#6 / Petite histoire grenobloise du grand réseau, des origines de la cité à l’aube du XXe siècle
Antoine Brochet
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Le service d’eau grenoblois est souvent présenté comme un modèle de gestion publique de l’eau. La remunicipalisation du service en 2000 aurait permis la mise en place d’un service performant, distribuant à tous les habitants, en abondance et sans traitement une eau parmi les plus pures et les moins chères des grandes agglomérations françaises. Le recours à l’histoire permet de nuancer ce constat en montrant que la qualité du service est également à rechercher dans les investissements massifs en termes d’infrastructures réalisés par la ville de Grenoble à la fin du XIXe siècle. En moins d’un siècle, la cité alpine qui offrait de « si dégoutants spectacles, […] de si puantes odeurs » qu’il fallait y « avoir été habitué dès l’enfance […] pour pouvoir les supporter sans d’énergiques protestations » (Joanne, cité par Poiret, 1998 : 96), va se placer, aux dires de M. Michaud, ingénieur des Ponts et Chaussées, « au rang des deux ou trois grandes villes du monde les mieux dotées [en eau] » (cité par Méténier, 2012 : 23). Nous proposons alors d’étudier la profondeur des changements effectués à la fin du XIXe siècle en les resituant dans une chronologie plus large. On s’aperçoit que cette petite révolution repose à la fois sur un progrès technique, sur une appropriation politique des enjeux hydriques et sur une vision renouvelée de la ressource et des prérogatives de la ville sur l’eau. L’avènement du grand réseau, en permettant le passage d’une solidarité hydrique de voisinage à une solidarité élargie à l’échelle de la ville, est l’occasion pour les élus de repenser le fonctionnement de la cité dans son ensemble.
Derrière les options techniques, il y a des projets urbains, des choix de société mais aussi parfois, des stratégies personnelles intéressées. Il faut donc s’intéresser à la fois aux hommes, aux institutions, aux ressources et aux possibilités techniques, tout en situant les enjeux dans le contexte plus large d’évolution des connaissances et des idées qui marque le XIXe siècle. C’est l’exercice proposé dans cet article. Nous approfondissons ainsi la perspective ouverte par les travaux d’Agnès Prigent (2006), centrés sur le rôle du politique dans le gouvernement des eaux de la ville de Grenoble.
Pour conduire notre raisonnement, nous faisons appel à deux notions qui seront mobilisées et progressivement définies au fil de la démonstration. La notion de configuration hydroterritoriale sera utilisée pour rendre compte de la prééminence, suivant la période étudiée, de certains facteurs sociaux et/ou environnementaux dans la réalisation (ou non) des projets d’accès à l’eau. Elle permet également de rendre compte de l’importance de la dimension collective dans leurs réalisations. La notion de solidarité hydrique servira quant à elle à caractériser les types de solidarités promues par les projets d’accès à l’eau.
Dans la première partie de l’article, nous montrons la difficile progression, faute de financements ou de consensus politique, de l’accès à l’eau dans la ville de Grenoble. Dans la seconde partie, nous détaillons le processus qui a permis la création d’un service d’eau municipal payant et performant.
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Jusqu’au XIXe siècle : l’eau demeure une affaire privée face à un pouvoir municipal aux ressources limitées
L’histoire de la naissance de la ville de Grenoble n’est pas directement liée à l’eau. En effet, si la ville est bel et bien entourée par deux cours d’eau, l’Isère et le Drac, ce dernier n’offre aucune possibilité de navigation1. C’est plutôt l’axe de communication routière que représentait le « Y » grenoblois pour l’Empire Romain, l’un des « grands carrefours des Alpes » (Veyret, 1958), qui explique l’implantation originelle de la cité.
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Si lien historique de la ville à l’eau il y a, c’est autour de l’idée unanimement partagée par les Grenoblois de se protéger contre un danger responsable des principaux maux de la cité. En effet, les fluctuations importantes des débits du Drac et de l’Isère (surnommés dans le langage populaire le dragon et le serpent) entraînent, depuis toujours, des inondations. « Le serpent et le dragon mettront Grenoble en savon » dit un vieil adage (cité par Muller, 2000).
Des origines de la cité à l’époque romaine jusqu’au XVe siècle, peu de traces témoignent de l’alimentation en eau par réseau. « Des vestiges de canalisations en pierres dans le quartier Chalemont […] laissent imaginer que l’on puisait […] déjà l’eau à la source originelle de la cité » (Méténier, 2012 : 14).
À la fin du XVIe siècle, deux fontaines sont mentionnées sur la rive droite de l’Isère. Elles sont entretenues par les consuls administrateurs de la cité. Quelques puits paroissiaux à proximité des églises complètent ces infrastructures élémentaires. Mais, ce sont surtout les nombreux puits privés, que leurs propriétaires doivent laisser à l’usage public, qui permettent de garantir l’accès à l’eau dans la localité.
