Lu / Le Temps de la Métropole de Paul Vermeylen

Stéphanie Baffico

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vermeylenPaul Vermeylen1 nous livre ses réflexions sur le rôle et le fonctionnement des métropoles européennes dans un ouvrage conçu comme un « road trip ». L’ouvrage présente en effet une centaine de pratiques qui témoignent de l’inventivité des métropoles. Il a sélectionné pour nous les métropoles qu’il qualifie d’ « exemplaires » car moteurs de la croissance (p 11) et prenant le relais des États. Ces territoires se singularisent par leur « capacité à s’auto-organiser pour assurer les besoins de leur propre développement » (p 15) et mettent en place une gouvernance originale associant pouvoirs publics, secteur privé et milieux associatifs. En introduction, l’auteur donne les critères retenus pour sa sélection de métropoles : des villes entre 500 000 et 5 millions d’habitants, pourvues d’une aire de rayonnement, concentrant des fonctions importantes et intégrées à la mondialisation. Ces métropoles doivent surtout posséder quatre vertus essentielles aux yeux de l’auteur : « l’agilité, la créativité, la solidarité et la durabilité ». L’ouvrage s’articule ainsi en quatre chapitres pour aborder la notion de « métropole fertilisante ».

Le premier chapitre s’intéresse aux échelles territoriales pertinentes et aux aires de rayonnement de la métropole. La multiplication des flux de tous types redessine les territoires et amplifie les interdépendances. Les métropoles ne sont plus circonscrites à un territoire déterminé mais s’inscrivent dans des mailles multi-scalaires : elles appartiennent ainsi davantage à « un archipel d’urbanisation » (p 26). Elles constituent un système territorial et rayonnent sur des villes périphériques. L’auteur reprend la notion de « ville-monde » en référence à Braudel et celle de « ville globale » de Saskia Sassen pour souligner le fait que leur attractivité repose sur le réseau d’alliances qu’elles constituent. L’auteur développe particulièrement les exemples allemands et belges, ainsi que la coopération transfrontalière et bi-régionale au niveau du détroit d’Oresund (entre le Danemark et la Suède). Il établit le constat de la nécessité impérative pour les métropoles françaises d’établir des réseaux de coopération pour sortir du schéma de la macrocéphalie et des atermoiements de la réforme territoriale depuis le comité de réflexion Balladur de 2009, si elles veulent faire face à la concurrence internationale.

Le deuxième chapitre aborde la question de la créativité dans le domaine de l’économie, de la production et des richesses. Il existe selon l’auteur un modèle de la métropole créative. Il repose sur les aménités et infrastructures dont disposent les métropoles. Ce modèle contribue à développer les richesses du territoire et articule les dimensions économiques, sociales et environnementales. Ce modèle prend la « figure d’un rhizome » (p 82), pour reprendre la métaphore classique de Deleuze, souvent reprise en sciences sociales. La métropole allie en cela cinq vertus : elle valorise les éléments de base dont elle dispose et répond aux besoins de proximité ; elle sait mobiliser les talents ; elle met en valeur les créateurs ; elle s’ouvre aux flux économiques ; elle assume son rôle dans l’économie innovante et globalisée (p 84). L’auteur fait ici un clin d’œil aux théories du géographe américain Richard Florida sur la « classe créative », mais en élargissant son concept à tous les talents. Il développe entre autres les exemples de la Wallonie et de la Novosphère de Rennes pour affirmer que la « métropolisation rend le territoire intelligent » (p 120) et qu’une des clés de la créativité est l’innovation technopolitaine.

Le troisième chapitre fait le point sur les métropoles solidaires. L’auteur part du constat qu’elles sont d’abord le lieu de la confrontation permanente entre la réussite et la misère, et que les inégalités ne cessent de se creuser. A l’échelle européenne, le projet même d’une Europe sociale a pour l’instant avorté, et au niveau national, le dialogue entre les interlocuteurs sociaux peine souvent à s’établir. Selon Paul Vermeylen, les métropoles « exemplaires » s’emploient à renouer les liens collectifs et réinventent les formes de solidarité afin d’instaurer des « solidarités chaudes » (p 152). Celles-ci reposent sur des dispositifs immédiats tournés vers les besoins individuels. Elles prennent également appui sur de nouvelles formes de protestations (le mouvement des Indignés, Occupy Wall Street). Elles sont différentes des solidarités « procédurales et redistributives » car elles émanent de la base et qu’elles sont une fabrique de citoyenneté. L’auteur prend ici l’exemple américain des politiques de revitalisation urbaine qui s’appuient sur le développement communautaire, les mouvements de type grassroots et le principe de l’affirmative action, afin que l’impulsion vienne des populations elles-mêmes.

Le quatrième chapitre est consacré aux pratiques des métropoles pour répondre aux défis du développement durable et faire face à la rareté des ressources et de l’espace. Paul Vermeylen souligne quatre enjeux essentiels : l’usage effréné des sols et la périurbanisation ; la « malléabilité » des tissus urbains ou les nouvelles manières d’habiter ; l’économie verte ou « circulaire », respectueuse des ressources et fondée sur le recyclage ; l’implication citoyenne (p 207). Le cas de Copenhague et de son célèbre « finger plan » de 1947 nourrit la réflexion, d’autant plus qu’il a été révisé en 2003 afin de densifier le tissu urbain. Le cas de Bruxelles où l’on recycle les bureaux pour leur donner d’autres vies est également évoqué, tout comme le concept d’habitat hybride à Hambourg. L’auteur émet par contre des doutes sur les écoquartiers si ceux-ci cloisonnent le tissu urbain et accentuent les inégalités en créant une ville dans la ville (p 239). Il préfère le foisonnement de pratiques citoyennes portées par les collectifs et les mouvements associatifs dont il montre la richesse et la diversité. Il pose enfin la question de la compétitivité à tout prix et rappelle l’existence du mouvement « Slow Cities » qui prône la décroissance raisonnée et l’éloge de la lenteur.

L’ouvrage permet de constater le rôle accru des aires métropolitaines dans les pays européens. Il insiste sur le fait qu’aucun modèle ne peut être transposé ou exporté littéralement et que chaque initiative doit s’adapter aux caractéristiques locales. Terreau de nouvelles formes de gouvernance et matrice de dynamiques qui ne tolèrent pas de frontières territoriales, ces nouvelles métropoles invitent à une lecture volontairement optimiste. Sans nier les situations de crise qui existent, Paul Vermeylen revendique définitivement cet optimisme comme un combat (p 273), et nous invite à prendre la route à notre tour en clôturant son ouvrage par une webographie qui nous guidera dans le choix de notre propre « city trip ».

Stéphanie Baffico

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Stéphanie Baffico est professeur agrégé de géographie au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Elle est doctorante à l’Université de Perpignan Via Domitia (UMR ART-DEV 5281, Urbanisme et aménagement du territoire). Ses travaux de recherche portent sur les politiques urbaines et métropolitaines aux États-Unis, plus particulièrement sur les Green Politics et l’aménagement urbain durable à Baltimore.

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Le Temps de la Métropole, Paul Vermeylen, 2014, L’Harmattan, Questions contemporaines, 286 p.

  1. Paul Vermeylen est architecte-urbaniste, expert en management public. Issu du milieu associatif puis collaborateur d’un président de région, il officie aujourd’hui comme consultant (cabinet CityConsult). []

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