Mondes urbains indiens / L’échec médiatique et politique du corridor de bus rapide de Delhi : préjugés de classe et conflits d’usage
Gaïa Lassaube
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« I watch people’s faces when they see me waiting at a bus stop. Many of them, especially drivers, look at me like I’m doing something vaguely unsavory – like I’m drinking out of a paper bag or flashing ‘designer’ watches for sale. Too many people, taking the bus is on the same level as these activities » (Millner, 2012).
L’année 2008 fut celle de la sortie sur le marché de la voiture low cost Nano, mais aussi de l’inauguration d’un corridor réservé aux bus rapides, le Bus Rapid Transit System (BRTS). Alors qu’une part de plus en plus importante de la classe moyenne indienne pouvait s’offrir un véhicule personnel, la Municipalité de New Delhi s’attelait à un vaste chantier d’augmentation de l’offre des transports publics. Dans la ville la plus polluée du monde (WHO, 2014), la création d’un service de bus rapide devait répondre autant à un problème environnemental qu’à des enjeux sociaux, puisque 50 % des habitants de la ville ne possèdent pas de véhicule personnel (Ministry of Urban Development, 2014). Ce projet visait également à prévenir une hausse des besoins en mobilité en faveur de l’automobile. Malgré les embouteillages qui paralysent la ville, la voiture ne perd pas de son pouvoir d’attraction : le nombre de véhicules privés à Delhi étant ainsi passé de 3,3 millions en 2001 à près de 7 millions en 2011 (Ministry of Road Transport & Highways, 2012). Au tournant des années 2000, le BRTS Delhi était un projet séduisant, bénéficiant d’un soutien politique de la majorité gouvernementale de l’époque (Parti du Congrès). À son inauguration en 2008, le tronçon pilote mesurait 5,8 km : un test initial très réduit si on le rapporte aux 29 000 km de routes que comportait le territoire de la capitale nationale de Delhi (NTCD) en 2008 (DIMTS & NTC Delhi Transport Department, 2008). Il n’en fut pas moins largement fustigé dans les médias, qui limitèrent leur couverture journalistique de l’inauguration du corridor à la figure marquante de l’automobiliste mécontent, bloqué dans les embouteillages par la faute de pouvoirs publics défaillants. Dérivant moins de positionnements politiques ancrés que des modes de production des chaînes d’information, cette représentation médiatique réductrice ne fut pas sans effets. Ainsi, l’échec médiatique orienta les majorités municipales successives dans leur choix de ne pas prolonger le BRTS au-delà de sa phase pilote, en dépit d’une forte fréquentation, dans un territoire où la disponibilité des moyens de transports constitue un goulot d’étranglement. Cet article se propose d’étudier les reculs successifs du BRTS Delhi face à deux obstacles symboliques : la concurrence pour l’espace traditionnellement assigné à la circulation automobile d’une part, ainsi que la stigmatisation sociale du bus comme mode de transport des classes populaires. Alors que la question du démantèlement du corridor est actuellement débattue, nous verrons que les enjeux de la controverse consistent moins en un diagnostic sur l’opérationnalité de l’infrastructure qu’en l’opposition possible d’un public aux revendications ségrégatives, opposé au projet d’aménagement urbain.
Naissance du BRTS : des enjeux sociaux et environnementaux
Le concept de BRTS apparut dans les débats administratifs suite à une demande du Central Pollution Control Board (CPCB) au Transportation Research and Injury Prevention Programme (TRIPP) d’initier une démarche prospective appliquée aux transports publics. Le rapport constatait le succès des bus de grande capacité initiés au Brésil et en Colombie, et posait la nécessité d’établir des voies de circulation séparées (Mohan et al., 1997).
Si les déplacements automobiles ne concernent que 20 % des déplacements quotidiens à Delhi, ils occupent cependant près de trois quarts de l’espace routier. Des chiffres à comparer aux statistiques propres aux déplacements effectués en bus, qui représentent 40 % des déplacements quotidiens, contre 5 % d’occupation de la surface routière : la voiture et ses usages masquent une majorité d’usagers des transports publics routiers et des véhicules non motorisés (Ministry of Road Transport & Highways, 2012). En 1998, le Ministère des Transports commanda une étude préparatoire à un plan incluant pistes cyclables et corridors de bus. Intitulée Bicycle Master Plan, l’étude ne se limitait pourtant pas à promouvoir un mode particulier de mobilité douce ; par la séparation des modes de transport, elle visait à améliorer la sécurité routière ainsi que l’accessibilité aux transports en commun des populations les plus pauvres (NCT Delhi Transport Department & TRIPP, 1998).
