Urbanités sud-est asiatiques / Quelle définition de l’écoquartier vietnamien ? Le cas de Vinhomes Riverside, Hanoï.

Claire Doussard

L’article de Claire Doussard au format PDF


Depuis le début des années 1990, les écoquartiers contribuent à l’essor d’un modèle de ville durable à travers le monde (Emélianoff, 2007 ; Charlot-Valdieu et Outrequin, 2012). Cependant, si un relatif consensus existe à l’échelle internationale sur les grands principes théoriques du développement durable, l’application de ces derniers au niveau local est diverse (Jabaree, 2006 ; Sharifi et Murayama, 2014). C’est en réponse à cette diversité que les acteurs de l’aménagement développent dès la fin des années 2000 des référentiels d’évaluation des écoquartiers. Ces référentiels contribuent dans une certaine mesure à orienter la conception de ces quartiers tout en justifiant les choix retenus. Ils permettent de mesurer leur performance selon plusieurs critères, et, en fonction des résultats, de décerner éventuellement une certification, un label, ou un prix (Komeily et Srinivasan, 2015).

Au début des années 2000 au Vietnam, le développement de projets d’écoquartiers définis comme Khu Dô Thị Sinh Thaï (KDTST), ou « zone urbaine écologique », est encore peu courant. Certains des projets livrés ont été évalués par l’Ordre des Architectes du Vietnam, Hội Kiến Trúc Sư Viet Nam (HKTS) et ont pu dès lors recevoir le Prix de l’Architecture Verte du Vietnam lors de cérémonies ayant lieu tous les deux ans depuis 2012. De même que pour d’autres projets d’écoquartiers certifiés dans le monde, HKTS utilise son propre système d’évaluation influencé par d’autres référentiels internationaux (Doussard, 2017). L’adaptation de ces derniers au contexte vietnamien contribue à l’émergence de divergences entre demande standardisée, et souvent occidentalisée, de performance urbaine et ajustement de cette performance à un territoire spécifique.

Aussi cet article s’intéresse-t-il à ces divergences appliquées à un projet d’écoquartier vietnamien emblématique, Vinhomes Riverside, localisé à Hanoï. Vinhomes est considéré comme l’un des premiers écoquartiers vietnamiens, et a reçu le prix de l’Architecture Verte du Vietnam en 2012. L’étude de ce projet permet de questionner les critères de définition de l’écoquartier vietnamien. Il met alors en lumière les discordances existantes entre exigences de développement urbain durable mondialisées et réalité du territoire hanoïen. L’article développe tout d’abord des éléments de contexte relatifs au développement urbain durable au Vietnam et à l’émergence des KDTST, plus particulièrement à Hanoï. Il présente ensuite le cas particulier de Vinhomes Riverside et explore les résultats de son évaluation au travers de l’analyse statistique de la satisfaction d’indicateurs du référentiel de HKTS. Ces résultats sont mis en perspective avec des observations de terrain contribuant à révéler plus particulièrement l’expression de critères d’aménagement internationaux adaptés au territoire vietnamien. Enfin, l’article évoque les enjeux relatifs au futur développement de projets urbains durables au Vietnam.

Du développement durable aux écoquartiers vietnamiens

Exigences internationales et développement durable des territoires locaux

Suite au Sommet de la Terre à Rio en 1992, le développement durable est devenu une notion incontournable dans l’aménagement. L’objectif est alors d’intégrer de multiples valeurs sociétales susceptibles de résoudre les défis inhérents au mal-développement. Ces valeurs sont souvent assimilées à trois dimensions relatives aux aspects environnementaux, sociaux et économiques du développement. L’impératif du développement économique se doit d’être responsable vis-à-vis de la société qu’il utilise à cette fin, tout en minimisant les impacts négatifs que celui-ci pourrait avoir sur l’environnement (Kates et al., 2005 ; Daly et al., 2006). À l’échelle des villes, le développement durable se traduit par la mise en place de plans territoriaux spécifiques, mais également par la conception et la construction de projets urbains à l’échelle de quartiers, plus à même de répondre de manière opérationnelle à des exigences avant tout politiques (Smardon, 2008 ; Joss et al., 2011).

