Lu / Villes en transition. L’expérience partagée des écocités de Florent Hébert (dir.)

Kimberley Mees

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Mees Ecocité image 1L’enjeu du XXIe siècle est de garantir une croissance urbaine « verte ». Celle-ci passe par la redensification des villes afin de contrer le mitage du territoire et donc l’empiètement de l’urbain sur les espaces verts et sur les terres agricoles. De grands projets d’écovilles sont apparus. Ces écovilles s’inscrivent dans le courant de l’urbanisme durable ou écologique. Reprenant les objectifs du développement durable, les écovilles visent à concilier l’équité sociale, le respect de l’environnement naturel et la développement économique. Actuellement, elles sont peu définies, si ce n’est par leur volonté de servir d’exemple et de lieu d’expérimentation de la concrétisation des valeurs promues par l’urbanisme écologique. Les plus connues sont Dongtan, près de Shanghai, qui est un échec, puisque la ville est abandonnée, ou Masdar City, encore en construction près d’Abu Dhabi.

Au niveau français, l’ouvrage rappelle que cette volonté s’est retrouvée dans plusieurs textes, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) sur le droit de l’urbanisme et du logement, la transcription locale de l’Agenda 21 (plan d’action adopté en 1992 au sommet de la Terre de Rio de Janeiro) et le Plan Climat (2004). En 2008 le gouvernement a lancé la démarche Écocité sur base des discussions du Grenelle de l’environnement avec comme objectif de trouver un modèle de développement urbain durable pour la France. Cette démarche définit les écocités comme les projets urbains qui s’inscrivent dans « dans la continuité d’agglomérations déjà existantes et [qui font la promotion] des liens étroits, au sens physique et fonctionnel, entre nouveaux et anciens quartiers. Inscrits dans la continuité des projets de territoires environnants, les projets devront s’appuyer sur les outils et documents de planification existants ou indiquer les orientations et les modalités de leur révision, notamment du point de vue de la gouvernance et de la participation. » (Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, 2008) Les années qui se sont écoulées depuis ont permis aux responsables politiques de comprendre qu’un modèle unique ne pouvait être appliqué à l’ensemble des contextes urbains, mais que les particularités historiques, géographiques, sociales et économiques entraînent une diversité dans les projets. Cet ouvrage s’intéresse donc à mettre en valeur les principes et dynamiques partagées par les Écocités.

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Les Écocités reposent sur la volonté des gouvernances locales qui se sont vu accorder une liberté dans le choix des sites et dans la définition du projet. Elles ne sont pas juste l’échelle supérieure des écoquartiers, mais elles sont pensées comme des laboratoires pour le portage et la mise en cohérence de multiples politiques publiques avec une approche transversale mêlant les aspects sociaux, économiques, de mobilité ou encore d’énergie. C’est surtout l’aspect énergétique qui domine dans les réalisations actuelles. Ces Écocités se sont constituées en réseau national ayant la triple mission de partage des connaissances et expériences, de développement d’une intelligence collective et de favorisation de la reproduction de l’expérience. La première phase des ateliers nationaux de ce réseau a permis de faire un recueil de témoignages repris dans ce livre. Ils y sont organisés en quatre catégories : reconquête, aménités, énergie et mobilité. Chacune de ces catégories est illustrée par trois ou quatre projets d’Écocités en présentant leurs contextes, leurs enjeux et stratégies, la façon dont elles sont passées de la stratégie à l’action et ce qu’il faut poursuivre.

La première partie, celle de la reconquête, renvoie au renouvellement de l’espace urbain afin de l’adapter aux enjeux actuels. Il nécessite de prendre en compte à la fois l’héritage du passé (bâtiments et structures existantes) et les aspects réglementaires, juridiques et financiers pouvant se révéler être des obstacles car ils sont souvent peu adaptés aux innovations et à de nouveaux modes de faire. Faire une grande opération d’aménagement plutôt que de multiplier les petites permet théoriquement d’assurer une plus grande équité en traitant tout le territoire dans le développement et de partager le surcoût entre plusieurs opérations. Le renouvellement de l’espace impose aussi une gestion dynamique qui garantit une certaine flexibilité pour faire face à l’incertitude du temps long. Enfin, il ne faut pas oublier de travailler sur les usages pour qu’il y ait une véritable réappropriation du territoire par les citoyens.