Le manque d’intérêt2 des édiles pour une ressource considérée comme menaçante et coûteuse pour la ville et ses habitants explique pourquoi « [il faut] attendre le XVIIe siècle pour que l’on assiste aux interventions véritables des édiles sur le plan des infrastructures liées à l’eau […] » (Prigent, 2006 : 53).
François de Bonne de Lesdiguières, militaire gouverneur de Grenoble à partir de 1591, est à ce titre un précurseur. Le 27 juin 1605, il signe un bail avec le maître-maçon Louis Bruisse en vertu duquel des aménagements doivent être réalisés pour acheminer l’eau dans six endroits différents de la cité. Cependant, une seule fontaine verra le jour, du fait de conflits avec les riverains de la source qui se voient amputés d’une partie de leurs terres, de problèmes financiers et de la noyade du maître-maçon ! (ville de Grenoble, 1985).
Le retour de la peste à Grenoble en 1626 va accélérer la prise de conscience des édiles sur la nécessité d’améliorer la salubrité publique de la ville. Pour autant, si l’on discute désormais des problèmes du manque d’eau, peu d’infrastructures sont créées. Le motif financier est récurrent pour expliquer le manque d’investissement dans des infrastructures hydriques à partir du XVIIe siècle. Il est au cœur de l’échec du projet d’adduction proposé par François de Créquy en 1647. Ce notable propose de léguer à la ville la moitié des eaux d’une source qu’il souhaite dériver afin d’alimenter ses jardins. Il souhaite en échange que l’assemblée des consuls de Grenoble finance 50 % du montant des travaux nécessaires. L’impossibilité pour l’assemblée locale de réunir les sommes suffisantes conduira François de Créquy à assumer seul cette charge et à ne laisser pour la ville qu’un mince filet d’eau à disposition des habitants.
Ensuite et pendant près d’un siècle et demi, seuls quelques projets ponctuels sont menés, comme par exemple la construction de quatre fontaines alimentées par la source Saint-Jean et mises en service par le Conseil. Elles sont financées par l’augmentation des taxes sur le vin et les cochons que les visiteurs doivent honorer pour pénétrer en ville.
En comptant ces investissements, au début du XIXe siècle, seules huit fontaines et points d’eau alimentent, avec les nombreux puits privés, les 22 000 Grenoblois. « La gestion de l’aménagement public urbain touchant aux questions de l’eau s’effectue encore au coup par coup, dans une pratique qui, faute de moyens et de vision globale de la ville […] s’apparente davantage à une réfection ponctuelle qu’à l’élaboration nécessaire de réelles infrastructures » (Prigent, 2006 : 69). La faible structuration de l’institution municipale explique ce constat. De ce fait, l’approvisionnement en eau demeure très majoritairement dépendant des initiatives privées.
Le manque d’infrastructure en eau de Grenoble ne tranche pas avec la situation de la majorité des villes au début du XIXe siècle (Paris, Lyon, Rennes, Troyes etc.) qui ne portent pas non plus de projet de solidarité hydrique élargie3). La solidarité hydrique demeure de voisinage, entre habitants partageant une même ressource en eau (source, puits etc.).
Ce qui est plus étonnant à Grenoble, c’est l’acheminent de la quasi-totalité des eaux publiques depuis la source Saint-Jean, source au débit modeste, située à quelques kilomètres du centre-ville et sur la rive gauche de l’Isère ; ce qui nécessite la construction et l’entretien d’une infrastructure de franchissement, et ceci alors que les ressources en eau de l’agglomération sont particulièrement abondantes. On peut expliquer cette situation par la configuration hydroterritoriale spécifique de la cité alpine à cette époque qui ne favorise pas l’émergence de la question de l’accès à l’eau des habitants.
Comme nous l’avons vu au fil de la présentation historique de cette partie, plusieurs caractéristiques permettent de définir les contours d’une configuration hydroterritoriale grenobloise. Tout d’abord, cette époque est caractérisée par la prééminence de l’initiative privée du fait d’une faible structuration du pouvoir municipal ne permettant pas d’imaginer des projets d’adduction d’eau d’envergure. Deuxième caractéristique en lien avec la première, la ville ne dispose pas des moyens financiers permettant de financer les infrastructures nécessaires pour répondre aux besoins en eau des habitants. Troisième caractéristique, les édiles partagent une représentation négative de la ressource hydrique qui fait de l’eau un élément immaîtrisable du fait des nombreuses inondations que connaît la ville à intervalles réguliers4. Dernière caractéristique d’importance, les possibilités techniques limitées permettent difficilement d’envisager un système d’approvisionnement global pour l’ensemble de la cité.
