Brésil / Coupe du monde et Jeux olympiques à Rio de Janeiro : quel « legs urbain » ?
Henrique Barandier
–
–
L’article d’Henrique Barandier au format PDF
À la veille de la Coupe du Monde, le « pays du football » faisait la course contre la montre pour finir à temps – au moins – les stades (maintenant appelés « arénas ») afin d’y accueillir les matchs du tournoi.
En dépit de toutes les critiques, le Ministre des Sports du Brésil célébrait, dans un article de journal récent, « le passage d’un ouragan développementiste » dû à la Coupe du Monde. Le Ministre a souligné les investissements publics et privés de 25 milliards de Reais (environ 7,5 milliards d’euros), même s’il n’a pas présenté en détail le montant octroyé à chaque secteur. Il s’est aussi montré optimiste quant aux retombées pour l’économie nationale, qui se chiffreraient en milliards de dollars. Cependant, le Ministre n’a fait aucune référence à ce que ces investissements, liés en grande partie à des travaux architecturaux ou urbains, représentent pour l’espace urbain, que ce soit à l’échelle des quartiers ou des métropoles.
La question urbaine est essentielle, parce que la rhétorique officielle développementiste ne se traduira pas forcément par une meilleure qualité urbaine ou par des villes plus équitables. En prenant l’exemple de Rio de Janeiro, on peut dire que certains des plus grands désastres urbanistiques de l’histoire de la ville ont été précisément produits dans des périodes développementistes.
La ville de Rio de Janeiro semble d’ailleurs mériter une attention particulière pour étudier l’impact des interventions urbaines liées aux grands événements sportifs. En plus d’être la ville de la finale de la Coupe du Monde 2014, la ville a déjà été le siège des Jeux Panaméricains en 2007 et sera aussi, en 2016, la ville-hôte des Jeux Olympiques.
Quelles sont les interventions urbaines annoncées comme « legs urbain » des événements sportifs à Rio de Janeiro ? Comment se distribuent-elles dans la ville ? Contribuent-elles à réduire les inégalités spatiales qui caractérisent les grandes villes brésiliennes et qui sont historiquement constitutives de Rio de Janeiro ? Produisent-elles des espaces urbains de bonne qualité et accessibles à toutes les couches sociales ?
Dans le but de donner un aperçu des actions clés en cours à Rio de Janeiro, cet article est structuré en trois points: la première présente une synthèse de la structure urbaine de Rio de Janeiro ; la deuxième montre l’émergence des grands événements sportifs dans l’agenda municipal depuis les années 90 et indique les principales interventions projetées ; la troisième partie met en évidence certains dilemmes autour de ce processus de transformation urbaine: la construction d’installations sportives et leur utilisation future, la concentration des investissements dans certaines zones, la vertigineuse valorisation du foncier et de l’immobilier, et la radicalisation de la ségrégation urbaine.
————–
Rio de Janeiro: inégalités territoriales et tendances actuelles
Mondialement connue pour ses beautés naturelles, ses plages, son carnaval, le football entre autres attractions de la « ville merveilleuse », la ville de Rio de Janeiro est fortement marquée par les inégalités des conditions de vie urbaine.
——————
————–
————–
Les inégalités territoriales de Rio de Janeiro, ainsi que des villes brésiliennes en général, sont exprimées par l’informalité urbaine qui est le fruit d’un processus d’urbanisation qui, d’aprés Maricato (2000, p.155), « ségrège et exclut ». Lors de la période d’urbanisation accélérée du Brésil, vers le milieu du XXème siècle, les villes n’ont pas su créer des conditions de logement adéquates pour l’énorme contingent de population rurale qui migrait vers les centres urbains. Actuellement, alors que la croissance de la population tend à se stabiliser dans les grandes métropoles, l’informalité reste un phénomène grandissant, renforçant ainsi l’exclusion urbaine au Brésil.
À Rio de Janeiro, les favelas constituent la face la plus visible de l’informalité, qui se présente également sous d’autres formes, comme notamment les lotissements clandestins dans la zone ouest de la ville. Les caractéristiques communes sont la précarité des infrastructures installées, l’auto-construction des logements et, bien sûr, l’occupation d’espaces à l’environnement fragile. Selon le Recensement Démographique de l’IBGE1 de 2010, plus de 20% de la population de Rio de Janeiro vit dans des favelas, une proportion qui ne cesse d’augmenter à chaque décennie.
