#10 / Le principe de ruralité

Geoffroy Mathieu


Photographies d’objets, de gestes et de paysages agricoles dans la métropole parisienne.

« La ruralité désigne l’ensemble de représentations collectives et de caractères concourant à une forme d’identité et de fonctionnement des espaces ruraux. »

(Rieutort L., 2012, p.43).

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Dans la continuité de mes recherches sur les relations entre les éléments naturels et les formes d’occupation humaine de l’espace et plus généralement sur les relations ville-nature, Le principe de ruralité ambitionne de documenter les formes de la ruralité contemporaine induites par la persistance ou l’apparition de nouvelles formes de production agricole dans l’agglomération parisienne.

La métropole du Grand Paris, comme toutes les mégalopoles mondiales, devra intégrer dans ses réflexions la lourde question de l’alimentation de ses 12 millions d’habitants ; l’enjeu étant notamment la prise en compte des impératifs imposés par la situation écologique ainsi que des évolutions des modes de vie des urbains contemporains : désir d’accès à la propriété, envie de « nature », besoin de mobilité ou de confort numérique, nécessité de l’accès aux services publics, évolution des modes de consommation, etc.

Relever ce défi oblige à envisager une « hybridation consciente entre ville et agriculture, en développant en d’autres termes les moyens d’un urbanisme agricole » (Janin R., 2017, p.4) dont un des enjeux serait le raccourcissement des circuits entre production et consommation. Cela implique de modifier l’organisation des modes de production par la conversion de l’agriculture céréalière encore très présente aux limites de la tâche urbaine et ce parfois sans interface avec les zones bâties (Fig.01) vers de la production maraîchère (Fig.02) par la multiplication des zones de productions collectives, participatives ou solidaires (Fig.03) par l’augmentation des potagers privés ou partagés (Fig.04) ou encore par l’éclosion de projets technologiques innovants intra-muros (Fig.05).

Le principe de ruralité documente depuis 2015 ces bouleversements spatiaux à l’œuvre, l’avènement de ces nouvelles sociabilités (Fig.06), l’apparition (ou la réapparition) de métiers qui génèrent chez les Grands Parisiens des rapports inédits à la terre (Fig.07) et aux aliments (Fig.08) et font émerger de nouveaux paysages (Fig.09 et 10). Site après site, il s’agit pour moi de visiter toutes les formes d’unité de production intensive (Fig.11 et 12) – familiale, associative, expérimentale (Fig.13), solidaire ou d’insertion (Fig.14) – afin de montrer les espaces et les manières associées de produire, de distribuer ou de consommer issues de ces évolutions.

L’expérience du terrain me montre que nos représentations séculaires de la ruralité sont bousculées par la transposition des scènes de vie agricole dans un décor urbain (Fig.15), par la présence de formes et d’objets présents dans les espaces de production généralement attribués à la ville ou encore par les apparences vestimentaires des exploitants (Fig.16), par exemple. Il me faut donc jouer avec ces codes afin de proposer des images capables de montrer les spécificités de ces nouveaux rapports ville-nature. Ce travail passe par la production d’images de paysages pouvant renseigner sur la nature des interpénétrations entre espaces bâtis et espaces de production (Fig.17) d’images d’objets renvoyant tantôt à une idée séculaire de la ruralité (Fig.18) tantôt à l’hybridation ou à la récupération des formes issues du monde urbain (Fig.19) et d’images de gestes témoignant d’un rapport physique à la terre autant que d’une technicité habituellement attribuée au monde urbain (Fig.20).

Pour appréhender ce vaste territoire de l’agglomération parisienne (du centre de Paris aux confins de la « tâche urbaine ») aux enjeux multiples dans lequel s’inscrivent les zones de production, j’ai délimité1  quatre fenêtres d’études de 5 x 10 km parcourables à pied (Fig.21). Ces fenêtres, situées dans la deuxième couronne parisienne, ont été choisies pour leur spécificité agricole (Montesson, territoire de production maraîchère essentiellement tournée vers la salade en zone 1), leurs enjeux d’aménagement (Gonesse-Sevran et le projet EuropaCity en zone 2 ainsi que le plateau de Saclay avec projet Paris-Saclay en zone 3), ou encore en raison de la variété de leur maillage spatial (Pontault-Combault en zone 4). Viennent s’ajouter à ces fenêtres des lieux circonscrits accueillant tel ou tel projet de production, d’exploitation ou d’expérience, intéressants par leur caractère innovant et leur situation particulière en lien avec la ville produisant des paysages inédits.