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Au cours du XIXe : l’eau devient ressource pour la collectivité à mesure que le politique s’affirme
L’émergence des idées hygiénistes et le renouvellement des connaissances sur l’eau
À partir du début du XIXe siècle, l’hygiène corporelle devient une pratique généralisée et les liens entre insalubrité et maladies commencent à faire l’objet de connaissances scientifiques. Des théoriciens de l’urbain préconisent de détruire les murs d’enceinte et de privilégier l’étalement urbain à la concentration spatiale des populations afin de favoriser la circulation de l’air et d’assainir la ville. Imprégnés de ces idées nouvelles, les pouvoirs publics assèchent les marécages, percent les murailles et imposent aux citoyens le balayage des rues et la collecte des ordures ménagères (Barles, 2011 ; Frioux, Fournier & Chauveau, 2011).
La réglementation Berriat de 1835, du nom du maire de l’époque, est un signe de ce tournant décisif qui voit les pouvoirs municipaux prendre les problèmes sanitaires à bras le corps. Elle investit la ville de nouveaux moyens qui vont lui permettre de mieux contrôler les usages de l’eau pour lutter contre l’insalubrité. Dans le sillage de ce texte, le vieux Grenoble est profondément transformé. À noter que les citoyens ne sont pas en reste dans cette transformation, comme en attestent les très nombreuses plaintes enregistrées contre les activités potentiellement nuisibles à l’hygiène publique (tannerie, mégisserie, boucherie etc.) et les réclamations pour la constitution d’un système d’égout5 (Corbin, 2008).
Les représentations de l’eau évoluent également avec le progrès des connaissances scientifiques et le développement des savoirs spécialisés (notamment la bactériologie et l’hydrologie.). Les experts de l’époque découvrent la richesse hydrique dont bénéficie l’agglomération grenobloise aussi bien d’un point de vue quantitatif que qualitatif6. L’amélioration des connaissances en génie civil permet la construction de digues et de barrages qui protègent Grenoble, au moins partiellement, des inondations. Ces nouvelles connaissances vont inverser les représentations des Grenoblois sur l’eau, cet objet passant de menace à ressource potentielle pour le développement du territoire. Un témoignage marquant de ce changement des représentations est la statue de la fontaine au lion, réalisée en 1843 par le sculpteur Victor Sappey (et toujours en place comme en atteste l’image 4). Elle symbolise la maîtrise de l’Isère (le serpent en bronze) par la ville de Grenoble (le lion).
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La montée de l’expertise et l’affirmation du pouvoir local
C’est également à partir du mandat de Berriat que l’on observe une technicisation du pouvoir municipal. Les médecins et ingénieurs sont régulièrement consultés à titre d’experts et dictent les règlementations locales dans un climat teinté de positivisme et de croyance dans le progrès technique. Si ce phénomène est observable dans la plupart des grandes villes françaises, il est particulièrement prégnant à Grenoble grâce aux liens ténus existants entre université et pouvoir municipal. Ainsi, les doyens successifs de la faculté des Sciences siègent systématiquement au Conseil municipal d’hygiène.
L’eau, en se transformant en objet d’expertise, devient facteur de notabilité pour les spécialistes locaux. Particularité grenobloise, l’institution municipale subit aussi l’influence des industriels de l’hydroélectricité et des travaux publics (fabricants de conduites forcées, d’appareillage électrique, cimentiers etc.) qui s’investissent dans la vie politique locale afin d’essayer de faire financer les infrastructures nécessaires (notamment hydriques) à leurs activités.
Cette implication de nouveaux acteurs dans la vie publique est possible grâce aux mutations de l’appareil étatique au cours du XIXe siècle qui renforcent le pouvoir des élus locaux sur l’eau. D’une part, si le maire continue d’être nommé quasi constamment par un préfet jusqu’à la loi municipale de 1884, les conseillers municipaux deviennent élus à partir de la Monarchie de Juillet7. D’autre part, en matière hydrique, l’État laisse désormais « chaque commune organiser, dans la limite de ses frontières administratives, l’alimentation en eau de ses habitants » (Pezon, 2000 : 347), ce qui permet aux élus d’agir plus efficacement.
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L’effervescence des projets hydriques urbains
En dépit du discours hygiéniste et des problèmes d’insalubrité chronique de la ville, l’approvisionnement en eau des habitants continue d’apparaître comme un objectif secondaire dans le discours des édiles. L’eau est « envisagée comme étant infléchie aux priorités économiques » (Prigent, 2006 : 408), l’action municipale devant prioritairement répondre aux besoins en eau des industriels ou servir le développement touristique de la ville8. En fait, les élus cherchent surtout un retour sur investissement qu’ils pensent trouver en équipant les industriels et les investisseurs avant les habitants. Étrangement, on ne trouve pas de trace notable de contestation forte de ces orientations par la population, ce qui explique également l’inertie et l’absence de priorisation politique de la question de l’accès à l’eau jusqu’à cette époque.
