#4 / Baltimore, une saga portuaire
Stéphanie Baffico
–
–
L’article de Stéphanie Baffico au format PDF
Dès les premières heures de l’histoire des Etats-Unis, Baltimore figure parmi les villes incontournables. Grand port de commerce situé en position stratégique dans la baie de Chesapeake, porte d’entrée pour l’immigration après New York, la ville connait une croissance très rapide au début du XIXème siècle. Sa puissance économique repose sur la sidérurgie et les chantiers navals. Le faste industriel perdure jusque dans les années 1950. Les années 1960 sont marquées par de violents affrontements raciaux et par le white flight qui laisse une ville majoritairement peuplée d’Afro-Américains démunis. Les crises économiques des années 1970 et la désindustrialisation sonnent définitivement le glas de son dynamisme portuaire. Après le succès d’une première reconversion économique dans les années 1980 suite à de grands travaux d’aménagement urbain, Baltimore souhaite aborder le XXIème siècle en donnant à son port une nouvelle image face aux impératifs de la mondialisation et du développement durable.
————
————–
Le port de Baltimore, coeur industriel de la côte Est des États-Unis
La côte Est des États-Unis fut le point de départ du peuplement européen. Au XVIIIème siècle, les treize colonies britanniques se développent grâce aux liens avec l’Angleterre. Les villes sont d’abord des ports maritimes bien abrités. Fondé en 1706 avant même la constitution de la ville de Baltimore, ce port est le deuxième plus grand port de la côte Est après New York et connait une croissance très rapide. L’intensité de ses activités permet à la ville de dépasser les 100 000 habitants en 1840. Forte de ses exportations de tabac avec l’Angleterre, la ville se lance dans le commerce avec l’Asie et les clippers, rapides bateaux à voile, font sa renommée. Dès 1825, le marchand John O’Donnell fait affluer les produits de Chine dans le quartier nouvellement nommé de Canton (au Nord-Est d’Inner Harbor aujourd’hui). La position stratégique de Baltimore, située sur l’estuaire du fleuve Patapsco qui se jette dans la baie de Chesapeake, puis dans l’océan atlantique (figure 1), fait qu’elle devint rapidement un important centre naval et développa la sidérurgie.
Au XIXème siècle, les révolutions industrielles et le développement des transports ferroviaires (Baltimore and Ohio Railroad)1et fluviaux favorisent la croissance urbaine. Baltimore, ville dédiée à l’industrie, connait un intense développement et fait de l’ombre à Washington, capitale fédérale mais ville d’importance moyenne. Les usines se concentrent près du fleuve et la zone portuaire, énorme bassin d’emplois, est le réceptacle des vagues successives d’immigrants venus tenter leur chance dans le Nouveau Monde. Des chantiers navals de la Bethlehem Shipyard Corporation, fondés en 1887, sortiront des remorqueurs, des dragueurs, des navires de croisière, des cargos, des contre-torpilleurs et surtout les Liberty Ships pendant la Seconde Guerre mondiale (Fee, Shopes, Zeidman, 1991). À cela s’ajoute une intense activité industrielle autour de la sidérurgie, de la construction de matériel ferroviaire, des raffineries de sucre et des usines de conserve, qui permettra à la ville de frôler le million d’habitants en 1950. Le port est cependant progressivement déclassé au XXème siècle, subissant de plein fouet la crise économique des années 1970, puis la désindustrialisation et les délocalisations des années 1990-2000. Il est prend le nom de l’élue républicaine à la Chambre des Représentants Helen Delich Bentley en 2006 à l’occasion des célébrations de son 300ème anniversaire.
—————
Inner Harbor, un des tous premiers « festival market place » et un modèle de reconversion portuaire aux États-Unis
Dès les années 1950, la municipalité et les milieux d’affaires entament une ambitieuse opération de reconquête du centre-ville et de réaménagement urbain afin de retrouver le dynamisme économique du Central Business District (création du Charles Center en 1959). Le principal projet vise lareconversion du vieux port en un haut lieu du tourisme (Inner Harbor) qui servira de vitrine à la ville.