—————
————–
Malgré une croissance de la population relativement faible au cours des dernières décennies, on observe, parallèlement à la croissance de l’informalité urbaine, un autre phénomène important pour la compréhension de la dynamique urbaine actuelle de Rio de Janeiro: l’expansion, significative, du parc immobilier résidentiel – formelle et informelle – en direction de la zone ouest. Dans l’analyse d’Andrade (2009, p.4) cependant « la ville ne croît pas, elle se déplace ». L’auteur attire l’attention sur le mouvement intérieur de la population de Rio de Janeiro, qui au cours des trente dernières années, tend à quitter les quartiers plus anciennement urbanisés avec une meilleure infrastructure, pour aller vers des régions jusque-là peu ou pas occupées.
—————
————
Le mouvement vers l’ouest du territoire suit deux directions distinctes. L’une le long de la côte, rendue possible par « l’invention » de Barra da Tijuca à la fin des années 19602, et l’autre derrière les grands massifs qui encadrent le paysage de Rio. La première concentre des familles à plus fort pouvoir d’achat, venues des quartiers traditionnels des zones sud et nord (Copacabana, Ipanema, Leblon, Tijuca entre autres) où s’étaient installées les élites pendant la première moitié du XXème siècle, ou bien de certains quartiers de la banlieue3, d’où partent des familles des classes émergentes allant vers de nouveaux quartiers en construction. L’autre direction de l’urbanisation dans la zone ouest, derrière les collines, est essentiellement populaire et en grande partie basée sur la prolifération de lotissements clandestins ou irréguliers.
————–
————–
La décision de promouvoir l’occupation de la Baixada de Jacarepaguá, où est situé le quartier de Barra da Tijuca, fut déterminante dans le processus de restructuration de la ville de Rio de Janeiro au cours de ces dernières décennies. L’occupation de cette région, qui jusqu’alors était presque sauvage du fait de ses qualités environnementales, attire maintenant un apport d’investissements publics de plus en plus importants, ainsi qu’un fort développement du marché immobilier formel.
————–
—————
De cette façon, la dynamique urbaine récente de Rio est caractérisée par la dispersion de son urbanisation. Le départ des populations des quartiers les plus anciens a eu par ailleurs des effets différents selon leur localisation. Les quartiers de la zone sud, proche des plages, sont de plus en plus valorisés, tandis que les quartiers de la zone nord et de la banlieue, dans leur grande majorité, ont subi des processus de détérioration.
Ce processus a pour conséquence la consolidation d’une immense étendue de territoire, qui traverse les banlieues en direction de la zone ouest, laquelle est marquée par la présence de quartiers précaires, et parallèlement, par une tendance à la concentration de familles aisées dans quelques quartiers, dans la zone sud comme sur l’extension de l’occupation du littoral poussée par l’urbanisation de Barra da Tijuca.
—————
—————
————–
Le 1er janvier 2013, le journal O Globo publiait en première page la manchette « Rio dans l’âge d’or », faisant référence à l’arrivée de l’année où se réaliserait la Coupe des Confédérations, un événement test pour la Coupe du Monde qui aurait lieu l’année suivante. Ce message optimiste donnait le signal que la ville entrerait dans une nouvelle ère, vertueuse, de grandes transformations, avec davantage de « raisons de sourire » comme annonçait le thème de cette édition de la traditionnelle fête réalisée sur la plage de Copacabana pour célébrer le début de chaque nouvelle année. La vision du journal suggérait que Rio de Janeiro entrait dans une période de grand changement, dans laquelle la ville qui, il y a encore peu de temps, était associée à l’image des favelas, du trafic de drogues et de la violence, deviendrait une ville renouvelée, pacifiée et protagoniste du circuit international du tourisme et des affaires. Mais est-ce que ces transformations urbaines, notamment celles annoncées comme les « legs » des grands événements sportifs, permettent vraiment d’entrevoir ce scénario si positif ?
