Appel #8 / La ville indigne
Le nouveau camp construit à Calais par les pouvoirs publics pour progressivement éradiquer la tristement célèbre jungle était censé améliorer sensiblement les conditions de vie des migrants vivant ou errant dans les alentours. Cependant, de nombreux récits viennent rappeler que la plupart des habitations temporaires du nouveau camp n’ont pas d’accès à l’eau, et sont concentrées dans un espace délimité par des barbelés qui soulignent une frontière urbaine. À sa manière, ce camp témoigne d’un processus, celui de l’émergence d’une forme de ville indigne, marquée par l’insalubrité, l’exclusion, les problèmes d’hygiène et une faible considération pour les conditions de vie des habitants. Il y a près de cinquante ans, Ali Ghalem mettait en scène dans son film Mektoub ? la déception de migrants devant vivre dans des conditions plus que précaires dans le bidonville de Nanterre (1969). Ces images d’une urbanité dégradée qu’on pensait révolues dans les villes européennes sont de plus en plus réactivées, et un certain nombre de transformations urbaines récentes viennent contredire l’espoir d’un effacement de l’indignité en ville. Pour son numéro #8, la revue Urbanités a décidé de s’intéresser à la question de la ville indigne dans le contexte qui semblait le plus incongru à sa réapparition ou à son expansion, le contexte européen. Nous attendons donc principalement des contributions sur des cas européens, même si des comparaisons avec d’autres contextes sont tout à fait envisageables.
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La ville indigne, un « problème » urbain
Comprendre le fonctionnement de la ville indigne, c’est d’abord en donner des contours définitionnels. De la courée du Nord à la chambre de bonne sans fenêtre ou sans pièce d’eau en passant par le camp de Rom, la ville indigne a ses marqueurs à différentes échelles, de l’immeuble au quartier, où l’insalubrité le dispute à l’exclusion. La ville indigne est souvent cachée, à l’écart de la ville « classique », marginalisée car elle représente une urbanité considérée régulièrement comme moralement inacceptable, et donc socialement trop peu montrable. Elle est cette ville des coulisses, complément souvent nécessaire au fonctionnement urbain général, mais dont les habitants pâtissent de conditions de vie notoirement dégradées, et qui est finalement thématisée comme un « problème » urbain, à la fois toléré et répudié.
Nous souhaiterions susciter des réflexions sur les lieux de cette indignité urbaine : quels sont-ils, quelles évolutions ont-ils connu ? Comment ces espaces sont-ils traités ou ignorés par les politiques publiques ? La question de la ville indigne est souvent abordée par l’angle de l’habitat, qui a fait l’objet de nombreux programmes et de politiques publiques (résorption de l’habitat insalubre ou indigne), et donc d’une appropriation de ces objets par divers acteurs urbains. C’est dans ce cadre qu’on a d’ailleurs vu se développer une réglementation de l’indignité, qui serait un stade ultime de dégradation après l’inconfort et le logement indécent. Nous aimerions accueillir des contributions qui interrogent cette production des catégories de l’indignité, pour comprendre par qui une ville, un quartier, un immeuble peuvent être qualifiés d’indigne, selon quels critères et au nom de quelle vision de l’urbain.
Nous attendons des contributions aussi bien sur les programmes et projets anciens et récents de traitement de l’insalubrité et du logement indigne que sur des acteurs en charge de ce traitement (mairies, aménageurs, associations, etc.), ainsi que sur les mécanismes de production des nouveaux lieux de l’indignité urbaine. Parmi ces mécanismes, nous souhaiterions mettre en particulier en avant les processus de production de bidonvilles ou de camps de toutes sortes, en soulignant le rôle des différents acteurs participant à la production de ce type d’urbanité. En creux, cela permettrait d’arriver à dessiner un portrait en miroir des nouveaux exclus urbains (camps de migrants, camps de Roms).
