Villes méditerranéennes / Vulnérabilité et résistance des bostan (jardins potagers) millénaires d’Istanbul

Ümmühan Öztürk

L’article d’Ümmühan Öztürk au format PDF

 


Cet article analyse le rôle des espaces ouverts dans la transformation d’une métropole méditerranéenne sous l’angle de ses paysages agricoles : Istanbul. Au cours de l’histoire, les espaces ouverts ont eu des définitions diverses selon les approches scientifiques mais aussi selon les cultures dans lesquelles ils se sont construits. Ils recouvrent une diversité de processus, de situations et de mondes sociaux (Banzo, 2015). En France et en Europe, le terme « espace ouvert » commence à être mobilisé à partir des années 1968, en devenant une politique urbaine autour des revendications de requalification urbaine (Decroly et al.,2003). À la même période, de l’autre côté de l’Atlantique, la notion d’« open space » était associée au plaisir, à la création, aux rencontres humaines et aux célébrations communautaires. Ces espaces ouverts urbains étaient perçus comme la base du renouvellement et de la stabilisation sociale et économique des villes (Heckscher et Robinson, 1977). Aujourd’hui, dans le cadre d’une prise de conscience accrue des enjeux environnementaux, leurs potentiels ont été mis en avant comme des espaces multidimensionnels, voire des facteurs de résilience (notamment les espaces verts et terres agricoles du périurbain).

Les espaces ouverts de la ville d’Istanbul sont principalement constitués des « bahçe » (jardins), des « bağ » (vergers) et des « bostan » (potagers). Néanmoins, aujourd’hui, les bostan comme les autres espaces ouverts de la ville, sont au cœur d’un débat politique, en lien avec l’affirmation du processus d’urbanisation à l’échelle mondiale, fortement liée à l’économie de marché. Le capitalisme, bien qu’il ne soit pas le seul système de production et d’échange, influence fortement les différentiations spatiales et économiques à l’échelle mondiale. David Harvey, depuis les années 1970, ne cesse de s’interroger sur les crises engendrées par ce système afin de comprendre comment ce système a su dépasser ses crises provisoirement. « Provisoirement » car selon David Harvey, le capitalisme ne peut jamais véritablement résoudre ces dernières. Le « spatial fix » est le concept qu’Harvey définit dans son livre Spaces of Capital (2001) pour élaborer une géopolitique du capitalisme (Harvey, 2008). David Harvey part du constat que, si dans ce système capitaliste il est impossible de résoudre les crises d’une manière efficace et durable, il est cependant possible de les déplacer spatialement afin de relancer l’accumulation de capital dans des régions intactes, jusqu’à l’arrivée de la prochaine crise. Depuis les années 1980 à Istanbul, cette logique de gestion des crises s’est accélérée dans la production urbaine (Genç, 2018). De ce fait, le contrôle de l’espace, sa construction et son développement, influence le modèle économique choisi par les autorités gouvernementales. Ce contexte de mondialisation accentue la vulnérabilité des bostan. L’un des exemples emblématiques de la pression drastique exercée sur l’espace agricole de la ville par les pouvoirs publics est celui des bostanmillénaires de Yedikule (forteresse de Sept-Tours). La particularité de ces bostan réside dans le fait qu’ils illustrent la résilience d’une agriculture pratiquée aux pieds des murailles terrestres d’Istanbul depuis l’Empire byzantin. Cette ancienneté ne leur procure cependant pas une activité reconnue. Les jardiniers de ces bostan mènent cette activité de manière informelle et sont considérés comme des envahisseurs d’espace par les autorités publiques.

En 2013, la moitié des bostan millénaires a été détruite sous prétexte de rendre ce site plus sécurisé en raison du projet d’un parc récréatif. Cette destruction partielle forcée, sans avertissement préalable, a créé un sentiment de panique chez les jardiniers ayant des bostan autour de ce parcellaire. Elle a induit une situation de tension dans l’arène publique. Le projet a généré une confrontation entre les politiques top down et les dynamiques bottom up. Les mobilisations des jardiniers, relayées par divers acteurs (ONG., associations) ont permis de bloquer la situation et d’instaurer un état de veille. Dans cette phase intermédiaire, une pluralité de conceptions du devenir foncier et des formes d’appropriation qui l’accompagnent est apparue. La dynamique historique des bostan conduit d’une part à une transformation, animée par une densification et un projet de gentrification urbaine, qui suppose la destruction des bostan en vue d’une rentabilité foncière. D’autre part, elle conduit à la mise en place d’un front de résistance venant des bostan eux-mêmes. Cet article cherche à comprendre cette double dynamique de transformation et de résistance, à savoir comment celle-ci met au jour une conception de la ville et de l’être-en-ville alternative grâce à la sauvegarde d’une pratique millénaire.

Pour ce faire, la première partie de l’article mettra l’accent sur l’épaisseur historique des bostan en apportant une description nuancée des ambiances et des qualités environnementales. Ces bostan sont liés à une économie de subsistance et mettent en avant une idée de vie commune. Ils sont attachés à des édifices publics remarquables (murailles, église, mosquée etc.) et nous chercherons à repérer les traces d’ambiance que laisse cette épaisseur historique selon différents modes d’évaluation de la valeur des bostan (Centemeri, 2015), à la fois comme « bien commun » et comme moyen pour la ville de garantir une attractivité selon les standards de l’Unesco (Breviglieri, 2019). Notre hypothèse est que les pouvoirs publics ne semblent pas suffisamment sensibles aux potentialités de ces espaces-temps comme les savoir-faire traditionnels, les diversités d’usage, les relations familières avec la terre, l’attachement ou l’économie de subsistance. Or, les bostan permettent de matérialiser ces espaces ouverts par une pratique de l’agriculture urbaine dont les fonctions productive et sociale ont été démontrées dans différentes études de cas réalisées dans le monde entier (Freeman, 1991 ; Mougeot, 2000 ; Howe, 2002 ; Duchemin et Wegmuller, 2010).