Pour attirer de nouveaux résidents dans le centre, la ville s’engage dans des travaux de construction de logements ou de réhabilitation d’immeubles anciens présentant un intérêt patrimonial. Les édifices industriels sont transformés en lofts et attirent de jeunes cadres sans enfants (yuppies ou dinkies). En amenant de nouveaux contribuables, ce processus de gentrification fournit à la municipalité des rentrées d’argent grâce aux impôts sur le revenu et aux taxes foncières. Pour maintenir cette population sur place, Baltimore aménage des espaces ludiques à proximité du CBD, avec parcours de promenade, grandes chaines de magasins, restaurants, cinémas, en leur donnant une architecture soignée et un caractère de village au cœur de la ville. Ce sont des aménagements de type festival market places, et les fronts d’eau dans les villes portuaires comme Baltimore sont les lieux privilégiés de ces aménagements (Gravari, 1991).
En 1963, le nouveau maire de la ville, Theodore McKeldin, souhaite rénover un espace de 240 acres (97 hectares) autour du vieux bassin portuaire situé en plein centre de Baltimore et désormais abandonné par les gros navires. Cette zone inclut aussi le centre financier et administratif jusqu’à l’Hôtel de Ville au Sud-Est de Charles Center. Des hommes d’affaires de l’agglomération sont appelés à contribution, dont James Rouse, promoteur et investisseur immobilier. L’opération est confiée à une agence semi-publique, le « Charles Center – Inner Harbor Management Inc. », sous contrat avec la ville. Cette organisation à but non lucratif est chargée de superviser le projet estimé à 260 millions de dollars et qui s’échelonne sur 30 ans (Boquet, 1995). L’objectif principal est de rendre les berges au public, d’en faire un espace de promenade et ainsi de transformer la perception que les habitants et les Américains avaient de Baltimore à l’époque, c’est-à-dire celle d’une vieille ville industrielle en déclin et abandonnée. Le port avait la réputation de n’être plus qu’un espace déserté par les activités économiques, où les friches industrielles et les bâtiments en ruine s’étendaient sur des hectares et étaient le théâtre d’affrontements de gangs et de trafics illicites contrôlés par les Afro-Américains. Dès 1972, un nouvel appontement perpendiculaire au côté nord du bassin est achevé et la frégate Constellation2 vient s’y amarrer (Fig. 2).
——————-
—————
En 1973 a lieu la première édition de la Foire Municipale au bord du bassin (« City Fair ») (Boquet, 1995). L’opération est une réussite tant par la variété des bâtiments construits (immeubles résidentiels, gratte-ciels d’IBM et de la compagnie d’assurances USFG, le musée des sciences « Maryland Science Center », un Palais des Congrès, l’hôtel de luxe de la chaîne Hyatt …) que pour la fréquentation des visiteurs. Le « World Trade Center » inauguré en 1977 est la réalisation d’un autre architecte de renom, I. M. Pei. Abritant les bureaux de l’administration portuaire, c’est le plus haut bâtiment pentagonal du monde. En 1980, l’immense projet de centre commercial du promoteur James Rouse, « Harborplace », est inauguré. Un an plus tard, l’édifice qui est devenu le symbole de Baltimore et qui lança une véritable mode aux Etats-Unis est afin achevé : c’est le « National Aquarium in Baltimore »3 (Fig. 3).
—————
—————-
Des bâtiments anciens ont aussi été préservés pour leur valeur patrimoniale comme une ancienne centrale thermique à vapeur, « The Power Plant » (Fig. 4), une station de pompage et la halle aux poissons, tous transformés en musées. A la place des steamers et des cargos, ce sont aujourd’hui les bateaux-taxis, d’excursions et des navires de plaisance qui fréquentent le port (Gravari, 1991). Le sous-marin Torsk, actif pendant la Seconde Guerre Mondiale et le remorqueur Chesapeake sont ancrés de façon permanente à côté de l’Aquarium.
