Appel à contributions #18 / Halte à l’urbanisation obsolescente programmée

L’appel à contributions #18 au format pdf


Refaire la ville sur la ville n’est pas qu’un mantra des questions urbaines depuis les années 1990, mais une pratique historique. Elle prend parfois des formes particulières, lorsqu’on pense aux gratte-ciels du quartier de Marunouchi à Tokyo qui sont démontés étage par étage, ou au sanctuaire shinto d’Ise au Japon, détruit tous les vingt ans pour être reconstruit à l’identique, afin notamment de garder vivaces et actifs une partie des savoirs constructifs et des techniques associées. Sur le temps long, les logiques de délaissement et de réinvestissement de certains espaces urbains, provoqués par des guerres, des catastrophes naturelles ou des crises socioéconomiques (comme la désindustrialisation), sont multiples. Elles montrent que la dynamique du recyclage urbain n’est pas nécessairement moins forte et est définitivement plus ancienne que le grand cycle ouvert par l’ère industrielle d’extension urbaine et d’artificialisation intensive.

Ces mouvements de recyclage urbain peuvent être lus de plusieurs manières : ils rappellent d’un côté que les espaces urbains sont, à l’image de ce que Nikil Anand (2015) évoque pour les infrastructures urbaines, le résultat « d’accrétions multiples », de bricolages d’esthétiques, de techniques, de matières, d’idéologies urbaines ; ils témoignent aussi parfois d’une forme d’obsolescence urbaine, poussant à évacuer, à démolir ou à déconstruire des bâtiments ou des quartiers jugés démodés, dépassés ou dysfonctionnels. On retrouve ici la métaphore du palimpseste, forgée par André Corboz (1983) : les espaces urbains résultent d’accumulations impliquant à la fois des ajouts et des effacements successifs. L’acuité des problèmes environnementaux de notre temps et la préoccupation toujours plus forte pour une limitation de l’empreinte matérielle et environnementale de la ville viennent donner un souffle nouveau et une caisse de résonance démultipliée à ces enjeux de recyclage urbain, que ce numéro souhaite prendre au sérieux. Au fond, une des hypothèses qui le traversent consiste à interroger moins le caractère nouveau de projets de recyclage, mais la manière dont ils sont reproblématisés, et dont ils pourraient, à terme, être des signes marquant la fin (relative) du cycle de production urbaine industrielle de l’extension, traduisant le passage « d’un urbanisme d’extension à un urbanisme de conversion » pour reprendre les mots de Gateau-Leblanc et Paris (2004).

1. Le recyclage des arènes romaines d’Arles en bastide au Moyen-Âge (Gravure de Jacques Peytret, 1666, BNF)

Que recycle-t-on ? Comment appréhender les restes urbains ?

Ce numéro propose d’examiner plus précisément le sens de la notion polysémique de recyclage et sa transposition du domaine des objets à celui des villes. Le recyclage urbain désigne de multiples opérations qu’il n’est pas évident de catégoriser. Halleux et Lambotte (2008) proposent de distinguer le recyclage des bâtiments ou recyclage immobilier désignant la réhabilitation, la reconversion ou la démolition/reconstruction de bâtiments du recyclage foncier désignant la réutilisation du sol pour d’autres usages bâtis. Dans cette distinction, la dimension matérielle du recyclage demeure impensée : quid du recyclage des matières et matériaux du bâti, qui constituent la texture de la ville ? Par ailleurs, cette distinction laisse latente l’objet de ce qui est recyclé : recycle-t-on les matériaux, les bâtiments, les fonctions, les techniques, les styles architecturaux, des conceptions historiques de la ville ? Nous attendons des propositions d’articles qu’elles mettent l’idée de recyclage à l’épreuve des différents aspects de la production et de la gestion urbaine.