La deuxième partie sera consacrée à l’analyse des polémiques qui touchent au mouvement de résistance initié dans les bostan. Cette résistance se noue localement sur un enjeu politique circonscrit, mais se déploie universellement à cause du chaînage symbolique qui lie les bostan aux questions de gestion du patrimoine et de sauvegarde de l’écosystème terrestre.

Afin d’appréhender ces bostan et de comprendre les caractéristiques spatiales et historiques des paysages agricoles d’Istanbul, cette recherche s’appuie sur corpus reposant principalement sur un travail d’archives, notamment en ce qui concerne les photographies historiques, les décrets officiels et les cartes anciennes. En outre, les différentes entités sensibles qui composent les bostan ont pu être relevées grâce à une observation participante réalisée sur le territoire entre 2016 et 2018. Ainsi, nos constats s’appuient sur la parole des acteurs rencontrés lors d’une vingtaine d’entretiens semi-directifs réalisés pendant cette période.

Le Bostan comme entité culturelle stambouliote

À Istanbul, les bostan sont comme un composant historique et dynamique d’une pratique de jardinage dans la ville. Leur exploitation repose sur des connaissances locales et des savoir-faire traditionnels (voir fig. 1) en perpétuelle évolution.

1. Extraction d’eau autour d’un puits historique dans les bostan de douve (Sébah et Joaillier, 1880).

Le bostan : qu’est-ce que c’est ?

Le terme de bostan correspond à celui de « jardin potager » en français. Le toponyme bostan vient de la langue persane, du mot būstān ou būyistān dont le préfixe bo signifie « senteur » et le suffixe -stan signifie « lieu » ; bo+stan (senteur+lieu) se traduit donc littéralement par « jardin des senteurs ». Dans les bostan stambouliotes, la qualité olfactive du paysage est affirmée à plusieurs reprises par les habitants qui se trouvent autour et par les personnes qui pratiquent le site lors de leur traversée (entretien avec différents usagers, 2016-2018). De ce fait, les bostan restent littéralement proches de leur définition étymologique.

Selon la définition de l’encyclopédie d’Istanbul, donnée par l’historien Reşat Ekrem Koçu, « les bostan sont de vastes terrains agricoles ou des vergers dans lesquels tous types de légumes et de fruits sont cultivés. Ils sont souvent installés à proximité des cours d’eau ou des fleuves, sur des terrains irrigables et marécageux » (Türk Ansiklopedisi, 1963, vol. 6 : 2971-2972). Selon une autre définition, « les bostan sont toujours établis à proximité de la ville parce que les légumes cultivés sont vendus en ville ; les engrais et d’autres fournitures nécessaires pour les bostan sont achetés dans la ville » (Türk Ansiklopedisi, 1955, vol.7 : 379-380).

Ces deux définitions détaillées et complémentaires permettent de placer les bostan dans la chaine alimentaire de la ville comme étant l’un des constituants de l’agriculture urbaine (Mougeot, 2000)1. Cette pratique se poursuit malgré le rythme accéléré de la croissance urbaine d’Istanbul puisqu’elle est ancrée dans ses antécédents culturels et historiques.

Localisation et typologie des bostan

Les analyses des bostan montrent qu’il existe une corrélation directe entre leur configuration spatiale et les entités géographiques du site. La présence de terres disponibles et les ressources en eau à proximité du site, constituent les premières conditions primordiales de leur existence. Leurs besoins spatiaux peuvent être regroupés en deux types : les besoins matériels comme la terre, l’eau et les graines ; les besoins immatériels qui se réfèrent aux savoir-faire et au travail des jardiniers (voir fig. 2). Ces besoins ne sont ni indépendants ni dissociables. Cependant, il existe une diversité dans la mise en œuvre de la pratique agricole en fonction du lieu d’implantation des bostan, de leur taille et de leur type de production.

2. Les besoins spatiaux des bostan (Öztürk, 2018)

À l’heure actuelle, en recensant les bostan existants dans l’ensemble de la ville, nous avons identifié trois types de bostan selon leur contexte d’émergence et leurs spécificités.

Premièrement, les bostan productifs à titre commercial. Ils se situent souvent sur des étendues vastes, dans les franges de la ville, dans des espaces en cours d’urbanisation comme dans le cas des bostan historiques de Yedikule ou les bostan d’Ataşehir (voir fig. 3). Dans cette catégorie, nous pouvons intégrer les bostan de Vakıf (fondation) de même que le bostan historique de la mosquée de Piyalepaşa (voir fig. 4) et le bostan de l’église Orthodoxe-Grecque Panagia (voir fig. 5). Leur existence dépend de l’institution et des superficies des terrains sur lesquels ils s’implantent.

3. Bostan d’Ataşehir (Öztürk, 2018)

4. Bostan historique de la mosquée de Piyalepaşa (Öztürk, 2018)

5. Bostan historique de l’église Orthodoxe-Grecque Panagia (Strom, 2014)

Deuxièmement, les bostan collectifs dans lesquels nous retrouvons les jardins partagés qui accueillent des parcelles individuelles ne dépassant pas quelques mètres carrés. Chaque année, la municipalité organise un tirage au sort pour l’attribution de ces parcelles aux habitants du quartier. Ces bostan sont localisés en cœur de quartiers, avec une superficie moindre que le premier type des bostan : bostan de Kuzguncuk (voir fig. 6)  et bostan d’Imrahor à Üsküdar.

6. Bostan de Kuzguncuk (Öztürk, 2018)

Troisièmement, il existe des bostan de contestation qui apparaissent comme une nouvelle forme d’expression critique du système politique et/ou économique : bostan de Roma (voir fig. 7), bostan de Berkin Elvan, et bostan de Moda-Gezi. Ces bostan ont été créés dans plusieurs quartiers centraux d’Istanbul, à la suite des événements du Parc de Gezi2. Ils ont pris place dans des dents creuses du tissu urbain dont les terrains appartiennent soit à l’État soit à des fondations (Fautras, 2016). Leur dimension est souvent minime mais ils portent une valeur symbolique et commémorative.