L’aménagement de Inner Harbor servit de modèle à de nombreuses villes dans le monde, notamment Sydney et Saint Petersbourg. En effet, une délégation russe fut reçue en 1992 par la municipalité de Baltimore et des architectes américains se rendirent ensuite en Russie pour aider les autorités de l’ancienne capitale des tsars à élaborer un plan de revitalisation lui permettant de concurrencer Moscou.
—————–
————–
« Green politics » et projets urbanistiques innovants à l’aune du développement durable
—————
Inner Harbor 2.0, modèle de réaménagement portuaire
Aujourd’hui, certaines infrastructures portent les stigmates du temps, se sont détériorées, et le port, cœur du Central Business District, est un isolat sans lien véritable avec les quartiers alentours. En 2003, le Department of Planning et le Department of Transportation de la ville de Baltimore, en collaboration avec la City of Baltimore Development Corporation (BDC) ont élaboré un nouveau plan d’aménagement pour Inner Harbor. Toute la conception esthétique et architecturale est alors confiée au cabinet d’architectes Cooper, Robertson et Partners. Mais le manque d’argent, puis la récession ont mis ce projet entre parenthèse. Dix ans plus tard, un nouveau Master Plan est adopté par la municipalité qui s’est pour l’occasion entourée d’un panel d’acteurs plus complet et plus impliqué (des associations, des entreprises privées, et surtout le Greater Baltimore Committee et le Waterfront partnership of Baltimore Inc.)4. Le projet est confié à un nouveau cabinet d’architectes, Ayers Saint Gross. La réflexion s’organise autour de deux questions : quels sont les obstacles qui empêchent ce quartier de se prévaloir d’un réel développement durable ? Comment améliorer les relations entre le port et les quartiers alentours ?
Le nouveau Master Plan doit respecter l’esprit de celui de 1965, qui avait initié les premiers grands travaux de modernisation du front d’eau, tout en ajoutant des éléments qui n’avaient pas été envisagés à l’époque. En effet, la municipalité doit se rendre à l’évidence que les parkings (plus de 30 000 places) et la hauteur des immeubles empêchent de voir le port et les berges, alors que c’est un haut lieu de tourisme pour la ville. Le quartier subit également toutes les nuisances d’un trafic routier intense qui le traverse de part en part et cette ceinture autoroutière (« Ring-Road System »)5 l’isole des quartiers voisins. Elle constitue une barrière matérielle et psychologique cassant les dynamiques Nord/Sud et Est/Ouest. Le développement d’Inner Harbor s’est fait sur lui-même et les habitants du voisinage ne se sont pas vraiment appropriés le site. L’activité économique du centre-ville ne se diffuse pas vers les deux ghettos d’East Baltimore et de West Baltimore. Les promenades le long des berges sont aménagées de façon discontinue et sont trop minérales. Il reste de vastes terrains dépourvus d’aménagement (Rash Field) et les commerces implantés dans les pavillons d’Harbor Place et sur les quais 5 et 6 ont progressivement fermé.