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Fig. 01 : Val d’Albian, Jouy-en-Josas, avril 2015.

Fig. 02 : Terrains de l’exploitation Kersanté et bâtiment des Archives Nationales, Stains, janvier 2016.

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Fig. 03 : Jardins biologiques d’insertion, Association Aurore, Cité basse à Sevran, juin 2016.

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Fig. 04 : Jardins familiaux de Pantin-Aubervilliers, Monsieur Mami et son fils brûle des déchets verts avant l’hiver, Cité des Courtillières, Pantin, novembre 2016.

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Fig. 05 : Potager sur le toit du Fashion Center d’Aubervilliers par la société TOPAGER, mai 2017.

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Fig. 06 : Récolte annuelle de pomme de terre par les adhérents de l’AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) Les Jardins de Céres, Villiers-le-Bâcle, septembre 2017.

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Fig. 07 : Préparation du sol avant semis de Mizuna sur le toit du Fashion Center d’Aubervillers par la société TOPAGER, mai 2017.

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Fig. 08 : Jour de cueillette à la Ferme de Viltain, Jouy-en-Josas, octobre 2016.

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Fig. 09 : Troupeau de l’Association Clinamen en transhumance dans le quartier des 4 000 à La Courneuve, juillet 2017.

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Fig. 10 : Troupeau de l’Association Clinamen en transhumance dans le quartier des 4 000 à La Courneuve, juillet 2017.

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Fig. 11 : Un champ tout juste semé de blé en lisière de l’aéroport du Bourget, Bonneuil-en-France, octobre 2017.

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Fig. 12 : Champs de salades de l’exploitation Légumes Français, Montesson, octobre 2016.

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Fig. 13 : Culture de champignons par la société Cycloponics dans un parking de résidence près de la Porte de la Chapelle, Paris, octobre 2017.

Fig. 14 : Jardins biologiques d’insertion, Association Aurore, Cité basse à Sevran, juin 2016.

Fig. 15 : Labour à cheval réalisé par l’association Clinamen en vue de planter de la vigne en 2016, Université de Paris 13 Villetaneuse, Avril 2015.

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Fig. 16 : Technicienne arrosant le compost du potager sur le toit de l’AgroParisTech, juillet 2017.

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Fig. 17 : Terrains de l’exploitation Kersanté et bâtiment des Archives Nationales, Stains, janvier 2016.

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Fig. 18 : Habitants de Sartrouville cultivant une parcelle en location, Sartrouville, mai 2015.

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Fig. 19 : Jardin familial, Parc des Lilas, Vitry-sur-Seine, avril 2015.

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Fig. 20 : Jardins biologiques d’insertion, Association Aurore, Cité basse à Sevran, juin 2016.

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Fig. 21 : Carte représentant les 4 fenêtres d’étude du projet Le principe de ruralité.

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GEOFFROY MATHIEU

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Geoffroy Mathieu, photographe, né en 1972, vit et travaille à Marseille. Il est diplômé de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. Il s’intéresse aux paysages en mutation, aux territoires ruraux (commandes d’observatoires photographiques du paysage) ainsi qu’aux métropoles méditerranéennes (Dos à la mer, promenade en méditerranée urbaine, Filigranes, 2009). Depuis 2012, il explore les relations ville-nature (Marseille, ville sauvage, Actes Sud 2012 et Geum Urbanum, Filigranes, 2013). Dans le cadre de Marseille Provence 2013, en collaboration avec Bertrand Stofleth il produit Paysage Usagés, Observatoire Photographique du Paysage depuis le GR2013 grâce à une commande publique de photographies du Centre national des arts plastiques (CNAP).

Depuis 2016, il produit une série de photographies d’objets, gestes et paysages agricoles dans l’agglomération parisienne. Le principe de ruralité est soutenu par une aide à la photographie documentaire du CNAP.

www.geoffroymathieu.com

geoffroy AT geoffroymathieu DOT com

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Photographie de couverture : Troupeau de l’Association Clinamen en transhumance dans le quartier des 4 000 à La Courneuve, juillet 2017 (Geoffroy Mathieu, 2017).

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Bibliographie

Rieutort L., 2012 « Du rural aux nouvelles ruralités », Revue internationale d’Éducation de Sèvres, Centre international d’études pédagogiques (CIEP), 2012, 43-52.

Janin, R., 2017, La ville agricole, Openfield, 70 p.

  1. Avec le concours de Frédéric Pousin, directeur de recherche au laboratoire IPRAUS (appartenant à l’Unité mixte de recherche du CNRS AUsser 3329), de l’ENSA Paris-Belleville. []

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