Villes méditerranéennes / L’agriculture comme nature en ville ? Le cas de l’Agriparc du Mas Nouguier, Montpellier, France

Pascale Scheromm et Françoise Jarrige

L’article de Pascale Scheromm et Françoise Jarrige au format PDF


Alors que la plus grande partie de la population vit en milieu urbain, la nature en ville est aujourd’hui reconnue comme un facteur clé de la qualité de vie urbaine (Donadieu, 2013). Les formes qu’elle peut prendre traduisent la relation d’une société urbaine à son environnement naturel et social (Lévy et Hajek, 2015). Elles évoluent au gré des changements de référentiels de ceux qui aménagent les villes et leurs espaces verts.

Parmi les différentes formes de nature urbaine, l’espace vert public est un lieu privilégié de rencontre du citadin avec la nature. Les politiques urbaines lui ont en France attribué depuis le XIXe siècle une place de choix. Les parcs d’agrément urbains ont évolué selon un « gradient de naturalité » croissant, allant d’une nature artificialisée à forte valeur ornementale à une nature plus sauvage à forte valeur écologique (Mehdi et al. 2012). Cette évolution traduit le passage d’un urbanisme fonctionnaliste à une autre vision de l’urbanisme, de type écologique et durable, avec l’apparition de nouveaux types de parcs et la mise en œuvre de nouvelles pratiques dans leur gestion. Dans le parc ornemental du XXe siècle, le végétal a principalement un rôle esthétique et social1 . Avec la crise écologique du XXIe et l’avènement du concept de développement durable, les espaces végétalisés acquièrent des fonctions de services écosystémiques (James et al., 2009). Des références champêtres et sauvages pénètrent l’espace vert public (Aggeri, 2004). Les concepts de trames verte et bleue donnent leur place à la protection de la biodiversité dans l’aménagement du territoire et la gestion des espaces de nature. La nouvelle « ville-nature » est gérée écologiquement, elle exclut les pesticides, « revalorise une palette végétale locale, adaptée au sol, au climat, incite à travailler sur la flore spontanée en laissant certains espaces naturels » (Aggeri, 2010 : 77). La nature urbaine est ainsi aujourd’hui investie de rôles à la fois biophysiques, écologiques, symboliques et sociaux (Da Cunha, 2009 ; Bourdeau-Lepage et Vidal, 2014).

Tout comme pour la nature, l’évolution des représentations et des enjeux associés à l’agriculture génèrent de nouveaux liens entre cette dernière et les territoires urbains. Considérée comme une activité multifonctionnelle, support de fonctions productives, sociales, alimentaires, paysagères, écologiques, l’agriculture urbaine est porteuse d’enjeux multiples, allant de la production d’aliments au verdissement des villes (Lovell, 2010). Elle rassemble un ensemble d’initiatives top down portées par les institutions locales (bien que l’agriculture ne relève pas des compétences de ces dernières) et bottom up issues de la société civile (McLain et al., 2012 ; Mundler et al., 2014 ; Scheromm et Mousselin, 2017). Un ensemble d’acteurs urbains, des acteurs institutionnels aux citadins, s’impliquent dans cette dynamique sous des formes diverses : start up, jardins communautaires, thérapeutiques, d’insertion, microfermes… éclosent aujourd’hui dans les villes. L’agriculture peut ainsi être considérée comme une composante de la ville contemporaine, partie prenante d’un « Food Urbanism » permettant « de dépasser les contradictions pour offrir une vision plus large et intégrée des relations entre ville et agriculture » (Verzone et Dind, 2011). Elle participe à l’aménagement urbain, en particulier à celui des espaces de nature puisqu’une des spécificités de l’agriculture urbaine est bien de donner une place au végétal, cette fois comestible, dans la ville. De même que le concept de nature en ville, celui d’agriculture urbaine est au cœur de modèles en circulation dans la planification urbaine à une échelle transnationale (Schwab et al., 2018). Si l’agriculture s’est séparée de la ville au XIXe siècle pour devenir relictuelle dans les métropoles des pays du Nord, elle s’y redéveloppe aujourd’hui sous des formes diverses selon les pays, les régions, les villes, avec des adaptations aux différents contextes.