Ce projet d’aménagement fut ajourné par le contexte politique du tournant des années 2000, avec la défaite électorale du gouvernement sortant (étiquette Bharatiya Janata Party, conservateur) au profit de Sheila Dikshit (figure de proue du parti du Congrès, démocrates libéraux) Il réapparut en Janvier 2002, doté d’une stratégie de communication médiatique plus ambitieuse, qui l’inscrivait dans la lignée des grands projets d’infrastructures modèles des mégalopoles internationales. La ville organisa ainsi un atelier international sur les bus à grande capacité, auquel fut invité Enrique Peñalosa, ambassadeur très prisé des mobilités urbaines durables dans les conférences internationales, qui introduisit le BRTS durant son mandat de maire à Bogota.
La même année, une commission spéciale des transports durables publia ses propositions, incluant la mise en œuvre d’un BRTS sur cinq artères de la ville. Le premier corridor devait comprendre une longueur pilote de 14,5 km, allant d’Ambedkar Nagar à Moolchand (TRIPP, 2005). Ce tronçon fut sélectionné à la fois pour son emplacement central et le type de transports qui l’empruntaient, puisque près de 85 % de déplacements y étaient alors effectués en deux-roues ou en bus. La commission estima que le transfert d’espace routier aux transports collectifs sur cette portion en serait plus aisé (Bhatia & Jain, 2009).
Les responsabilités institutionnelles furent rapidement définies : supervisé par le Ministère des Transports de Delhi, le projet fut conçu par le Rail India Technical and Economic Services (RITES), et bénéficia de l’assistance du TRIPP. En 2006, un nouvel acteur fut introduit à la fin des travaux de conception : le Delhi Integrated Multi-Modal Transit System (DIMTS), joint-venture entre le gouvernement de Delhi et la compagnie privée IFDC, chargée de la mise en œuvre et du fonctionnement du BRTS (Kishore, 2009). Les acteurs de la première phase de conception instaurèrent dès 2004 un dispositif de consultation publique, ainsi qu’un dialogue auprès des parties-prenantes incluant fonctionnaires, opérateurs de transports, et comités de quartier présents le long du corridor. Mais les efforts de consultation et communication ne furent cependant pas soutenus l’année suivante. D’après Kishore, les archives du RITES et du DIMTS ne montrent pas trace d’initiatives allant dans ce sens entre 2005 et 2007 (Kishore, 2009).
Inauguration du Corridor et polémique médiatique
Les premiers kilomètres du tronçon pilote furent inaugurés le 20 avril 2008. Ils consistaient en deux voies de circulations médianes séparées du reste du trafic, ainsi que de plateformes placées à proximité des intersections (illustration 1). Quand il fut ouvert à la circulation, le corridor présentait une fréquence acceptable (intervalles de 5 minutes aux heures de pointe contre 10 à 15 minutes sans le corridor) et une bonne vitesse commerciale : entre 16 et 18 km/h contre 7-15 km/h sans le corridor (Hidalgo & Pai, 2009). Cependant, les premières semaines du BRTS dévoilèrent rapidement des défauts de conception. Situé au milieu de la route, le corridor manquait d’accès souterrains ou protégés pour les piétons, incitant les usagers à traverser les voies de circulation générale pour atteindre les plateformes. Certains feux de circulation ne fonctionnaient pas non plus correctement. Le DIMTS déploya des îlotiers pour verbaliser les violations au code et parer aux problèmes informatiques de la signalétique (CRRI, 2012). Le parti-pris d’un système ouvert, permettant aux véhicules d’entrer et de sortir de la voie aux intersections, initialement conçu pour permettre la circulation aux véhicules d’urgence, s’avéra problématique : on pouvait observer également de nombreux empiétements des voitures et deux-roues dans la voie réservée au bus, tandis que les voies générales demeuraient congestionnées. Dans les semaines qui suivirent, ces embouteillages furent l’objet d’un traitement médiatique soutenu.
