#3 / Espaces d’excitation : cinémas pornos dans le Centre de Salvador (Brésil)
João Soares Pena
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L’article de João Soares Pena au format PDF
Le porno dans le cinéma
L’exhibition de corps attirants a toujours existé au cinéma, depuis ses débuts. Selon Abreu (1996)1, à la fin du XIXème siècle, ceux qui fréquentaient les cinématographes de Paris ou New York pouvaient s’amuser en observant les mouvements sensuels de femmes vêtues de négligés ou peignoirs de bain, ce qui était déjà suffisant pour éveiller les fantasmes masculins. Avec le développement du cinéma, la production de films réalisés dans le but de satisfaire des besoins sexuels et érotiques a gagné du terrain, au point de se développer en tant que genre cinématographique lucratif, avec un public spécifique.
Parmi les premiers films à contenu sexuel, certains étaient connus sous le nom de stag films. Ce type de films jouissait d’une production précaire et était projeté illégalement en dehors du circuit commercial et dans des lieux fermés. Selon Abreu (1996), l’image seule ne suffirait pas à satisfaire le spectateur. La satisfaction serait donc recherchée en dehors du film, qui aurait seulement pour fonction première d’exciter celui qui le regarde. Pour cette raison, plusieurs stag films furent projetés dans des bordels européens afin de stimuler la libido de leurs habitués, ainsi incités à faire appel aux services des femmes qui travaillaient là. Selon l’auteur, un film français de ce type appelé Le Télégraphiste est emblématique car il se termine en faisant cette suggestion au public : “Après avoir regardé ce film, cherchez une jolie fille et prenez bien soin d’elle.” (Williams, 1989, p. 74 apud Abreu, 1996, p. 48). Ceci met en évidence une certaine relation entre les images et les pratiques sexuelles ou une influence du film sur le comportement des spectateurs.
Dans les années 1940 il existait aux États-Unis le marché d’exploitation. Certains cinémas projetaient de manière pourtant légale des films à tendances érotiques, ce qui les stigmatisait de manière négative, en leur donnant la réputation de « peu recommandables ». Selon Abreu (1996), les habitués de ces cinémas ne voulant pas s’exposer, on les appellait les raincoat brigade (les brigades en imperméable). La production de ces films s’est poursuivie dans les années 1950 et était menée par un groupe d’entrepreneurs qui dominaient ce secteur, connu sous le nom “os 40 ladrões” (les 40 voleurs).
Le cadre de la pornographie hard core2 est allé de pair avec le lancement en 1972 de Deep Throat (Gorge profonde), long métrage sonore et en couleur, réalisé par Gerard Damiano. Après le succès dans les salles alternatives, son format a été adapté au standard commercial et a été projeté au New Nature World Theater, un cinéma typique d’exploitation de New York. Pour la première fois un long métrage qui intégrait dans une trame narrative cohérente une série d’actions sexuelles, était projeté légalement dans le circuit du cinéma. Ce n’était évidemment pas facile car il a fallu lutter judiciairement afin d’obtenir son autorisation de projection commerciale.
Grâce à son succès, ce film a fait exploser l’intérêt de l’industrie pour le porno, a marqué la rencontre du public avec le hard core phallique et a créé un style qui est devenu un modèle pour les films suivants. Le porno s’est donc affirmé comme un genre cinématographique avec ses caractéristiques particulières et a gagné de l’importance dans le circuit commercial à travers le monde, avec une production de films qui s’est accrue au fil du temps et a suivi les avancées technologiques de circulation des images, et cela aussi bien au niveau de la construction de la narration, que par rapport aux techniques de production, de distribution et de projection de ces films sur le marché.
