Appel #7 / La ville bling-bling

L’appel #7 au format PDF

Depuis quelques semaines, un couple d’inconnus récemment installés à Beverly Hills, les Yotta, attire une attention chaque jour croissante. Luxe, bruit et volupté : leur style de vie racoleur a même désormais un nom, la Yotta Life1, nouvel avatar urbain du bling-bling dans des villes où l’on peine à dire que tout n’est qu’ordre et beauté.

Dans son #7, la revue Urbanités a décidé d’explorer ces espaces urbains du bling-bling. La richesse d’une ville, de ses habitants et les marqueurs de cette richesse sont au cœur de ce numéro, afin d’essayer d’en comprendre les mécanismes, les processus et les conséquences.

Le terme « bling-bling »2 n’est en aucun cas un terme de géographie. Il est issu du hip-hop et désigne en premier lieu le style vestimentaire ostentatoire et le mode de vie excessif de certaines stars du hip-hop. Popularisé par la chanson « Bling-bling » de B.G., le terme fait avant tout référence au bruit des chaînes en or (ou pas) des rappeurs. En France, le terme est irrémédiablement attaché au style de Nicolas Sarkozy depuis la campagne présidentielle de 2007, fustigeant sa montre en or et ses lunettes de soleil de grande marque (Alén Garabato, 2013). Selon nous, le terme bling-bling peut aujourd’hui se révéler particulièrement pertinent pour appréhender et comprendre certains phénomènes urbains et mieux cerner la fabrique de la ville tapageuse.

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La ville, une vitrine du bling-bling ?

Si l’on prend pour origine le hip-hop, le bling-bling est avant tout ce que l’on voit, ce qui est clinquant, ce qui fait du bruit, voire a un parfum de scandale et une splendeur tapageuse qui a de la valeur, souvent monétaire. Dans les villes, il est alors intéressant de s’interroger sur la visibilité spatiale du bling-bling, à savoir l’exposition urbaine de la richesse. La ville apparaît comme un lieu privilégié de cette exposition, au travers des vitrines commerciales par exemple, notamment celles des magasins de luxe : l’avenue Montaigne à Paris, la 5ème avenue à New York. Au-delà de la géographie de la rue, commerçante mais pas seulement, la géographie commerciale, notamment les stratégies urbaines des firmes du luxe peuvent s’avérer particulièrement révélatrices de la géographie mondiale de la richesse. Le choix d’une ville plutôt qu’une autre, le choix d’un centre urbain plutôt que d’une grande surface sont tout autant de stratégies à étudier. Chacune d’elle produit un type d’urbain que nous souhaiterions voir analysé, éphémère ou pérenne, à l’accès souvent restreint quand il n’est pas complètement privatisé et que l’expression d’« urbanisme de club » pourrait résumer. À l’image de la géographie du commerce, les grands évènements liés aux secteurs du luxe nous semblent être des signes à la fois spatiaux et temporels du bling-bling : les fashion weeks de Paris, New York ou encore Milan, ou encore les festivals de cinéma cannois ou vénitiens.

De la vitrine commerciale à la vitrine de papier glacé, il n’y alors qu’un pas, mais il nous semble particulièrement cohérent. Dans un article de Libération paru en octobre 2015, Francine Barthe-Deloizy et Jérôme Tadié, montrent une redondance de lieux « spots » (la plage, le tapis rouge, la sortie d’un magasin) et de villes phares : les villes de la Côte d’Azur, les villes du sud californien. Cette mise en scène bling-bling de l’espace, aussi bien d’un point de vue photographique ou marketing apparaît comme un véritable vecteur de représentations géographiques stéréotypées et mondialisées. Si la question de la visibilité du bling-bling apparaît primordiale, il nous semble tout aussi important de la questionner. La sociologie urbaine, notamment les recherches de Michel Pinçon et de Monique Pinçon-Charlot, mettent également en évidence les traditions du secret et de la richesse cachée des quartiers de l’ouest parisien (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2010). Des clubs du bois de Boulogne aux entrées feutrées de certains restaurants ou des grands hôtels, tous les territoires de la richesse, symboles du bling-bling, ne sont pas accessibles à tous, comme le montre également Nicolas Jounin dans son Voyage de classes (Jounin, 2014). Etre vu tout en restant inaccessible et sélectif semble être la grande contradiction de la visibilité du bling-bling et est un élément historique, sociologique et géographique particulièrement passionnant à interroger.

Certaines villes et espaces urbains reviennent déjà sur le devant de la scène : Paris, New York, Moscou, Beyrouth, Los Angeles et certains littoraux aux eaux chaudes. Capitales de la mode, capitales du cinéma, capitales de la richesse ?