Cette réappropriation est encouragée par la stratégie de « ville intense », à l’image de celle développée à Lille, qui a pour objectif de recentrer la ville là où ses usages sont le plus soutenus (transports et équipements publics). Cette stratégie est mise en place au travers d’investissements matériels, mais également en renouvelant le rapport des citoyens à ces espaces. On la retrouve également à Montpellier, ville qui a connu un fort étalement urbain. Les urbanistes de Montpellier partent du principe que l’ensemble des acteurs de la ville doivent la repenser et sortir d’une vision urbaine jugée ethnocentrique. Ils considèrent qu’il faut effectuer ce que l’urbaniste Bernard Reichen appelle une « inversion du regard » (Montpellier Agglomération, 2006), c’est-à-dire qu’ils doivent voir la ville non plus seulement comme un centre en opposition aux paysages et à la nature environnante, mais comme une coproduction avec ces derniers. La ville a pour ambition d’être un laboratoire urbain avec son projet de « Cité intelligente » se concentrant sur les innovations en matière de services numériques à destination des citoyens. Ce laboratoire contribuera à moderniser son tissu économique et améliorer sa mixité fonctionnelle et sociale, desseins également visés par l’Écocité.

À Nantes-Saint-Nazaire, les responsables publics ont décidé de s’orienter vers ce qui est appelé une gouvernance par l’informel, reposant sur des consensus obtenus par des débats et discussions régulières entre les acteurs du territoire et concrétisé par le projet de rester un centre économique attractif respectueux des enjeux environnementaux malgré la croissance démographique. Pour cela, la ville a choisi de se tourner vers le fleuve et son écosystème pour en faire son axe de développement.

Le témoignage supplémentaire de cette partie est celui du projet 22@ à Barcelone. Ce projet de reconversion de terres industrielles est celui d’une mutation économique du territoire pour développer une économie innovante. Pour accroître la densité du quartier en accord avec une mixité fonctionnelle et les activités existantes, un partenariat entre le secteur public, les propriétaires privés et les milieux académiques a été mis en place.

La deuxième partie se penche sur les aménités. Ces qualités agréables ou utiles associées à un lieu sont génératrices de mobilité. Aujourd’hui, les citadins souhaitent être à proximité des services et emplois offerts par la ville sans en subir les contraintes, en s’installant donc en périphérie. Cette conception des aménités entraîne un surcoût au niveau infrastructurel et énergétique puisque les distances à parcourir pour rejoindre ces services ne sont plus faisables à pied. Afin de revoir l’emplacement de ces aménités, la majorité des Écocités partent de ce qui est appelé une planification urbaine pragmatique, reposant sur les usages.

À titre d’exemple, l’action urbaine menée par la ville de Bordeaux se concentre sur une révision de ses infrastructures routières et énergétiques en lien avec les risques accrus d’inondation, conséquence des changements climatiques en cours. Pour Rennes, les aménageurs ont, eux, développé le concept de macro-îlots présentant une mixité fonctionnelle associée à une proximité. Ces micro-îlots ne sont toutefois pas un modèle unique répliqué à l’identique mais sont adaptés au cas par cas.

La troisième partie aborde les stratégies mises en place pour soutenir la transition énergétique qui est née d’un besoin d’optimiser l’utilisation des ressources et matières premières pour la production électrique, la climatisation et le chauffage. La raréfaction des ressources fossiles et l’obligation de limiter les émissions de gaz à effet de serre ont engendré une hausse du coût de production et de distribution de l’énergie, alors que l’étalement urbain et l’ancienneté du parc immobilier rendent la ville peu efficiente énergétiquement. Il faut donc adopter une approche systémique pour changer la donne : l’économie circulaire. Ce concept prône le réemploi, la réparation et la réutilisation des matériaux, des énergies et des eaux de la ville en circuit fermé, s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes naturels pour éviter les pertes, considérées comme du gaspillage.

Le concept d’Écocité de Grenoble s’est fondé sur des actions négaWatt (initiative mondiale qui promeut les innovations dans le domaine des problématiques énergétiques locales) en y ajoutant des actions supplémentaires. La démarche se calque donc sur celle de ce concept en ambitionnant d’améliorer l’efficacité du système énergétique de façon générale via, par exemple, une mutualisation des réseaux d’eau tempérée, en cherchant à atteindre une certaine sobriété notamment par la mise en place d’un éclairage public intelligent et en développant les sources d’énergie renouvelables, que ce soit par des panneaux photovoltaïques, de la cogénération biomasse ou une micro-centrale hydraulique.