L’émergence d’écoquartiers s’inscrit dans cette dynamique internationale, et s’appuie sur l’évolution de traditions d’aménagement historiques reposant sur les relations que les groupes sociaux entretiennent avec leur environnement (Sharifi, 2016). Les premières expérimentations d’écoquartier tels que nous les connaissons commencent dès le début des années 1990, principalement en Europe du Nord. Ces projets se développent peu dans les pays en voie de développement, à quelques exceptions près. En Asie de l’Est et du Sud-Est, certains avant-projets d’aménagement, en général de plus large envergure, sont envisagés. L’échelle privilégiée est alors celle de la ville, principalement dans les pays communistes à fort taux d’urbanisation qui construisent de nombreuses villes nouvelles suite à l’ouverture de leur économie au marché mondial (Gubry et al., 2010). Dans le cas vietnamien, certains projets urbains prennent en compte la dimension environnementale, mais restent lors des années 1990 au stade d’avant-projet (Bui, 2012).

L’aménagement urbain durable au Vietnam

Au Vietnam, l’essor du développement durable fait suite à une période de forte croissance économique associée à l’adoption des réformes du Doi Moi (« Renouveau » en vietnamien) en 1986. Ces réformes ont permis le passage d’une société principalement rurale vers une société de plus en plus urbaine (Quertamp, 2010), même si, en 2017, seulement 35 % de la population vietnamienne était considérée comme telle1. Le Vietnam voit alors une dégradation notable de ses niveaux de biodiversité, fait l’objet de nombreuses pollutions, et fait partie du classement des 10 premiers pays les plus vulnérables face au changement climatique (Labbé et al., 2010). C’est pourquoi la protection de l’environnement devient dès la deuxième période du plan décennal (2006-2010) une priorité nationale. Les mobilisations relatives au développement durable se multiplient également avec la mise en œuvre du programme d’action Agenda 21 au niveau national, établi en 2004 (Bui, 2012). Ce programme demeure avant tout politique et ne se traduit pas directement en actions opérationnelles. Les villes ont alors à charge de mettre en œuvre les orientations fixées par l’Agenda 21 selon une temporalité et une méthode qui leur est propre.

À Hanoï, le Schéma Directeur 2030 horizon 2050 établi en 2011 a pour objectif de produire « une ville verte, culturelle et moderne ». Pour ce faire, le plan s’appuie sur une phase de benchmarking international qui permet de retenir certaines orientations d’aménagement testées dans des villes mondiales de références (HUPI, 2011). Les objectifs sont alors de s’inscrire dans une compétition interurbaine et d’inter-référencement permettant alors aux élus de Hanoï de concevoir et d’imaginer leur ville tout en rassurant sur les incertitudes relatives à la mise en place de nouvelles actions opérationnelles à entreprendre (Roy et Ong, 2011).

D’une part, ce référencement permet la circulation de modèles d’aménagements urbains durables, principalement occidentaux, considérés comme des réussites par le Hanoï Urban Planning Institute. Le benchmark produit s’appuie notamment sur la comparaison d’éléments de conception urbaine considérés comme verts, inclusifs, et économiquement attractifs, et se concentre notamment sur les liens culturels et naturels que la ville entretient avec le fleuve (Scarwell et Leducq, 2019). Le développement durable apparaît dans le Master plan au travers de stratégies relatives à la densité, l’accessibilité aux transports en commun, la mixité des usages et le verdissement de la ville grâce à la mise en place d’une ceinture verte périurbaine. Le développement de villes satellites « vertes » à l’ouest de la ville centre contribue également à la durabilité du futur territoire hanoïen au travers de l’extension de pôles urbains existants, sans pour autant tenir compte de questions d’empreinte environnementale de ces aménagements.

