#11 / De Clichy-sous-Bois au Grand Paris Express : regards d’un maire sur un grand projet d’aménagement francilien

Entretien avec Olivier Klein, par Charlotte Ruggeri

L’entretien au format PDF


Olivier Klein est le maire socialiste de la commune de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, depuis 2011. Il est particulièrement mobilisé sur les enjeux de desserte et de désenclavement de sa commune, ainsi que dans des politiques de rénovation urbaine.  

 

VOTRE COMMUNE EST SOUVENT PRÉSENTÉE UNE COMMUNE ENCLAVÉE DE SEINE-SAINT-DENIS. COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CETTE SITUATION, EST-ELLE RÉELLE ? QU’APPORTERAIT LE PROJET DU GRAND PARIS EXPRESS ET POURRAIT-IL ÊTRE UN OUTIL DE DÉSENCLAVEMENT ?

Clichy-sous-Bois est une commune indubitablement enclavée. Mes parents ont acheté à Clichy-sous-Bois en 1966 sur plans et on leur avait promis une autoroute et un métro. Force est de constater qu’aujourd’hui il n’y ni autoroute, ni métro. Comme il y avait ce projet d’autoroute, il n’y a pas eu d’infrastructures de transport lourdes et aujourd’hui, pour quitter Clichy-sous-Bois, 52 ans après, on est obligé de le faire en voiture ou en bus. Il n’y a pas de transports en commun en site propre, même si fort heureusement il y a enfin un chantier de tramway qui est en cours et qui va être livré en décembre 2019, bien qu’il soit prévu depuis 1998. Mais pour aller travailler, étudier, se rendre sur un pôle de loisirs, voire rejoindre le RER B ou E, il faut prendre un bus. La ville est réellement enclavée. La question des transports révèle les inégalités franciliennes. Les villes de la première couronne disposent de stations de métro, puis il y a les communes sur le tracé du tramway. Il y a une inégalité de traitement des territoires, liée à l’histoire. On rajoute des transports là où il y en a déjà, parce que s’il y a des transports, il y a beaucoup de flux et plus il y a de flux, plus on se dit qu’il faut ajouter des lignes. Donc on améliore l’accessibilité d’espaces déjà désenclavés parce que les flux sont trop denses.

Le tramway T4 va être un mode de transport plus rapide, plus confortable, mais qui demeure relativement lent, notamment parce qu’il y a beaucoup d’arrêts. Donc j’espère que le métro automatique, prévu en 2024, va profondément améliorer la desserte, même si la première étape d’amélioration, c’est le tramway. Mais même avec le tramway, les déplacements de banlieue à banlieue sont extrêmement compliqués, par exemple pour aller à la fac, à Créteil, à Marne-la-Vallée, à Saint-Denis ou Villetaneuse, il faut quasiment systématiquement passer par Paris. De fait, le projet de métro circulaire avec différents lieux d’interconnexion modifie complétement le rapport du territoire de Clichy-sous-Bois à la métropole parisienne.

1. Le projet de ligne de tramway T4 (Le Parisien, 2017)

Dans le cadre du projet du Grand Paris Express, il y a un projet de station sur le plateau de Clichy-Montfermeil, interconnectée avec le tramway et le réseau de bus. Mais en allant vers le nord, la station suivante sera Sevran-Livry, puis Aulnay, Le Bourget et Saint-Denis-Pleyel donc des connexions avec le RER B et le métro. Vers le sud, ce sera Chelles, avec une interconnexion avec le RER E et la ligne de Transilien vers la gare de l’Est, puis Noisy-Champs, avec une interconnexion avec le RER A.

2. Le projet de ligne 16 du métro du Grand Paris Express (Société du Grand Paris, 2018)

IL Y A UN PEU PLUS D’UN AN, VOUS AVIEZ ALERTÉ LA PRESSE D’UN POSSIBLE REPORT DE LA CONSTRUCTION DE LA LIGNE 16 DU MÉTRO DU GRAND PARIS EXPRESS. POUVEZ-VOUS REVENIR SUR CE MOMENT, QUE CRAIGNIEZ-VOUS À L’ÉPOQUE ET OÙ EN EST-ON AUJOURD’HUI ?