7. Bostan de Roma (Öztürk, 2018)

En dehors de ces typologies, il est intéressant de rappeler la part non négligeable des jardins potagers conçus à l’intérieur des gecekondu (habitat spontané ou étymologiquement construction nocturne rapide) pour l’intégration d’une population immigrante dans les aires urbaines (Cankat, 2010). Que ce soit sous la forme de bahçe (jardin), bağ (verger) et bostan (jardin potager), ces entités permettent de générer de l’emploi pour une population vulnérable telle que les migrants (Dorso, 2014). Elles répondent indéniablement à une partie des besoins en légumes et fruits frais des Stambouliotes. En 2016, selon les données de l’Institut statistique de Turquie (TÜIK), les terres agricoles de la ville d’Istanbul couvraient une superficie de 6,7 km2 sur une superficie totale de 5 461 km2. Quant à la péninsule historique pour la même période, la superficie de terres agricoles en intra-muros était de 0,23 km2 sur une superficie totale de 15,93 km2. La part de surface consacrée aux espaces cultivés est supérieure dans le centre historique (1,55 %) par rapport à la part de la totalité de la ville (0, 012 %). Ce qui permet de souligner leur importance par rapport au reste de la ville en termes de mise en valeur de la production et de la consommation locale.

À titre d’exemple, dans le cas des bostan à vocation commerciale, les produits récoltés sont consommés localement, soit par la vente directe sur place, soit par l’intermédiaire des marchés de quartier (Zeytinburnu, Gaziosmanpaşa, Bakırköy, Bayrampaşa ou Eyüp). Une partie des produits est distribuée aux supermarchés, aux épiceries et aux restaurants avoisinants. Tandis qu’à l’échelle de la ville, les produits sont distribués soit par les collectifs des consommateurs responsables soit par les biais des marchés de gros (entretien avec un jardinier, 2018).

Épaisseur historique des bostan : héritage patrimonial d’Istanbul

Sous l’Empire byzantin, l’agriculture a été une préoccupation primordiale. Il était nécessaire de subvenir aux besoins alimentaires de la ville puisqu’elle a été durant de longues périodes sous la menace des occupations de l’Occident et de l’Orient. Selon les recherches de l’historien, John L. Teall, l’activité agricole était perçue comme une « occupation qualifiée et digne » dans le statut social (Teall, 1971 : 33). Cependant, l’absence des documents d’archives limite nos champs d’investigation pour connaître avec précision les paysages agraires byzantins jusqu’au milieu du XIe siècle. L’iconographie, les textes juridiques et narratifs permettent en partie d’appréhender ce paysage. Mais ce sont surtout les enluminures des manuscrits qui donnent des informations riches sur les pratiques concrètes de l’agriculture. Par exemple, un manuscrit enluminé réalisé par le moine Théodore matérialise une scène de jardin à Constantinople en février 1066 (voir fig. 8). Ici, des épis de blé murissent au milieu d’arbres fruitiers (des figuiers, des pommiers, des cerisiers, des vignes, des oliviers), la terre est travaillée à la bêche. Par hypothèse, il est possible de déduire que des céréales sont cultivées dans le jardin. Quant aux types de légumes énoncés dans les divers textes, les pois, les haricots, les lentilles, la citrouille, la laitue, le céleri, le poireau, l’ail, l’oignon sont parmi les plus cités (Kaplan, 1980).

8. Scène de jardin à Constantinople (The British Library, Theodore Psalter, 1066)

Une recherche menée par l’historien Johannes Koder, s’appuyant sur l’ouvrage Geoponika, traite des aspects techniques du jardinage à savoir l’estimation des surfaces utilisées pour cultiver, la relation entre la qualité de la terre et le choix des variétés à cultiver selon les saisons. Il s’agit de prédire si le printemps arrivera tôt ou tard, l’importance de savoir si la lune est au-dessus ou au-dessous de la terre, l’horaire ou les prévisions du premier coup de tonnerre après le lever de Sirius chaque année, etc.. D’après ces recherches, de tels jardins se sont développés à l’intérieur des murailles terrestres sur environ 3 km2 et couvrent au XIIIe et XIVe siècle une surface totale approximative de 16 km2 (voir fig. 9) (Koder, 1995 : 53), ce qui permettait de satisfaire les besoins alimentaires d’une population de 300 000 à 500 000 personnes sans difficulté en ce qui concerne les besoins en fruits et légumes. Concrètement, il est difficile de dire si tous les produits inclus dans le régime alimentaire byzantin (blé, légumineuse, vin, huile, miel, fromage) provenaient de ces périmètres, mais selon le livre de l’Éparque de l’empereur Léon IV le Sage, les besoins en viande de la ville étaient subvenus au-delà de la ville de Nicomédie (actuellement appelée Kocaeli), soit la région de Bithynie de l’Asie Mineure. Les bœufs, les bovins, les chèvres, les moutons, les gazelles, les porcs sont cités dans les textes diététiques de Constantinople en tant que viandes consommées dans la ville. Dans cette liste, les ânes sauvages avaient une place exclusive ; leur troupeau était maintenu dans des parcs impériaux car selon Liutprand, ils étaient la joie et la fierté de l’empereur. De plus, tous les matins, 1 600 bateaux de pêche (recensés par l’historien de la 4ème croisade : Gunther de Pairis) ramenaient leurs prises sur les ports à l’intérieur des murailles maritimes (Dalby, 2010).

9. Constantinople et son arrière-pays au XIIIe et XIVe siècle (Koder, 1993)

À la suite de la reconquête de Constantinople par les Ottomans en 1453, près de 30 000 paysans ont été installés dans les villages autour de la ville pour pouvoir la reconstruire, la repeupler et la nourrir (Kinross, 1977 : 117). Dans un kefil defteri (cahier de garant) appartenant à la Fondation de Sainte Sophie et datant de 1735, nous pouvons voir que 344 bostan étaient recensés dans la totalité de la péninsule historique. Ces bostan étaient exploités par 1 381 jardiniers (Han et Shopov, 2013). Ces chiffres nous renseignent sur l’intensité de l’activité agricole à Constantinople à cette époque.

