Lu / Gérer l’aménagement urbain
Stéphanie Baffico
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Sonia Guelton décrypte pour nous les mécanismes et les enjeux intervenant dans les décisions d’aménagement urbain, à travers le prisme du management et de sla dimension économique et institutionnelle. Elle distingue ainsi dès l’introduction la gestion de l’aménagement de la gestion urbaine. Elle montre les décalages qui existent entre les réalités des mutations urbaines et les outils d’analyse des projets territoriaux, et propose une « meilleure coordination d’acteurs urbains dispersés » et une « modernisation de l’intervention publique ». Pour ce faire, l’ouvrage s’articule autour de trois parties : dans un premier temps, l’auteur fait le point sur les pratiques de l’urbanisation en France ; la deuxième partie permet de mettre en perspective les mutations urbaines en les inscrivant dans un emboîtement d’échelles ; la troisième propose « un corpus de références » pour accompagner et renouveler les méthodes de gestion territoriale.
Le contexte dans lequel s’élaborent les décisions d’aménagement a profondément évolué depuis les années 1980. Les acteurs ne sont plus les mêmes, et la trame spatiale, la mobilisation des ressources et le temps de la décision en ont été modifiés. Les lois de décentralisation de 1982 ont marqué le désengagement progressif de l’Etat qui joue aujourd’hui essentiellement un rôle de conseiller auprès des collectivités territoriales. Parmi celles-ci, la commune est devenue un acteur majeur de l’aménagement urbain (chapitre I), et la réforme territoriale de 2010 encourage l’intercommunalité. Pour favoriser la coopération communale et garantir une certaine cohérence dans l’intervention territoriale (PLU, Plan Local d’Urbanisme et PLH, Plan Local de l’Habitat), la loi Chevènement de 1999 permet la mise en commun de la fiscalité. L’Etat met les collectivités locales en concurrence pour la contractualisation et peut leur apporter un soutien technique. La coopération public-privé, notamment pour la gestion des équipements publics, est plus que jamais d’actualité, mais pose la question de la qualité du service public.
L’emboîtement des échelles (chapitre II) est une donnée essentielle dans la gestion de l’aménagement. Des opérations urbanistiques ne peuvent se concevoir à l’échelle du quartier seulement, mais doivent intégrer des logiques de réseaux qui font intervenir des dynamiques appartenant à des échelles plus larges (communes, EPCI ou Etablissement public de coopération intercommunale, agglomération). Toute la difficulté est d’ « intégrer les territoires des déplacements » (p 45) avec, notamment, les Plans de Déplacements Urbains. L’auteur a le mérite de souligner que « l’analyse du territoire est conditionnée par le point de vue adopté » (p 47) et que les changements d’échelle pour observer l’action sur la ville amplifient ou au contraire éludent certains aspects (p 47).
Le troisième chapitre de la première partie de l’ouvrage interroge ensuite l’échelle du temps. « L’aménagement est inscrit dans le temps long » (p 59) qui se déroule de la prise de conscience de la nécessité d’un aménagement, au temps de la réflexion et de l’élaboration du projet, puis à celui de l’usage, de l’entretien jusqu’à l’obsolescence. A travers des exemples concrets pour chacune de ces étapes (élaboration de Schéma directeur, calcul du coût global, contrats ou concessions accordés comme pour le viaduc de Millau…), Sonia Guelton attire notre attention sur les logiques divergentes des acteurs qui disposent d’outils et de concepts « segmentés » (p 69) qui peuvent s’opposer.
Le quatrième chapitre s’intéresse à l’origine des ressources publiques et fait le constat de leur raréfaction, particulièrement dans un contexte européen qui impose aux Etats membres le pacte de stabilité monétaire. Il rappelle que lors du transfert des responsabilités de l’Etat aux collectivités locales, le transfert des moyens financiers n’a pas forcément suivi ; les communes doivent financer leurs projets avec leurs ressources propres (p 83). Les logiques financières ne sont pas le seul résultat de données économiques, mais intègrent aussi des facteurs abstraits comme la relation aux habitants qui sont des électeurs sensibles à toutes nouvelles formes d’imposition. Elles comprennent également la relation avec les entreprises à travers la taxe professionnelle, puis les impôts qui la remplacent. Dans tous les cas, la tâche des élus est rendue délicate.