L’Écocité de Lyon est issue de la mutualisation des efforts de quatre agglomérations pour atteindre les objectifs « 3×20 » : diminution des émissions de gaz à effet de serre de 20 %, diminution de la consommation énergétique de 20 % et 20 % de la consommation énergétique totale composée d’énergies renouvelables. Les actions techniques sont accompagnées par une démarche plus large visant à faire évoluer les comportements et habitudes des citoyens.

La démarche Écocité de Marseille a la particularité de ne pas être conduite par une seule collectivité, mais par plusieurs collectivités en collaboration avec l’État. Les changements climatiques posent le défi du rafraichissement de la ville et de ses bâtiments, c’est pourquoi les innovations et l’architecture bioclimatiques sont des enjeux majeurs de cette démarche.

Le témoignage d’un ingénieur architecte, expert en énergie et qualité environnementale permet de mieux comprendre plusieurs concepts et enjeux grâce à un abécédaire de l’énergie.

La quatrième partie de l’ouvrage traite du développement de systèmes de mobilité plus urbains. Afin de permettre le développement des nouvelles formes d’échange (telles que le covoiturage) et l’apparition de nouveaux lieux (tels que ceux issus de la mutualisation de places de télétravail), Florent Hébert encourage à revoir la vision de la mobilité qui a façonné nos villes. Il est d’avis qu’il faut se centrer sur les besoins des usagers pour retravailler la mobilité.

À titre d’exemple, les concepteurs de l’écocité de Nice ont appliqué la notion de « ville des courtes distances » qui promeut une mixité fonctionnelle des quartiers. Toutefois, l’auteur de ce chapitre note qu’il convient de se garder de créer des quartiers trop autosuffisants, au risque qu’ils restent cloisonnés et n’aient plus d’interactions les uns avec les autres.

Les aménagistes de Toulouse, ville très étalée en raison notamment des faibles contraintes du milieu, désirent, dans le cadre de leur projet d’écocité densifier les cœurs d’agglomération en élargissant parallèlement les zones de desserte des transports publics et en créant un réseau régional interconnecté et global grâce à une offre de modes de déplacements flexibles.

Chacun des 19 projets Écocité est synthétisé par une fiche en fin d’ouvrage.

Ce qui ressort de cette compilation de projets, qui semblent avoir été rangés dans un chapitre plutôt qu’un autre assez aléatoirement, est la nécessité de faire preuve de pragmatisme dans les aménagements des villes de demain, d’une « vision opérationnelle plus intégrée du développement et du fonctionnement urbains, au plus près des pratiques des citoyens » (p. 219), en acceptant de faire des compromis puisqu’il faut partir de ce qui est déjà présent et non pas d’un territoire vierge.

Très jargonnant, ce livre intéressera particulièrement les urbanistes, architectes, ingénieurs, le personnel administratif et les responsables politiques impliqués dans une démarche de révision de leurs politiques urbaines. Il leur permettra de comprendre le processus général des Écocités et de donner une vue d’ensemble des stratégies possibles. Il sera cependant nécessaire de fouiller plus avant pour avoir des illustrations concrètes de la mise en place des concepts et visions présentées dans cet ouvrage.

KIMBERLEY MEES

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Diplômée en Sciences politiques et Sciences et gestion de l’environnement, Kimberley Mees travaille actuellement en Suisse dans le domaine de l’urbanisme durable.

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Florent Hébert est architecte et urbaniste de l’État, en charge du pilotage et de la coordination de la démarche nationale Écocité (19 agglomérations), à la sous-direction de l’Aménagement durable (MEDDE-MLET/DGALN).

Villes en transition. L’expérience partagée des écocités, Florent Hébert (dir.), 2015, Editions Parenthèses, 249 p.

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Image de couverture : Image extraite de Villes en transition de Florent Hébert (p. 40, 2015)

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Bibliographie

Montpellier Agglomération, 2006, SCoT (Schéma de cohérence territoriale) de Montpellier Agglomération, Montpellier, Montpellier Agglomération, 211 p. Maîtrise d’œuvre : Bernard Reichen et Alfred Peter

Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer, 2008, Démarche écocité, Paris, 6 p.

 

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