Lu / Habitants, militants : un portrait de la Confédération nationale du logement, CNL, 2016

Ada Kerserho

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C’est officiellement le 11 juin 1916, au cours d’un premier congrès fondateur que la Confédération Nationale du Logement (CNL) naît. Successivement appelée l’Union Confédérale des Locataires de France et des Colonies (1916), Confédération Nationale des Locataires, des usagers de l’eau, du gaz, et de l’électricité (1946), puis Confédération Nationale du Logement (1973), la CNL est, depuis, devenue une des plus importantes associations de lutte pour le droit au logement, impliquée aussi bien à un niveau local que national. C’est à l’occasion du centième anniversaire de la CNL et de son 51ème congrès qu’Habitants, militants est édité aux Éditions de l’Aube (mai 2016). Divisée en sept parties, cette publication revient sur un siècle d’engagement et de militantisme en matière d’habitat en s’appuyant principalement sur les archives visuelles de la confédération.

La CNL dresse son auto-portrait

Sous titré « un portrait de la Confédération nationale du logement », Habitants, militants est en réalité un auto-portrait réalisé par les équipes de la CNL elles-mêmes. L’objet de cet ouvrage est de revenir sur les « succès » de la CNL et de mettre en avant le « formidable élan de l’action collective » (page 9) au profit de luttes pour le progrès social – en rendant hommage aux adhérents et aux militants de l’association. L’ouvrage n’a pas pour but de faire une présentation critique de la CNL, il faut donc le prendre pour ce qu’il est – au risque de rester sur sa faim. Ce n’est pas non plus une histoire chronologique de la Confédération qui viendrait raconter l’histoire du droit au logement à travers les luttes menées – celles-ci sont cependant exposées tout le long du livre.

Dans un premier temps, c’est la CNL comme un acteur du quotidien du quartier ou de l’immeuble qui est présentée. Des « amicales » (les associations locales) qui mobilisent, regroupent, animent les habitants sur le terrain non seulement autour de luttes précises mais aussi dans la construction d’un bien vivre ensemble – en témoigne entre autres une photographie de 1936 d’une des kermesses organisées par une fédération de locataires (page 27), mais aussi parties de pétanques et repas. Dans un second temps, ce sont les missions de communication et d’information des fédérations qui sont mises en avant : à une échelle locale – du porte à porte pour évaluer les problèmes, prévenir, discuter des actions de mobilisations – mais aussi nationale. Très tôt (et toujours aujourd’hui), la CNL s’est mise à rédiger des livrets d’information sur les droits des locataires à destinations des militants (des « camarades ») présents sur tout le territoire, pour qu’ils aient à leur tour « le moyen de pouvoir donner aux adhérents les renseignements les plus élémentaires sans craindre une erreur » (page 34). À cet effet, un exemplaire de Quelques droits du locataire, édité par la fédération des locataires de la région parisienne en 1935 est présenté dans le livre (page 34).

Puis c’est la CNL « en lutte » qui est donnée à voir. Des affiches, des tracts et des photographies de manifestations viennent l’illustrer. On y retrouve des slogans toujours d’actualité en 2016 comme « Pas d’expulsion sans relogement » (image 1), qu’on ne saurait trop répéter en particulier depuis l’adoption en 2007 de la loi dite DALO (Droit Au Logement Opposable) – qui rend possible les actions juridiques vis-à-vis de l’État si celui-ci ne parvient à assumer son devoir de (re)logement – dont l’application reste très inégale. Un extrait du magazine de la Confédération alors nommé Le Réveil des locataires témoigne d’une situation d’expulsion à Pornic, dont le motif (pour passer à une location saisonnière) a soulevé l’indignation locale : il nous permet de mesurer les avancées en matière de réglementations tout en faisant écho aux récents débats autour des locations touristiques dans les grandes villes.