—————–
Les grands événements sportifs et les interventions urbaines à Rio de Janeiro
Dans le processus de redémocratisation du Brésil des années 1980, les mouvements sociaux, les universités, des ONG et des organismes professionnels se sont fédérés autour de la lutte pour la réforme urbaine, entrainant l’insertion dans la Constitution Fédérale de 1988, de dispositifs visant à baliser la politique urbaine dans le pays : la fonction sociale de la ville et de la propriété urbaine, l’utilisation obligatoire des immeubles vides ou sous-utilisés dans des zones urbaines bien desservies par des infrastructures, et la régularisation foncière d’intérêt social4. L’incorporation de tels principes au texte constitutionnel représentait une avancée significative dans l’affirmation du droit à la ville et du droit au logement au Brésil.
Cependant, l’ascension des idéaux néolibéraux dans le contexte brésilien des années 1990 a introduit un autre agenda pour les villes, se superposant à celui qui était préconisé par le mouvement de la réforme urbaine. Au même moment émergeait le discours sur l’insertion des villes dans le circuit des « villes globales », la planification stratégique, les partenariats public-privés, la « flexibilisation » de la législation urbanistique et, à Rio de Janeiro tout particulièrement et de manière accentuée, le discours sur le combat contre le « désordre urbain ».
Clairement, s’opposaient deux modèles de planification. L’un cherchait l’affirmation des droits sociaux et préconisait un renforcement de la réglementation urbaine par l’Etat, moyennant la révision de la législation urbanistique et l’intensification du contrôle social lors de la mise en application de la politique urbaine. L’autre revendiquait des normes urbanistiques souples, la régulation de l’urbain par le marché et la mise en œuvre de grands projets urbains pour attirer les investisseurs internationaux. Si au début des années 2000, avec l’approbation du Statut de la Ville5 et toutes les avancées dans le cadre juridico-institutionnel brésilien, le premier modèle semblait se renforcer, il redevient fragile dans la seconde moitié de cette décennie, par une nouvelle poussée de développement et la perspective des grands événements sportifs internationaux dans le pays.
Dans la vague néolibérale de la dernière décennie du XXème siècle, la ville de Rio de Janeiro a présenté sa candidature pour accueillir les Jeux Olympiques de 2004. Malgré la défaite, cette candidature a introduit dans le contexte local l’idée de grands événements comme des occasions pour permettre des investissements en infrastructure urbaine et pour promouvoir l’image positive de la ville et du pays. La réalisation de grands événements internationaux devenait un objectif, voire une obsession, des gouverneurs de Rio de Janeiro. Et en 2009, lors de sa troisième candidature, finalement, la ville a été choisie comme hôte des Jeux Olympiques de 2016.
Les promesses des grandes transformations urbaines à partir de la réalisation de méga-événements dans la ville pouvaient, enfin, devenir réelles, car trois d’entre eux auraient lieu en moins de dix ans: les Jeux Panaméricains (2007), la Coupe du Monde de Football (2014) et les Jeux Olympiques (2016). Dans le but de fournir les éléments pour une vue d’ensemble de ce que représente, d’un point de vue urbanistique, l’impact de tels événements, les principales actions réalisées ou en cours d’exécution dans la préparation de chaque événement sont identifiées ci-dessous, et brièvement commentées.
————
Jeux Panaméricains (2007)
La réalisation des Jeux Panaméricains n’a pas requis d’interventions significatives sur les infrastructures de la ville, mais elle confirmait déjà que, dans le projet d’en faire la scène d’événements sportifs successifs, Barra da Tijuca serait le lieu privilégié des investissements.
Outre de nombreuses installations sportives, c’est dans ce quartier que la « Vila do Pan » (Village des Athlètes) a été construite, faisant ainsi de lui le centre de cet événement. Pour l’aboutissement de ce projet, l’articulation entre action publique et intérêts privés indique la logique qui orienterait désormais les grandes opérations immobilières de la ville, qu’elles soient ou non liées aux événements sportifs. Veríssimo (2011) explique quelques mécanismes utilisés dans ce supposé partenariat public-privé où le privé a obtenu des bénéfices extraordinaires. D’abord, l’augmentation du potentiel constructif du terrain, en raison de changements successifs dans la législation urbanistique, a entrainé l’accroissement de sa valeur sur le marché. Ensuite, les pouvoirs publics ont fait des investissements sur les infrastructures qui normalement sont à la charge de l’entrepreneur. De plus, le gouvernement fédéral a offert une ligne de financement spécifique pour cette entreprise, plus favorable que celles alors existantes. Outre les facilités offertes au développement lui-même, l’action publique favorisait également le marché qui, depuis longtemps, concentrait déjà sur la région de Barra da Tijuca la production formelle d’habitations invariablement destinées aux classes à moyens et hauts revenus.
