Vu / Vers de nouveaux logements sociaux 2

Pauline Muyl

 

Depuis le 14 mars dernier, la Cité de l’architecture et du patrimoine propose aux visiteurs un aperçu des innovations architecturales actuelles en matière de logement social. Le premier volet de l’exposition (2009-2011) présentait aux visiteurs 17 projets en cours de réalisation partout en France. Forte du large succès rencontré par la première édition, l’exposition Versdenouveauxlogementssociaux2poursuit sur cette lancée avec une sélection qui distingue 16 nouvelles opérations « remarquables,loindêtrereprésentativesdelaproductioncourante », ainsi que le souligne Jean-François Pousse, commissaire de l’exposition, journaliste et critique d’architecture. Ces opérations – que l’exposition érige en modèles – témoignent pour Francis Rambert, commissaire de l’exposition et directeur de l’Institut Français d’Architecture, de « toute la ténacité des architectes qui, avec leurs maîtres douvrages, parviennent à réaliser des programmes dhabitats qui pourraient laisser penser que le logement social est encore un laboratoire de larchitecture ».

Animés d’un souci de diversité géographique – il s’agissait de « ne pas être parisiano-centrés » – les deux commissaires de l’exposition ont souhaité « montrer des bâtiments qui dune manière ou dune autre essaient de fabriquer un peu durbanité : des bâtiments sensibles à ce qui est autour, soucieux de couturer, de faire du lien, de recréer de la rue et pas un espace glacial » (Jean-François Pousse). « On a mis en avant la porosité avec lextérieur, le fait de tendre vers la ville, le trait dunion entre intérieur et extérieur , entre la rue et lhabitat : les coursives, les balcons, des halls plus clairs, des escaliers que lon aperçoit de lextérieur » développe Jean-François Pousse. Coursives, loggias, autant d’éléments architecturaux dont le rejet à l’extérieur présente également l’avantage d’offrir plus d’espace aux logements. L’« espace en plus (qui) rapproche les logements de la maison individuelle, un rêve toujours caressé, mais aux antipodes de la nécessaire densité », même s’il a ses limites – « laplace,ilfautlapayer » –, une autre caractéristique qui distingue les opérations sélectionnées de la production courante.

Dans la première partie de l’exposition, la présentation de chacun des bâtiments s’appuie sur les plans de l’architecte, une maquette, et une notice critique. Une seconde partie propose quelques « prolongements » au visiteur : les jalons de l’histoire du logement social en France au XXème siècle, un retour sur les projets – aujourd’hui construits – présentés dans la précédente édition de l’exposition, le programme spécifique « du logement étudiant » en France aujourd’hui, ainsi qu’un panorama européen de la production dans le domaine de l’habitat social.

Cette exposition s’adresse à la fois au plus grand nombre et aux professionnels, avec une double ambition : « Tout dabord, valoriser la création architecturale dans ce domaine où, jadis de grandes références ont vu le jour en France, et faire comprendre au public que les architectes nont pas renoncé à innover en la matière. Mais aussi, stimuler la maîtrise douvrage en présentant des projets () qui sont autant de démarches intéressantes montrant quil existe des alternatives possibles » (François de Mazières, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine).

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« Des opérations qui témoignent d’évolutions notables en cours »

Si elles ne sont pas représentatives de la production courante actuelle, les opérations retenues « témoignent en revanche dévolutions notables en cours » (Jean-François Pousse) : elles se font l’écho des contraintes et préoccupations actuelles des architectes.

Le premier défi avec lequel les architectes sont aux prises : créer de la densité tout en tirant les leçons de l’échec des Grands Ensembles des années 1960 et en respectant les aspirations des habitants. Jean-François Pousse insiste : «Il ne faut pas se moquer des gens qui ont envie dun pavillon dans un lotissement : comment dire aux gens, vous navez pas le droit à un jardin ? Mais cela pose des problèmes de gestion : il faut amener les routes, leauça consomme du territoire et ce nest pas un tissu urbain intéressant ». Il note pourtant une « ré-attirance actuelle pour les Grands Ensembles même si on sait que ça a donné de piètres résultats lorsque cétait trop excentré », mais pour lui, là n’est pas la solution : « Il faut se demander : est-ce quon a besoin aujourdhui de faire des Grands Ensembles ? Je ne pense pas. Il y a encore plein de parcelles dans la ville que lon peut densifier de façon plus soft, plus douce, on peut agrandir des immeubles par le haut, pourquoi pas ? ». Parmi les projets exposés, Télescopage (voir photo d’en-tête) se joue de cette contrainte et invente un bâtiment qui empile et superpose…

La réhabilitation du parc de logement social existant est plus que jamais au cœur des questionnements des architectes : avant de détruire les logements des années 1960, il s’agit pour les architectes d’analyser s’il est possible de les transformer, de les ouvrir, de les rendre conformes aux nouvelles normes. L’exposition revient sur le succès de la transformation de la Tour Bois-le-Prêtre (Paris 17ème, Frédéric Druot Architectures, Lacaton & Vassal architectes) entièrement agrandie et rhabillée. Les nouveaux bâtiments doivent aussi être cohérents avec leur environnement immédiat. L’exposition valorise ainsi des opérations de « micro-chirurgie » urbaine : un immeuble en cœur d’îlot dans le 19ème arrondissement par exemple.