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Le porno dans les salles de cinéma au Brésil
Selon Abreu (1996), la trajectoire du contenu obscène au Brésil a suivi, dans une certaine mesure, la tendance internationale depuis l’époque des stag films quand, suggère l’auteur, vers 1907, ils étaient projetés dans le Pavillon international de films de genre libre ou « douteux », dont l’entrée n’était permise ni aux mineurs ni aux femmes. Le cinéma a connu à cette époque une forte croissance notamment grâce au soutien de la presse, dans le cas de Salvador, en raison du contrôle de la peste bubonique. En effet, à cause de la contagion les gens avaient tendance à éviter les lieux avec une forte concentration de personnes, comme par exemple les cinémas. Certains indices montrent que dès l’arrivée du cinématographe dans la ville de Salvador, en 1897, certains films projetés pouvaient porter atteinte à la tranquillité publique et offensaient la décence des familles, comme l’a affirmé Boccanera Júnior (2007), suggérant que ces films possédaient un contenu sexuel.
Le développement de ce secteur dans le pays a accompagné la façon dont la société traitait la représentation et l’affichage du corps ainsi que les questions liées au sexe. Ainsi, au fil des ans, plusieurs films ont été produits – qui n’étaient pas forcément pornos – et l’on a également constaté une consommation clandestine de ce type de film. Cependant, ce n’est qu’à la fin du XXème siècle que ces films prirent place dans les salles de cinéma de diverses villes du Brésil.
Avec une plus grande permissivité du régime dictatorial, dû à son affaiblissement à la fin des années 1970 et au début des années 1980, les films pornos se lancèrent dans les circuits d’exploitation commerciale, faisant l’usage de la force judiciaire pour garantir leur projection. Par conséquent, les films pornos étrangers entrèrent sur le marché national, concurrencèrent sérieusement la production nationale et finirent même par prendre le dessus. On soupçonne que cette permissivité quant à l’entrée du porno sur le circuit commercial pouvait être liée à une tentative de détourner l’attention de la population des questions vraiment critiques et importantes, puisque ces films plaisaient et divertissaient le grand public.
Plusieurs changements sociétaux ont conduit les cinémas traditionnels à projeter des films pornos et au fur et à mesure, ceux-ci sont devenus davantage que de simples salles de projection de films, mais également des lieux de pratiques sexuelles, ce que nous aborderons de façon plus approfondie quand nous traiterons du cas du Salvador. Ce processus a été général et les cinémas de rue d’autres villes du Brésil, comme São Paulo, Fortaleza et Recife l’ont également connu.
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Le cinéma dans le Centre de Salvador
Depuis la première projection de film en 1897, au Teatro Politeama Baiano, le Centre de la ville de Salvador est devenu le centre des activités liées au cinéma. Initialement, les théâtres ou les grandes maisons étaient utilisés pour la projection de films, parce qu’il s’agissait de lieux suffisamment grands pour accueillir ces événements. Toutefois, avec la consolidation du cinéma sont apparus des espaces construits spécifiquement pour que des personnes puissent voir des images en mouvement. Ainsi, en 1909 le premier cinéma de la ville a été inauguré : le cinéma Bahia, situé Rue Chile. Ceci a créé l’enthousiasme parmi les commerçants, en leur offrant une perspective de développement d’un circuit de projection de films dans la ville, qui s’est fortement concentré dans le centre. Au court des années suivantes plusieurs cinémas de rue se sont ouverts dans la ville3.
Peu à peu, le cinéma est devenu de plus en plus important dans le quotidien de la ville. En 1920, Salvador comptait neuf cinémas : Politeama Baiano, Teatro São João, Guarani, Ideal Cinema, Recreio, São Jerônimo, Cinema e Teatro Olimpia, Avenida et Itapagipe. Un tel nombre nous fait remarquer que le cinéma était une option de loisir très importante, surtout si on considère qu’à cette époque, la population de Salvador était seulement de 283 422 habitants.