Le projet s’inspire d’aménagements portuaires déjà réalisés aux États-Unis ou en cours de réalisation, comme le parc du Pont de Brooklyn à New York (2009), le Millenium Park de Chicago au cœur du Loop (1998-2004), l’aménagement du front de mer à Seattle (2016-2019), ou encore le Toronto Blue Edge (2001) qui sera le plus vaste projet de revitalisation urbaine d’Amérique de Nord lorsqu’il sera achevé aux alentours de 20256. L’ambition clairement affichée est de faire de ce projet un modèle de réaménagement portuaire durable aux Etats-Unis au XXIème siècle et de renouer des liens étroits entre le port et la baie de Chesapeake. Le projet les conçoit comme un milieu naturel formant une unité, et non plus comme deux entités distinctes aux destins opposés –d’un côté le port associé aux fonctions de tourisme et à l’identité urbaine ; de l’autre, la baie, ses industries et ses problèmes environnementaux. L’idée principale est de créer une promenade continue de 2,5 kilomètres (1,5 mile), réservée aux piétons et aux cyclistes, formant un « ruban vert » ponctuellement animé d’espaces publics dédiés aux commerces ou aux activités sportives et culturelles. Il faut rendre le port accessible à tous les Baltimoriens sans distinction de classe sociale ou de revenus, et en faire un espace de convivialité, sûr et animé. Les travaux prévoient d’enterrer les parkings et de limiter la hauteur des constructions sur son pourtour. Des végétaux et des essences d’arbres appartenant à l’écosystème de la baie de Chesapeake seront plantés le long de la promenade avec la volonté de recréer des espaces verts protégés et imitant les milieux naturels des marais, du littoral et des forêts entourant la baie (essentiellement des érables rouges, des Ginkgo Biloba, des ormes américains, des chênes des marais, des saules, des tulipiers et des sycomores). Il est également prévu de créer des « corridors » perpendiculaires à ce boulevard, pour qu’ils soient autant de voies pénétrantes jusque dans les quartiers qui jouxtent Inner Harbor (Federall Hill, Locust Point, Otterbein, Jonestown, Little Italy, Fells Point et Inner Harbor East).
McKeldin Plaza est le site choisi pour accueillir la station ferroviaire de la Red Line, ligne de métro qui traversera la ville d’Est en Ouest, reliant ainsi le CBD aux deux ghettos d’East et de West Baltimore, et dont les travaux doivent démarrer en 2015. Une autre partie importante du chantier sera la construction d’un pont dans la partie Sud-Est du port entre Rash Field et le quartier de Federal Hill sur la berge sud et Fells Point sur la berge Nord. Le Inner Harbor Bridge Connector doit permettre de boucler la promenade sans gêner l’accès au port pour les navires. De nouvelles marinas ne sont pas prévues7 car le front de mer doit offrir des espaces de jeux (plages, base nautique, kayaks, piscine, carrousel) et d’activités éducatives à but environnemental (développement du Maryland Science Center, des « jardins civiques » à usage pédagogique). Enfin, la promenade d’Inner Harbor doit être le point de départ d’une promenade bien plus longue de 10 miles (16 kilomètres) qui constituera le loop d’Outer Harbor et s’étendra jusqu’au site historique de Fort McHenry. Une ligne de ferry régulière pour les cyclistes et les piétons, ainsi que des water taxi plus nombreux et gratuits sont prévus afin d’assurer la fluidité des déplacements dans tout le port et entre des quartiers de la ville jusqu’alors séparés (Fig. 5).
————-
————–
Toute la difficulté de ces aménagements réside dans la gestion des conflits d’usage entre les piétons/cyclistes et les voitures, entre les activités nautiques individuelles, les navires de plaisance des nombreuses marinas et les navires de commerce, entre les activités industrielles et de service et les espaces dédiés aux touristes. L’usine Domino Sugar (Fig. 6) est en effet toujours implantée au sud d’Inner Harbor au cœur de la zone industrielle de Key Highway, aux côtés de General Ship Repair. Elle reste l’un des derniers vestiges de l’intense passé industriel de Baltimore, mais beaucoup estiment que la silhouette de ses cheminées nuit à l’esthétique architecturale du port. Avec le Plan d’aménagement maritime de 2012, la municipalité s’efforce de trouver des solutions équitables au problème d’engorgement du port. Elle est aussi particulièrement préoccupée par la lutte contre la pollution des eaux. Des bateaux barges doivent régulièrement draguer le port qui est menacé par l’accumulation de sédiments. Si les sources de pollution aux métaux lourds ont été éradiquées depuis les années 1970 avec la désindustrialisation, ces sédiments restent pollués en profondeur par le mercure, le plomb et l’arsenic. Aujourd’hui, les sources de pollution proviennent des solvants, du fioul et des peintures anticorrosion utilisés par les navires de plaisance, ainsi que des eaux usées et des eaux de ruissellement chargées de déchets qui se déversent toujours dans les eaux du port. C’est tout le système d’écoulement des eaux qui doit être repensé. Les élus multiplient également les campagnes d’information et de sensibilisation des populations afin qu’elles cessent de jeter les déchets n’importe où.