D’autre part, la municipalité fait largement appel à des promoteurs immobiliers pour financer ces projets urbains dits « écologiques », mais surtout orientés vers le développement de larges espaces verts, découlant du Master Plan. Le modèle des Khu Dô Thị Moi (KDTM), ou « nouvelles zones urbaines », qui apparaît en 1992 dans le Schéma directeur de Hanoï pour 2010, demeure aujourd’hui l’un des modes de développement immobilier privilégiés et dominants post-Doi Moi (Boudreau et Labbé, 2011). À Hanoï, Danielle Labbé et Clément Musil (2017) en comptaient 252 en 2015. Les KDTST constituent alors le plus souvent un cas particulier de KDTM dans le sens où les processus de production du bâti et de financement demeurent identiques, tout en mettant l’accent sur des stratégies d’aménagement prenant en compte les objectifs du développement durable développés dans le cadre de l’Agenda 21 national. Ce dernier met toutefois l’emphase sur le développement économique, l’environnement arrivant au second plan, et ne fixe pas d’objectifs précis à atteindre, ou à mesurer (Bui, 2013). La dénomination de KDTST demeure informelle, ce qui rend le recensement de ces projets dit « durables » difficile. C’est pourquoi dans le cadre de cet article, je me suis principalement appuyée sur les archives de HKTS, de la littérature scientifique, ainsi que sur des visites de sites en 2016 pour établir une première liste d’écoquartiers vietnamiens. Les projets hanoïens sont présentés dans la figure 1.

1. Localisation des écoquartiers hanoïens (Claire Doussard, septembre 2019)

 

Sur 11 projets annoncés dans la littérature, deux sont construits à Ho Chi Minh Ville (projets de Phú Mỹ Hưng et Thu Thiem), un à Nam Dam (Nam Dam Village community) et 8 sont localisés à Hanoï. Les projets représentent une surface construite importante, entre 62 hectares et 647 hectares, ce qui pose question quant à l’échelle de ces « quartiers ». Enfin, plusieurs de ces projets, notamment les plus importants en termes de surface (EcoPark, Ciputra, Phú Mỹ Hưng et Thu Thiem) sont encore en cours de construction, bien qu’ils soient actuellement partiellement habités. La crise financière asiatique (1997-1998) avait ainsi considérablement ralenti le développement de Ciputra dont la première tranche fut livrée en 2002 pour un projet ayant débuté en 1994 (Dui Lan, 2014).

L’étude de Vinhomes Riverside permet de mieux comprendre comment un écoquartier est évalué comme tel, et contribue à une dynamique de développement durable adaptée à un territoire spécifique.

Vinhomes Riverside : les spécificités d’un écoquartier vietnamien

Un référentiel vietnamien d’inspiration internationale

Au Vietnam, le référentiel d’évaluation permettant la remise du prix de l’architecture verte du Vietnam par HKTS est présenté ci-dessous2.

2. Grille des thématiques et critères du référentiel d’évaluation de HKTS de 2014 (traduction à partir du vietnamien par Claire Doussard, mai 2016)

Ce référentiel fut établi dès 2010 suite au référencement et à l’étude d’autres systèmes d’évaluation par HKTS. L’ordre s’est plus particulièrement intéressé au référentiel américain Leadership in Energy and Environmental Design – Neighborhood Development (LEED-ND) et du singapourien Green Mark district. Le premier a fait l’objet d’attention en raison de son statut de leader sur le marché de l’évaluation des écoquartiers (Doussard, 2017), et a plus généralement permis de structurer le référentiel vietnamien selon une grille d’indicateurs. Par exemple, le thème « Localisation durable » se retrouve également dans le référentiel LEED-ND. Le second a quant à lui contribué à l’adaptation de cette approche à un territoire asiatique, notamment lorsque les indicateurs sont contextualisés. Par exemple, l’indicateur relatif à la protection de la biodiversité locale de Green Mark, se retrouve également parmi les indicateurs du critère « préservation et amélioration de l’environnement paysager » de HKTS. 