Durant cette période, l’émergence des çukurbostan (jardins enfoncés) a permis la transformation des espaces ouverts tels que les douves, les citernes d’eau à ciel ouvert et les portes maritimes qui ont perdu leur fonction initiale en leur réattribuant une nouvelle fonction productive. Ces terrains abandonnés ont été remplis progressivement avec de la terre (Van Millingen, 1899) et cette pratique de jardinage a assuré la continuité des espaces ouverts autour des monuments historiques comme dans le cas des bostande douve des murailles terrestres (voir fig. 10).

10. Un exemple de transformation des espaces ouverts dans l’épaisseur des murailles : le remplissage progressif des douves avec de la terre (F. Lohrberg et A.G. Timpe, 2012)

En 1883, selon l’index de la carte d’Istanbul d’Ekrem Hakkı Ayverdi, 102 bostan dans l’ensemble de la ville intra-muros ont été recensés. Plus tard, en 1963, l’historien Reşat Ekrem Koçu a esquissé l’emplacement de 44 bostan intra-muros (voir fig. 11) selon les données de la carte d’Istanbul de Necip Bey datant de 1918 (Istanbul Ansiklopedisi, 1963 : 2971).

11. Emplacement des bostan historiques intra-muros en 1918, redessiné par Akdal (Istanbul Ansiklopedisi, 1963)

En revanche, l’urbanisation rapide a entraîné dès les années 1950 des modifications considérables. Selon les chiffres de l’Institut Statistique de la Turquie, les zones agricoles d’Istanbul ont été réduites de 15 % entre 1997 et 2002. Selon le rapport de planification du Grand Istanbul (2005), environ 2,5 % de la superficie totale de logements est établie sur les terres agricoles les plus fertiles (Baser et Tuncay, 2010). La rétraction des terres agricoles dû au phénomène de l’étalement urbain est notamment visible autour des bostan millénaires de Yedikule (voir fig. 12). L’image ci-dessous matérialise la réduction remarquable de ces espaces agricoles entre 1946 et 2019 dans la partie sud des murailles terrestres.

12. Constat de la croissance urbaine autour des bostan millénaires de Yedikule (Institut Français d’Études Anatoliennes, 1946 et Bing Maps, 2019)

Dans la section suivante, nous allons approfondir le cas des bostan millénaires de Yedikule des points de vue historique et patrimoniale car il demeure parmi les vestiges qui ont pu résister à la pression urbaine.

Le cas des bostan millénaires de Yedikule

Appelés par le nom de leur quartier, « Yedikule » qui veut dire « Sept-Tours », les bostan de Yedikule suivent les murailles terrestres et délimitent la ville ancienne. Ils se composent de deux parties distinctes : les bostan intra-muros et extra-muros (voir fig. 13). Le site est classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985.

13. Vue aérienne des murailles terrestres retravaillée par l’auteure (Municipalité de Grand Istanbul, 2005)

Selon un édit de code Théodosien, les bostan intra-muros existent depuis 422, soit depuis que les murailles terrestres sont construites (voir fig. 14). D’après cet édit, les terres qui se trouvent autour du système défensif devaient fonctionner comme des terrains agricoles alimentant la ville. Les étages inférieurs des tours et des murailles étaient réservés aux usages privés, plus précisément aux agriculteurs (Ricci, 2008). Jusqu’à leur destruction récente, ces bostan intra-muros permettaient de produire 10 tonnes de légumes par an et ils s’étendaient sur 6 hectares (Tarlataban, 2015).

14. Vue générale des bostan intra-muros de Yedikule (Sébah et Joaillier, 1890)

Quant aux bostan extra-muros, ou bostan de douve (hendek bostanları), ils se trouvent au sein même des murailles (voir fig. 15) et existent depuis le XIXe siècle (Sakaoğlu, 2007). Ils font preuve de résilience en demeurant actifs dans la ville. Ils suivent le tracé des murailles sur environ 3 kilomètres. Ils s’étendent sur 20 hectares et permettent de produire 30 tonnes de légumes et 4 tonnes de fruits par an (Tarlataban, 2015).

15. Les bostan de douve au sein des murailles (I.Ilze et G.Ata, Skylife, 2016)

Un regard rétrospectif : les traces d’ambiance dans le microcosme des bostan

Au cours des siècles, les bostan d’Istanbul ont permis d’approvisionner la ville en légumes et fruits frais par l’utilisation intelligente et efficace des espaces cultivables, des ressources et des saisons. Ils sont répartis dans l’ensemble de la ville. Dans l’encyclopédie d’Istanbul, Reşat Ekrem Koçu raconte les ambiances de cette entité en se référant aux récits du poète Vâsıf Hoca selon lesquels les bostan offraient aux habitants un lieu de vie commun, de repos, d’échange et d’approvisionnement (Istanbul Ansiklopedisi, 1963 : 2971)3.

À Istanbul, chaque quartier était reconnu pour sa variété de légume ou de fruit. Au vu de la pratique d’aujourd’hui, il est probable que les personnes venaient s’approvisionner directement aux bostan concernés en fonction des variétés recherchées. En 1874, Nichan Berberian, dessinateur de la satire ottomane a représenté les caractéristiques de certains quartiers4 d’Istanbul dans la revue Hayal (Talbot, 2013). L’intérêt de cette caricature (voir fig. 16) réside dans sa capacité à offrir un panorama de la diversité des produits cultivés à l’époque, à savoir que la plupart d’entre eux ont totalement disparu du paysage stambouliote actuel au point que nous ayons du mal à deviner certaines images représentées.