Dans un article de 2009, Nelly Niwa posait la question suivante : la nature en ville peut-elle être agricole ? Cette question nous semble plus que jamais d’actualité et nous nous proposons d’y répondre à partir de l’exemple d’un parc récréatif urbain à dimension agricole situé dans la ville de Montpellier. Cet exemple nous semble en effet révélateur d’une dynamique de rapprochement des mondes urbains et agricoles, du passage d’une vision traditionnelle de la nature urbaine utilisatrice de plantes ornementales à celle d’une nature urbaine « productive ». Comment l’agriculture a-t-elle trouvé place dans ce parc urbain et comment y est-elle valorisée ? Notre hypothèse est qu’en l’absence de « concept prêt à l’emploi » pour l’agriculture comme nature en ville, la concrétisation du projet d’agriparc résulte du jeu des acteurs en présence et des références dont ils sont porteurs, en lien avec l’évolution des modèles et systèmes de valeurs qui ont cours dans la société contemporaine. Dans la suite de l’article, nous retraçons tout d’abord les principales étapes de la mise en œuvre du projet d’agriparc. Nous avons analysé son évolution selon la méthode dite « chronique de dispositif » (Rey-Valette et al., 2014) visant à élaborer le récit d’un projet afin d’en décrypter les dynamiques et de les mettre en perspective. Cette méthode permet ainsi de repérer les acteurs leaders, leur rôle et les partenariats et modes de coordination mis en œuvre. Elle se base sur une analyse de documents (documents d’urbanisme, documents d’aménagement de l’agriparc correspondant à différentes moutures du projet, dossiers de presse…) et sur des entretiens auprès des acteurs parties prenantes du projet (responsables techniques, partenaires, usagers : une dizaine d’entretiens en tout).  Elle nous a permis de retracer l’« histoire » du Mas Nouguier autour de trois grandes étapes. Puis nous mettons ces évolutions en perspective, au regard des demandes des citadins et des politiques publiques locales – communales et intercommunales –, dont nous analysons l’impact. Cette analyse nous permet in fine d’alimenter la réflexion sur l’émergence de l’agriculture comme nature en ville.

L’histoire de l’agriparc du Mas Nouguier : l’affirmation de la dimension agricole et nourricière d’un parc urbain

Le parc du Mas Nouguier se situe au sud-ouest de Montpellier (figure 1), ville de 277 639 habitants (INSEE, 2015). Concernant les espaces verts, le Plan Local d’Urbanisme de la ville spécifie que les grands secteurs d’aération de la ville sont aménagés au sein des zones situées en frange de l’urbanisation existante. Ce sont de grands parcs publics dont la fonction est d’accueillir des activités de loisir et de détente. Le Mas Nouguier est un de ces parcs.

1. Localisation de l’Agriparc du Mas Nouguier (PLU de Montpellier, 2017)

À la conception de l’Agriparc : la viticulture comme patrimoine de la ville (2007 – 2010)

La ville de Montpellier connait une croissance soutenue qu’elle tente de maîtriser notamment par des ZAC (zones d’aménagement concerté). La politique de la Ville est d’associer à chaque projet de nouveau quartier un poumon vert, le plus souvent un parc d’agrément. Dans cette optique, la municipalité a acquis en 2007, à l’ouest de la ville, une ancienne propriété viticole de 27 ha située en zone agricole (figure 1), destinée à devenir le parc récréatif du futur écoquartier des Grisettes. Son aménagement et sa gestion sont confiés au service des espaces verts. Espace de « campagne dans la ville » (figure 2), le Mas Nouguier est qualifié d’agriparc, en référence au concept utilisé par l’intercommunalité dans son Schéma de Cohérence territoriale de 2006 (Montpellier Agglomération, 2006. p.116, p. 198). Le premier document relatif à son aménagement le présente comme « un lieu de promenade et de loisirs dans un paysage viticole préservé », un projet qui permet de « maintenir le lien entre les Montpelliérains et leur patrimoine agricole ». Quatre enjeux lui sont associés : un enjeu culturel, celui de la préservation d’un patrimoine viticole, un enjeu agricole avec la préservation d’un domaine viticole fonctionnel, un enjeu urbain paysager en tant qu’espace vert, un enjeu environnemental car il s’inscrit dans la trame verte montpelliéraine et inclut deux bassins de rétention d’eau. Un nouvel enjeu exprimé par le service des espaces verts vient très vite s’ajouter à ces 4 premiers enjeux : faire de l’agriparc un conservatoire de variétés viticoles et agricoles. La municipalité de Montpellier développe en effet à cette période une politique active de protection de l’environnement et de la biodiversité (Scheromm et al., 2014). L’agriparc figure dans le plan biodiversité 2010-2014 rassemblant les actions menées en faveur de l’environnement.