—————-
—————–
L’aménagement de Middle Branch pour un usage raisonné des ressources naturelles
La revitalisation d’Inner Harbor s’inscrit dans une vision d’aménagement portuaire plus vaste à l’échelle de la baie de Chesapeake, et c’est ce qui fait l’ambition du projet et sa complexité d’exécution. Middle Branch est la partie la moins connue du port de Baltimore. Située à moins d’un mile d’Inner Harbor (1,5 kilomètre), au sud de la péninsule de South Baltimore, elle est cependant trois fois plus vaste, mais ses eaux sont moins profondes et ses berges sont majoritairement restées à l’état naturel. C’est encore une zone où l’habitat du gibier d’eau est préservé ; elle constitue une aire de repos et de reproduction pour les oiseaux migrateurs. Ancienne zone industrielle et agricole au XIXème siècle, l’estuaire de Middle Branch représente aujourd’hui un immense potentiel de développement d’espaces récréatifs pour la conurbation urbaine de Washington/Baltimore. Le Plan d’aménagement de Middle Branch de 2007 prévoit la création d’un nouveau front de mer répondant aux impératifs du développement durable, permettant la prospérité économique tout en assurant la protection environnementale et l’équité sociale. Les communautés riveraines sont étroitement associées à la création de cet « oasis environnemental »8 et ont participé à l’élaboration du Master Plan.
Des objectifs précis ont été ciblés : faire disparaitre les anciennes sources de pollution industrielle pour rendre les eaux à la baignade et à la pêche d’ici 2020, revégétaliser les anciens espaces industriels, développer les activités à vocation pédagogique environnementale, aménager sur tout le pourtour des berges des pistes cyclables et piétonnes et privilégier les transports publics depuis le centre-ville, mettre en valeur le Gwynns Falls trail (sentier de découverte de la nature), préserver les ressources historiques et culturelles (notamment le musée national de Fort McHenry, le mémorial du Maryland pour les vétérans du Vietnam, le Star-Spangled Banner National Trail). La municipalité souhaite donner un label historique à la communauté de Cherry Hill qui fut l’une des premières communautés suburbaines planifiées pour les Afro-Américains aux Etats-Unis. Il en est de même pour les communautés de Westport et de South Baltimore.
Un plan de zonage strict permet la cohabitation d’activités concurrentes : sur la rive Sud, dans le parc de Middle Branch, une marina et un yacht club, une base de kayaks, des zones de baignade et de pêche à la ligne et au panier pour les crabes, ainsi qu’une plage publique sont prévus ; le parc de Reedbird/Cherry Hill doit être aménagé pour mettre en valeur le départ du Gwynns Falls Greenway ; Masonville Cove sera dédié à l’éco-tourisme. Des plans d’urbanisme prévoient la reconfiguration des rives Ouest et Nord-Ouest : sur la rive Ouest, le site de l’usine Baltimore Gas and Electric à Westport va être transformé en zone d’aménagement urbain mixte avec la construction de 1 600 nouveaux logements et plus de 270 000 mètres carrés de bureaux, et Port Covington au Nord Ouest bénéficiera d’un Planned Unit Development. Certaines zones continueront d’être dominées par les activités industrielles et commerciales (sur la rive Nord, Carroll Camden Industrial Area et BGE Spring Garden ; sur la rive Sud, Waterview Industrial Area ; à South Locust Point, les quais d’appontement des navires de croisière). Enfin, des zones protégées d’accès limité seront aménagées sur tout le pourtour de l’estuaire (Fig. 7).