Parmi les installations sportives, la plus importante fut la construction du Stade Olympique João Havelange, plus connu sous le nom de « Engenhão ». Situé dans un quartier de la banlieue de Rio de Janeiro, il aurait pu représenter un levier pour des aménagements locaux, mais il n’a pas été intégré à un projet urbain plus ample. L’intervention s’est pratiquement limitée à la construction de l’équipement sportif. Toutefois, malgré les difficultés d’accès reconnues pour les supporters les jours de match, le stade joue un rôle considérable pour la ville, qui avait besoin d’un autre stade de grande taille comme alternative au Maracanã. Néanmoins, le stade a été fermé au début de l’année 2013, suite à des rapports d’ingénierie indiquant la possibilité d’effondrement d’une partie de la toiture en cas de vents forts.
La date de réouverture n’étant toujours pas déterminée (plus d’un an après), cet épisode a animé le débat autour des coûts et de la qualité des travaux réalisés pour les événements sportifs et, dans une plus large mesure, des travaux publics au Brésil. Indépendamment des responsabilités engagées dans cet incident, le fait est que, seulement six ans plus tard, le principal « legs » des Jeux Panaméricains est fermé en raison de failles dans sa construction.
—————
Coupe du Monde FIFA (2014)
D’après le Portail de la Transparence, site du gouvernement fédéral du Brésil, les investissements pour la réalisation de la Coupe du Monde 2014 s’élèvent à plus de 23 milliards de Reais (près de 7,3 milliards d’euros), et environ 94% de ce montant est destiné à des actions relatives aux aéroports, aux stades et à la mobilité urbaine6.
Parmi ces trois catégories, celle qui représenterait effectivement le plus grand legs pour les villes hôtes serait celle qui réunit les actions de mobilité urbaine, un problème critique des villes brésiliennes, particulièrement des grandes métropoles. On pourrait dire que seule la réalisation d’événements de cette magnitude apporterait des améliorations considérables qui bénéficieraient à l’ensemble de la population.
Cependant, une grande partie des actions de mobilité urbaine prévues n’ont pas été exécutées jusqu’au début du Mondial7. Outre les problèmes d’exécution des travaux, les interventions de mobilité urbaine, si elles sont achevées, sont discutables, car elles ne sont pas articulées à des politiques d’inclusion territoriale qui permettent à la fois d’améliorer les conditions générales de circulation et de réduire les inégalités dans les villes.
Dans le cas de Rio de Janeiro, ce qui apparaît comme action de mobilité est l’implantation d’une ligne de BRT (Bus Rapid Transit). Cependant, celle-ci s’inscrit, comme on le verra ci-après, dans l’ensemble des autres actions prévues pour les Jeux Olympiques. Cela étant, la principale action découlant de la réalisation de la Coupe du Monde spécifiquement était la rénovation controversée du Stade de Maracanã. En réalité, plus qu’une rénovation, c’est pratiquement une reconstruction du stade qui fut réalisée, ce qui a nécessité un apport considérable de ressources publiques, tant par la magnitude de l’intervention que par les modifications du projet survenues en cours d’exécution des travaux.
Totalement rénové, le stade est devenu « plus petit », et sa capacité, qui était auparavant de plus de 100 000 personnes, a été réduite à moins de 80 000 spectateurs. Définitivement, le Maracanã a perdu le titre de « plus grand stade du monde » qu’il affichait depuis sa construction, justement pour la Coupe du Monde de 1950, également au Brésil. Durant les travaux, de nombreuses polémiques ont eu lieu, telles que la démolition et la reconstruction des gradins, avec la suppression des sièges inférieurs, ce qui changeait intérieurement la configuration originale du stade8 ; et la démolition de la grande marquise en béton, remplacée par une nouvelle toiture en membrane tendue.