Le projet de transformer Grenoble en ville thermale en est un exemple concret. Ce projet consiste à conduire les eaux chaudes depuis la Motte Saint-Martin, village thermal distant de 40 kilomètres de Grenoble. L’objectif est de faire acquérir à Grenoble le prestige qui lui fait défaut en attirant les personnalités les plus fortunées de toute l’Europe dans la future station thermale. Proposé initialement par l’ingénieur Thomas dans les années 1840-1850, il sera ensuite porté par différents élus mais sans que les financements suffisants soient trouvés pour concrétiser le projet qui sera finalement abandonné avec l’avènement de la Première Guerre Mondiale.
D’autres projets mêlent plusieurs objectifs à la fois sanitaires et ornementaux comme celui mené par la municipalité Planelli de Lavalette (1820-1824) visant l’adduction de sources dans la plaine du Rondeau à 3,5 km de Grenoble. En 1826, une fois le projet mené à bien, l’adduction de la ville est modernisée (construction de puits, d’une canalisation en fonte et de citernes) et permet d’alimenter de façon continue la quarantaine de fontaines et bornes fontaines par gravitation. L’eau est, pour la première fois de l’histoire de la cité, suffisante pour assurer les besoins en termes d’ornement et de boisson. Néanmoins, le manque de ressources financières ne permet pas d’achever entièrement le projet ni d’entretenir convenablement les ouvrages et, sept ans plus tard, le débit d’eau est réduit de moitié, ne suffisant plus à faire face aux besoins de la population.
Le projet d’adduction de captages en amont du Drac mené sous la direction de l’ingénieur Gentil répond également à différentes préoccupations à la fois industrielles et de santé publique. À la fin des années 1850 avec l’arrivée du chemin de fer (Veyret, 1958), Grenoble fait face à un accroissement rapide de sa population. La ville doit trouver des sources additionnelles d’approvisionnement pour desservir les nouveaux quartiers ouvriers. Le projet de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Gentil, proposant la construction de trois nouvelles canalisations est retenu9. Une fois achevé, le débit disponible augmente considérablement. Pour autant, les besoins en eau se font de nouveau rapidement sentir au regard de la demande croissante des industriels et de l’urbanisation galopante de la cité10.
En 1870, quarante ans après la réglementation Berriat, les problèmes d’accès à l’eau, d’hygiène et de santé publique ne sont toujours pas résolus à Grenoble. Ils sont de moins en moins acceptés dans une ville de cette taille comme en attestent plusieurs récits de voyageurs (Poiret, 1998) et les réactions circonstanciées des élites prenant ordonnances et arrêtés d’hygiène (Le Guérer, 1987). Si volontarisme politique sur la question de l’eau il y a, c’est pour répondre en priorité aux besoins industriels, touristiques et ornementaux, avant ceux des habitants.
Au regard de cette seconde partie, nous pouvons noter une évolution certaine des caractéristiques de la configuration hydroterritoriale grenobloise. Première caractéristique déterminante, l’évolution des connaissances scientifiques et l’apparition des idées hygiénistes font émerger la question de l’eau sur le devant de la scène en la rendant publique. D’une part, le développement des connaissances géologiques et hydrologiques permet de révéler les ressources exceptionnelles en eau de l’agglomération et de faire évoluer les représentations locales associées à cette ressource. D’autre part, l’apparition des idées hygiénistes fait émerger l’hygiène comme un sujet de préoccupation majeure pour la population et un objet de politique locale. Seconde caractéristique importante, l’organisation du pouvoir municipal évolue avec, d’un côté, un renforcement du pouvoir des élus locaux sur l’eau et, de l’autre, une évolution de leurs profils sociologiques avec la présence accrue d’industriels qui s’investissent dans la vie politique locale pour financer les projets d’adduction nécessaires à leurs entreprises. Cela a pour conséquence de reléguer la question de l’eau potable au second plan des préoccupations publiques derrière les enjeux de l’eau industrielle et ornementale. Durant cette seconde période, deux types de solidarité hydrique coexistent : la solidarité hydrique de voisinage, d’origine privée, conserve la primeur du fait de l’incapacité de la ville à proposer un projet d’accès à l’eau à la hauteur des besoins des grenoblois ; de manière incomplète, une solidarité hydrique élargie, organisée par la municipalité, émerge lentement et relie les habitants des quartiers centraux autour d’un nombre de ressources en eau réduit, mais de meilleure qualité et situées à l’extérieur du périmètre communal.