Les craintes ne sont pas complétement levées, je reste extrêmement prudent. Au départ, quand il y avait la candidature de la France aux Jeux Olympiques de 2024, l’ensemble des territoires de la Seine-Saint-Denis, y compris les plus fragiles, étaient portés comme un étendard, et les Jeux Olympiques comme un outil de développement. Puisqu’il y aurait les Jeux, il y aurait les transports et donc ces territoires allaient voir leur situation s’améliorer grâce aux transports. Puis quand les Jeux Olympiques ont été attribués, le discours a un peu changé, on nous a dit : « Tout cela va coûter beaucoup d’argent, on ne pourra pas tout financer et il va falloir faire des choix en privilégiant les sites olympiques ». Le problème des transports c’est que ça pleut là où c’est déjà mouillé, or à Clichy-sous-Bois, il y a peu de déplacements, parce qu’il n’y a pas de grande gare ou de grand pôle intermodal, donc si on regarde le nombre de passagers aujourd’hui, on apparaît comme un site déficitaire. Puis, on va se dire qu’il n’y a pas d’entreprises, donc qu’il n’y a pas besoin de transport, mais c’est plutôt parce qu’il n’y a pas de moyen de transport qu’il n’y a pas d’entreprise. On en revient à des cercles vicieux qui expliquent les difficultés de ce territoire. Il y a un an, nous avons donc formulé des inquiétudes légitimes. Aujourd’hui, nous avons obtenu l’assurance du président de la République, Emmanuel Macron, que la boucle de Saint-Denis à Clichy soit livrée en 2024, mais l’autre portion, vers Noisy-Champs, est reportée en 2030. Même pour la portion Saint-Denis-Pleyel – Clichy-sous-Bois, on commence à nous dire que ce sera probablement décembre 2024, donc trois mois après les Jeux Olympiques, ce qui est scandaleux. Il y a donc des inquiétudes et des incohérences à livrer le métro en deux temps, 2024 et 2030, ce qui est très loin au regard de l’urgence que représente la situation sur ce territoire. Clichy-sous-Bois essaie d’obtenir un centre d’entraînement olympique, mais c’est un cercle vicieux, puisque quand je rencontre des fédérations sportives, elles me demandent quels seront les modes de transport de la ville, donc si on n’a pas les transports à temps, notre candidature n’est pas crédible.

AU-DELÀ DES QUESTIONS DE MOBILITÉS, ON ENTEND BEAUCOUP L’IDÉE QUE LES FUTURES GARES DU GRAND PARIS EXPRESS VONT ATTIRER EMPLOIS ET POPULATIONS. SOUSCRIVEZ-VOUS À CETTE IDÉE ET SELON VOUS, QUEL RÔLE DOIVENT JOUER CES GARES ?

Il y a cet espoir, mais ce n’est pas simple, parce que la gare de Clichy-Montfermeil est à proximité de la grande forêt de Bondy, classée zone boisée protégée. Donc si on dessine un périmètre de 500 mètres autour de la gare, il y a déjà un demi-cercle condamné sur lequel on ne pourra rien faire. L’autre demi-cercle, c’est là où il y a eu le premier programme de renouvellement urbain de Clichy-Montfermeil, donc c’est déjà urbanisé avec la construction de logements neufs. Il y a peu de disponibilité foncière à proximité de la gare nous permettant d’envisager un développement économique majeur. Mais il restera des pieds d’immeubles et quelques espaces d’activités qui vont probablement profiter de l’arrivée de la gare. Et puis les populations qui habitent là vont en bénéficier aussi, ils auront la capacité de se déplacer beaucoup plus vite donc en étant plus mobiles, elles seront plus employables, ce qui à terme favorisera une plus grande diversité et mixité.

AU-DELÀ DU GRAND PARIS EXPRESS, DE NOMBREUSES COMMUNES, DONT PARIS, RÉFLÉCHISSENT DEPUIS QUELQUES TEMPS À DES POLITIQUES DE GRATUITÉ DES TRANSPORTS PUBLICS. QUE PENSEZ-VOUS DE CES MESURES ? PENSEZ-VOUS QUE LES TRANSPORTS PUBLICS PUISSENT ÊTRE UN OUTIL DE JUSTICE SOCIALE ?

Je ne sais pas si la gratuité est la bonne solution, mais ce dont je suis certain, c’est que le mode de tarification en Île-de-France est obsolète et déconnecté. Il suffit d’aller à Londres et de prendre une carte Oyster pour voir à quel point l’Île-de-France est hors sujet. On pourrait simplifier les abonnements, au temps par exemple, et il faut lier les forfaits au stationnement automobile ou aux modes de transport doux. À Montpellier, lorsque l’on se gare dans un parking à l’entrée de la ville, on vous donne un ticket pour les transports publics pour éviter que les voitures entrent en ville. La politique de tarification en Île-de-France doit être réfléchie, au regard d’une métropole moderne où l’on souhaite diminuer le nombre de voitures. Il faut aller vers un système sans contact, des abonnements simples. À titre personnel, je n’ai pas de Pass Navigo et par exemple quand je prends le RER à Aulnay ou au Raincy, ce ne sont pas les mêmes tickets et je ne peux pas les inverser pour une différence de tarif de 15 centimes. Et si je me trompe de ticket, je peux me faire verbaliser. De là à aller jusqu’à la gratuité, je ne sais pas, mais je pense qu’il est extrêmement important que les chômeurs, les étudiants, ceux qui ont peu de ressources ou pas d’aides de leur entreprise puissent avoir des coûts de transport les plus réduits possibles. Il existe déjà des mesures, mais je pense qu’on peut aller plus loin. Des expériences de gratuité des transports publics en province semblent fonctionner. En tout cas, si on veut réduire la place de l’automobile, ce qui est une urgence, il faut faciliter les déplacements en transport en commun, aussi bien en termes de coûts, d’accessibilité et de fréquence. J’ai pris le RER B et la ligne 13 : c’est honteux de faire voyager les gens dans de telles conditions.