En dépit des controverses concernant le projet de rénovation exécuté, le plus grand problème de cette intervention ne concerne pas sa forme architecturale elle-même. Le legs laissé à la ville de Rio est un stade dont la gestion a été transférée au secteur privé, ce qui, conformément à la prescription des nouvelles arènes, a quelques conséquences déjà connues, comme les billets d’entrée plus chers, la réduction du public et l’élitisme de l’occupation du stade, particulièrement lors des grands matchs qui attirent un plus fort intérêt de la part du public. Ce changement n’est pas apporté uniquement par la rénovation du stade, mais il est emblématique car il s’agissait d’un équipement vraiment populaire.
Encore une fois, comme ce fut le cas de l’Engenhão, l’investissement des ressources concentré dans un équipement n’a pas été accompagné d’un projet urbain de plus grande envergure, qui aurait pu au moins apporter des améliorations aux quartiers voisins.
————
Jeux Olympiques (2016)
Les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro en 2016 se dérouleront dans quatre grandes régions, nommées par l’organisation « régions olympiques » : Barra, Copacabana, Maracanã et Deodoro.
————-
—————
Cependant, comme en 2007, les principaux projets olympiques pour 2016 seront également concentrés à Barra da Tijuca, mais cette fois associés aux actions de mobilité urbaine prévues dans le cadre des grands événements sportifs. Même si chacune des autres régions bénéficie d’investissements, dont d’éventuelles améliorations urbaines, les actions seront restreintes, car elles concernent surtout les installations sportives elles-mêmes.
Il y a trois projets majeurs, déjà en construction : le Parc Olympique, où se réaliseront différentes compétitions sportives, projet qui a été choisi sur concours international, le Village Olympique, où seront bâtis 31 immeubles résidentiels, avec 3 604 appartements, destinés à loger les athlètes et qui, après les événements, seront vendus et le Parc des Athlètes, grand parc destiné aux loisirs des athlètes9 durant les Jeux.
Ces trois projets se juxtaposent, dans une configuration où le Parc des Athlètes se situe entre le Parc Olympique et le Village des Athlètes. Autrement dit, les deux surfaces (gigantesques) qui après les Jeux seront affectées au marché auront, d’emblée, le bénéfice d’un grand parc, défini comme public. De plus, les infrastructures de voierie et de transports qui seront installées pendant la préparation de la ville aux Jeux Olympiques serviront opportunément ces entreprises, ainsi que des nouvelles qui viendront par la suite. Il est remarquable que le Village des Athlètes occupe 247 000 m2 d’une surface de 870 000 m2, dont l’occupation future est encore à définir, mais qui bénéficiera très probablement de la valorisation découlant de l’ensemble des actions concentrées sur cette région.
Les principaux travaux de mobilité en cours de réalisation, désignés par la Mairie de la Ville comme une « révolution des transports », consistent essentiellement dans l’installation de couloirs de BRT et dans l’extension du métro, le tout convergeant vers Barra da Tijuca10.
Les lignes de BRT sont les suivantes : l’une, appelée TransCarioca, qui fera la liaison entre Barra da Tijuca et l’Aéroport International, coupant transversalement la ville ; une autre, appelée TransOlímpica qui favorisera la liaison entre le pôle des compétitions de Barra da Tijuca et celui de Deodoro ; et encore une autre, la TransOeste, déjà mise en fonctionnement, faisant la liaison de Barra da Tijuca à la zone ouest, et qui profite à l’expansion du marché immobilier de la région de Barra da Tijuca.
Le système en projet des BRT prévoit enfin la « TransBrasil », ligne qui devra être implantée sur la grande Avenue Brasil Brasil, qui traverse de nombreux quartiers de la banlieue de Rio, faisant la liaison entre la ville de Rio de Janeiro et les communes de la Baixada Fluminense, dans la Région Métropolitaine, et entre le centre-ville et la zone ouest. C’est probablement la ligne la plus importante pour satisfaire les besoins actuels de la ville, car elle bénéficierait directement à un grand nombre de personnes dans leurs déplacements vers le centre de Rio de Janeiro. Et c’est encore cette ligne qui ferait la liaison entre les autres lignes. Toutefois, le BRT TransBrasil, qui au début fut annoncé comme faisant partie du legs des Jeux Olympiques, n’est plus intégré à l’ensemble des actions qui seront réalisées en vue de l’événement11 et il n’y a pas encore une date prévue pour son exécution.