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La fin du XIXe siècle : la ressource hydrique devient objet de service à l’usager
C’est à cette époque que commence la « guerre des pressions », terme utilisé par la presse pour rendre compte des débats animés entre défenseurs de projets concurrents visant à résoudre sur le long terme les problématiques hydriques de la ville11. Deux projets vont particulièrement cristalliser les débats, celui porté par Aristide Bergès, conseiller municipal dont le nom reste attaché à l’aventure de la houille blanche12 et celui de Joseph Thiervoz, architecte voyer de la ville sous le mandat d’Edouard Rey. À l’issue de cette bataille, Grenoble disposera d’un grand réseau d’eau potable moderne réalisé grâce aux ressources techniques, stratégiques et politiques des acteurs locaux.
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Le projet Bergès : priorité à l’industrie
En 1878, Aristide Bergès est élu conseiller municipal de Grenoble. Il va être l’un des principaux défenseurs d’un projet hydraulique municipal ambitieux, élaboré par l’ingénieur des Arts et des Manufactures Charles Caron. Le projet consiste à capter un débit de 2m3 par seconde dans la Rive, un cours d’eau juste en amont de Bourg d’Oisans, et à amener l’eau jusqu’au plateau de Champagnier au sud de Grenoble, via 40 km de canaux, tunnels et aqueducs. « À partir de là, une conduite forcée sous 15 bars de pression devait arriver sur les remparts de Grenoble pour être ensuite répartie soit en eau potable, soit aux utilisateurs potentiels de petite force motrice, 40 industriels et 2 000 machines à coudre les gants » (Ducluzaux, 1998 : 54). L’idée de l’opération est de recourir à la force motrice pour actionner divers outils qui faisaient l’activité industrielle de l’époque. Bergès et Carron défendent un projet qui privilégie l’eau industrielle sur l’approvisionnement des habitants. Le projet Bergès est encouragé par Edouard Rey dès son élection à la mairie de Grenoble en 1881. En effet, le maire souhaite poursuivre un dossier longuement mûri lorsqu’il était membre de la sous-commission Travaux durant le mandat d’Auguste Gaché (1876-1881). Néanmoins, plusieurs éléments vont l’amener à faire machine arrière et à réfléchir à des solutions alternatives.
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Le contre-projet Thiervoz : l’équilibre financier d’abord
Edouard Rey est un maire bâtisseur, un homme d’action. Mû par les valeurs maçonniques, il souhaite proposer des solutions immédiates aux besoins les plus urgents. Or, le projet de Bergès ne peut pas s’établir à court terme du fait de contraintes techniques et réglementaires. La sécheresse de l’hiver 1881-1882 finit de le convaincre de la nécessité d’agir vite.
Autre problème, le coût du projet oblige la ville à faire appel à un concessionnaire mais aucune société ne se déclare intéressée par l’offre. La presse locale relaie des informations hostiles, critiquant le coût et le caractère démesuré de l’opération. Le maire craint alors que l’opinion publique ne se retourne contre lui.
Ces éléments vont amener Edouard Rey à questionner la pertinence du projet Bergès-Carron.
Maire autoritaire, Edouard Rey supporte mal la contradiction de ses pairs. De ce fait, il choisit de s’appuyer sur les services de la municipalité plutôt que sur Bergès afin d’obtenir une contre-expertise du projet. Il sait que les employés municipaux n’oseront pas le contredire et qu’il bénéficiera d’une administration docile. En ce sens, le 1er février 1882, il détache le service des eaux et de la voirie du service de l’architecture. Il place Joseph Thiervoz, responsable de l’ancien service, à sa tête et lui demande d’étudier un projet alternatif concernant l’alimentation en eau de la ville. Thiervoz met au point un projet ambitieux qui vise à répondre en priorité aux besoins des habitants et de la ville. Il propose le captage des sources de Rochefort sur les communes de Varces, d’Allières-et-Risset13, situées à une douzaine de kilomètres de Grenoble. Son choix est influencé par des avancées récentes en hydrologie qui laissent supposer une très grande qualité de l’eau dans la plaine de Reymure. En s’inspirant de l’exemple d’autres grandes villes (Paris, Orléans, Brest etc.), il propose pour la première fois un projet de service payant, c’est-à-dire susceptible de profits pour la cité alpine. Il rompt ainsi avec la représentation d’une eau coûteuse pour les finances locales.
Thiervoz défend son projet dans la presse locale en usant d’un pseudonyme. Cette stratégie lui permet de critiquer ouvertement le projet Bergès en insistant sur son coût dix fois plus élevé que le sien et sa faible perspective de rentabilité. Le 15 mai 1882, Edouard Rey exprime ses doutes sur le projet Bergès en Conseil municipal : « le projet de la Rive est séduisant et résoudrait pour longtemps le problème des eaux de Grenoble mais il est beaucoup trop cher et au-dessus des moyens financiers de la ville. […] Dans ces conditions, il est donc sage d’ajourner ce beau projet et de rechercher près de Grenoble une quantité d’eau propre à satisfaire les besoins actuels et futurs » (AMG, 1882).