Le terme de recyclage implique celui de déchets, désignant ce qui est délaissé, abandonné, laissé sans usage. Parler de recyclage urbain conduit donc à identifier certains espaces de la ville à des déchets. Dans cette veine, Roberto D’Arienzo (2014) a montré que les processus qui conduisent à l’abandon d’équipements, bâtiments et quartiers sont similaires à la production de déchets. Le projet urbain est assis sur la sélection et la réorganisation d’espaces ; c’est un processus nécessairement générateur de restes. Certains espaces se retrouvent à l’écart du processus de projet : ils ne constituent pas intrinsèquement des déchets mais sont construits comme tels par une société donnée à une période donnée. Ils forment des zones en attente de recyclage. L’utilisation de ce terme n’est donc pas uniquement métaphorique, il traduit une approche métabolique de la ville, attentive aux transformations de matière induites par l’action sur les espaces urbains et à leurs temporalités. Quels sont les mécanismes d’abandon de certains espaces urbains et de sélection des espaces à recycler ? Tous les restes urbains sont-ils en attente de recyclage ou bien certains finissent-ils par « pourrir » ? Que désignent exactement ces restes urbains : des espaces, des matériaux, des particules, les êtres humains qui y vivent et/ou y travaillent ? Les propositions interrogeant les termes employés pour désigner ces restes et leurs mécanismes de production, éventuellement dans différentes langues, sont bienvenues.

Le recyclage entremêle différentes dimensions. Il s’agit de faire entrer une matière ou un objet dans un nouveau cycle de production et/ou d’utilisation. À ce cycle matériel s’articule un cycle économique dans lequel un objet délaissé dont la gestion coûte est transformé en produit doté d’un prix. Enfin, c’est aussi une opération symbolique qui interroge la valeur et l’utilité sociale de l’ensemble considéré (Veschambre, 2005). Nous invitons les autrices et auteurs à explorer ces différents cycles et leur enchevêtrement.

Expériences et politiques de recyclage urbain : quels apprentissages ?

Évaluer rétrospectivement les opérations et les politiques de renouvellement urbain

Recycler la ville est devenu un impératif politique dans de nombreux contextes. En France, à partir de la fin des années 1990, plusieurs lois favorisent le recyclage urbain par la densification des espaces déjà urbanisés et la reconversion de friches. Il s’agit de limiter l’étalement urbain, les dépenses énergétiques associées, la consommation foncière et la dégradation des sols. La loi Solidarité et renouvellement urbain de 2000 a consacré le terme de « renouvellement », qu’on retrouve ensuite dans les lois Grenelle II et Alur. Les outils de l’urbanisme ne visent depuis lors, théoriquement, plus principalement à organiser l’extension des villes mais à réorganiser l’existant face aux mutations des économies fordistes et aux recompositions socio-démographiques qu’elles engendrent. Ce changement de référentiel se retrouve dans les pratiques urbanistiques avec le passage « d’un urbanisme de croissance à un urbanisme de gestion » (Lacaze, 1990) et, plus récemment, « d’un urbanisme linéaire à un urbanisme circulaire » (Grisot, 2021). Il trouve aussi une autre manifestation quand ces grands principes se traduisent dans des objectifs chiffrés, comme l’objectif français de zéro artificialisation nette pour 2030 ou de 30 hectares par jour en Allemagne. L’opérationnalisation de ces principes peut également conduire à l’intégration des questions matérielles dans les métriques utilisées pour guider la production urbaine, comme la proportion de matériaux réemployés dans une opération.

Quel bilan peut-on tirer de plusieurs décennies de politiques de renouvellement et de pratiques d’aménagement sur le recyclage urbain dans différents contextes territoriaux ? Quels outils fonciers, économiques, politiques accompagnent le recyclage urbain ? Les articles adoptant une démarche rétrospective voire historique, ou comparative, sont bienvenus afin d’éclairer les apprentissages réalisés par les opérateurs de l’aménagement et d’apporter un regard critique sur un recyclage qui peine à devenir dominant. Les études de cas hors du cadre français et européens peuvent également apporter de nouvelles connaissances et aider à penser la diversité des formes de recyclage et des termes employés : « développement vers l’intérieur » (innentwirking) en Allemagne, régénération urbaine (regenerare urbana) en Roumanie, remembrement foncier au Japon…

 

Les empreintes environnementales du recyclage urbain : peut-on et doit-on tout recycler ?

La reconstruction de la ville sur la ville est souvent prônée comme une manière de limiter l’empreinte environnementale de l’urbanisation mais rarement évaluée ou concrètement mesurée à l’aune de critères environnementaux. Or, toutes les formes de recyclage se valent-elles ? Dans le domaine des objets, l’échelle dite de Lansink distingue la prévention des déchets, le réemploi, la réutilisation, le recyclage et la valorisation énergétique. Suivant cette hiérarchie, le recyclage n’est donc qu’un des modes de gestion des restes et un mode à ne pas privilégier car il implique des opérations de transformations consommatrices d’énergie et destructrices de ressources. Peut-on appliquer cette hiérarchie des modes de traitement des déchets aux pratiques existantes de recyclage urbain ? Certaines traces du passé, qu’on retrouve via la pollution des sols, posent des limites techniques et économiques à la recyclabilité des espaces urbains. Cette difficile recyclabilité voire non-recyclabilité devient alors la source de formes d’obsolescences urbaines, qui sont autant de défis pour l’aménagement et ses acteurs. Comment « faire avec » ce qui n’est pas recyclable et comment limiter la possibilité d’une non-recyclabilité urbaine pour éviter de programmer de nouvelles obsolescences urbaines ?