L’autre grand ouvrage qui intègre l’héritage olympique est la ligne 4 du métro12. Bien que baptisée Ligne 4, dans une ville qui n’en a que deux, elle est l’extension de la Ligne 1, déjà saturée, et fait la liaison entre la Zone Sud et Barra da Tijuca. Le long des 16 kilomètres de ligne à implanter, cinq nouvelles stations sont prévues, toutes situées dans les quartiers les plus huppés de la ville.
—————-
Transformations urbaines et legs urbain pour la ville de Rio de Janeiro
Depuis juin 2013, lors de la Coupe des Confédérations, les critiques visant l’organisation de grands événements sportifs dans le pays se sont multipliées. Elles mettent en évidence des aspects tels que : les énormes dépenses publiques engagées dans l’organisation des événements sportifs ; les coûts élevés des rénovations ou constructions des stades ; les délogements forcés de familles à faible revenus, en rapport direct ou indirect avec les chantiers de la Coupe du Monde, et à Rio de Janeiro, avec ceux des Jeux Olympiques également ; le non achèvement, dans les délais, de plusieurs constructions prévues à l’origine et sous la responsabilité des villes hôtes ; et la forte augmentation des prix de l’immobilier dans les villes brésiliennes.
Toutes ces critiques viennent contredire le discours officiel, toujours flatteur, qui exalte les impacts positifs de ces événements sur l’économie, la circulation internationale de l’image du Brésil et, enfin, les legs qui seront laissés aux douze villes concernées13. Car d’un côté, les dépenses publiques engagées dans ces événements, contrairement au discours initial qui affirmait qu’elles seraient assumées par le secteur privé, sont une contradiction dans un pays avec tant de défaillances dans des domaines essentiels tels que la santé, l’éducation, le transport et le logement. De l’autre côté, les interventions programmées tendent, généralement, à favoriser les dynamiques du marché et non les changements structurants des conditions urbaines.
Dans le cas de Rio de Janeiro, ces questions prennent une dimension encore plus grande et plus complexe, en raison de la superposition des événements. A cela s’ajoute un contexte dans lequel les prises de décision sont inaccessibles à toute instance participative, et même le plan directeur de la ville, initiative du pouvoir exécutif municipal, approuvé en 2011, mentionne très superficiellement les grands événements sportifs et leur legs urbain.
Le dilemme qui s’impose dans une vision à court terme concerne l’utilisation future des équipements sportifs en cours de réalisation. Outre l’adaptation controversée du mythique stade de Maracanã au « modèle FIFA », dont la privatisation est déjà formalisée, la ville s’emploie à la construction des équipements nécessaires aux Jeux Olympiques, lesquels auront à l’avenir une utilisation encore incertaine. Dans l’expérience des Jeux Panaméricains, même si quelques installations ont été utilisées comme des centres d’entrainement d’athlètes, beaucoup d’autres ont connu des destins peu nobles, comme la sous-utilisation, ce qui sera possiblement le cas de certaines des installations qui sont en train d’être préparées, puisque de nombreux sports olympiques n’ont aucune tradition dans le pays, ou la cessation à l’initiative privée pour des activités non sportives, ce qui est discutable, et – cas extrême – l’interdiction du stade olympique (« Engenhão »).
Du point de vue urbanistique, et à plus long terme, les grandes opérations immobilières créées en vue de l’implantation du Parc Olympique et du Village Olympique ne représentent dans le futur aucun avantage important pour l’ensemble de la ville. Ces superficies seront appropriées sélectivement, selon les règles du marché, et renforceront ce vecteur d’expansion de la ville. En même temps, la convergence de toutes les lignes de transports en cours d’installation pour cette même région de Barra da Tijuca indique le choix évident de favoriser ce vecteur d’expansion de la ville et le renouvellement du marché de l’immobilier qui y est déjà actif.