Bergès, appuyé par l’ingénieur et entrepreneur Robert qui siège avec lui au Conseil municipal, essaie de persuader à nouveau le maire que son option est la meilleure car elle est également une solution pour l’éclairage de la ville par l’utilisation de la force motrice pour la production hydroélectrique. Mais, en 1883, l’essai réussi par le physicien Marcel Deprez de transmission électrique entre Grenoble et Jarrie (Cf. image 6) finit d’enterrer le projet Bergès en démontrant que d’autres solutions permettent désormais de transporter l’électricité sur longue distance. Le projet Thiervoz est définitivement adopté le 5 juin 1883. Un an plus tard, Aristide Bergès démissionne de sa fonction de conseiller municipal.
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Mise en chantier du projet et modernisation du service
Le chantier est mené de 1883 à 1889, mais l’exploitation de l’eau débute dès 1885. À cette date, Edouard Rey défend son action, estimant que « la population appréciera plus tard les avantages d’une distribution abondante » (Baret-Bourgoin, 2005 : 23). On voit donc que l’argumentaire a changé, le maire plaçant désormais les Grenoblois comme premiers destinataires du projet. En 1897, mille litres d’eau sont disponibles par jour et par habitant soit une capacité de production théorique multipliée par cinq par rapport à 1882. Outre la révolution technique, le projet est porteur d’une révolution gestionnaire. En amenant l’eau au sein des habitations et en rendant son accès payant, le service devient rentable et peut alimenter les caisses municipales pour financer des projets politiques variés.
Le succès n’est néanmoins pas total. Plusieurs quartiers demeurent à l’écart de la modernisation et les habitants des quatrième et cinquième étages des immeubles, soit les Grenoblois les plus pauvres, manquent d’eau (Baret-Bourgoin, 2005 : 25). De plus, des protestations se font entendre contre le caractère payant du service.
Mais, la solidarité hydrique élargie n’était pas l’objectif premier d’Edouard Rey. Se réclamant d’un urbanisme bourgeois, l’élu cherchait avant tout à améliorer l’image de la ville et à la marquer de son empreinte sur le long terme. Ce sera chose faite, puisque si le réseau d’adduction a été entièrement refait depuis, la nappe de Rochefort continue d’alimenter en eau la cité alpine.
La modernisation du service des eaux grenoblois repose sur une nouvelle évolution des caractéristiques de la configuration hydroterritoriale de la ville. Tout d’abord, la diversité des acteurs parties prenantes aux projets hydriques continue de s’accroître, ce qui fait émerger de nouvelles représentations de la ressource. Ensuite, l’affirmation du pouvoir communal permet le recrutement de professionnels et experts au sein du Conseil municipal et engendre une émulation sur les projets hydriques rendant possibles des aménagements techniques beaucoup plus ambitieux. L’affirmation du pouvoir communal laisse également un espace d’action plus grand aux élus qui peuvent mener des politiques particulièrement volontaristes. De ce fait, la création à Grenoble d’un service modernisé repose pour beaucoup sur les nouvelles compétences techniques et stratégiques des élus et ingénieurs en charge des projets. En découle un service qui promeut une solidarité hydrique élargie mais limitée aux quartiers les plus rentables, c’est-à-dire les plus riches de la ville. Pour autant, la dimension profondément inéquitable du type de solidarité hydrique mis en place n’apparaît que comme un détail au regard des valeurs portées par les équipes municipales à cette époque.
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L’histoire de l’accès à l’eau à Grenoble peut être envisagée comme une représentation amplifiée du processus qui a conduit la majorité des villes françaises au cours du XIXe siècle à organiser des services publics d’eau potable en capacité de pourvoir à leurs besoins.
D’abord perçue comme une problématique d’ordre purement privée et, à Grenoble, un objet dont il faut se méfier, la question de l’eau émerge assez tardivement à l’échelle de la ville et dans un premier temps elle ne concerne pas ou peu l’accès à l’eau de la population. La municipalité s’occupe de la lutte contre les inondations et de l’approvisionnement en eau de l’économie locale tandis que l’initiative privée répond aux besoins des habitants. À Grenoble, cette tendance est accentuée du fait de l’abondance, de la proximité et de la qualité de la ressource. D’une part, il suffit aux habitants de creuser des puits à proximité de leurs habitations pour avoir accès à une eau en quantité suffisante, ce qui ne pousse pas la ville à agir. D’autre part, la qualité exceptionnelle de certaines ressources situées à quelques kilomètres de la cité alpine fait progressivement prendre conscience à la municipalité de l’intérêt stratégique de ces eaux pour assurer l’hygiène publique et favoriser le développement économique. Mais les difficultés financières sont prégnantes à Grenoble et mettent en échec de nombreux projets. Ces difficultés s’expliquent notamment par la faible démographie de la ville qui ne compte que 22 000 habitants au début du XIXe siècle. Cet état de fait impacte en proportion les ressources financières de la collectivité.
Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’un projet ambitieux soit mis en place permettant de répondre aux besoins des habitants. Plusieurs éléments expliquent sa réalisation. Il faut tout d’abord évoquer l’évolution du timing politique général et la montée en puissance des enjeux hygiénistes qui font remonter les projets hydriques dans l’agenda politique. Dans ce mouvement, l’évolution des connaissances scientifiques joue un rôle de première importance. Il faut ensuite rappeler les enjeux industriels et le rôle des ingénieurs et autres experts impliqués dans la vie politique locale ; ces acteurs jouent un rôle déterminant dans la définition des enjeux et des solutions à mettre en œuvre. Ainsi, on doit beaucoup à Joseph Thiervoz, architecte de la ville, dans la réalisation du projet. Celui-ci a su proposer des innovations techniques et gestionnaires décisives, inspirées d’autres expériences similaires menées en Europe. Enfin, il faut mentionner l’audace politique de la municipalité Edouard Rey de rendre le service payant qui repose sur un pari initial, celui de l’acceptation rapide par les Grenoblois de cette modalité « bourgeoise » d’exercice du pouvoir local14 .
En définitive, on peut interpréter cette révolution des eaux comme étant la résultante d’une professionnalisation de l’action publique locale qui s’est dotée de nouvelles ressources génériques et territorialisées permettant l’émergence de projets ambitieux. Cette révolution pose les fondements du modèle de gestion contemporain (puisage d’une eau abondante et de qualité dans la plaine de Reymure, desserte de l’eau à domicile, accès payant, priorité donnée à l’accès à l’eau des habitants) ayant permis de doter la ville d’un service performant, distribuant à tous les habitants, en abondance et sans traitement, une eau parmi les plus pures et les moins chères des grandes agglomérations françaises.
Pour assurer notre démonstration, nous avons mobilisé deux notions clés, celle de configuration hydroterritoriale et celle de solidarité hydrique, qui nous ont permis de rendre intelligible la complexité des évolutions constatées. Construites de manière empirique et progressive, elles peuvent, au terme de l’analyse, faire l’objet de définitions précises et étayées afin de renforcer leur pouvoir heuristique et leur opérabilité. La notion de configuration hydroterritoriale peut être définie comme un jeu de relations dans un espace particulier mettant en lien des participants (acteurs, objets actants et ressources15) autour de projets hydriques et au moyen de l’activation de proximités par les acteurs plus ou moins intentionnelles ou subies. Elle pourrait être mobilisée dans d’autres recherches pour évaluer à la fois l’importance de certains facteurs sociaux et/ou environnementaux dans la réalisation (ou non) des projets d’accès à l’eau ; mais aussi pour analyser la dimension collective des projets hydriques, c’est-à-dire l’importance des rapports humains et des rapports de l’homme avec son environnement technique et naturel dans la réalisation (ou non) des projets. La notion de solidarité hydrique est étroitement corrélée à la précédente, c’est-à-dire qu’à chaque configuration hydroterritoriale correspond un type de solidarité hydrique spécifique. Elle peut être définie comme une modélisation des caractéristiques de la relation entre un système d’approvisionnement en eau et ses utilisateurs en termes de gouvernance, de périmètre, de catégories d’acteurs visés et de paramètres sociotechniques. Elle pourrait également être mobilisée dans d’autres recherches pour évaluer concrètement les conséquences des choix politiques et techniques sur les usagers des services d’eau.
ANTOINE BROCHET
Antoine Brochet est doctorant en aménagement-urbanisme à l’Université Grenoble-Alpes (UMR PACTE, département Territoires, Université Joseph-Fourrier) et chargé de mission au sein de la Communauté de l’Eau de l’Etablissement Public du SCoT de la région urbaine de Grenoble. Ses travaux de recherche portent sur la modernisation des politiques de l’eau en Europe et les résistances territorialisées qui en découlent. Vient de paraître : Brochet A., 2015, « La création de Sociétés Publiques Locales pour gérer les services d’eau des agglomérations françaises : une nouvelle forme d’organisation innovante ? », La revue innovatiO, Numéro 3 : Les doctorales 2013 – 2015 de l’innovation. Publié en ligne le 18 septembre 2015. URL: http://innovacs-innovatio.upmf-grenoble.fr/index.php?id=281
brochetantoine AT gmail DOT com
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Bibliographie
Archives Municipales et Métropolitaines de Grenoble (AMG), 1882. Délibérations du conseil municipal de Grenoble, séance du 15 mai 1882, non paginé.