Quelques travaux récents analysent l’empreinte environnementale du recyclage urbain. Ils montrent, comme ceux de Mathieu Fernandez, que le renouvellement urbain reposant sur la démolition/reconstruction et la densification génère d’importantes quantités de déchets et contribue à l’extraction de ressources primaires. Autrement dit, la reconstruction de la ville sur la ville a une importante empreinte matérielle. Elle contribue à l’artificialisation des sols pour accueillir les espaces de traitement des déchets et d’approvisionnement en ressources primaires (Fernandez et al., 2019) et, sans transformation des pratiques constructives vers des matières renouvelables et recyclées, elle accroît la pression sur les ressources primaires non renouvelables (Augiseau, 2017). Comment penser les conditions d’un recyclage urbain compatible avec les limites planétaires ? La modularité des constructions et la réversibilité des espaces constituent-elles des formes de lutte contre l’obsolescence urbaine ? Dans quelle mesure peuvent-elles être anticipées et opérationnalisées ? Des articles permettant de traiter les modalités d’un aménagement en phase avec les pressions écologiques diverses, ou abordant la manière dont les cultures professionnelles de l’aménagement sont transformées par les nouvelles problématisations du recyclage urbain sont les bienvenus.

 

Les deuxièmes vies de la ville : circularité des espaces et des matières

Métabolismes et économie circulaire des chantiers

Dans une perspective socio-écologique, la ville peut être analysée comme un métabolisme, c’est-à-dire un entrelacement de processus sociaux et bio-géo-chimiques qui entraînent des transformations de matière (consommation, stockage, rejet). Les activités de démolition et de construction, nécessaires au recyclage urbain, sont parmi les plus émettrices de déchets et consommatrices de ressources non renouvelables1. Elles participent au fonctionnement linéaire de la ville. De nombreuses collectivités mettent en place des politiques d’économie circulaire qui visent à recycler les matières-déchets issues des chantiers et, pour certaines, à réutiliser les structures bâties elles-mêmes afin d’éviter la production de déchets. Des travaux en urbanisme et en architecture se sont intéressés aux possibilités de réutilisation des matières issues des chantiers et à leurs effets sur l’ensemble de la chaîne des acteurs impliqués dans l’acte de reconstruire la ville sur la ville, du maître d’ouvrage à l’entrepreneur en passant par le concepteur (Mongeard, 2017 ; Ghyoot et al., 2018 ; De Guillebon, 2019). Les grandes opérations de recyclage urbain à l’initiative d’acteurs publics et portées par les majors de la promotion sont très visibles et bien étudiées. Qu’en est-il des plus petites opérations réalisées dans le tissu diffus, qui représentent pourtant une part importante de la production de la ville ? En 2009, selon l’Observatoire du foncier, seul 1 logement sur 6 est produit dans le cadre d’une zone d’aménagement concertée, ce qui invite à décentrer le regard des grands projets vers la production de la ville dite « ordinaire » (Idt, 2017). En allant dans ce sens, on pourra ouvrir la discussion sur d’autres éléments du stock bâti en ville, comme les infrastructures et les ouvrages techniques, souvent invisibilisés alors qu’ils représentent une part importante du stock bâti.

Les infrastructures du recyclage de/en ville

Le numéro souhaite prendre au mot l’expression « recyclage urbain » et s’intéresser aux implications des opérations matérielles qui l’accompagnent (curage, déconstruction, travaux de rénovation, dépollution, concassage, etc.), autrement dit aux infrastructures nécessaires pour le recyclage urbain. Des villes, comme Bruxelles, mobilisent leur foncier pour favoriser le retour de la production dans le tissu urbain, en particulier à destination du secteur de la construction et du recyclage des déchets de chantier, considérés comme la principale ressource de la ville. Cette dynamique opère néanmoins des sélections entre activités productives considérées comme souhaitables et d’autres invisibilisées ou évincées (Orban et al., 2021). L’accent mis sur le recyclage urbain a des effets sur l’intégration d’un certain nombre d’activités productives au cœur de l’espace urbain, à rebours du mouvement qui a conduit à leur éloignement des zones denses et habitées. Cela pose à nouveaux frais des questions de coexistence entre fonctions urbaines, que les propositions d’articles pour ce numéro sont invitées à prendre en compte.