2. L’agriparc : « la campagne dans la ville » (1ère page du document d’aménagement 2007, Ville de Montpellier)

Dès 2007, le vignoble du domaine est rénové avec le concours de la chambre d’agriculture : arrachage des anciennes vignes et réencépagement avec l’objectif de planter une diversité de cépages pour produire des vins de pays de qualité. Il est mené en agriculture biologique et son entretien est confié à un viticulteur prestataire de service pour la Ville. Le vin est élaboré à la cave coopérative d’Assas, une commune située au nord de Montpellier ; il n’est pas commercialisé mais servi lors des évènements organisés par la Ville. Le domaine accueille par ailleurs une oliveraie de 135 arbres et une vaste parcelle de plantes aromatiques ouverte à la cueillette pour les citadins qui fréquentent le parc. Un employé municipal pratique l’apiculture avec quelques ruches. Des activités pédagogiques sont mises en place avec les établissements scolaires et les centres de loisirs de la Ville. Durant les premières années, des vendanges participatives sont organisées avec les habitants de Montpellier.

Le projet initial est donc un parc d’agrément à dimension pédagogique, essentiellement tourné vers la mise en scène de la viticulture, culture patrimoniale. Il est mené par le service des espaces verts, en collaboration avec la chambre d’agriculture.

L’entretien de l’agriparc comme support d’insertion sociale (2010 – 2015)

L’année 2010 marque une inflexion dans l’histoire du Mas Nouguier : la municipalité décide de confier l’entretien des vignes, non plus à un agriculteur privé, mais à une entreprise d’insertion sociale par le travail. Elle formule un appel d’offres destiné aux établissements médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap. L’Établissement de Service et d’Aide par le Travail des « Compagnons de Maguelone », spécialisé dans la réinsertion par l’agriculture des personnes en situation de handicap, est sélectionné pour sa capacité à gérer un vignoble en conduite biologique ; cet établissement exploite en effet déjà un domaine viticole avec chai de vinification et activité de restauration à Villeneuve-lès-Maguelone, commune littorale proche de Montpellier. La Chambre d’agriculture intervient toujours en tant qu’expert viticole et poursuit la rénovation du vignoble (figure 3). Elle assure le suivi phytosanitaire des vignes et fait des préconisations pour les traitements des vignes en agriculture biologique. La vinification des vendanges est toujours confiée à la cave coopérative d’Assas.

3. Document d’aménagement 2012 (Ville de Montpellier)

Parallèlement au volet agricole, la municipalité doit faire face à la gestion du bâti présent sur le domaine, en particulier l’ancien mas, qui se dégrade et fait l’objet de vandalisme (squat, incendies). Des travaux de rénovation sont nécessaires, mais coûteux : la municipalité cherche une solution de financement privé. De son côté l’association des compagnons de Maguelone est à la recherche d’une nouvelle implantation, plus urbaine, pour développer d’autres activités d’insertion professionnelles comme la restauration ou la location de salles. Ils sont à ce titre intéressés par l’acquisition du mas. Durant cette même période, l’écoquartier des Grisettes sort de terre et de nouveaux habitants s’installent. Ils demandent très rapidement la création d’un jardin partagé dans le parc en vue de pratiquer le jardinage et de favoriser le lien social.