16. Représentation caricaturale des quartiers d’Istanbul selon leurs produits et leur réputation agricole (N. Berberian, Hayal, 1874, image fournie par Talbot dans Ottoman History Podcast, 2013)

La laitue des bostan de Yedikule que nous connaissons sous le nom de laitue « romaine » était la laitue la plus savoureuse d’Istanbul (Kafadar, 2017). Elle était réputée pour sa consistance douce et huileuse. Elle pouvait atteindre jusqu’à 60 cm de hauteur, et pouvait peser jusqu’à 8 kilos (Bağış, 2015).

Au-delà du simple lieu de production, les bostan constituaient aussi le lieu de déroulement des fêtes de quartier, là où la plupart des gens se rassemblaient autour des repas (voir fig. 17). Le dernier jardinier albanais, Rıza Güce, raconte avec beaucoup de nostalgie et de passion ses souvenirs liés aux bostan : « À l’époque, tout le monde, les Grecs, les Arméniens et les Albanais venaient ici quelles que soient leurs origines, on se rassemblait tous autour de ces jardins pour manger la fameuse laitue de Yedikule » (Bianet news, 2018). Si cet appauvrissement du caractère multiculturel des bostan est flagrant, il n’est que le reflet d’un phénomène beaucoup plus global.

17. Des Stambouliotes en train de manger la laitue de Yedikule (Photo prise de l’archive personnelle de Rıza Güce, datant des années 1960, Bianet News, 2018)

Disparues au fil du temps, ces fêtes ont regagné l’espace public depuis 2015. À l’initiative de mouvements Slow Food, la fête de la laitue regroupe des Stambouliotes qui prêtent attention à leur alimentation (voir fig. 18). Chaque année, le programme se déroule sur deux ou trois jours, partagés entre visite des bostan, échange de graines biologiques et sensibilisation des habitants par l’intermédiaire des séminaires (Yeşilist, 2016).

18. La fête de la laitue dans les bostan de douve à Yedikule (Yoğurtçuoğlu, 2016)

Les bostan permettent de raviver cette idée de vie commune disparue avec la modernisation et ils portent une valeur culturelle, patrimoniale, historique, symbolique et économique dans la ville. Les bostan peuvent aussi être évalués par leur dimension matérielle, puisqu’ils permettent d’intégrer à la société une population vulnérable (flux migratoires successifs) (Kaldjian, 2004), et de sauvegarder la biodiversité en milieu urbain. Ils permettent la transmission d’une culture avec toutes ses qualités d’ambiance qui transcendent la seule dimension de l’exploitation d’une terre fertile. Ils se réfèrent à la mise en forme d’une communauté d’accueil où a pu s’épanouir une proximité relationnelle et des réseaux d’échange entre familles migrantes et avec le milieu urbain stambouliote (entretiens et observation in-situ, 2016-2018). Conserver cette pratique traditionnelle fait vivre non seulement quelques centaines de familles, mais cela permet aussi de sauvegarder les biens communs5 de cette communauté de proches qui, dans la ville qui raisonne désormais autrement sur ses ressources productives, sont sous une pression permanente. Que ces biens communs soient aussi reconnus à une échelle beaucoup plus vaste que celle de la ville est un enjeu qui vient légitimer leur protection. Mais c’est vraisemblablement dans l’affirmation d’un rapport de résistance critique au gouvernement urbain actuel que cette protection pourra être établie.

En Turquie, à la suite de la crise de l’année 2001, les secteurs de la construction, de l’énergie et du tourisme ont constitué les fondements de l’organisation spatiale dans tout le pays. Ces stratégies appliquées ont causé la pollution systématique des biens communs de la ville et elles ont touché principalement la classe ouvrière, les espaces communs (places, parcs, côtes), et les ressources naturelles (Genç, 2018). La pression des politiques prédatrices sur les biens communs de la ville associée à la confiance érodée du peuple vis-à-vis des pouvoirs publics a préparé le terrain d’une résistance pour le mouvement de Gezi en 2013. Gezi a pris une ampleur sans précédent dans tous les pays dans l’opposition à des politiques appliquées et dans la proposition d’une voie alternative de démocratisation. Aujourd’hui encore, le retentissement de ce mouvement continue de donner de l’espoir à des formes de pratique politique permettant d’imaginer la possibilité d’un autre monde comme illustré dans le cas de Bostan de Roma à Beyoğlu. À l’échelle plus globale, les stratégies polyvalentes sont nécessaires pour surmonter les crises engendrées par le capitalisme.

Logique néolibérale des projets de renouvellement urbain à Yedikule

La contraction des terres agricoles de la péninsule stambouliote débute dans les années 1950, dans un contexte d’exode rural6.La naissance des projets de renouvellement urbain (kentsel dönüşüm) commence de manière effective à partir des années 2000 (Kıvılcım-Çorakbaş et al., 2014). Les pouvoirs publics, par le biais de ces projets cherchent à renforcer la libéralisation économique de la production urbaine (Breviglieri, 2019). Apparaît également une mise en ordre morale et politique de la ville tout en se référant à un héritage et une tradition ottomane sur le plan culturel (Pérouse et al., 2013). L’épaisseur historique de la ville est mise en valeur par les actions politiques pour promouvoir des activités touristiques en rapport avec des projets de transformations urbaines (Öztürk, 2012) qui sont comme un outil de polissage de certains quartiers informels de la péninsule historique7 (Yalçıntan et Çavuşoğlu, 2011).

Emprise des logiques foncières et effacement des bostan

À Yedikule, en 2006, une partie des bostan millénaires intra-muros est déclarée zone de renouvellement urbain (voir fig. 19) et, par conséquent, on y réalise la construction de villas achevées en 2010.

19. Vue aérienne des bostan avant la construction des villas en 2006 (D. Koç. et T. Sezgin, Atlas Dergisi, 2015)

En juillet 2013, toujours dans le cadre du renouvellement urbain, les bostan intra-muros ont subi une deuxième vague de destruction (voir fig. 20). Trois hectares de ces bostan ont été détruits en une nuit – sans avertissement préalable – et remplis de gravats dans l’objectif de créer un projet de parc récréatif (voir fig. 21), orné d’un bassin décoratif, de parcours pour les piétons et d’activités commerciales (restaurants, cafés etc.) (Bianet News, 2013).