Le Centre de la ville était en pleine effervescence dans les années 1950 avec la présence de divers cinémas et d’autres activités qui agitaient la ville. Toutefois, dans les décennies suivantes la ville s’est transformée et cela a modifié aussi bien la dynamique urbaine que celle des cinémas de rue du Centre. Depuis les années 1970 la ville a connu une expansion significative afin de répondre aux impératifs du développement industriel dans la Région Métropolitaine de Salvador. Cela s’est traduit par trois processus : privatisation des terres publiques, expansion du système routier et une nouvelle répartition des activités et services du Centre de la ville.
Les conséquences de ces processus ont été significatives pour le vieux centre, puisqu’un centre secondaire s’est démarqué à Iguatemi, attirant une série d’activités et de services qui autrefois existaient dans le vieux centre. Cette dynamique a entraîné un déclassement de l’ancien centre de la ville, et cela s’est également répercuté de manière négative sur les cinémas de rue.
Malgré les particularités locales, cette transformation à laquelle a été soumis le centre de Salvador a en réalité touché de manière générale les villes brésiliennes à cette époque ainsi que leurs cinémas. Il est important de souligner qu’outre cette conjoncture urbaine, d’autres processus ont contribué à l’affaiblissement des cinémas de rue. En premier lieu, les avancées technologiques ont offert à la population la possibilité de regarder des images en mouvement, de consommer des films, dans leur propre maison avec la démocratisation de la télévision et des lecteurs de VHS. De plus, le marché national du cinéma a souffert d’une baisse de la fréquentation entre 1979 et 1985, ce qui a provoqué une diminution de la production cinématographique et du nombre de salles de cinéma. La fermeture des cinémas de rue de Salvador est aussi certainement liée à ces évolutions qui ont touché tout le Brésil.
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Quand le porno arrive à Salvador
À Salvador, les films pornos étaient généralement projetés dans les cinémas de rue, et surtout dans ceux du centre. Concernant le rôle prépondérant de ce quartier dans la projection des films pornos, Vale (2000, p. 34) affirme que :
« L’adoption des films pornos sur les écrans de cinémas du centre coïncide avec le moment auquel ce dernier perd de son importance symbolique, en devenant associé à la violence, au sale, au laid, à la pornographie et à la prostitution. Cette « coïncidence » a amené les exploitants à « affiner » ces catégories avec la possibilité d’améliorer la rentabilité de ces salles. »4
À cette époque on note une transformation du profil des habitués du centre ainsi que du statut de ce quartier à l’échelle de la ville : il est peu à peu fréquenté par des promeneurs ordinaires, et non plus par l’élite de la Salvador d’autrefois, comme le soupçonne Drummond (2012).
Comme nous l’avons dit, les films pornos étaient initialement projetés dans les cinémas commerciaux, y compris dans les meilleures salles. Toutefois, au fil du temps, ils se sont limités à quelques salles qui se sont spécialisées dans ce genre. D’après Leal et Leal Filho (1997), dans les années 1970 il y avait cinq cinémas pornos à Salvador : Jandaia, Pax, Liceu, Tupy et Astor. Tous étaient situés dans la zone centrale relativement près les uns des autres, constituant une véritable zone fonctionnelle spécialisée dans l’offre de ces services de loisirs associés au plaisir.
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À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les séances de films pornos commençaient l’après-midi, à partir de 14 heures, et étaient continues jusqu’à 22 heures, c’est-à-dire qu’il était possible de regarder plus d’une fois le film avec le même ticket, tant qu’on ne sortait pas du cinéma. À cette époque, les spectateurs remplissaient les cinémas, formant des files d’attente immenses (d’environ 600 à 700 mètres) de personnes qui attendaient le début de la projection. Les habitués étaient généralement des hommes jeunes ou d’âge moyen, quelques couples et quelques rares femmes seules ou en groupe. La programmation des cinémas qui projetaient des films à contenu sexuel comprenait généralement un film d’action (arts martiaux comme kung-fu) suivi d’un film de sexe (soft ou hard core), dont la censure aux moins de 18 ans était toujours indiquée dans les annonces des journaux.