1. « On veu*t expulser ma maman ». Tirage corrigé au stylo. (Délégation à la mairie le 25 avril 1963, Fédération CNL de Loire-Atlantique)

1. « On veu*t expulser ma maman ». Tirage corrigé au stylo. (Délégation à la mairie le 25 avril 1963, Fédération CNL de Loire-Atlantique)

C’est ensuite le combat principal de la Confédération qui est mis en avant sur quelques pages : la lutte contre les loyers trop chers pour que « la qualité de la vie passe avant le coût de la vie » (page 29). On remarque que la CNL, qui n’est affiliée à aucun parti mais dont les adhérents et la ligne politique sont historiquement proches des partis de gauche, n’hésite pas alors à exprimer ses orientations politiques et de votes comme l’illustre une affiche de 1948 réalisée par la fédération CNL de l’Isère sur laquelle on y voit la liste des responsables politiques ayant voté pour ou contre une loi que dénonce alors la confédération : on peut lire « Vous connaissez maintenant les responsables de vos malheurs – sachez voter… ».

On assiste ensuite au développement de la CNL à un niveau national, dans la participation entre autres de celle-ci aux discussions autour de la loi dite Quillot que la Confédération soutiendra jusque dans la rue. L’histoire de la CNL se confond alors avec celle du droit au logement lors de l’adoption en 1982 de ce texte qui vient encadrer pour la première fois les rapports locatifs avec l’obligation dès lors d’établir un contrat de bail détaillant les charges. Une loi clé, voulue par la CNL, qui, dans un contexte de crise post-choc pétrolier, vient protéger les locataires (entre autres en rendant les expulsions plus difficiles) et reconnaît le droit au logement comme un droit fondamental. Cependant, cette victoire ne vient pas marquer la fin des luttes, comme en témoignent les dernières sections du livre, qui reviennent sur le plein engagement de la CNL pour une politique sociale de l’habitat – soit entre autres encourager la construction de logements sociaux, maintenir et renforcer les aides au logement, l’encadrement des loyers – et pour une reconnaissance de la nécessité d’une participation habitante.


De l’habitant à l’habitant-militant

À quel moment décide-t-on de devenir militant ? Quel est l’élément déclencheur ? C’est sur ce basculement que revient aussi la publication par le biais de témoignages de plusieurs responsables qui ont évolué petit à petit au sein de la CNL. Des anecdotes auxquelles tout militant peut s’identifier : la porte d’un parking qui ne fonctionne plus depuis trop longtemps, une augmentation de loyer abusive, un logement insalubre… Une situation personnelle qui pousse alors l’habitant à l’action et à la défense de ses droits. Des engagements temporaires et très localisés qui, dans certains cas, se transforment en un engagement sur le long terme et plus général – voire deviennent l’engagement d’une vie. Pour un loyer trop cher, on se retrouve plus tard à militer contre la hausse générale des loyers ! Cet engagement à large échelle – on note plus de 4 600 associations locales et plus de 70 000 membres officiellement – exprime l’attachement des habitants à leur cadre de vie et leur volonté d’agir sur celui-ci et de résister contre les abus des bailleurs.

La publication revient sur cette histoire et montre comment les locataires se sont regroupés pour faire entendre leur voix. Comment l’engagement collectif à un niveau très local s’est au fur et à mesure attelé à lutter pour des droits communs à tous grâce à des habitants engagés qui se sont auto-formés aux réglementations et aux enjeux juridiques. Aujourd’hui, les différentes fédérations de la CNL organisent régulièrement des formations à destination de leurs adhérents et salariés. Le pan « formation » de la CNL représente un axe important de ses actions : il tend à développer une certaine expertise chez ses militants pour qu’ils puissent agir et mobiliser au mieux sur le terrain.

Un siècle de visuels mis en valeur

L’intérêt (peut-être premier) de cette publication est le travail d’archives visuelles qui a été fait par la CNL. La sélection réalisée – plusieurs dizaines de documents – est riche de photographies, de tracts, d’affiches remontant jusqu’en 1916 pour un article de presse retranscrit (paru à l’origine dans le journal LHumanité à l’occasion du premier congrès de la CNL) et 1922 pour la première photographie jusqu’à des clichés réalisés l’année dernière (2015). Ces documents (quasiment) tous situés et datés rendent compte visuellement du parcours de la Confédération. Issues des fédérations parisiennes et de province, ces archives permettent de constater un engagement présent sur tout le territoire.