20. La destruction des bostan historiques intra-muros (Shopov, 2013)

21. Schéma d’aménagement du projet de parc récréatif (Mairie de Fatih, 2013)

Les destructions ont commencé avant même que la communication du projet soit faite au public. Dans un article issu du journal Radikal, paru le 20 août 2013, les citoyens ont été ébranlés par l’apparition de trois projets différents (voir fig. 22) prévus à la place des bostan intra-muros (Radikal, 2013). Cette ambiguïté autour du projet imposé a créé un tollé auprès des jardiniers. Le lendemain des destructions, l’association des archéologues d’Istanbul s’est rendue sur le site pour faire un constat et un état des lieux puisque le site est classé au patrimoine mondial de l’Unesco et toute intervention est soumise à l’avis du conseil des musées (Tarlataban, 2015).

22. Le dévoilement du projet de parc récréatif (I. Emen, et E. Ince, Radikal, 2013)

À la suite des objections de diverses institutions, le projet de parc a été annulé en novembre 2014. Au même moment, le maire d’Istanbul, Kadir Topbaş, a fait une déclaration à la presse en proposant de concevoir un projet collectif avec la participation des différents acteurs (Anadolu Ajansı, 2014) : « On pense qu’il serait bénéfique d’organiser un atelier composé d’historiens, de scientifiques, de résidents et de jardiniers pour construire un projet collectif. »8 (traduit par l’auteure).

En janvier 2016, la mairie a pourtant détruit la totalité des cabanes des bostan de douve car, selon elle, les cabanes polluaient visuellement le paysage des murailles. En février 2018, la mairie a annoncé le nouveau projet révisé, sans concertation avec le public ni avec aucun parti d’opposition alors que le projet était censé être participatif. Dans ce nouveau projet, elle propose de créer un parc d’agriculture urbaine (voir fig. 23) avec une halle de marché, des jardins partagés, des aires de pique-niques, des jeux, des parkings ou encore des espaces pour cultiver les herbes aromatiques  (Municipalité du Grand Istanbul, 2018).

23. Le projet révisé proposant un parc d’agriculture urbaine (Municipalité du Grand Istanbul, 2018)

La dernière communication sur le devenir des bostan remonte à février 2019, par le candidat du parti politique au pouvoir AKP (Parti de la Justice et du Développement) à Istanbul, Mehmet Ergün Turan, qui a présenté les projets au public. Selon lui, les abords des remparts sont des lieux propices à la criminalité en ville, donc il faut réprimer toutes les activités illégales autour des murailles et ouvrir ces espaces au public grâce à des parcours de marche et de vélo. Il propose de créer un millet bahçesi « jardin national » à la place des bostan millénaires (voir fig. 24) pour rendre le quartier de Fatih « plus sécurisé, plus confortable et plus social »9 (Turan, 2019) (traduit par l’auteure). À cet égard, les bostan deviennent les laissés pour compte de la patrimonialisation des murailles.

24. Image de synthèse du projet « Jardin national » proposée par le candidat municipal d’AKP (Site web officiel de M. E. Turan, 2019)

Les bostan sont totalement absents de l’imaginaire de la plupart des politiques par manque de connaissance sur le sujet et surtout parce que l’affichage d’un fort pouvoir politique économique domine. Pour appréhender avec justesse cette transformation urbaine, il faut comprendre que les bostan se trouvent au croisement de conceptions différentes du rapport au sol, et au-delà, d’intérêts divergents dans la mesure où ils présentent des enjeux diversifiés pour chaque acteur.

Un conflit urbain lié aux perceptions différentes du devenir des bostan

Nous pourrions, à titre d’hypothèse, distinguer cinq types d’acteurs aux postures différentes : les collectivités locales, les O.N.G., les jardiniers, les habitants et les autres usagers du site (sans-abri, étudiants, touristes ou encore les dealers). Chaque acteur a une perception différente de cet espace : les collectivités locales au pouvoir jusqu’à peu concevaient le terrain agricole comme un possible objet spéculatif (Penpecioğlu, 2016), tandis que les O.N.G. conçoivent la terre cultivée et les pratiques agricoles locales comme un patrimoine porteur d’indicateurs écosystémiques (Koryürek, 2016). Les associations comme DÜRTÜK (Collectif de producteurs et de consommateurs résistants) essayent de vendre les produits des maraichers pour marquer leur solidarité avec les producteurs (Uğurlu, 2016). Ils veulent conserver les bostan pour les générations futures. Les bostan font partie du registre des biens communs en termes de valeur historique, symbolique et culturelle de la ville. Ils ouvrent aussi d’autres perspectives touchant aux problématiques globales (sécurité alimentaire, justice socio-économique, protection de l’environnement).

Quant aux jardiniers, leur vie et leur culture témoignent d’un profond attachement à la terre et à ses ressources en référence à une mémoire sensible du lieu, au-delà de l’intérêt économique. Leur monde est constitué des « bostan ». Ce monde n’est pas composé seulement d’éléments physiques comme la terre, les arbres ou les cabanes, mais il inclut aussi des mémoires, du vécu des temps passés et des aspirations qui les accompagnent. Leur vie s’organise autour des bostan. Pour eux, la pratique du jardinage n’est pas un simple métier pour « gagner sa vie » mais, elle est aussi un moyen d’existence dans la société. Dans leur bostan, les jardiniers se sentent vivre librement et dignement, ils y partagent leur vie, leur temps, ainsi que leur relation avec le monde (entretien avec plusieurs jardiniers, mai 2018).