Une partie des quartiers concernés par le plan d’aménagement de Middle Branch appartient également à un autre Master Plan dont le Baltimore Department of Planning vient d’achever la conception (Horseshoe Casino Area Master Plan). Le casino, qui doit ouvrir fin 2014, est situé sur Russell Street au cœur de la zone industrielle de Carroll Camdem. Les quartiers de Port Covington, Cherry Hill, Westport, Middle Branch/Reedbird Parks et Spring Garden Industrial Area en particulier seront repensés selon le modèle urbain du Transit-Oriented Development9 afin d’appliquer les principes de smart growth ((C’est une croissance urbaine volontairement ralentie ou une ville compacte. Les pouvoirs publics encouragent pour cela la densification du bâti, la mixité des usages et le développement des transports en commun dans un même quartier.)) et de livability. Une partie du financement de ce projet repose sur l’aide du gouvernement fédéral prévue par la loi de 2012 (special session 2, SB 1) : dès l’ouverture du casino et aussi longtemps qu’il existera, la ville de Baltimore percevra chaque année une subvention d’un montant de 15 à 20 millions de dollars à réinvestir dans les quartiers adjacents.
————-
————-
Reconquérir une place de port industriel dans une économie mondialisée
Le port de Baltimore regroupe 5 terminaux publics gérés par l’administration portuaire du Maryland (Maryland Port Administration, MPA) et 12 terminaux qui sont des propriétés privées. Il a dépassé les 40 millions de tonnes de marchandises échangées en 2010, ce qui le classe à la 17ème place des ports américains. La MPA s’est spécialisée dans des niches économiques pour le commerce international : les automobiles, le bois et ses dérivés, ainsi que le fret des navires rouliers (roll-on/roll-off) pour l’équipement agricole et les machines outils. En 2010, 470 546 automobiles sont passées par le port de Baltimore en export et en import (c’est le 1er port américain pour l’acheminement des voitures, notamment la marque Mercedes-Benz). Le port accueille également des vraquiers pour des marchandises manutentionnées sous forme de petites unités (543 700 tonnes), du minerai de fer (2 millions de tonnes), du charbon (13,8 millions de tonnes) et de l’acier (595 700 tonnes). Des tankers apportent environ 5 millions de tonnes de pétrole par an.
Même si le trafic de conteneurs s’est développé depuis 2002, passant de 4,4 millions de tonnes à plus de 5,7 millions de tonnes (soit 387 000 conteneurs), il demeure encore insuffisant pour concurrencer les autres ports américains. En 2006, la MPA a aménagé un nouveau terminal dédié aux paquebots de croisière de la flotte Carnival et Royal Caribbean. 419 000 passagers embarquent chaque année depuis Baltimore, ce qui le place encore loin (12ème place) derrière les ports de Miami, des Everglades et Canaveral qui concentrent 4 millions de passagers chacun. C’est pourquoi la MPA souhaite augmenter la capacité de croisière et assurer deux départs quotidiens pour atteindre le million de passagers.
Le port de Baltimore représente un atout économique indéniable pour la ville et l’Etat du Maryland. Le trafic de marchandises et de passagers aux terminaux publics et privés génère environ 40 037 emplois dont près de 15 000 emplois directs. 60% des employés habitent Baltimore ou le comté de Baltimore. Les activités portuaires représentent 3 milliards de dollars de revenus annuels, 1,7 milliard pour les entreprises de service maritime et génèrent plus de 300 millions de taxes pour la ville de Baltimore et l’Etat du Maryland. Au total, le transport maritime représente 45,6 milliards de dollars d’activité économique pour l’Etat du Maryland en 2010.