Le changement de délégation du service de l’entretien du vignoble va contribuer à ouvrir l’agriparc vers de nouveaux usages : l’idée de mettre en place une activité de restauration émerge au travers du partenariat fonctionnel (entretien du parc) entre le service des espaces verts et les Compagnons de Maguelone ; les habitants du quartier s’investissent dans l’aménagement de l’agriparc au travers de celui du jardin partagé.

Vers un parc agroécologique nourricier (2015 – 2018)

En 2015, la ville lance l’appel d’offre pour la vente du bâtiment, remporté par les Compagnons de Maguelone avec leur projet de restauration locale. La même année, Montpellier accède au statut de Métropole. L’élue en charge de l’agroécologie et de l’alimentation, qui initie une politique agroécologique et alimentaire, établit des contacts avec Terre et Humanisme, association dont l’objectif est de promouvoir l’agroécologie. Par ailleurs, dans le cadre du passage de l’intercommunalité au statut de Métropole, certains services de la Ville et de l’intercommunalité sont mutualisés. Ces changements vont être décisifs pour l’évolution de l’agriparc du Mas Nouguier. En 2016, une rencontre entre cette élue de la Métropole, le directeur des espaces verts de la ville de Montpellier et un chargé de mission de Terre et Humanisme donne corps à un projet de maraîchage sur le site. Le projet se veut une « vitrine de savoir-faire agroécologique en milieu méditerranéen » (entretien Terre et Humanisme, 2017). Les Compagnons de Maguelone adhèrent à cette idée en lien avec leur projet de restauration. L’association Terre et Humanisme se voit rapidement confier l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la mise en place de l’activité de maraîchage sur une parcelle dédiée et un projet de réaménagement agroécologique de l’ensemble du parc. L’idée directrice est que « tout ce qui est planté dans le parc doit être valorisable, plantes vivrières, arbres fruitiers, petits fruits, plantes à tisane, … » (entretien Terre et Humanisme, 2017). Les Compagnons seront formés par Terre et Humanisme pour la mise en culture de leur parcelle de maraîchage. Au travers de ce projet, le service des espaces verts souhaite « tester un modèle de maraîchage agroécologique en milieu méditerranéen, en buttes autofertiles » (entretien direction des espaces verts Ville de Montpellier, 2017). De 2015 à 2018, des relations étroites vont progressivement s’établir entre Terre et Humanisme, le service des espaces verts, les Compagnons de Maguelone et l’association d’habitants souhaitant mettre en place un jardin partagé dans l’agriparc. Cette association s’est créée en 2015 pour porter la demande de jardin auprès de la municipalité, en lien avec le Conseil Citoyen de quartier, un EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et un groupe scolaire. Une association animant des ateliers de jardinage d’inclusion à la vie sociale pour des publics fragiles souhaite également pouvoir intervenir sur le site quand le jardin sera fonctionnel. Le projet de maraîchage de Terre et Humanisme est présenté lors de journées d’animation de quartier, un chantier participatif (figure 4) est organisé à l’occasion des journées du patrimoine et une première butte en permaculture voit le jour à la fin de l’année 2017.

4. Chantier participatif au Mas Nouguier (M. Theels, 2017)

Cette même année, l’élue en charge de l’agroécologie et de l’alimentation à la Métropole quitte sa mission pour des raisons politiques. Suite à ce départ, les relations entre Terre et Humanisme et la Métropole se distendent. Celles établies avec le service des espaces verts de la Ville se maintiennent, dans un contexte politique cependant moins favorable. Les budgets alloués sont insuffisants pour réaliser l’ensemble du projet envisagé au Mas Nouguier et ne répondent pas aux ambitions de Terre et Humanisme.

Cette troisième étape marque l’entrée de l’agriculture nourricière dans le parc. Elle se caractérise par la mise en place de relations croisées entre l’acteur public, le délégataire en charge de la gestion du parc, les habitants du quartier et l’association Terre et Humanisme porteuse du concept d’agroécologie. Les usages et les acteurs impliqués dans l’agriparc se sont diversifiés (figure 5). Un contexte politique devenu moins favorable ralentit cependant la mise en place du projet.

5. Le mas Nouguier, ses espaces et leurs usagers

Vers un nouveau modèle de parc urbain ?