Parmi les préoccupations actuelles des architectes enfin, l’objectif de « mixité sociale », érigé en principe directeur par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine. « La mixité, cest lidée même de la ville, alors pourquoi ne pas aller jusquau logement ? Larchitecte ne souhaite que ça ! Ça lui permet davoir un peu de largeur daction sur les plans » mais Jean-François Pousse le concède, cet objectif reste la plupart du temps un « vœu pieu » car la diversification des types de logement au sein d’un même bâtiment se heurte à des obstacles d’ordre législatif… et parfois à des réticences des bailleurs sociaux.

Certaines tendances se dégagent de ces opérations censées inspirer la production de demain : l’usage de matériaux variés (béton, bois, acier), le traitement des façades et notamment un « retour de l’ornement », des accès extérieurs et privatifs aux logements, un goût pour l’asymétrie des bâtiments.

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Une exposition qui souffre d’un manque de mise en perspective

Les projets présentés aux visiteurs comme « remarquables », taisent par définition les défauts de ladite « production courante ». Jean-François Pousse le reconnaît, cette exposition dessine une critique en creux sans présenter de véritable état des lieux : la majorité de la production de logements sociaux est constituée selon lui de « bâtiments moyens, médiocres, sans inventivité, qui ne créent pas de tissu urbain ». Cette production est soumise à des contraintes de rapidité et de bas coût : « Il faut livrer au plus vite avec des plans pas compliqués ». Ainsi, selon lui « la majorité des logements sociaux reste dans la banalité ». Le visiteur profane n’apprend malheureusement pas grand-chose des conditions de production de nouveaux logements sociaux aujourd’hui et notamment des nombreuses normes énergétiques et environnementales contraignantes et « parfois contradictoires » ajoute Jean-François Pousse…

De même, le visiteur ignorant de l’histoire du logement social en France ne se voit pas proposer de réelle mise en perspective historique. Et ce alors même qu’une grande partie de la Galerie moderne et contemporaine est dédiée au logement avec notamment la retranscription à l’échelle 1 d’un appartement de la célèbre Unité d’habitation de Le Corbusier à Marseille. Un choix délibéré, d’après Jean-François Pousse : la première édition retraçait cette histoire, la seconde édition s’en tient aux innovations de ces deux ou trois dernières années. Pourtant, les considérations dont procèdent ces opérations « remarquables » sont autant de variations sur des thèmes au cœur de la réflexion des architectes depuis bien longtemps : jouer avec la lumière pour pallier un espace réduit, lutter contre l’enclavement grâce à des opérations consistant à « recoudre le tissu urbain », réconcilier la ville et la nature. Et comment comprendre les choix architecturaux des projets présentés autrement que comme des prises de position vis-à-vis de ce qui a précédé : le souci martelé d’un plus grand bien-être des habitants, de logements identifiables de l’extérieur, de lutte contre l’impression d’enfermement, contre l’uniformité des façades et à rebours d’une esthétique du bloc ?

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Une exposition par des architectes… pour des architectes ?

Si elle s’adresse théoriquement à tous, cette exposition demeure dans les faits très empreinte du point de vue des architectes pour les architectes : ainsi, le choix scénographique alliant plans et maquettes, et les critères retenus pour apprécier la qualité de ces projets est celui de l’architecte et pas de l’habitant. Même dans la section « annexes », où on évoque le bilan des projets présentés dans la première édition, il n’est fait aucune place à l’appréciation des habitants – et ce alors même que les intérêts de ces derniers sont sans cesse mis en avant pour justifier tel ou tel choix architectural. En somme : on pourra se demander quels liens les architectes et maîtres d’ouvrage entretiennent avec la réalité, leurs projets une fois réalisés. Sont-ils à même de prendre en compte les retours des habitants afin d’améliorer la production des logements ? Jean-François Pousse l’admet, se soumettre à la critique des habitants n’est pas un exercice facile car « il faut rencontrer beaucoup dhabitants pour avoir un retour étayé », et il n’est certainement pas pratiqué par tous… Il précise toutefois que certains projets font l’objet de dizaines de réunions en amont avec les habitants – à l’image de l’opération de la tour Bois-le-Prêtre. Quant aux projets présentés dans la première édition, ils sont très récents, il est donc « très difficile d’avoir des retours ».

Une  exposition à voir pour comprendre  comment les architectes d’aujourd’hui envisagent la ville et l’urbanité et admirer l’audace esthétique de certains projets. L’occasion aussi de (re)découvrir la Galerie d’architecture moderne et contemporaine…

Pauline MUYL

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Pauline Muyl est normalienne, géographe, ancienne productrice adjointe des Matins de France Culture.

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Vers de nouveaux logements sociaux 2. Cité de l’architecture et du patrimoine, Galerie d’Architecture Moderne et Contemporaine depuis le 14 mars 2012. Ouverture tous les jours de 11h à 19h – le jeudi jusqu’à 21h – fermeture le mardi. Exposition conçue et réalisée par la Cité de l’architecture et du patrimoine et l’Institut français d’architecture (Ifa). Plus d’informations ici : http://www.citechaillot.fr/fr/expositions/expositions_temporaires/24412-vers_de_nouveaux_logements_sociaux_2.html.

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