Fortes de ces chiffres, les autorités politiques souhaitent développer les activités portuaires et agrandir les docks afin de pouvoir accueillir de gigantesques porte-conteneurs (12 000 conteneurs) qui pourront passer par le canal de Panama lorsque ses travaux d’agrandissement seront achevés d’ici 2017. Elles souhaitent développer le trafic de conteneurs de plus de 3% par an en privilégiant les liens avec l’Asie, et faire de Baltimore le plus grand port d’import/export d’automobiles, de bois importé et de fret de la côte est des Etats-Unis. Or, la concurrence est rude pour se démarquer comme hub portuaire, et les ports de New York, Philadelphie, Norfolk, Wilmington, Charleston, Savannah et Jacksonville ne sont pas en reste.
Un autre objectif ambitieux est la réouverture des chantiers navals de Sparrows Point afin de renouer avec le passé industriel de Baltimore et se lancer à nouveau dans la compétition internationale. Le site se trouve dans la partie la plus extérieure du port de Baltimore, à l’est de Key Bridge sur la rivière Patapsco (Figure 1). Les 3 620 acres (environ 1 500 hectares) d’usines sidérurgiques et de chantier naval aménagés dès 1887 deviennent la propriété de la Bethlehem Steel Corporation en 1916, premier constructeur naval et second groupe sidérurgique américain. La construction des Liberty Ships pendant la Seconde Guerre mondiale occupe jusqu’à 8 000 employés. Les fourneaux ont cessé de fonctionner en 1991 et la compagnie a fait faillite en 2001, laissant un site hautement pollué à l’arsenic, au cadmium et au mercure. Depuis 2000, les propriétaires se sont succédés: International Steel Group (2003), Barletta Industries Inc. (2004) et Severstal (2008). Situé à proximité de l’autoroute 695, il bénéficie d’eaux profondes, de quais aménagés de portiques de type Clyde d’une capacité de 50 à 200 tonnes, et d’un des plus vaste bassin de radoub privé de la côte est des Etats-Unis. Le principal chenal de navigation du port atteint d’ailleurs les 15 mètres de profondeur, ce qui est important.
Si cette décision semble logique dans un contexte où les Etats-Unis souhaitent lutter contre la concurrence économique étrangère, le manque cruel de moyens financiers, tant à l’échelle municipale qu’à celle du Maryland et de l’Etat fédéral, risque fort d’être un frein à la concrétisation de ce projet. La récession économique de 2007 a eu d’importantes répercussions entrainant une diminution du nombre de marchandises échangées à 30 millions de tonnes en 2013, ainsi qu’une perte de 2 100 emplois directs et de 3 325 emplois indirects. Les dépenses nécessaires pour dépolluer le site sont pour l’instant le principal obstacle à la volonté d’en faire un « green port ».
Les travaux de réaménagement portuaire d’Inner Harbor et de Middle Branch devraient être achevés à l’horizon 2025. Outre la question de leur financement, la municipalité doit éviter deux écueils afin d’ancrer réellement ces deux projets dans un développement durable. D’une part, les grands plans d’aménagement urbain entrainent une flambée des prix du foncier et de l’immobilier, et la gentrification se fait souvent au détriment de la mixité sociale. Les deux Master Plans devront prendre en compte la diversité socio-économique des riverains et permettre aux habitants les plus modestes de rester en leur proposant des formations professionnelles et des emplois sur place. D’autre part, une question reste en suspens lorsque l’on sait qu’Inner Harbor est encadré par les deux grands ghettos d’East et de West Baltimore. L’aménagement d’un quartier dans une perspective durable peut-il faire de la ville une cité durable ? (Boutaud, 2009) Nous pouvons en douter, et cela encore plus si nous passons à l’échelle de la métropole, car c’est là qu’apparaissent véritablement les contrastes entre le quartier Downtown, vitrine de la ville, les banlieues aisées et les ghettos complètement isolés. Ces tentatives de revitalisation portuaire sous le prisme du développement durable reflètent donc un véritable défi à l’échelle métropolitaine.