CLICHY-SOUS-BOIS DISPOSE DE RÉSEAUX DE MODES DOUX ?

À Clichy-sous-Bois, il y a peu de transports en commun, mais aussi un taux de motorisation faible, en raison de la fragilité et de la pauvreté de la population. Nous avions adhéré, avec Montfermeil, au réseau Autolib, mais maintenant nous n’avons plus que les stations sans les voitures. De plus, Clichy est une ville en coteau, avec un très fort dénivelé, ce qui ne facilite pas certains modes doux. J’aurais bien aimé adhérer au réseau Vélib, mais on ne peut pas parce qu’il faut qu’il y ait une continuité territoriale soit avec Paris, soit avec une ville adhérente au réseau, or aucune commune limitrophe n’est adhérente. Donc pour le moment, dès que l’on crée une voie nouvelle, on crée une piste cyclable, mais on n’est pas encore totalement au point. La gare de la ligne 16 du Grand Paris Express disposera d’un lieu de connexion multimodale pour pouvoir y stationner son vélo et ce sera aussi le cas pour les principales stations du tramway.

AU-DELÀ DES TRANSPORTS, CLICHY-SOUS-BOIS EST AUJOURD’HUI ENGAGÉE DANS DEUX PROJETS DE RÉNOVATION URBAINE TRÈS AMBITIEUX (CŒUR DE VILLE ET HAUT CLICHY). POUVEZ-VOUS NOUS DÉCRIRE CES PROJETS ET NOUS EXPLIQUER LEUR VOCATION ?

Le premier programme de renouvellement urbain (PRU) a commencé en décembre 2004, sur Clichy-Montfermeil, et a été l’un des premiers en France, avec plus de 600 millions d’euros d’investissement. Il a consisté en la disparition quasi complète de deux copropriétés, les Bosquets à Montfermeil et La Forestière à Clichy-sous-Bois. À Clichy-sous-Bois, cela concernait 510 logements et les personnes en copropriété ont été à 90 % relogées en logement social. C’était un projet urbain, avec des logements, mais aussi des équipements publics : trois écoles, des squares, des parcs… On avait inscrit en préambule de ce premier PRU l’absolue nécessité de réaliser un tramway le plus rapidement possible, afin de désenclaver ce territoire le plus vite possible, donc 15 ans après on n’y est pas encore arrivé, mais ça vient.

1. Le programme de renouvellement urbain dans le Haut Clichy (Corentin Fohlen / L’Obs, 2015)

Pour Clichy-sous-Bois, il y a donc un deuxième PRU, sur le Bas-Clichy, ce qu’on appelle le cœur de ville. Ce programme est double, c’est à la fois une opération d’intérêt national (OIN), la première de France sur les copropriétés dégradées, et on s’attaque à deux très grandes copropriétés comprenant 1 500 logements, et un nouveau programme de renouvellement urbain, donc le PRU. Il s’agit là encore de construire des équipements publics, de réhabiliter ou reconstruire toutes les écoles du quartier, construire un conservatoire, essayer d’attirer des commerces en rez-de-chaussée des nouveaux immeubles et casser un centre commercial historique qui était censé être le centre-ville de Clichy, mais qui est devenu un bunker dans lequel personne n’a envie d’entrer. Il s’agit d’un programme de 450 millions d’euros pour le Bas-Clichy, à investir sur les quinze ans qui viennent. Le premier immeuble a été livré il y a quelques semaines pour commencer à reloger les familles du quartier du Chêne-Pointu. Mais c’est le début. On a le projet de créer un pôle éducatif, donc de réfléchir à l’ouverture de l’école sur la ville, en créant des espaces parents, des espaces partagés, avec aussi une halte-jeux, un centre de loisirs et la crèche. Un centre-ville ça ne se décrète pas, on aura pas tout de suite des commerces très vigoureux ou de grande enseignes, donc on veut compléter cette centralité par une offre culturelle importante.

ENTRETIEN RÉALISÉ EN FÉVRIER 2019

Couverture : l’arrêt de bus 347 de la RATP à Clichy-sous-Bois, actuellement le seul réseau de transport à desservir la ville (Société du Grand Paris / Cédric Emeran, 2017)

Pour citer cet article : Klein O., 2019, « Entretien : De Clichy-sous-Bois au Grand Paris Express : regards d’un maire sur un grand projet d’aménagement francilien », Urbanités, #11 / Bouger en ville, en ligne.

 

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