2. Stockage de matériaux de second œuvre réemployés par l’association Réavie (Bastin, 2020)

Modalités de soumission

La proposition précisera les noms, prénoms, statuts et email de (ou des) auteur·trices. La date limite de soumission des propositions est le vendredi 16 décembre 2022.

Elle est à renvoyer à l’adresse suivante : contact@revue-urbanites.fr

 

Proposition d’articles

La proposition comprendra un résumé d’une page maximum (Times New Roman 12, interligne simple). Elle devra énoncer une problématique de recherche claire, ainsi que les axes que l’article abordera s’il est retenu. La claire mention de quelques références bibliographiques que l’article utilisera sera appréciée.

 

Propositions de portfolio

En plus du texte de présentation, veuillez joindre au moins 5 photos qui refléteront le travail final proposé.

Rédactrice et rédacteur en chef du #18 : Agnès Bastin agnes.bastin@revue-urbanites.fr et Daniel Florentin, daniel.florentin@revue-urbanites.fr

Calendrier prévisionnel

Retour des propositions : vendredi 16 décembre 2022

Acceptation du comité de rédaction : janvier 2023

Première version de l’article : 17 mars 2023

Publication du #18 : automne 2023

 

Bibliographie indicative

Anand N., 2015, « Leaky States: Water Audits, Ignorance and the Politics of Infrastructure », Public culture, vol. 27, n°2, 305-330.

Augiseau V., 2017, La dimension matérielle de l’urbanisation. Flux et stocks de matériaux de construction en Île-de-France, Thèse de doctorat en aménagement de l’espace et urbanisme, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 554 p.

Corboz A., 1983, « The Land as a Palimpsest », Diogenes, vol. 31n°121, 12-34.

D’Arienzo R. et Younès C., 2014, Recycler l’urbain. Pour une écologie des milieux habités, Genève, Métis Presses, 528 p.

De Guillebon M., 2016, Vers une pratique du réemploi en architecture : Expérimentations, outils, approches, Thèse de doctorat en architecture, École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, 476 p.

Fernandez M., Blanquart C., Niérat P. et Verdeil E., 2019, « Renouvellement urbain et optimisation du métabolisme : une équation complexe », Flux, n°116-117, 58-73.

Gateau-Leblanc N. et Paris R., 2004, « Économie du renouvellement urbain », Les annales de la recherche urbaine, n°97, 17-22.

Ghyoot M., Devlieger L., Billiet L. et Warnier A. ,Rotor, 2018, Déconstruction et réemploi. Comment faire circuler les éléments de construction, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 232 p.

Grisot S., 2021, Manifeste pour un urbanisme circulaire : pour des alternatives concrètes à l’étalement de la ville, Rennes, Éditions Apogée, 235 p.

Halleux J-M. et Lambotte J-M., 2008, « Reconstruire la ville sur la ville. Le recyclage et le renouvellement des espaces dégradés. », Territoire(s) wallon(s), n°2, 7-22.

Idt J., 2017, « La part prépondérante des petits opérateurs en tissu existant », La revue foncière, n°17, 26-30.

Lacaze J.-P., 1990, Les méthodes de l’urbanisme, Paris, PUF, 127 p.

Mongeard L., 2017, Des gravats dans la ville. Pour une approche matérielle de la démolition. Thèse de doctorat en géographie, aménagement et urbanisme, Université Lumière Lyon 2, 542 p.

Orban A., Sanchez Trenado C. et Vanin F., 2021, « À qui profitent les activités productives ? Analyse du cas de Cureghem », Brussels studies, en ligne.

Veschambre V., 2005, « Le recyclage urbain, entre démolition et patrimonialisation : enjeux d’appropriation symbolique de l’espace. Réflexions à partir de quatre villes de l’Ouest », Norois, n°195, en ligne.

Photo de couverture : le quartier Manhattan à Bruxelles en chantier (A. Bastin, 2021)

  1. Le secteur de la construction est responsable d’environ 35 % des déchets produits au sein de l’Union Européenne et d’environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre (données de la Commission Européenne). []

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