Conçu autour de trois dimensions initiales, la campagne, l’agriculture et la biodiversité, l’agriparc du Mas Nouguier évolue aujourd’hui vers un parc producteur de produits maraîchers destinés à la consommation locale. Cette évolution s’est opérée sur une dizaine d’années, et s’inscrit dans le contexte de l’évolution conjointe des politiques de la municipalité de Montpellier et de la communauté d’agglomération, devenue Métropole en 2015.

La création de l’agriparc s’est appuyée sur le concept émanant du premier Schéma de Cohérence Territorial (SCoT) de Montpellier Agglomération (validé en 2006). Ce SCoT, précurseur en matière de « design urbain », proposait une prise en compte des espaces naturels et agricoles comme trame structurante pour construire la planification urbaine (Jarrige et al., 2006). Le concept d’agriparc a été forgé dans cette perspective : les agriparcs tels que définis par l’Agglomération de Montpellier en 2006 sont des espaces périurbains qui viennent appuyer le développement d’une agriculture valorisant le lien à la ville. Ils sont censés articuler leur fonction première, celle de production agricole, avec des fonctions paysagère, environnementale et ludo-éducative (Jarrige et Perrin, 2017). Le concept a été repris par la municipalité de Montpellier avec une entrée résolument urbaine, en l’adaptant à sa propre logique de planification et de création d’espaces verts. Au Mas Nouguier, les principaux usagers ne sont pas les agriculteurs, mais les citadins. C’est avec la présence et pour l’agrément des citadins que se réinvente ici l’agriculture, investie d’une fonction de « nature en ville ». La conception et la réalisation de ce parc urbain sont initiées par des acteurs de l’urbain, qui s’associent à des acteurs agricoles. La présence de la vigne sur le domaine est un héritage du passé viticole de Montpellier, dont la croissance urbaine s’est réalisée en grande partie sur d’anciens vignobles (Perrin et al. 2013 ; Scheromm et al., 2014). En restaurant le vignoble, la municipalité a voulu remettre à l’honneur son passé viticole, longtemps disqualifié. La préservation de la vigne au Mas Nouguier relève ainsi au départ d’une logique de patrimonialisation, qui s’inscrit dans la politique municipale de protection de la biodiversité (conservation de cépages). L’entretien en agriculture biologique du vignoble du Mas Nouguier est aussi conforme à la politique des espaces verts de la Ville, qui a été une des premières villes françaises à opter pour une gestion sans pesticides de ses espaces verts. La création de l’agriparc s’appuie donc au départ sur deux référentiels, un référentiel patrimonial (relatif à l’identité viticole de la ville et sa région) et un référentiel de protection de la biodiversité. Dans un second temps, la municipalité introduit dans le projet une composante d’économie sociale en confiant l’entretien du vignoble à un acteur de l’insertion sociale. Enfin, en 2015, la logique d’aménagement du parc franchit une nouvelle étape pour s’orienter sur la voie de l’agroécologie, en lien avec la mise en place de la politique agro-écologique et alimentaire de la Métropole de Montpellier (Michel et Soulard, 2017) ; le maraîchage agroécologique devient une nouvelle composante de l’agriparc. Un jardin partagé vient également s’ajouter au dispositif, s’inscrivant lui dans un autre volet de la politique de Montpellier, qui développe activement depuis 2004 des jardins collectifs, familiaux et surtout partagés, dont la charte précise qu’ils doivent être cultivés selon les principes de l’agroécologie (Scheromm et Mousselin, 2015).

