#4 / Portfolio : Saint-Nazaire, un port entre crise économique et reconquête urbaine

Aude Le Gallou

 

 

Aperit et nemo claudit – « elle ouvre et personne ne ferme ». Comme le suggère sa devise, Saint-Nazaire se veut une porte d’entrée entre mer et continent, là où la Loire rejoint l’Atlantique. Située sur la rive nord de l’estuaire, elle est le site le plus en aval du port autonome de Nantes-Saint Nazaire, premier port atlantique français et au quatrième rang national en termes de volume de marchandises échangées.

L’activité portuaire, historiquement indissociable du développement de la ville, marque profondément le paysage urbain, mais aussi le profil socio-économique et les mentalités nazairiennes. À partir de la seconde moitié du 19ème siècle, Saint-Nazaire, qui compte alors moins de mille habitants, s’affirme comme tête de ligne pour les croisières transatlantiques à destination de l’Amérique centrale et voit se développer en parallèle une activité de construction navale. Cet essor des activités portuaires n’est pas sans conséquence sur la ville elle-même : sa population atteint 30 000 habitants dès 1900, et l’extension des infrastructures du site marque la morphologie d’une cité tournée vers son port. Alors que la Première Guerre mondiale ne remet pas en cause le développement nazairien – la présence américaine contribuant même à la modernisation de la ville –, la Seconde Guerre mondiale marque au contraire la fin d’une époque pour le port. L’occupation allemande se traduit par la construction d’une impressionnante base sous-marine en lieu et place de la gare maritime et donne lieu à d’intenses bombardements alliés, qui laissent la ville en ruine à la Libération. Le trafic transatlantique ne reprend pas après la guerre, contrairement à la construction navale. Les développements respectifs de l’aéronautique et du commerce de marchandise viennent compléter les activités d’un port qui se développe dès lors le long de l’estuaire de la Loire, à l’écart de la ville dont il est matériellement séparé par la base sous-marine héritée de l’occupation allemande.

Cette rupture morphologique et symbolique persiste jusqu’au milieu des années 1990, lorsque la municipalité commence à mettre en œuvre le projet d’aménagement « Ville-Port ». Lancé en 2000, ce dernier a pour objectif de réunir ces deux entités séparées depuis la guerre et de transformer cette frontière urbaine en un trait d’union entre la ville et son port. La base sous-marine est alors réinvestie. Elle accueille d’abord Escal’Atlantic, parcours qui permet de revivre l’univers des traversées transatlantiques dans une de ses alvéoles, ainsi que des espaces culturels (le VIP et le LiFE) et des commerces. Le dispositif est complété par l’ouverture au public du toit du bâtiment, qui offre une vue surplombante sur le port et l’estuaire, tandis qu’un certain nombre d’équipements (notamment un cinéma, un centre commercial et le nouveau théâtre municipal) sont implantés à proximité dans le but de faire de cet espace un prolongement du centre-ville à l’attractivité renouvelée. Le port à proprement parler accueille quant à lui un écomusée dédié à l’histoire de Saint-Nazaire ainsi que le sous-marin Espadon, ouvert au public, tandis que deux œuvres pérennes issues de la biennale d’art contemporain « Estuaire » ornent les toits de la base sous-marine et des entrepôts. Un parcours Tintin constitué de reproduction de vignettes de la célèbre bande-dessinée est également proposé. Enfin, il est possible de visiter les Chantiers de l’Atlantique, tout comme l’usine d’Airbus.

Cette réappropriation par Saint-Nazaire de son espace portuaire s’inscrit donc résolument dans une logique de valorisation patrimoniale de l’histoire et des savoir-faire locaux. Il s’agit de faire « muter ce secteur délaissé en quartier attractif », selon le site de la municipalité1 , en favorisant son ouverture à un large public et en s’appuyant sur une offre culturelle renouvelée. Bien qu’elle ait pu donner un nouveau souffle à cet espace, cette évolution ne doit pas pour autant faire oublier les difficultés économiques durables que rencontre actuellement le port et notamment les Chantiers de l’Atlantique, très dépendants de commandes aléatoires. Or les enjeux économiques et sociaux qu’ils cristallisent sont extrêmement importants pour la ville et sa région, où plusieurs dizaines de milliers d’emplois sont liés à l’activité industrielle et portuaire de Saint-Nazaire.

Aude Le Gallou

 

Aude Le Gallou est étudiante en géographie Master 2 à l’École Normale Supérieure d’Ulm et à l’université de Paris-Est Créteil. Elle travaille sur la perception de la mémoire de la RDA dans le paysage urbain de Berlin.

  1. http://www.mairie-saintnazaire.fr/urbanisme-habitat/ville-port/ []

Comments are closed.