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Un terrain de jeu urbain

Peu de villes semblent être les élues du bling-bling et cela s’explique par les mécanismes urbains, immobiliers et financiers qui sous tendent leur existence. Au-delà des vitrines et des pratiques des citadins les plus fortunés, les stratégies de constitution, de fonctionnement et de maintien de la richesse en ville nous semblent intimement liés au thème de la ville bling-bling. Si l’importance de certaines villes comme Paris, New York ou Londres s’explique par leur rôle politique et économique acquis depuis plusieurs siècles, la montée en puissance de certaines métropoles ces dernières années, à l’image de Dubaï ou Shanghai, apparaît comme un phénomène urbain et économique au centre des enjeux de la ville bling-bling. Les mécanismes financiers et fonciers, liés aux enjeux néolibéraux, peuvent expliquer l’érection de quartiers ou de villes créées de toute pièce comme Dubai ou la réapparition de certaines villes dans le classement des villes les plus chères du monde, comme Moscou. L’évolution des processus fonciers et immobiliers, le rôle de certains promoteurs de luxe, en lien avec la financiarisation de plus en plus puissante de la production urbaine, mais aussi la transformation – parfois radicale – de certains paysages urbains, sont à nos yeux des manifestations de la ville bling-bling. Ces stratégies ne sont pas propres aux nouvelles venues sur la scène bling-bling puisque l’évolution architecturale de certains quartiers, comme la City de Londres devenue un terrain de jeu réinvesti par les grands noms de l’architecture mondiale, est tout aussi intéressante. À l’inverse, les difficultés de certains architectes à faire évoluer le paysage architectural et urbain de Paris nous semblent être un exemple tout aussi révélateur de stratégies spatiales différentiées du bling-bling.

À chaque ville son bling-bling ? Une géographie mondiale des villes bling-bling peut laisser entrevoir une spécialisation des villes. Dubai serait la ville de la spéculation immobilière, Londres la capitale de la finance. Dans le même ordre d’idées, certaines villes semblent avoir joué sur des credo encore plus précis, comme Las Vegas, capitale mondiale du casino et du jeu. Ainsi, les lieux du tourisme bling-bling sont tout aussi révélateurs que les lieux du quotidien, à l’image de Monaco ou encore d’Ibiza.

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Des territoires de l’entre soi ?

Si les formes urbaines du bling-bling les plus visibles sont marquées par la verticalisation des villes et des paysages urbains, il apparaît que la ville bling-bling est tout autant la ville de l’ostentatoire que de l’entre soi. La verticalisation est une réalité urbaine, mais elle n’est pas la seule. Les processus urbains de renfermement, sociaux et économiques avant tout, donnent naissance à des quartiers de riches, voire très riches, les fameuses gated communities, dupliquées aujourd’hui dans le monde entier. Les phénomènes urbains fonciers et financiers font apparaître des territoires fortement marqués par la ségrégation. Les très riches vivent très rarement aux côtés des pauvres et l’accroissement des écarts de richesse apparaît aujourd’hui comme un processus de sélection urbaine très fort. La question des parcours sociaux, économiques et géographiques des habitants des gated communities et des quartiers dits « riches » peuvent être de bons baromètres pour comprendre la constitution et l’existence des quartiers de l’entre soi bling-bling. Plus largement, le phénomène a priori inverse du bling-bling, la gentrification, dont les pratiques et les codes semblent rejeter les signes ostentatoires de la richesse traditionnelle en réinvestissant des quartiers anciennement ouvriers par exemple, peut apparaître comme un objet d’étude comparée riche de sens.

De l’ostentatoire à l’entre soi en passant par le marché foncier et immobilier de la ville bling-bling, ce nouveau numéro d’Urbanités nous apparaît comme une occasion d’explorer les territoires urbains de la richesse sous des angles à la fois géographiques, sociaux, historiques, ethnologiques et architecturaux.

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Bibliographie indicative

Alén Garabto C., 2013, « Bling-bling, Du hip-hop aux dictionnaires, en passant par les médias », Mots. Les langages du politique, 1/2013, n°101, 81-96.

Jounin N., 2014, Voyage de classes, Paris, La Découverte, 248 p.

Pinçon M. & Pinçon-Charlot M., 2010, Les ghettos du gotha : au cœur de la grande bourgeoisie, Paris, Points, 337 p.

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Modalités de soumission

La proposition comprendra un résumé d’une page maximum (notes comprises, Times New Roman 12, interligne normal). Elle devra énoncer une problématique de recherche claire, ainsi que les axes que l’article abordera s’il est retenu. Elle précisera les nom, prénom, statut et email de l’auteur. La date limite de soumission des propositions est le 8 décembre 2015.

Elle est à renvoyer à l’adresse suivante : revue.urbanites@gmail.com

Rédactrices en chef du #7 : Charlotte Ruggeri (charlotte.ruggeri@revue-urbanites.fr) et Flaminia Paddeu (flaminia.paddeu@revue-urbanites.fr)

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Calendrier prévisionnel

Retour des propositions : 8 décembre 2015

Acceptation du comité de rédaction : 10 décembre 2015

Retour des articles complets : 10 février 2016

Publication du numéro : Mai 2016

  1. Voir l’article du Los Angeles Times sur les Yotta et Beverly Hills de Steve Lopez du 4 octobre 2015. []
  2. Le terme fait son entrée dans le dictionnaire Le Petit Robert en 2010. []

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