Le référentiel de HKTS se distingue néanmoins des précédents dans le sens où il peut être utilisé pour n’importe quelle échelle de projet. HKTS considère en effet qu’un projet de ville est la manifestation de stratégies établies à plusieurs échelles imbriquées, la plus réduite étant l’échelle architecturale.

Entre 2010 et 2011, une première grille d’évaluation, principalement constituée d’indicateurs qualitatifs, est développée. Les premières évaluations sont réalisées en 2012 puis en 2014 sur la base d’expertises produites par les membres d’HKTS, chaque projet faisant l’objet a minima d’une triple expertise. En 2015, de nouvelles réflexions, orientées vers le développement d’une grille plus quantitative pour l’édition de 2016, puis 2018, est envisagée. Cette grille est constituée de 46 indicateurs regroupés sous 25 critères et 5 thèmes principaux présentés dans le tableau 2. Chacun des indicateurs est classé selon le rang A (bon, répond aux exigences de l’indicateur), B (passe, répond partiellement aux exigences de l’indicateur) ou C (échec, ne répond pas aux exigences de l’indicateur). Le projet obtient le prix lorsqu’il obtient 70 % d’indicateurs notés A, et aucun indicateur noté C. Le couple « architecte – promoteur » envoie un fichier descriptif de son projet à HKTS qui monte une équipe ayant pour objectif d’évaluer le projet à titre gratuit. Suivant la note obtenue, le projet reçoit le prix de l’Architecture Verte du Vietnam lors d’une cérémonie officielle. Ce prix vient donc récompenser la réussite d’une évaluation s’appuyant sur un référentiel a priori normatif.  

Présentation d’un écoquartier vietnamien : Vinhomes Riverside

Vinhomes Riverside est localisé à l’intersection de trois quartiers administratifs du quận (district) de Long Biên incorporé à la ville de Hanoï en 2003 : les quartiers de Phúc Lợi, Việt Hưng et Giang Biên. Ce quartier est en fait un KDTM fermé pouvant être caractérisé de gated community de luxe. Bien qu’il soit possible de traverser le quartier sur les avenues Chu Huy Mân et Hoa Hồng, les accès aux espaces résidentiels sont contrôlés par des gardiens. Le projet est constitué par l’agrégation de trois méga-blocs, et s’étend sur une superficie totale de 183,5 ha. 