Afin de mieux comprendre l’intérêt des médias pour l’affaire, nous devons le resituer dans le contexte foisonnant des chaînes télévisuelles indiennes : depuis les réformes économiques de 1991 instaurant la privatisation du secteur audiovisuel indien, le bouquet télévisuel est passé d’une chaîne unique en 1991 à 500 en 2005. Le phénomène s’est même amplifié dans la dernière décennie, le nombre de chaînes continuant d’augmenter : de 600 en 2010 à près de 800 en 2012, dont plus de 400 chaînes d’information. Privatisation et évolution technologique ont ainsi participé d’une situation d’intense compétition qui explique la saturation d’un marché de niche tel que celui de l’information audiovisuelle de proximité (Padma, 2013). Il n’est pas rare que la fluidité du trafic dans les grandes villes indiennes fasse l’objet d’un flash spécial sur les chaînes d’information continue (illustration 2), un sujet classique en période de faible activité médiatique. L’attention journalistique apportée au BRTS s’explique ainsi par une nécessité structurelle de production de contenu informatif plus que par le caractère exceptionnel des embouteillages ou le caractère défectueux de l’infrastructure.
Le jour de l’inauguration du BRTS, les chaînes d’information en langue Hindi Zee News et India News diffusèrent en boucle des images d’embouteillages et de piétons traversant périlleusement les voies de circulation. Le point de vue dominant y fut celui de l’automobiliste rageur, alors que celui du passager de bus était absent. Ce parti-pris journalistique constituait une stratégie efficace si l’on considère le processus de fabrication de l’information télévisuelle et la compétition entre chaînes. En envoyant une caméra filmer les embouteillages, on obtenait dans un temps réduit ce que l’on peut qualifier de « journalisme du raccourci » (Berthaut, 2013) : des images marquantes d’immobilisation du trafic et des réactions à vif d’automobilistes à l’arrêt. Le spectateur n’avait plus qu’à y voir un lien de cause à effet : c’était bien le corridor qui était responsable de ce désordre.
Quelques heures plus tard, la presse écrite suivit la grille de lecture établie par ses confrères audiovisuels : par effet d’entraînement, le motif du BRTS apocalyptique fut repris dans les quotidiens nationaux. Une recherche internet montre ainsi que près de 70 articles de presse sont parus avec un point de vue très critique entre les 20 et 23 Avril 2008 : « Big Road Trauma » et « BRT nightmare for school kids on way home » pour le Times of India, « Corridor of Chaos » pour The Hindu, « Killer Road » et « BRT corridor chaos worse than ever » pour Hindustan Times.
Le 2 Mai 2008, la chaîne de télévision NDTV prit cependant le contre-pied de la profession en diffusant les chiffres d’une enquête d’opinion, produite par l’ONG Centre for Science & Environment, sous le titre « Un corridor qui divise ». Cette orientation s’explique par un positionnement de la chaîne sur une ligne éditoriale plus exigeante, bénéficiant ainsi d’un temps d’analyse moins dépendant de l’urgence médiatique. D’après l’enquête, le BRTS était positivement accueilli par ses passagers (88 %), les piétons et les cyclistes (85 %) (illustration 3), mais rencontrait des taux de satisfaction beaucoup plus bas parmi les conducteurs de voiture ou de deux-roues motorisés (45 %). Ces résultats rejoignaient ceux de l’audit des performances du BRTS réalisé la semaine suivant son inauguration ; en moyenne, le temps de voyage des passagers était réduit de 35 %, contre une augmentation de 14 % du temps de voyage des automobilistes (DIMTS, 2009).