La perception des habitants limitrophes des bostan reste floue et instable en raison de l’ambiance abandonnée des bostan intra-muros à la suite de la destruction. Le site se trouvant autour des remparts présentait déjà une certaine dynamique de criminalité liée à des activités illégales (vente de drogue, prostitution, libation) tel que Franck Dorso l’a décrite (Dorso, 2007). L’état actuel de ce terrain devenu comme une poubelle publique (voir fig. 25), dépourvu d’entretien et d’éclairage, influence la pratique quotidienne des habitants et ceux-ci affirment leur souffrance face à cette inertie. L’insouciance et l’abandon volontaire de cet espace par des responsables incitent les habitants du quartier à vouloir changer cette ambiance à tout prix, quelle que soit la forme du projet ; ils veulent voir autre chose à la place d’une friche (entretien avec habitants, avril 2018). D’une part, ils affirment une volonté de conservation des bostan puisqu’ils permettent d’accéder aux produits alimentaires frais et de ressentir les saisons grâce aux ambiances olfactives et visuelles qu’offrent les bostan, d’autre part ils aimeraient que cet espace soit ouvert et accessible au public, notamment aux enfants par les aménagements associés à cet effet.

25. Vue récente des bostan après leur destruction, devenus une friche depuis quelques années (Öztürk, 2018)

Les bostan mettent en place des formes de résistance en s’appuyant sur une solidarité internationale et un fort investissement local dans l’occupation des lieux. Si la solidarité internationale mise sur une reconnaissance juridique, l’occupation des lieux mise sur une synergie locale fondée sur des initiatives locales et sur la volonté de transmettre un patrimoine de savoir-faire (voir fig. 26) et de savoir-vivre. La réaction qui en découle joue alors sur deux tableaux : un blocage des destructions qui consiste à occuper les lieux en instaurant un front défensif contre la progression du renouvellement, et une tentative d’instauration d’un débat public pour introduire un conflit de justifications sur le bien commun fragilisé (Boltanski et Thévenot, 1991).

26. Préparation des lits de plantation, appelée traditionnellement « Maşula » (Archive personnelle d’un ancien jardinier : Özkan Ökten, 2017)

De la lutte pour la reconnaissance à la négociation : un acte de résistance politique

« Sans la reconnaissance, l’individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie »  comme l’affirmait Axel Honneth dans son ouvrage La lutte pour la reconnaissance (2000). Les jardiniers des bostan d’Istanbul, en faisant face aux destructions forcées, mettent en place une lutte collective pour la reconnaissance. Selon Axel Honneth, l’individu se sent frustré et exclu de la société quand son désir d’être reconnu en tant qu’individu libre et indépendant n’est pas réalisé. Si ce sentiment de mépris est porté par plusieurs individus et qu’il devient intersubjectif, la lutte sort du cadre personnel, elle devient collective (Honneth, 2000).

La première action de la part des jardiniers consistait à affirmer leur présence en occupant les bostan lors des destructions et de résister aux violences des engins (voir fig. 27)  même si cela s’avère insuffisant pour stopper les travaux (Beyond Istanbul, 2018).Dans ce processus, les jardiniers constituent les acteurs les plus vulnérables. Ils pratiquent ce métier depuis leur plus jeune âge et ils sont, pour la plupart, dans l’incapacité de faire un autre travail (Pınar, 2016). La disparition des bostan pourrait donc aussi causer la suppression des revenus des jardiniers. Un des plus grands problèmes des jardiniers réside dans le fait que leur travail n’est pas reconnu comme activité légale aux yeux des pouvoirs politiques. Leur statut continue de rester juridiquement ambigu. Ils sont reconnus comme des locataires de terrains et doivent payer des taxes à l’État, mais sont considérés comme des « envahisseurs » lorsque leurs bostan sont situés dans la zone de renouvellement urbain.

27. Occupation de l’espace au moment de la destruction des cabanes des bostan de douve (XXI Mimarlık, 2016)

Il est important de noter que le système politique à l’œuvre à Istanbul menace la survie des bostan mais aussi le devenir de tous les espaces ouverts de la ville. Pour les collectivités, les intérêts économiques prévalent sur les intérêts sociaux, écologiques ou culturels et la divergence des objectifs entre différents acteurs entrave la création d’un éventuel terrain de dialogue.

Bien que les bostan ne soient pas directement cités dans la « déclaration de valeur universelle exceptionnelle » de l’Unesco lorsque les murailles terrestres y avaient été inscrites, le fait qu’ils soient situés dans le périmètre de protection des murailles a fait que les acteurs s’opposant au projet ont pu s’appuyer sur cette législation. L’indignation des jardiniers a été relayée par les O.N.G. nationales (DÜRTÜK, Yedikule Bostancılar Derneği) et internationales (Icomos Turquie, Europa Nostra, Slow Food) mais aussi par l’association des archéologues, la chambre des architectes et des urbanistes ainsi que la chambre des ingénieurs agronomes (Ozar et Salman, 2017). Lors de notre entretien, Yiğit Ozar, le président de l’association des archéologues d’Istanbul, a affirmé que c’est la forte puissance des législations de l’Unesco et d’autres institutions internationales comme Icomos et Europa Nostra, associée à une synergie locale, qui ont permis de stopper le projet. Cette objection au projet a surtout permis de ralentir le processus de transformation et ouvert la voie d’un possible environnement de négociation avec les pouvoirs publics. Yiğit Ozar a exprimé son regret de ne pas pouvoir éviter la destruction des bostan millénaires, mais en même temps, le fait qu’il n’y ait rien de construit à sa place pourrait être considéré comme une réussite grâce à la lutte sociale et à la pression des autorités scientifiques (entretien avec Y. Ozar, mai 2018). Même si, aujourd’hui, l’objectif n’est pas atteint, la lutte continue dans l’arène publique, dans l’espoir d’avoir une démocratie participative qui inclut les différences et les minorités dans le débat.

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Conclusion

Dans cet article, nous avons choisi d’analyser la transformation des espaces ouverts métropolitains à travers les paysages agricoles d’Istanbul car l’agriculture urbaine comme pratique a un enracinement très profond dans cette ville ce qui la différencie des autres villes européennes. Malgré la pression urbaine, la pratique du jardinage a pu survivre dans la ville grâce à la présence des bostanet à leurs jardiniers. Leur ancrage historique dans la ville a ouvert le débat concernant leur évaluation comme un patrimoine culturel (Ozar et Salman, 2017). Ces travaux de conservation nécessitent des modèles participatifs et multidisciplinaires pour une planification durable et vivable des villes.