3. Vue satellite schématisée du plan de Vinhomes Riverside (Claire Doussard, juin 2019)

4. Entrée de Vinhomes Riverside, gated community de luxe (Claire Doussard, mai 2016)

À partir des années 2000, Long Biên, connaît une urbanisation accélérée suite au développement de Hanoï. C’est dans ce contexte que se construit Vinhomes Riverside. Le lancement des études auprès du bureau d’architecture ACT Vietnam Architects est mandaté par le groupement JSC Investment Corporation et Sai Dong Urban Development membre du groupe Vingroup au cours des années 2008-2009. Le plan d’urbanisme du projet ainsi que les investissements sont approuvés par le Comité Populaire de la ville de Hanoï en janvier 2010, et la construction commence rapidement dès mai 2011. Près de 80 % du projet est livré fin 2012, et Vincom Village reçoit de nombreux prix au Vietnam et en Asie du Sud-Est, dont le prix « Meilleur investisseur – Meilleur promoteur » et « Meilleur projet de Villa » du concours Real Estate in South East Asia en 2012. Le prix de l’Architecture Verte du Vietnam lui est également remis la même année. Vincom Village devient Vinhomes Riverside en 2013, et fait l’objet de changements de programmation. Les tours de logements prévues avant 2012 sont remplacées par des villas. Bien que le nombre exact de résidents de Vinhomes Riverside n’ait pas été porté à ma connaissance, j’estime que le projet est habité par environ entre 7 000 et 9 000 personnes, logées dans un peu plus de 1 500 villas. Le projet tend à attirer une riche clientèle vietnamienne, le prix d’une villa étant en moyenne de 1 million de dollars pour des propriétés d’environ 250 m2. La construction d’un hôpital est abandonnée en raison de la proximité d’un hôpital Vingroup situé à 7 km de Vinhomes Riverside. Il est alors remplacé par un parc. Les canaux représentent près de 110 ha sur les 185 prévus par le projet. Le quartier compte également près de 95 000 m2 d’espaces de loisirs (gymnase et spa, restaurants, cinéma, golf), un centre commercial, et deux campus scolaires de niveaux primaire et secondaire. La construction continue jusqu’en 2016 et les développements originellement prévus s’achèvent progressivement. Les nouveaux propriétaires effectuent néanmoins d’autres opérations de construction personnelles en lien avec la réfection des façades des villas. En 2017, l’extension du projet original appelé Vinhomes Riverside 2 est annoncée par Vingroup.

Quelles divergences entre demande d’aménagement durable internationale et écoquartier livré ?

Retours méthodologiques

Afin de comprendre pourquoi Vinhomes Riverside est défini en tant qu’écoquartier, mon étude s’appuie dans un premier temps sur l’analyse du référentiel et des résultats de l’évaluation d’HKTS. Ces analyses reposent sur une approche statistique appliquée au calcul de ratios relatifs au poids des indicateurs utilisés pour l’évaluation. Afin de comparer les résultats de l’analyse du référentiel par rapport à l’évaluation de Vinhomes Riverside, le poids de chaque catégorie d’indicateur est calculé par rapport au nombre de points maximum pour obtenir la note de 100 % lorsqu’il s’agit de l’analyse du référentiel, et par rapport au nombre de points maximum obtenu par le projet rapporté en pourcentage également pour l’analyse de Vinhomes Riverside. Cette analyse permet alors de constater l’écart de performance du quartier par rapport à « l’idéal » préconisé par le référentiel pour différentes thématiques d’études.

Les indicateurs ont été catégorisés selon deux approches. En premier lieu, je les ai regroupés au sein de cinq thématiques liées d’une part aux trois dimensions du développement durable, à savoir les ressources environnementales, l’équité sociale, le dynamisme économique, auxquelles j’ai ajouté deux thématiques, l’habitat et « autre ». J’ai fait le choix délibéré d’assigner clairement chaque indicateur à une de ces thématiques à des fins de lisibilité et de calcul. L’objectif est alors d’estimer dans quelle mesure le référentiel évalue le développement durable des projets au travers des indicateurs qui les constituent, et quelles dimensions ceux-ci favorisent. En second lieu, j’ai étudié le degré de standardisation des indicateurs afin de comprendre à quel point le référentiel pouvait être adapté au contexte vietnamien. En effet, plus les indicateurs sont standardisés, moins le référentiel permet l’évaluation d’une plus grande variété de projets adaptés en fonction d’un contexte spécifique. J’ai ainsi catégorisé ces indicateurs sous trois thématiques : indicateurs standardisés, indicateurs standardisés-contextualisés, et indicateurs contextualisés tels qu’explicité dans de précédents travaux (Doussard, 2016, 2017). 

Bien qu’aucun document ne m’ait été transmis concernant l’évaluation de Vinhomes Riverside, et ce malgré mes demandes répétées auprès de Vingroup, des différentes équipes d’architectes, ou de HKTS en raison du caractère « confidentiel » de l’évaluation, j’ai été en mesure de réaliser cette dernière grâce à un travail de terrain en 2016 incluant plusieurs visites de site, une analyse documentaire, et un entretien avec Nguyen Quoc Thong, vice-président de HKTS.

