutes urbaines lors des affrontements religieux du 16ème siècle comme déclencheur d’un bouleversement social et civique inédit (Ferrer-Bartomeu, « Stasis. Rupture de l’unité confessionnelle et émeutes urbaines (France, Espagne Saint-Empire ; vers 1550-vers 1650 »). Les formes fictionnelles choisies par la création artistique sont aussi l’occasion d’explorer la mise en scène de la crise dans la ville, et le futur de cette ville en crise (Dalens, « L’effondrement de la ville ou l’humanité en crise dans Ravages de Barjavel (1943) »).

Territoires des villes en crise

La façon dont on aborde la crise est souvent désincarnée et a fortiori déterritorialisée. Si les mécanismes – notamment économiques – qui la régissent en sont parfois explicités, ce qui est présenté dans ce numéro c’est la manière dont elle prend forme dans les territoires des villes, à travers des études de cas. Les territoires de la crise sont ceux qui sont affectés par elle, ces paysages urbains qui en portent les stigmates, comme les ruines de Rome (Cervelli, « La détérioration de l’éternité. La crise de la mémoire dans la Rome contemporaine »), une certaine architecture patrimoniale à La Havane (Argaillot, « L’architecture havanaise depuis le début de la Période spéciale : symbole d’un processus et d’une quête identitaires») ou les tours dont la construction a été stoppée à Dubaï (Montagne, « L’impossible remise en cause du modèle de Dubaï après la crise »). Ce sont aussi ceux qui abritent la lutte contre la crise, notamment les espaces publics pris d’assaut par des mouvements tels qu’Occupy ou les Indignés comme sur la Puerta del Sol à Madrid (Baron, « Puerta del Sol versus les Indignés. Une lecture de la crise espagnole au prisme de l’espace public »), ou au Brésil afin de défendre le transport collectif (Menezes Da Rocha, « Au nom du (transport) collectif : Quand une crise de la mobilité reflète une crise du public »). Ces territoires en crise apparaissent souvent comme des révélateurs des vulnérabilités structurelles des villes émergeant en creux, derrière le paroxysme de l’événement, à Lima par exemple (Robert, « Crises passées, crises à venir : un regard sur la ville de Lima »). Enfin, les territoires de la crise en ville expriment parfois le hiatus entre échelles globales et locales, ainsi que la limite du modèle d’urbanisation globalisé face aux spécificités d’un lieu singulier comme à Bakou (Crosnier, « Le nouveau visage de Bakou : une cité malade de sa richesse »).

Vers une sortie de crise ?

C’est aussi sur les solutions proposées pour lutter contre les effets nocifs de la crise et les manœuvres des acteurs engagés dans ce processus que ce numéro insiste. Divers moyens de résistance sont donnés à voir : des pratiques alternatives innovantes comme l’agriculture urbaine à Lisbonne face à la récession subie par le Portugal (Tavin, « Lutter contre la crise à mains nues : économie informelle et agriculture urbaine à Lisbonne ») ou la mise en place de réseaux sans fils dans des quartiers laissés pour compte à Detroit (Huguet, « Pour une ethnographie des réseaux sans fil communautaires: Implémenter des technologies décentralisées pour agir contre la crise à Détroit »), à la mobilisation civique à l’échelle du quartier face à l’augmentation du coût du logement à Berlin (Mesuret, « Wohnen in der Krise : Les locataires en crise à Berlin. »). Il est important de noter que ces solutions émergent sans aucune évidence a priori et peinent justement parfois à exister. Sans ces solutions, la crise permet ainsi à des groupes d’acteurs de profiter de la situation, comme c’est le cas des promoteurs immobiliers à Niamey (Issaka « La promotion immobilière informelle à Niamey : l’irrégularité comme réponse à la crise du logement »).

Urbanités tient à remercier sincèrement tous les auteurs qui ont participé à ce numéro, pour leur confiance et leur investissement. Parce que l’impact des crises sur la ville et a fortiori la crise des modèles urbains sont des champs d’investigation encore embryonnaires, nous espérons que notre modeste et collective contribution provoquera des échos, suscitera des enthousiasmes et permettra encore davantage de réflexion sur le sujet.

Frédérique Célérier et Flaminia Paddeu

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