Parallèlement, d’autres actions complètent le projet de ville qui est en marche. La grande opération urbaine appelée « Porto Maravilha » (Port Merveille), qui prévoit la rénovation de la zone portuaire de Rio de Janeiro, crée un espace destiné à l’implantation de nouveaux bâtiments commerciaux et résidentiels de haut niveau à côté du centre-ville. Le programme de logement du gouvernement fédéral « Minha Casa Minha Vida » (Ma Maison Ma Vie), à défaut des mécanismes que la Municipalité aurait pu adopter pour inciter l’occupation des aires urbaines sous-utilisées malgré l’infrastructure installée, encourage plutôt la construction de logements sociaux en marge de l’urbanisation, dans la zone ouest. Quant au programme de sécurité publique, structuré autour de la mise en place d’Unités de Police Pacificatrice dans les zones auparavant dominées par le trafic de drogues, il privilégie son intervention sur les territoires proches des plus nobles quartiers de la zone sud de Rio.
————–
————
Les actions en cours visant à préparer la ville pour la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques, avec les autres actions sans rapport direct avec les événements sportifs, dessinent comme héritage une accentuation de l’actuel cadre de dispersion de la ville, associé à l’informalité croissante, une ségrégation plus forte et la concentration des investissements dans les quartiers où vivent préférentiellement les familles à pouvoir d’achat plus fort. Face à ce tableau, il est nécessaire de commencer à réfléchir sur le Rio de Janeiro post-2016, lorsque la ville sera, au moins, libérée de sa condition de siège de grands événements sportifs, avec des conditions plus favorables pour penser son présent et son avenir.
Henrique Barandier
————
Henrique Barandier est architecte et urbaniste, doctorant en urbanisme au PROURB/UFRJ (Brésil) en accueil au LATTS/ENPC-CNRS-Université Paris-Est (France). Il travaille sur les thèmes de la planification urbaine au Brésil. Ses principaux centres d’intérêts sont l’analyse critique de projets urbains, les politiques urbaines et la législation urbaine dans le contexte brésilien et de la ville de Rio de Janeiro. Il est titulaire d’une bourse de doctorat par le CNPq et par la CAPES pour la période de réalisation de son stage à l’étranger.
————
Bibliographie
ANDRADE C.F., 2009, “Rio de Janeiro: urbanismo em tempos de retração”, Rio de Janeiro, Tese de Doutorado, PROURB/UFRJ.
HARVEY D., 2005, “A produção capitalista do espaço”, São Paulo : Annablume.
LEITÃO G., 1999, “A construção do Eldorado Urbano: O Plano Piloto da Barra da Tijuca e Baixada de Jacarepaguá – 1970/1988”, Niterói : EDUFF.
MAGALHÃES S., 2009, “O que queremos desenvolver: o Rio ou a Barra da Tijuca ?”, Folha de São Paulo, 29/9/2009, p.D-4.
MARICATO E., 2000, “As idéias fora do lugar e o lugar fora das idéias – Planejamento urbano no Brasil”, In : ARANTES, O.; VAINER, C.; MARICATO, E., A Cidade do Pensamento Único : desmanchando consensos, Petrópolis : Vozes, 2000, pp. 121-192.
REBELO A., 2014, “A passagem de um furacão desenvolvimentista”, http://www.copa2014.gov.br/pt-br/noticia/artigo-a-passagem-de-um-furacao-desenvolvimentista-por-aldo-rebelo (connexion le 27 mars 2014, à 10h51)
ROLNIK R., 2014, “Que legado a Copa do Mundo deixará para as nossas cidades” ?, https://raquelrolnik.wordpress.com/category/entrevistas/.