Un quartier plus « environnemental » que « durable »

Comme le démontre la figure ci-dessous, le référentiel de HKTS présente un profil très déséquilibré en ce qui concerne le poids des indicateurs relatifs aux thématiques du développement durable. Le pilier environnemental est largement surreprésenté (46 %) par rapport aux autres dimensions, notamment économique et sociale qui représentent respectivement 2 % et 15 % de la totalité des indicateurs. Ce déséquilibre est d’autant plus prégnant lorsque l’on analyse l’évaluation de Vinhomes Riverside par le référentiel. Les indicateurs environnementaux s’élèvent alors à 52 %, principalement au détriment des indicateurs sociaux dont la proportion diminue alors de 9 % par rapport au taux présenté par le référentiel de HKTS, pour atteindre les 6 %. Ces premiers résultats démontrent que le référentiel de HKTS associe l’écoquartier vietnamien à un projet avant tout de nature environnementale, ce qui se traduit de manière encore plus accentuée pour le projet de Vinhomes Riverside. Le quartier obtient en effet un grand nombre de points pour des critères non seulement relatifs à l’énergie, mais aussi à la gestion de la ressource en eau, la gestion des déchets, ou encore l’intégration paysagère du quartier. L’écoquartier n’est donc pas envisagé comme un quartier « durable » comme c’est le cas dans d’autres pays (Doussard, 2016). En effet, si Benoît Boutaud (2009) énonce qu’historiquement, le terme éco-quartier était associé aux unités « écologique » et « quartier », et constituait de fait un quartier écologiquement performant, le sens du mot s’est aujourd’hui élargi en français pour ne former qu’une seule unité regroupant les considérations environnementales étendue aux piliers sociaux et économiques du développement durable. La dimension environnementale est alors associée à l’unité « écologique ». Bien que l’écologie et l’environnement soient deux notions distinctes, la première analysant les interactions et les impacts entre les êtres vivants et les différents écosystèmes, la seconde le cadre de vie de l’homme, elles sont utilisées au Vietnam comme synonymes dans le cadre du développement des écoquartiers. Cet état de fait est par ailleurs traduit littéralement par l’expression de Khu Dô Thị Sinh Thaï, ou « zone urbaine écologique ».

5. Répartition des indicateurs selon les dimensions du développement durable pour le référentiel de HKTS et Vinhomes Riverside (Claire Doussard, juillet 2019)

 

Par ailleurs les résultats précédents viennent paradoxalement contredire certaines observations de terrain. En effet, le score de 80 % obtenu par le projet m’ayant été transmis par HKTS semble largement surestimé au vu de constatations de terrain sur certains aspects de l’aménagement du quartier. Par exemple, les approches concernant une consommation raisonnée de l’énergie sont quasi-inexistantes, ou du moins non décrites dans la littérature opérationnelle. L’eau est pompée dans la rivière Duong, ne fait pas l’objet d’un traitement particulier, et n’est donc pas potable. Le tri sélectif des déchets est pratiqué dans le quartier. En ce qui concerne la préservation de la biodiversité, une attention particulière a été portée aux essences régionales plantées dans le quartier et des alevins sont rejetés dans l’eau des canaux tous les ans lors d’une cérémonie créée de toute pièce par Vingroup. Cependant, cette dernière n’est pas établie à partir de réelles stratégies scientifiques permettant le maintien de la biodiversité de manière stable au cours du temps. Le projet perd des points sur la composante sociale du fait de son statut de gated-community à destination d’une classe aisée. En revanche, l’augmentation du poids des indicateurs économiques est due aux nombreuses activités relatives au secteur tertiaire.

Ainsi le score transmis par HKTS me paraît-il, à la vue de mon analyse de terrain, relativement inapproprié et optimiste, notamment en ce qui concerne la dimension environnementale du projet. 