L’investissement de l’intercommunalité dans un processus de planification prenant en considération les espaces agricoles, puis dans une politique agroécologique et alimentaire, la volonté de la municipalité de porter une politique biodiversité et de mettre en scène un paysage agricole réinventé, ont inscrit leurs empreintes dans l’agriparc. Sa configuration actuelle résulte d’un ensemble de référentiels qui se sont progressivement articulés, demandant des ajustements entre les différents acteurs qui en sont porteurs. Cette configuration ne relève pas que des politiques publiques locales : la diversité des usages du parc fait aussi intervenir d’autres acteurs. Un collectif de citoyens a initié la création d’un jardin partagé, lieu de lien social et d’apprentissage au jardinage ; des habitants viennent cueillir des plantes aromatiques, confirmant que les pratiques d’agriculture urbaine sont imbriquées dans le renouveau d’intérêt des individus et des collectifs pour les dimensions environnementales et sociales de la vie urbaine (Ioannou et al., 2016). D’autres partenaires présents à titre de conseillers comme la Chambre d’Agriculture ou Terre et Humanisme, des prestataires porteurs de projets comme les Compagnons de Maguelone ou les associations d’inclusion sociale, contribuent également à façonner le design de l’agriparc. Ce sont donc différents types d’acteurs, urbains et agricoles, qui dialoguent et confrontent leurs visions et leurs pratiques pour donner forme au projet. Le service des espaces verts de la municipalité n’est pas le seul maître à bord, et devient l’interlocuteur référent et le coordinateur de toutes les parties prenantes, dans une dynamique de participation citoyenne et de recours à des sources d’expertise variées dans la gestion des affaires publiques.

Cet élargissement des parties prenantes et des enjeux autour de l’agriparc s’inscrit dans un déroulement non planifié, qui s’effectue chemin faisant au gré de l’évolution des préoccupations des acteurs qui s’impliquent. Dès sa création, l’agriparc du Mas Nouguier a présenté l’originalité de mettre à l’honneur l’agriculture, en particulier la vigne et l’olivier, cultures emblématiques du Languedoc-Roussillon, montrant ainsi que la nature en ville peut être agricole. L’orientation actuelle est d’aller plus loin et d’y inclure la culture de plantes nourricières, maraîchères et aromatiques, cultivées par des jardiniers ou les Compagnons de Maguelone, cuisinées sur place, ou encore vendues en circuit court. De parc d’agrément proposant aux citadins la découverte d’un vignoble et d’une oliveraie cultivés en agriculture biologique, il évolue vers un parc à dimension nourricière, mettant à la fois en démonstration et en pratique, avec la participation des citadins, un type d’agriculture particulier, la permaculture. Le design actuel du Mas Nouguier « sédimente » ainsi une diversité de concepts et de référentiels : biodiversité, écologie, lien social, agriculture urbaine, agroécologie… La genèse d’un nouveau modèle de parc urbain se profilerait-elle autour des évolutions de cet agriparc, où les plantes nourricières cultivées selon les principes de l’agroécologie sont porteuses à la fois d’une fonction de paysage et de production ? Ce nouveau modèle intègre une agriculture écologisée et relocalisée dans les espaces verts. Le cas du Mas Nouguier appelle ainsi la recherche à porter plus avant son regard sur la pénétration du concept d’agroécologie dans les politiques municipales d’aménagement des espaces verts, et sur son intégration et interprétation dans les pratiques des différents acteurs impliqués dans la réalisation des projets.

PASCALE SCHEROMM ET FRANÇOISE JARRIGE

 

Scheromm Pascale, INRA, Ingénieure de Recherche UMR Innovation, thèmes et champs de recherche : espaces et pratiques de l’agriculture urbaine, liens ville-agriculture.

pascale.scheromm @inra.fr

Jarrige Françoise, Enseignante-chercheuse, Montpellier Supagro, UMR Innovation, thèmes et champs de recherche : agriculture dans les projets de territoires urbains, lien ville-agriculture.

françoise.jarrige@supagro.fr

Couverture : Vue du Mas Nouguier (P. Scheromm, 2017)

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Pour citer cet article : Scheromm P. et Jarrige F., 2020, « L’agriculture comme nature en ville ? Le cas de l’Agriparc du Mas Nouguier, Montpellier, France », Urbanités, Villes méditerranéennes : regards sur les espaces ouverts métropolitains, janvier 2020, en ligne.

  1. À noter que pendant les épisodes de guerres, périodes de pénurie, la mise en culture des espaces verts urbains est venue en partie combler les défaillances de l’agriculture pour satisfaire les besoins alimentaires des populations (jardins de la victoire, plan Wahlen en Suisse, …). []

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