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Les doubles séances kung-fu – porno attiraient un large public et ont été une alternative pour que les cinémas de rue dans les années 1980 maintiennent leur niveau de fréquentation à une époque où les cinémas de rue commencent à perdre du public. Entre le milieu et la fin de cette décennie, les lanterninhas ont disparu et la vigilance à l’intérieur des salles a amené une plus grande permissivité (Vale, 2000, p. 34). Le lanterninha était le responsable chargé de maintenir l’ordre dans la salle, évitant ou réprimant les actes inappropriés, en plus d’orienter le spectateur. Que cela ait un rapport ou non, la disparition de ce personnage est survenue au moment où ces cinémas pornos ont commencé à abriter des pratiques sexuelles entre leurs habitués qui étaient majoritairement de sexe masculin. Si, d’un côté, cela a éloigné quelques clients qui n’étaient pas intéressés par ces pratiques, d’un autre côté, cela a attiré des personnes à la recherche de partenaires.
Depuis lors, la possibilité de rencontrer des partenaires pour des pratiques sexuelles est devenu le « pilier » de ces espaces, le film n’étant plus qu’une toile de fond qui, bien que regardé attentivement par certains, n’était pas le principal intérêt pour la plupart de ceux qui recherchaient ces cinémas pornos. Le sexe quitte l’écran et devient protagoniste dans la salle de projection entre les habitués.
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Dans l’obscurité du cinéma
Parmi ces divers cinémas de rue existant à Salvador, seulement deux sont restés ouverts, tous deux pornos : le Cinéma Astor, fermé début 2013, et le Cinéma Tupy qui est toujours en activité. Ils se situent dans le centre de Salvador, une zone qui malgré les changements qu’elle a connus au fil du temps, a conservé son importance du fait de la quantité et de la variété des services qu’elle offre à la ville et de toute l’infrastructure dont elle dispose. Plusieurs organes administratifs de l’État se sont retirés de cette zone, mais on y trouve en contrepartie une série d’organes de l’administration municipale, dont la mairie, qui y fonctionnent quotidiennement, en plus d’un important commerce populaire. Cela attire beaucoup de personnes, venues aussi bien pour y travailler et y régler leurs affaires administratives, que pour des pratiques de consommation.
La fréquentation du quartier diminue fortement le soir, et à la tombée de la nuit, l’ambiance est tout autre. Les rues sont alors plus vides, les magasins fermés, les personnes qui viennent dans le centre ne sont pas les mêmes, ou en tout cas leurs intérêts sont différents. Les travailleurs de rue qui vendent des produits électriques et électroniques, CDs etc., laissent la place à d’autres personnes pour qui la rue est également un lieu de travail et qui, élargissant la définition de Bouças (2012), sont ici aussi considérées comme des travailleurs de rue, comme les michês (prostitués), les travestis et les prostituées. Toutefois, c’est pendant la journée que les cinémas sont ouverts – en raison du flux de personnes dans la zone – et leur activité cesse la nuit à cause du manque de sécurité.
Le cinéma Tupy a été inauguré en 1956 et est situé sur l’avenue J. J. Seabra, communément appelée Baixa dos Sapateiros (le coin des cordonniers), une zone de commerce populaire intense. Avec sa façade discrète – on le remarque seulement grâce aux inscriptions « Tupy tous les jours 2 films érotiques » – il est ouvert tous les jours entre 10 heures et 18h30. Le billet coûte R$ 6,50 et donne le droit de rester au cinéma aussi longtemps qu’on le désire jusqu’à la fermeture.