L’auteur développe dans une deuxième partie les caractéristiques des territoires et leurs évolutions selon trois échelles différentes. A l’échelle européenne (chapitre V), le fil directeur des politiques d’aménagement est la volonté de réduction des disparités régionales. Il s’agit d’assurer le rattrapage de développement et la cohésion territoriale des zones frappées par la crise économique et les restructurations industrielles depuis les années 1970. Les politiques d’aménagement du territoire doivent accompagner la métropolisation, les nouvelles dynamiques économiques (clusters, attractivité culturelle et touristique) et intégrer les enjeux du développement durable (p 103). Sonia Guelton fait une typologie des régions européennes et interroge les outils de mesure des richesses à la disposition des décideurs (outils liés à la production, à la consommation et à la qualité de vie). Il est cependant de plus en plus difficile de gommer les disparités régionales au sein de l’Europe en raison de l’accélération de l’élargissement de l’UE, ce qui explique le changement de paradigme au sein des institutions qui prônent désormais la stimulation de la compétitivité des territoires.
L’auteur rappelle ensuite l’importance de l’agglomération à l’échelle régionale (chapitre VI). « Les villes sont en effet les premiers vecteurs de dynamisme et de croissance » (p 117). Elle fait le point sur les forces et les externalités négatives des systèmes urbains et insiste sur la variété de situations des villes. Elle établit le constat que l’analyse des mutations urbaines repose sur des données démographiques, sur le foncier et la fiscalité, mais que peu d’indicateurs permettent de donner une vision globale des évolutions des territoires afin de garantir une cohérence aux projets d’aménagement, notamment lorsqu’il s’agit de choisir entre la centralité et l’attractivité périphérique.
Enfin, elle étudie les mutations à l’échelle locale (chapitre VII). Les décideurs sont confrontés à « l’obsolescence des territoires » (p 138), aux espaces inoccupés, délaissés, ce qui renforce les inégalités et remet en question les politiques d’aménagement. Après une présentation des outils à disposition pour mesurer le potentiel économique d’un aménagement, l’auteur évoque le cas des Zones Franches Urbaines et conclut que l’usage de statistiques encore sous-utilisées permettrait des analyses complémentaires (p 160).
La troisième partie de l’ouvrage s’intéresse au processus de décision en aménagement en trois points. Le chapitre VIII donne quelques pistes pour adapter les informations et les données à disposition au projet souhaité. Il retrace toutes les étapes de la gestion de l’aménagement, de la décision à l’évaluation du projet, et fait le constat d’une spécialisation des approches en raison d’une spécialisation des savoirs et des métiers (p 167). Les analyses sont essentiellement économiques, mais elles ne doivent pas éluder la dimension humaine attendue par les décideurs locaux et les élus, soucieux de leur image vis-à-vis de l’électorat. Les analyses reposent sur des données locales dont l’INSEE est la principale source. Si ces dernières sont abondantes, elles manquent souvent d’homogénéité, ce qui peut induire des erreurs d’analyse (p 173). Il faut donc selon l’auteur, organiser l’information et la rendre « pédagogique ». Le chapitre IX pose la question de la cohérence des interventions, étant donné la multiplicité des institutions, et s’interroge sur l’articulation des coopérations au sein du secteur public, puis avec le secteur privé. « Le management de ces différentes parties-prenantes, dans le but d’améliorer l’efficacité de leurs actions conjuguées, est ainsi un aspect majeur de la gestion de l’aménagement » (p 185). La démarche méthodologique dont se réclame l’auteur repose sur la volonté de rendre compte non seulement des résultats économiques et financiers d’une opération d’aménagement, mais aussi de sa dimension sociétale en termes de contraintes et/ou de satisfaction. Le dernier chapitre fait le point sur la prise en compte des risques dans les opérations d’aménagement (contraintes sur les prix, sur les relations contractuelles, retournement de conjoncture, catastrophes naturelles, découvertes archéologiques). Le maître mot est l’anticipation dans le processus de décision (p 212). Un des exemples développés est celui de la procédure des contrats de développement territoriaux (CDT) instaurée par la loi de 2010 relative au Grand Paris, afin d’organiser le dialogue entre tous les partenaires et d’évaluer les risques.
Sonia Guelton, diplômée HEC, est professeur des universités en urbanisme et aménagement à l’Institut d’Urbanisme de Paris. Elle souligne dans cet ouvrage la dimension socio-économique de l’aménagement, ainsi que les logiques économiques des acteurs qui élaborent les projets et mobilisent les ressources. C’est une approche technique et une réflexion en termes de management des opérations d’aménagement urbain. Face à la spécialisation des tâches et à la dispersion des informations à disposition d’une multitude d’acteurs, la gestion de l’aménagement permet d’apporter plus de cohérence à ces actions territoriales dans une approche multi scalaire.
Stéphanie Baffico
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Stéphanie Baffico est professeur agrégé de géographie au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Elle est doctorante à l’Université de Perpignan Via Domitia (UMR ART-DEV 5281, Urbanisme et aménagement du territoire). Ses travaux de recherche portent sur les politiques urbaines et métropolitaines aux Etats-Unis, plus particulièrement sur les Green Politics et l’aménagement urbain durable à Baltimore.
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