Un quartier à l’intersection de plusieurs cultures

L’analyse de la figure 6 précise quant à elle le degré d’adaptation du référentiel vis-à-vis du contexte vietnamien. Le référentiel de HKTS est très contextualisé, et donc très flexible quant à l’évaluation des critères par un évaluateur donné, et ce pour un contexte spécifique. Cela peut s’expliquer par la grande majorité d’indicateurs de nature qualitative du référentiel dont l’interprétation dépend de chaque expert en charge de l’évaluation. La note finale attribuée au projet dépend donc de négociations entre les experts en charge de l’évaluation d’un même projet lors d’une réunion suivant plusieurs visites de site et la réception des documents envoyés par l’architecte et le promoteur. Contrairement aux indicateurs contextualisés ouverts à débat, les indicateurs strictement standardisés, qui constituent seulement 10 % du référentiel, ne présentent pas de marge de négociation possible pour obtenir des points. C’est sans doute ce qui explique pourquoi le score transmis par HKTS me paraît inapproprié à la vue de ma propre évaluation, qui s’appuie avant tout sur des indicateurs pour lesquels l’obtention des points est ouverte à débat.  

Par ailleurs, la proportion d’indicateurs standardisés augmente pour le projet de Vinhomes Riverside pour atteindre les 19 %, ce qui indique que les acteurs à l’origine du projet tendent à satisfaire des critères plus standardisés, et donc moins sujets à négociation. La satisfaction d’indicateurs standardisés est en effet généralement favorisée par les acteurs de l’aménagement qui préfèrent s’appuyer sur des objectifs de performance clairement définis et internationalisés plutôt que sur des objectifs négociés. Cependant, cette négociation, parfois d’ordre politique et administratif, est pourtant indispensable à l’adaptation de projets d’écoquartiers à des territoires spécifiques, et permet de questionner ce qu’est la performance au prisme du territoire (Doussard, 2017). La négociation peut s’effectuer en deux temps. Si celle-ci a lieu lors du développement du référentiel, elle peut contribuer à augmenter ou à diminuer des seuils de performance associés aux indicateurs standardisés requis pour l’obtention d’un label ou d’un prix. Si la négociation s’effectue lors du développement de l’opération, elle permet d’adapter le projet d’écoquartier au contexte local, dès l’instant où l’indicateur considéré pour l’évaluation n’est pas standardisé. 

 

6. Répartition des indicateurs selon leur degré de standardisation pour le référentiel de HKTS et Vinhomes Riverside (Claire Doussard, Juillet 2019)

 

Comme présenté en figure 6, Vinhomes Riverside présente donc majoritairement des éléments de conception urbaine très contextualisés, et donc adaptés au territoire vietnamien. Cependant, ce ne sont pas ces éléments que le promoteur a choisi de mettre en avant. Du fait de l’omniprésence de l’eau sur le site, et du caractère de gated community de luxe du quartier, Vingroup a ainsi choisi Venise, figure d’une ville « magnifique, romantique et luxueuse »3 et donc d’un mode de vie supposément occidental. La culture occidentale est d’abord associée aux différents services présents sur le site, tels que le centre commercial VinMall, les nombreux restaurants proposant différents types de cuisines internationales. Malgré cette relative occidentalisation du quartier, plusieurs aspects permettent de l’ancrer dans le territoire vietnamien. En effet, bien que les villas présentent un style architectural reprenant certains codes européens et répondent à des exigences de construction standardisées, elles reprennent également une structuration associée aux usages vietnamiens.