Si les critiques du BRTS jouaient sur le spectaculaire et les représentations visuelles de la congestion routière, un autre motif était également partagé : l’opposition des automobilistes, perçus comme un groupe social clairement défini et aux intérêts propres, à des forces politiques cherchant à entraver leur droit à la circulation automobile (Hidalgo & Pai, 2009). On en trouve un exemple significatif sous la plume de Shekhar Gupta, alors rédacteur en chef de l’Indian Express, un quotidien anglophone de centre droit tiré à 400 000 exemplaires par la société Express Group. Éditorialiste vedette connu pour ses convictions libérales (Kaushik, 2014), Gupta voyait dans le BRT l’œuvre d’un socialisme totalitaire : « distribuer uniformément le trafic et la route en reprenant les voies aux voitures, pour inciter (‘forcer’ serait plus juste) les automobilistes à prendre les transports en commun. A-t-on déjà vu une telle chose dans l’histoire de l’humanité, si ce n’est dans la Chine de Mao ou en Corée du Nord ? En Chine, l’épisode a pris fin avec l’arrivée des voitures privées; en Corée, il cessera aussi quand les Nord-Coréens auront accès au marché automobile » (Gupta, 2008). Si la virulence de Gupta s’explique par ses positions politiques, il est intéressant de souligner les prémisses implicites ordonnant ses préjugés sociaux concernant la mobilité urbaine. Suivant ce discours, l’inaccessibilité au marché automobile explique l’existence des transports publics, qui fournissent un service à des usagers captifs. En organisant l’espace routier en faveur du BRTS, la municipalité entraverait donc l’aspiration majoritaire du public à l’automobile. Ce motif des politiques ineptes dont les citoyens ordinaires payent le prix est un élément de rhétorique essentiel des opposants au corridor, que l’on retrouva également en 2012 lors d’une requête soumise à la Cour Suprême demandant le démantèlement du BRTS.
Pétition pour le démantèlement du BRTS à la Cour de Justice
Début 2012, une plainte concernant le BRTS fut soumise à la Cour de Justice de Delhi par l’association Nyaya Bhoomi. D’après ses statuts, l’association s’était donnée pour mission de rassembler « les bonnes volontés » contre « la corruption », le « népotisme », et « l’inertie des administrations ». A l’instar de nombreuses autres associations généralistes, son activité de lobbying repose sur les outils d’activisme judiciaire mis à disposition par l’Union Indienne : Right to Information Act (RTI), qui oblige les autorités publiques à répondre au droit d’accès à l’information (la charge de la preuve incombant à l’autorité publique), et Public Interest Litigation (PIL), qui permet à tout citoyen de déposer une plainte au nom de l’intérêt général. La consultation des archives de l’association montre cependant que son périmètre d’action s’est limité de fait à la contestation des politiques de transport de la ville : alors que les sections propres aux sujets tels que « démocratie », « réformes électorales », ou « justice » demeurent vides, seule la section consacrée aux transports et à la circulation est régulièrement alimentée. On peut s’interroger sur le relais médiatique dont bénéficia cette association de modeste envergure, puisque le site de Nyaya Bhoomi ne compte que deux contributeurs actifs, en incluant son fondateur, Rakesh Agarwal. On peut y voir, suivant les travaux de Stéphanie Lama Tawa-Rewal sur l’activisme des classes moyennes urbaines, une certaine réceptivité des médias aux sujets mettant en jeu des citoyens aisés auxquels le public est susceptible de s’identifier. En retour, cette réceptivité contribue à renforcer significativement leur légitimité et leur capacité à infléchir les politiques publiques dans le sens désiré.
Via sa plainte déposée au nom de l’intérêt général, Nyaya Bhoomi appelait directement au démantèlement du corridor. D’après B.B. Sharan, porte-parole de l’association, les emplois plus qualifiés des automobilistes leur donnaient préséance sur les passagers de transports publics : « les propriétaires de véhicules particuliers sont des individus créateurs de richesse. Est-ce que vous réalisez qu’ils arrivent épuisés à leur bureau après avoir perdu leur temps dans ces embouteillages ? Cela affecte leur efficacité […] On ne peut quand même pas coincer un commandant en chef en pleine circulation pendant qu’une armée attend ses ordres. Est-ce si grave qu’un planton arrive à son lieu de travail avec cinq minutes de retard ? » (Joshi, 2012). La défense des intérêts des automobilistes se justifiait par un ordre social hiérarchisé : c’est parce que leurs activités avaient un impact économique supérieur à celles des moins bien lotis que les automobilistes pouvaient prétendre à des conditions de circulation privilégiées, plus rapides et plus fluides.
Après sept mois d’audience, la Cour jugea le BRTS conforme aux objectifs sociaux et environnementaux du plan de développement urbain territorial (Delhi Master Plan) qui faisait force de loi suivant le Delhi Developement Act de 1957. Durant les années 2000, la Cour Suprême elle-même avait dû statuer sur de nombreux cas concernant la détérioration de l’air de Delhi, un fait qu’elle ne manqua pas de mettre en lien avec l’explosion du nombre de véhicules particuliers.