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- De manière indirecte cependant, l’Isère a favorisé l’implantation humaine et la création de la cité. En effet, Grenoble a longtemps été une halte forcée pour les troupes romaines souhaitant se rendre à Rome, Vienne ou en Sapaudie, du fait de la nécessité de franchir la rivière. [↩]
- Grenoble n’est pas la seule ville à avoir ignoré pendant longtemps ses réseaux comme en attestent les travaux de Susan Leigh Star sur l’invisibilité politique des questions infrastructurelles (1999, 2002). [↩]
- Seules quelques villes (Dieppe, Rouen, Le Havre etc.) ont su s’équiper en eau dès le début du XVIe siècle (Manase, 2005 [↩]
- La ville de Grenoble a été confrontée à plus de 150 inondations (répertoriées) au fil des siècles dont les plus connues sont celles de 1219, 1651, 1733, 1740 et 1778. [↩]
- Le système d’égout ne verra cependant le jour qu’en 1912, lorsqu’une réglementation locale le rendra obligatoire (Poiret, 1999, p.99). [↩]
- Grenoble est entourée d’anciennes vallées glacières (Romanche, Champsaur, Isère) dont les fontes ont favorisé le dépôt d’alluvions dans les rivières sur des épaisseurs très importantes (plus de 100 mètres). La succession de crues du fait des pluies et de la fonte des neiges permet le décolmatage des lits des rivières entraînant l’alimentation des nappes par les eaux de surface. Ce cycle vertueux, spécifique aux villes de montagne, garantit le fait que les nappes soient constamment réalimentées, contrairement à la plupart des grandes villes françaises qui doivent recourir aux eaux de surface pour alimenter leur population. [↩]
- Exception faite de l’épisode du Second Empire (1852-1870). [↩]
- L’eau est perçue dès le XIXe siècle comme un instrument permettant d’améliorer l’image de la ville et développer le tourisme (thermal mais aussi de montagne). L’idée sous-jacente est qu’en faisant jaillir l’eau en abondance dans la cité, on pourra mettre fin à l’image d’une ville sale, répugnante et dangereuse pour la santé et en faire une destination potentielle de villégiature pour les touristes. A noter par contre que les besoins en eau de l’agriculture ne semblent jamais être une priorité pour la ville ; ils ne sont quasiment jamais mentionnés dans les archives historiques. Cette situation s’explique à la fois par la faible activité agricole du bassin grenoblois comparée à d’autres villes et par la présence de nombreux cours d’eau et sources superficielles à proximité des exploitations et qui sont directement captées par les agriculteurs. [↩]
- La légitimité de l’ingénieur qui s’est fait connaître dans la lutte contre les inondations et bénéficie d’une expertise reconnue n’est pas étrangère à la sélection et au financement du projet par le Conseil municipal. [↩]
- Entre 1870 et 1890 Grenoble passe de 40 à 60 000 habitants. [↩]
- On peut citer les projets des ingénieurs Breton, Fontenay, ou encore Robert. Chacun défend l’utilisation de techniques particulières pour répondre à des ambitions politiques spécifiques (hygiène, développement industriel etc.) et à des coûts différenciés. [↩]
- La houille blanche est une expression développée dans la région grenobloise à la fin du XIXe siècle qui désigne l’utilisation de l’énergie produite par des chutes d’eau. [↩]
- Ces deux communes ont fusionné en 1955 pour former Varces-Allières-et-Risset. [↩]
- Ce mode de fonctionnement, faisant de l’eau un service géré directement par la ville et rapportant des ressources financières importantes a été ensuite pérennisé sur le long terme ; pour preuve un rapport de la Cour des Comptes (1997) qui pointait la persistance de transferts de charges anormaux des usagers vers les contribuables entre 1971 et 1993. À noter cependant qu’Edouard Rey, vu comme un dangereux visionnaire au regard des grands chantiers et expérimentations qu’il mena durant sa mandature (voirie, équipement, expériences électriques) ne fut pas réélu en 1888. Les Grenoblois ont contesté fortement l’augmentation des impôts locaux et ont préféré réélire l’ancien maire Auguste Gaché, un homme beaucoup plus tranquille qui ne s’est pas illustré par de grandes réalisations. [↩]
- Les ressources sont diverses : socio-naturelles (hydrique dans le cas présent), socio-économiques, cognitives, institutionnelles, politiques etc. Certaines sont situées localement, d’autres sont génériques. Les ressources sont révélées et activées et peuvent tomber en désuétude. [↩]