Face au modèle de croissance néolibérale adopté par le gouvernement pour planifier les villes, l’émergence d’une résistance locale place les bostan au centre d’un débat public sur les biens communs menacés. Durant cette période de résistance, il est intéressant de noter que les objections au projet de renouvellement urbain sont venues des habitants et non des partis politiques d’opposition, ce qui contribue à un mouvement plus général d’émergence d’une société civile responsable (Gürsoy et Hüküm, 2006). Cette résistance ne se fait bien évidemment pas sans heurts ni difficultés. La menace subsiste et la bataille continue dans l’espoir de construire un dialogue entre acteurs pour concevoir un projet collectif et une politique plus démocratique. Cette lutte urbaine dans les bostan ne constitue pas seulement une lutte pour les moyens de subsistance, elle est aussi une lutte pour la terre et pour la signification historique du lieu.

Partout dans le monde, les crises économiques et environnementales nécessitent de chercher des solutions durables pour nourrir la population. En ce sens, les espaces ouverts, comme les bostan d’Istanbul, peuvent jouer un rôle crucial pour un développement durable des territoires et des sociétés. Ils pourront devenir le sujet des solutions alternatives aux modèles de croissance économique pour refonder une société plus consciente et responsable vis-à-vis des crises environnementales.

ÜMMÜHAN ÖZTÜRK

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Ümmühan Öztürk est architecte diplômée d’État et doctorante en urbanisme au laboratoire CRESSON (Le Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain) au sein de la Communauté Université Grenoble Alpes. Dans le cadre de sa thèse, elle mène ses recherches sur le concept des villes fertiles à travers une approche sensible des ambiances urbaines pour une ontologie relationnelle en collaboration avec l’Université des beaux-arts Mimar-Sinan.

Ummuhan.ozturk@yahoo.fr

Couverture : Les bostan historiques dans les remparts de la vieille ville d’Istanbul (Öztürk, 2018)

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Pour citer cet article : Öztürk Ü., 2020, « Vulnérabilité et résistance des bostan (jardins potagers) millénaires d’Istanbul », Urbanités, Villes méditerranéennes : regards sur les espaces ouverts métropolitains, janvier 2020, en ligne.

  1. Selon la définition donnée par Mougeot dans son ouvrage intitulé Urban Agriculture : Definition, Presence, Potentials and Risks, « l’agriculture urbaine est comme une activité industrielle localisée à l’intérieur (agriculture intra-urbaine) ou sur les bords (agriculture périurbaine) d’une ville, cité ou métropole. Elle produit ou élève, transporte ou distribue, une diversité de produits (aliments ou non-aliments), et fait un large appel aux ressources humaines et matérielles et aux produits et services trouvés dans et autour de la ville. À son tour, elle offre des ressources humaines et matérielles, des produits et services, principalement à l’espace urbain. » (traduit par l’auteure). []
  2. De mai à juin 2013, des écologistes et des riverains s’opposent à la destruction du parc Taksim Gezi. Des centaines de milliers d’autres manifestants se sont rassemblés dans 78 des 81 provinces turques. []
  3. « Les jardiniers construisaient une maison dans une partie convenable du bostan pour mettre à l’abri leurs enfants et leur foyer […] la plupart des familles à très faibles revenus venaient dans les bostan voisins, et ils s’asseyaient près du puits sur les couvertures qu’ils apportaient, après que la chaleur des rayons d’après-midi fut passée pour prendre l’air […] Les femmes discutaient avec leurs voisines en mangeant des laitues et des pruneaux puis elles achetaient les légumes et fruits frais pour leur maison… Oh mon Dieu, combien ces jours étaient innocents et harmonieux. » (traduit par l’auteure). []
  4. Les quartiers sont respectivement ; 1. Kavaklı, 2. Eyüplü, 3. Bayrampaşalı, 4. Darıcalı, 5. Beyoğlulu, 6. Yedikuleli, 7. Beykozlu, 8. Langalı, 9. Göksulu, 10. Adalı, 11. Çamlıcalı, 12. Galatalı, 13. Selamsızlı []
  5. Les notions comme les biens communs et les enclosures, utilisés dans un cadre restreint dans la littérature marxiste, prennent un sens propice à la compréhension des formes de résistance apparus à la suite de l’expansion agressive du capitalisme tardif et les dégâts que cette dernière a causé en termes sociaux, économiques, écologiques et culturels (De Angelis, 2007 ; Hardt et Negri, 2010 ; Coriat 2015 ; Dardot et Laval, 2018). Ce cadre conceptuel est donc utilisé de plus en plus dans les études critiques actuelles pour expliquer la dynamique, les mécanismes et les conséquences des processus de commercialisation et de marchandisation. []
  6. Une partie des bostan historiques de Yedikule est détruite durant les années 1960 dans le cadre d’une restructuration et de densification du centre-ville. Cependant, le tremblement de terre de 1999 a entraîné des modifications importantes du tissu urbain stambouliote et déclenche une réflexion sur la qualité du bâti. []
  7. « Le projet le plus romantique et social du monde » était le slogan du premier projet de renouvellement urbain dans le quartier historique de Sulukule, à l’issue duquel 5 000 personnes ont été évincées de leur quartier. []
  8. « Yapılacak çalışmalara ışık tutması için tarihçiler, bilim adamları, mahalle sakinleri ve ilgililerin katılacağı bir çalıştay düzenlenmesinin faydalı olacağı düşünülmektedir. » (Topbaş, 2014). []
  9. « Fatih İstanbul’un daha güvenli, konforlu ve sosyal, sorunları çözülmüş bir ilçe olarak ön plana çıkacak » (Turan, 2019). []

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