Mondes urbains chinois / Portfolio : Immigration domestique et réversibilité des espaces publics hongkongais : de l’invisibilité quotidienne à l’ultra visibilité dominicale
Nicolas Douay
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L’objectif de cette contribution est de présenter les espaces publics hongkongais et la diversité des usages qui y sont associés. Le concept de réversibilité est mobilisé afin de souligner l’alternance entre visibilité et invisibilité d’une catégorie de population essentielle au succès de l’économie hongkongaise : les 340 000 employés domestiques d’origine étrangère (août 2015)1 . Ces migrants représentent près de 5 % de la population de l’ancienne colonie britannique, majoritairement féminine, ils proviennent de façon quasi égale des Philippines (48 %) et d’Indonésie (49 %).
Pendant la semaine, les espaces publics du centre-ville sont généralement occupés par des travailleurs et des touristes et offrent ainsi une vision attendue de la globalisation avec le développement des activités tertiaires de haut niveau et une certaine opulence. Les employés domestiques travaillent alors discrètement auprès de leurs employeurs et sont donc quasiment invisibles des espaces publics (Husson, 2013).
Ce régime d’invisibilité s’inverse le dimanche. Alors que les travailleurs domestiques disposent de droits assez réduits, le dimanche est bien souvent la seule journée de congé de la semaine où ils peuvent quitter le domicile de leurs employeurs. Cette situation n’est pas spécifique à Hong Kong et se retrouve dans d’autres villes telles que Singapour en Asie ou Nicosie en Europe (Akoba et al., 2013). Lors de ce repos hebdomadaire les travailleurs domestiques en profitent pour se reposer et surtout se divertir. Ces rassemblements sont donc des moments assez joyeux qui s’organisent en fonction des appartenances à des communautés nationales qui recoupent aussi des affiliations religieuses (les Philippins sont majoritairement chrétiens et les Indonésiens majoritairement musulmans).
À Hong Kong, dans un contexte de forte densité urbaine, l’espace est rare et souvent dédié aux activités marchandes. De fait, lorsque les travailleurs quittent l’espace domestique de leurs employeurs, il n’est pas facile pour eux de trouver des espaces publics facilement appropriables, même temporairement. Ces travailleurs domestiques investissent alors certains espaces dont l’occupation est libre et gratuite avec souvent la recherche d’une part d’une protection contre le soleil ou la pluie et d’autre part d’une certaine intimité par l’appropriation matérielle de l’espace (par exemple avec des cartons ou des parapluies). Ces espaces résiduels sont donc détournés de leurs usages habituels et font très souvent l’objet d’un encadrement pour les délimiter, voire les surveiller, par les acteurs publics ou privés qui gèrent ces lieux. À l’invisibilité de la semaine succède alors un moment de forte visibilité dédié au repos et au divertissement et à différentes activités communautaires, voire militantes, avec l’installation de stands ou l’organisation d’évènements.
L’objectif de ce portfolio est de présenter la réversibilité dans le temps des espaces publics, investis par des usages et des publics différents. Cette dualité urbaine n’est pas propre à Hong Kong mais dans ce cas cela permet d’illustrer deux facettes de la globalisation et de l’avènement de cette ville au statut de World-City en mettant en avant les travailleurs souvent invisibles de cette prospérité.
Les photos présentent les mêmes espaces à des moments différents de la semaine afin de souligner leur réversibilité. La première partie du portfolio présente le quartier des affaires de Central qui regroupe plutôt les travailleurs originaires des Philippines. L’espace le plus emblématique étant l’atrium au pied de la tour de la banque HSBC. Et la seconde partie du portfolio expose le quartier commerçant de Causeway Bay avec le parc de Victoria et ses abords qui regroupent plutôt les travailleurs originaires d’Indonésie. Toujours dans ce même quartier le magasin Ikea fait aussi l’objet d’un détournement de ces usages avec son espace d’exposition des canapés qui devient un lieu de repos et de discussion dans le confort de la climatisation.
NICOLAS DOUAY
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Nicolas Douay est maître de conférences en urbanisme à l’Université Paris-Diderot / UMR 8504 Géographie-Cités, accueilli en délégation CNRS au Centre d’Études Français sur la Chine contemporaine (Hong Kong).
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nicolas.douay AT gmail DOT com
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Couverture : Atrium de la tour HSBC sur Queen’s Road un dimanche. Les travailleurs domestiques s’installent sur un espace clairement délimité depuis le réaménagement de l’espace public pour rénovation à la suite du mouvement « Occupy » (Douay, 2015)
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Bibliographie
Husson L., 2013, « Les employées de maison indonésiennes et philippines à Hong Kong en quête de visibilité », Moussons [En ligne], 22 | 2013, mis en ligne le 22 novembre 2013, consulté le 11 novembre 2015. URL : http://moussons.revues.org/2374
Akoba K., Bernardie-Tahir N., Clochard O. et Schmoll C., 2013, « Un dimanche à Nicosie », La recherche à MIGRINTER, [En ligne], 2013, mis en ligne le 8 octobre 2013, consulté le 11 novembre 2015. URL : http://migrinter.hypotheses.org/1301