Stéphanie BAFFICO
————
Stéphanie Baffico est professeur agrégé de géographie au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Elle est doctorante à l’Université de Perpignan Via Domitia (UMR ART-DEV 5281, Urbanisme et aménagement du territoire). Ses travaux de recherche portent sur les politiques urbaines et métropolitaines aux Etats-Unis, plus particulièrement sur les Green Politics et l’aménagement urbain durable à Baltimore. Ils sont soutenus par la Fondation Palladio sous l’égide de la Fondation de France.
————-
Bibliographie
Baltimore City Department of Planning, 2012, Maritime Master Plan. A Plan for the Waters of Baltimore’s Harbor.
Baltimore City Department of Planning, 2013, Baltimore Horseshoe Casino, Local Development Council Area Master Planning Process.
Baltimore City Planning Commission, 2007, Middle Branch Master Plan.
Boquet Y., 1995, Le couloir Washington-Baltimore : Contribution à l’étude de l’aménagement du sud de la Mégalopolis américaine, thèse de doctorat, Paris IV.
Boutaud B., 2009, « Quartier durable ou éco-quartier ? », Cybergéo.
Fee E., Shopes L., Zeidman L., 1991, The Baltimore Book. New Views of Local History, Philadelphia, Temple University Press, 268 p.
Gravari M., 1991, La mer retrouvée : Baltimore et autres reconquêtes de fronts d’eau urbains, thèse de doctorat, Paris IV.
Maryland Port Administration, Strategic Plan 2008 – Port of Baltimore.
Maryland Port Administration, 2011, The economic impacts of the port of Baltimore 2010, report prepared by Martin Associates, Lancaster, PA.
Sparrows Point Shipyard Industrial Complex, ‘Facility features”, http://www.spshipyard.com/
Waterfront Partnership of Baltimore Inc., 2013, Baltimore Inner Harbor 2.0.
————
- C’est la première ligne de chemin de fer aux États-Unis qui propose le transport de passagers et de marchandises à des horaires réguliers sur une ligne qui relie New York à l’Illinois en passant par le Maryland et Baltimore. Ses travaux débutent en 1828 et s’échelonnent sur plus de 25 ans. [↩]
- Construit en 1797 pour la marine américaine dans un chantier naval de Fells Point, ce bateau est considéré comme le plus ancien navire de guerre américain flottant encore. [↩]
- L’Aquarium n’est que municipal, mais l’appellation choisie reflète bien la promotion touristique d’ampleur nationale souhaitée par le maire William Donald Schaefer. Il reçut le nombre record de 1 500 000 visiteurs en 1993. [↩]
- Waterfront Partnership Baltimore est un organisme fondé en 2005 à l’initiative de la municipalité et du Greater Baltimore Committee qui regroupe les principaux chefs d’entreprise de la région. La mission de WPB est d’encadrer les travaux de réaménagement d’Inner Harbor et de gérer les opérations immobilières. [↩]
- Le « Ring-Road System » est constitué de Key Highway, light, Pratt et President Streets. [↩]
- Waterfront Partnership of Baltimore Inc., 2013, Baltimore Inner Harbor 2.0, p 13. [↩]
- Baltimore City Department of Planning, 2012, Maritime Master Plan. A Plan for the Waters of Baltimore’s Harbor, p 14. [↩]
- Middle Branch Master Plan, 2007, p 2. [↩]
- Un TOD est un aménagement urbain mixte, à la fois résidentiel et commercial, au bâti relativement dense et dont le cœur est une station de transport public. Les habitants du quartier doivent pouvoir y accéder dans un rayon de 800 mètres à pied au maximum. [↩]