La transcription du jugement valida explicitement le projet porté par les pouvoirs publics locaux, défendant le principe de report modal au nom d’un impératif écologique : « Puisque, dans une démocratie, saisir les voitures et les mettre au rebut ne fait pas partie de l’ordre des possibles, la seule solution consiste à dédier de l’espace à des bus performants et rapides à même d’inciter les automobilistes à choisir les transports en commun […] la planification se fait toujours à long terme et les bénéfices n’en sont pas disponibles immédiatement […] un pays développé n’est pas un pays où les pauvres se déplacent en voiture ; c’est un pays où les citoyens aisés font usage des transports publics ». La requête de l’association fut donc rejetée : le rôle des politiques publiques était de défendre l’intérêt général plutôt que de distribuer l’espace public à des intérêts privés : « le rôle d’un tribunal n’est pas d’opposer une classe de citoyens circulant en bus à celle de ceux circulant en voiture » (Nandrajog, 2012).
En Septembre 2012, la validité du principe du corridor BRTS fut officiellement rétablie. Le gouvernement, s’il ne pouvait démanteler le corridor pilote, ne prolongea pas son extension par peur de la polémique qui risquait à nouveau de s’ensuivre : activisme judiciaire et couverture médiatique avaient réussi à déstabiliser les pouvoirs politiques. Les résultats électoraux de 2013 mirent à nouveau la question du sort du BRT à l’ordre du jour : alors que le gouvernement sortant essuyait une défaite électorale, Rajiv Kejriwal, activiste renommé et chef de file du Aam Admi Party (AAP), envisageait le démantèlement d’un des projets vitrines du gouvernement sortant ; sa démission moins de deux mois plus tard allait interrompre ce projet. Depuis lors, les infractions à la circulation, tolérées par la police, se poursuivent. De fait, c’est donc le principe de circulation séparée, propre au BRTS, et la possibilité de rendre le bus plus attractif que la voiture, qui furent annulés.
Sept ans après l’inauguration du BRTS Delhi, le projet se retrouve dans un abandon de fait : début mars 2015, le Ministère des Travaux Publics de Delhi (PWD) a demandé au Département des Transports de Delhi de soumettre un nouvel audit afin de plaider à nouveau la cause du démantèlement du corridor. Une telle éventualité est d’autant plus déconcertante qu’une commission s’est réunie en début d’année afin de présenter neuf recommandations pour décongestionner la ville, la sixième proposant l’augmentation du nombre de corridor BRTS à l’horizon 2020, sans que mention soit faite du corridor initial (Ministry of Urban Developement, 2014). La promotion des transports publics routiers se poursuit, mais en occultant l’épineux précurseur : l’épisode dévoile une certaine fragilité des politiques publiques face aux représentations journalistiques. Pourtant, cet échec médiatique du BRTS s’explique moins par le travail de sape de groupes de presse opposés au gouvernement que par le poids de pratiques professionnelles journalistiques routinières. On peut constater ainsi que les questions de représentations symboliques et de communication ont été le point aveugle de ce projet d’équipement. La persistance depuis 2008 de discours médiatiques très critiques vis-à-vis du BRTS aurait pu inciter les institutions en charge du projet à prendre en compte le rôle des représentations dans l’effectivité des grands projets, qu’elle soit réelle, fantasmée, ou déniée. Au risque d’énoncer une évidence, on voit que le sujet de la mobilité durable dans une ville des Suds ne se limite pas à répondre à l’urgence des besoins de mobilité des usagers captifs. Il s’agit également de faire face à un enjeu peut-être plus difficile à appréhender : la prise en considération des réticences des automobilistes, pour faire des transports en commun une alternative désirable.
Gaïa Lassaube
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Gaïa Lassaube est diplômée de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), de HEC et de la Jawaharlal Nehru University (New Delhi). Après avoir travaillé dans le domaine du développement durable et de la Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises (RSE), elle est actuellement doctorante en sociologie au centre Émile Durkheim ainsi qu’à l’Institut Français de Pondichéry (contrat doctoral du CNRS). Son travail de thèse développe une comparaison de la gestion des eaux souterraines entre la France et l’Inde.
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Illustration de couverture : corridor du BRTS quelques mois après son inauguration. (Source : Singh, 2008) ; photographie lauréate d’un concours organisé par l’association Youth for Public Transports.
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Bibliographie
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Bhatia, T. & Jain, M., 2009. Bus Transport in Delhi (No. 210), CCS Working Paper.
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