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Sociabilités, solidarités et temporalités de la ville indigne
La ville indigne est non seulement un processus de transformation des urbanités à l’œuvre, mais aussi une réalité bien concrète. Elle appelle une analyse fine des conditions de vie qui y prévalent. Comment vit-on ou survit-on dans la ville indigne ? Quels sont les mécanismes de fonctionnement urbain et de régulation qui se mettent en place dans ces espaces de relégation ? Nous voudrions mettre l’accent sur les sociabilités qui peuvent se créer au sein de ces espaces. Sont-elles similaires et comparables aux « quartiers sas » (Simon, 1998) où ont historiquement transité les migrants dans les espaces d’arrivée ou voit-on émerger de nouvelles formes d’organisation sociale et urbaine ? Nous serions intéressés par des travaux portant sur le quotidien de ces espaces, la reproduction éventuelle de schémas sociologiques connus ou la création de nouveaux rapports de force ou de formes de solidarité.
Certains avatars de cette ville indigne, le camp ou le bidonville, sont également associés à des aménagements transitoires et à une catégorie de développement urbain caractérisé par l’éphémère. Comment solidarités et sociabilités urbaines prennent-elles forme dans un contexte marqué par le transitoire et l’inconfortable ?
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Conflits et revendications : de la ville indigne à la ville des indignés ?
Cette ville indigne est également un lieu de crispations et de conflits, parfois entre les habitants concernés qui rivalisent sur le terrain du plus indigne, mais également avec leurs riverains, ou les différentes institutions en charge de la gestion des phénomènes d’indignité urbaine. Il serait donc également intéressant d’avoir des contributions traitant de ces conflits.
À ce titre, la ville indigne est-elle aussi un lieu de mobilisation ? De récents mouvements (comme celui des No Borders, ou, il y a quelques années, celui des Enfants de Don Quichotte) se sont revendiqués comme les porte-paroles des urbains frappés d’indignité. Ils ont développé des actions aux modalités variées, parfois violentes, et visant à redonner à ces espaces et à ces habitants une visibilité qui leur était déniée. Le rapport qu’ils entretiennent avec ces populations n’est pas dénué d’ambiguïtés qui mériteraient d’être analysées. Des propositions cherchant à décrypter les types d’action utilisés, comme le squat ou le happening urbain, seraient tout à fait appropriées.
Se développe de façon générale toute une série d’actions de mobilisations autour de l’indignité en ville, qui reposent à leur manière la question démocratique urbaine. Nombreuses sont les initiatives qui plaident pour un accès à une citoyenneté matérielle, qui ne se limite pas au simple exercice du droit de vote, mais passe par un accès correct aux services essentiels (Chatterjee, 2004). Nous attendons des contributions cherchant à analyser la question de l’indignité par le double prisme de luttes pour un droit à la dignité urbaine et de revendications démocratiques.
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Bibliographie indicative
Chatterjee, P., 2004, The Politics of the Governed : Reflections on Popular Politics in Most of the World, Columbia University Press, New York, 200 p.
Simon, P., 1998, « Le logement et l’intégration des immigrés », in M. Segeaud, C. Bonvalet et J. Brun (éds.), Logement et habitat : l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 327-335.
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Modalités de soumission
La proposition comprendra un résumé d’une page maximum (notes comprises, Times New Roman 12, interligne simple). Elle devra énoncer une problématique de recherche claire, ainsi que les axes que l’article abordera s’il est retenu. Elle précisera les nom, prénom, statut et email de l’auteur. La date limite de soumission des propositions est le 30 mai 2016.
Elle est à renvoyer à l’adresse suivante : contact AT revue-urbanites DOT fr
Rédacteurs en chef du #8 : Daniel Florentin (daniel.florentin@revue-urbanites.fr,) et Léo Kloeckner (leo.kloeckner@revue-urbanites.fr)
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Calendrier prévisionnel
Retour des propositions : 30 mai 2016
Acceptation du comité de rédaction : Mi juin 2016
Première version de l’article : 1er septembre 2016
Publication : Janvier 2017
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Image de couverture : Entre camp de fortune et nouveau camp à Calais, deux figures de la ville indigne (Tessier, 2016)