7. Des villas à l’occidentale, implantées autour de canaux (Claire Doussard, mai 2016)

 

8. Une villa dont la façade a été modifiée par les habitants (Claire Doussard, mai 2016)

 

L’architecture des villas se caractérise par la polyvalence des espaces, une partie étant réservée aux invités. Suivant les principes de la culture vietnamienne marquée par l’esprit communautaire, la villa est conçue comme une maison familiale dans laquelle peuvent vivre plusieurs générations. Une petite cour fait office d’espace de transition entre la rue et le bâti, tandis qu’un petit jardin permet l’accès au canal. Le rapport à l’eau est prégnant dans la culture vietnamienne, et particulièrement à Hanoï qui se situe sur les bords du fleuve rouge. L’eau représente un symbole marketing fort mis en avant dans le projet. Enfin, les motocyclettes ou les scooters, utilisés par la population quelle que soit la classe sociale, sont inscrits dans le paysage de cette gated community, et demeurent un mode de transport flexible privilégié à la voiture ou au bus sur de courtes distances. 

L’écoquartier Vietnamien : pour qui et pourquoi ? 

Le développement d’(éco)quartiers vietnamien en est encore à ses débuts et peine à répondre de manière claire à une demande de performance urbaine en phase avec une demande politique internationale, universalisante et mondialisée de développement durable. Les KDTST évalués par le référentiel de HKTS sont avant tout des quartiers visant une performance environnementale discutée et discutable. Ces derniers s’inscrivent néanmoins dans une démarche de développement durable dans le sens où leur conception prend également en compte des paramètres économiques, sociaux et culturels, même dans une moindre mesure. Le projet de Vinhomes Riverside représente alors de ce point de vue un projet « exemplaire » à l’échelle du Vietnam, permettant à Vingroup de valoriser à la fois son portefeuille et de développer de nouveaux projets à Ho Chi Minh (Vinhomes Golden River) ou à Hanoï (Vinhomes Riverside 2).

L’étude de Vinhomes Riverside questionne également notre propre conception occidentale de ce qu’est un écoquartier. Une gated community à destination d’une classe sociale aisée peut-elle être un écoquartier si elle prend en compte une multiplicité d’autres paramètres associés au développement durable, normatifs, ou non ? L’inclusion sociale, aujourd’hui très valorisée dans la plupart des projets d’écoquartiers occidentaux, n’apparaît pas comme l’un des critères de performance retenus pour le développement de Vinhomes Riverside, malgré son orientation soi-disant « européenne ». Cela est d’autant plus discutable lorsque de notre point de vue occidental, un projet tel que Vinhomes Riverside n’est pas considéré comme écoquartier, alors qu’il est reconnu par une association professionnelle nationale, et célébré comme tel au Vietnam.   

Aussi les écoquartiers vietnamiens exposent des divergences entre discours et matérialité de la durabilité, entre besoins des individus et aménagements construits, entre idéologie et application. La performance durable de ces quartiers est alors à la fois un but honorable qui n’est que partiellement atteignable du point de vue de la justice environnementale et sociale. Celle-ci ne peut en effet qu’être ébranlée par une croissance urbaine motivée en partie par un environnementalisme de marché qui tend peu à peu à se développer au Vietnam. 

CLAIRE DOUSSARD

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Claire Doussard est chercheuse associée à l’UMR AUSser 3329 CNRS, laboratoire AHTTEP. Ses thèmes et aires de recherche sont l’urbanisme durable, l’évaluation de performance urbaine et le comparatisme à l’international.  

claire.doussard@gmail.com

Couverture : Vinhomes Riverside, écoquartier ou gated community de luxe centrée sur des canaux ? (Claire Doussard, mai 2016)

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Pour citer cet article : Doussard C., 2020, « Quelle définition de l’écoquartier vietnamien ? Le cas de Vinhomes Riverside, Hanoï », Urbanités, Dossier / Urbanités sud-est asiatiques, septembre 2020, en ligne.

  1. Part de la population urbaine au Vietnam, selon la Banque Mondiale, site consulté en septembre 2019. []
  2. Référentiel transmis par HKTS à l’auteur en mai 2016. []
  3. Expression extraite du site Vietnam Housing, consulté le 10 septembre 2019 []

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