La CNL semble avoir porté un soin particulier à sa communication visuelle. On apprend que de nombreux dessinateurs ont participé à leur manière au combat. Sont présentés des dessins de Wolinski, Charb, Honoré et RoodCool, pour ceux qui sont signés. Ce dernier a particulièrement participé à l’élaboration des campagnes de communication de la Confédération dès la fin des années 1970 (image 2).

2. Affiche de RoodCool, « Bientôt à la rue ? Tous dans la rue ! » Manifestation nationale à l’initiative de la CNL, 1987

2. Affiche de RoodCool, « Bientôt à la rue ? Tous dans la rue ! » Manifestation nationale à l’initiative de la CNL, 1987

Depuis 1924, la CNL publie Logement et Famille, anciennement L’éveil puis Le réveil des locataires, un magazine mensuel destiné à ses adhérents pour diffuser des informations nationales et les derniers changements juridiques. Les illustrations présentées ici ont en partie été publiées dedans. D’autres sont quant à elles inédites, on suppose directement sorties des archives régionales – comme les portraits posés des différentes fédérations – et personnelles des militants – comme les photographies des réunions de quartiers. Ces visuels nous permettent aussi de découvrir la rhétorique engagée des militants et les slogans récurrents lors des manifestations (image 3).

3. La délégation du Grand-Caillou, Gironde.Cortège de la CNL dans une manifestation, fin des années 1970 (Source : CNL)

3. La délégation du Grand-Caillou, Gironde.Cortège de la CNL dans une manifestation, fin des années 1970 (Source : CNL)

Bien qu’il y ait beaucoup de militantes à la CNL – on le remarque sur de nombreux clichés – on constate aussi que les entités décisionnaires de l’association ou les missions de communication ou de discussion avec les dirigeants politiques sont principalement masculines – d’autres clichés en témoignent. Notons aussi que les textes présents dans Habitants, militants sont écrits presque exclusivement par des hommes de l’association.

 

La forme aérée et principalement visuelle de l’ouvrage rend la lecture facile et agréable. On regrettera cependant l’absence d’un regard critique – d’auto-critique – qui aurait pu venir enrichir les archives présentées. Vu le ton des différents témoignages écrits, on aura tendance à penser que c’est un livre par et pour les adhérents de la CNL – tel l’album souvenir d’une grande famille – à un moment où la confédération cherche aussi à renforcer son cercle de militants. Ces archives ont pourtant un intérêt plus large : elles prennent leur sens dans une histoire plus générale des luttes autour du droit au logement. Des luttes et des thèmes qui, on le remarque grâce à ce travail de retour historique, reviennent en boucle sous des formes plus ou moins différentes. On est surpris de voir que les combats de la CNL d’il y a 100 ans, 50 ans ou bien aujourd’hui sont toujours les mêmes et particulièrement d’actualité dans un contexte de modifications des aides au logement, de débats sur l’encadrement des loyers et au lendemain d’un été 2016 riche en expulsions, même s’ils nous permettent aussi de se rendre compte du chemin parcouru.

ADA KERSERHO

Ada Kerserho est étudiante en master d’anthropologie à l’EHESS, elle travaille sur le droit à la terre et au logement à Pondicherry (Inde).

CNL, 2016, Habitants, militants : un portrait de la Confédération Nationale du Logement, Éditions de l’Aube, Paris, 110p.

Colette Bury, Secrétaire confédérale

Jean-Pierre Giacomo, Président d’honneur de la CNL

Serge Incerti Formentini, Président d’honneur de la CNL

Eddie Jacquemart, Président de la CNL

Charles Mérin, Fédération CNL de Seine-Saint-Denis

Jacquy Tiset, Fédération CNL du Nord

François Rochon, Coordination

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