VERÍSSIMO A. A., 2011, “Vila do Pan – o retorno”. In: blog “à beira do urbanismo (http://abeiradourbanismo.blogspot.fr/2011/12/vila-do-pan-antonio-verissimo-desvenda.html)
————
- IBGE – Institut Brésilien de Géographie et Statistique. [↩]
- En 1969, est lancé le « Plan Directeur de la Baixada de Jacarepaguá », conçu par le célèbre urbaniste Lucio Costa, qui dans la décennie précédente avait coordonné le plan urbanistique de Brasília, nouvelle capitale fédérale. Suivant la tradition moderniste, ce plan proposait la construction d’une nouvelle ville sur des terres, à l’époque presque inoccupées. Barra da Tijuca, quartier symbole du « nouvel eldorado urbain » (Leitão, 1999) voit son occupation intensifiée à partir des années 1980, avec l’ouverture de l’autoroute qui la reliait à la zone sud de la ville. Cette nouvelle zone d’expansion urbaine de Rio de Janeiro privilégiait, dans le meilleur style corbuséen, l’utilisation de l’automobile, qui a permis le développement, sur un vaste territoire, d’une ville alors très dense. Ce processus, rendu possible par les travaux publics de voierie et par des modifications successives de la législation urbanistique, serait évidemment suivi d’une extraordinaire valorisation foncière capturée par le marché de l’immobilier, lequel a orienté son action vers cette nouvelle zone d’investissements. [↩]
- À Rio de Janeiro, on appelle « subúrbio » (banlieue) l’ensemble des quartiers de la municipalité, ayant une urbanisation ancienne, en général habités par des classes moyennes populaires, situés le long des lignes ferroviaires partant du centre de la ville. Dans cette zone vivent près de 2,4 millions de personnes, soit environ 35% de la population « carioca ». [↩]
- Conformément à la Loi Fédérale 12.977/2009 « la régulariation foncière comprend l’ensemble des mesures juridiques, urbanistiques, environnementales et sociales visant à régulariser les implantations urbaines informelles et l’enregistrement de leurs occupants, de manière à assurer le droit social au logement, le développement des fonctions sociales de la propriété urbaine et le droit à un environnement écologiquement équilibré » [↩]
- La Loi Fédérale 10.257/2001, a règlementé le chapitre sur la politique urbaine de la Constitution Fédérale, en instituant les lignes directrices de la politique urbaine au Brésil et en consolidant les instruments juridico-urbanistiques innovateurs, créés dans la perspective de rendre effectifs le droit à la ville et la promotion de l’accès aux terres urbanisées. [↩]
- http://www.portaltransparencia.gov.br/copa2014/empreendimentos/investimentos.seam?menu=2&assunto=tema. Connexion le 15 mai 2014, à 10:48h. Il n’y a pas d’information sur la dernière mise à jour des données du site. [↩]
- L’étude publiée par le Journal Folha de São Paulo, le 13 mai 2014, montre que parmi les 67 actions de mobilité urbaine prévues dans les 12 villes hôtesses, 7 ont été achevées, 32 sont en retard, 19 seront prête seulement après la Coupe du Monde et 9 ont été abandonnées. [↩]
- On enregistre, cependant, que des rénovations précédentes, notamment celles de 2000 et 2007 pour les Jeux Panaméricains, avaient également fait des modifications à l’intérieur du stade, bien que moins drastiques. La principale fut la suppression de l’ancienne « générale », zone la plus proche du terrain, dans laquelle les supporters regardaient les matchs debout, mais avec des prix d’entrée modiques. Pour beaucoup, « la générale » assurait une sorte de démocratisation de l’accès au stade. [↩]
- Informations extraites du site de l’Entreprise Olympique Municipale (EOM) – entreprise publique à capital fermé, liée au bureau du Maire, dont l’attribution est la coordination de l’exécution des activités et des projets municipaux attachés aux Jeux Olympiques et Para-olympiques de 2016 : http://www.cidadeolimpica.com.br/wp-content/themes/cidadeolimpica_v3/projetos/EOM/pt/index.html [↩]
- Le « legs olympique » devrait être complété également par l’implantation d’un système de VLT dans la partie du centre de la ville, dans ce cas associé au grand projet de rénovation urbaine de la zone portuaire. [↩]
- Le site www.cidadeolimpica.com.br possède une rubrique « budget du legs » où l’on peut trouver les listes des actions sous la responsabilité de chaque sphère du gouvernement: fédérale, des états et municipale. Le BRT TransBrasil ne fait partie d’aucune d’entre elles (connexion le 20/5/2014, à 7:01h). [↩]
- Bien que baptisée Ligne 4, il s’agit, objectivement, de l’extension de la Ligne 1, de la Zone Sud vers Barra da Tijuca. La ville ne dispose actuellement que de deux lignes de métro. [↩]
- La Coupe du Monde 2014 se déroulera dans 12 villes: Rio de Janeiro, São Paulo, Belo Horizonte, Porto Alegre, Curitiba, Salvador, Recife, Fortaleza, Natal, Brasília, Cuiabá e Manaus. Les quatre dernières ont peu ou pas de tradition dans le football professionnel, et donc il est totalement incertain qu’il y ait une utilisation future de ces stades spécialement construits pour cet évènement international. [↩]