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Inauguré en 1953, le Cinéma Astor est devenu pornographique dans les années 1970, activité qui s’est maintenue jusqu’en 2013. Situé Rue de la Ajuda, parallèle à la Rue Chile, l’Astor était proche d’équipements urbains importants comme le Conseil Municipal, l’Ascenseur Lacerda, la mairie, le Palais Rio Branco, le terminal de bus de la Place de la Sé etc., où il y a aussi une forte présence de touristes. Toutefois, cette rue n’est pas aussi animée que la Rue Chile, ce qui en plus de la discrétion de sa façade, lui confère peu de visibilité, si bien que beaucoup de personnes ignoraient totalement l’existence de cet espace ou bien, quand elles en entendaient parler, croyaient que ce dernier avait déjà fermé (avant que ce ne soit vraiment le cas).
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Pour environ R$ 5,00 il était possible d’avoir accès à la séance continue du cinéma, c’est-à-dire que le spectateur pouvait rester dans la salle aussi longtemps qu’il le souhaitait pour le prix d’un seul ticket.
La fermeture du Cinéma Astor aurait pu marquer un retrait du secteur du porno dans le Centre, mais c’est en fait exactement le contraire qui est arrivé. Après la fermeture, le cinéma a provisoirement réouvert dans l’immeuble situé juste en face, pour être ensuite déplacé dans la Rue Ruy Barbosa, ouvrant cette fois-ci sous le nom de Colônia Filmes. Un ancien employé de l’Astor a décidé de maintenir l’espace jusqu’alors provisoire comme salle de projection de films pornos, appelé ici Ciné Cabine. Curieusement, la fermeture de l’Astor a finalement fait exploser le nombre de salles pornos dans la ville. La situation actuelle est bien évidemment différente puisque ces salles ne fonctionnent plus comme les anciens cinémas de rue avec leur structure originelle, même s’ils tentent de reproduire dans ces nouveaux espaces l’ambiance qui existait dans ce type de cinéma.
Quand on rentre dans les cinémas pornos, ce qui apparaît à l’intérieur se distingue fortement de ce que nous voyons quand nous nous trouvons à quelques mètres en face de ces locaux. L’ambiance de ces espaces suggère que la nuit s’installe durant la journée dans des espaces déterminés et favorise l’apparition de certaines postures et pratiques qui ne sont pas si communes à la lumière du jour. La salle cesse d’être seulement un cinéma, car certaines pratiques se révèlent à notre regard. L’obscurité permet l’anonymat, si bien qu’ il devient très difficile de voir tout à fait les détails de la physionomie de la personne avec qui on a un rapport sexuel ou bien même des autres personnes présentes.
Parmi les habitués des cinémas, certains sont simplement à la recherche de divertissement, mais d’autres se servent du local comme lieu de travail, comme c’est le cas des prostitués ou boys, des travestis et des prostituées, en plus des employés eux-mêmes qui sont responsables du fonctionnement des établissements.
Parmi eux, nous pouvons avant tout constater que la fréquentation est majoritairement masculine dans tous les cinémas. Nous pouvons toutefois établir au moins trois distinctions entre ces personnes : il y a les « chasseurs » qui cherchent à interagir avec d’autres habitués sans avoir besoin de payer, les hommes qui cherchent les travestis et ceux qui cherchent des prostituées. Auparavant, la prostitution féminine se faisait à l’Astor, où l’on trouvait aussi des travestis et boys. Elle se poursuit actuellement au Colônia Filmes et au Cine Cabine. Au Tupy on ne trouve pas de prostituées, seulement des boys et des travestis. Le meilleur cinéma pour les boys est donc le Tupy, parce qu’il y a plus de personnes qui recherchent leurs services.
Ainsi, on remarque une spécialisation des cinémas, car selon l’intérêt du public on y trouve des types de professionnels du sexe qui ont plus de chances de travailler dans chacun d’eux. Toutefois, cela n’exclut pas l’une ou l’autre de ces pratiques sexuelles. Parmi les raisons pour lesquelles les professionnels du sexe ont choisi les cinémas pornos au lieu d’autres espaces qui accueillent ces pratiques, on compte la sécurité de ces lieux et le rendement financier, puisqu’ils ne paient que l’entrée, autrement dit, il n’y a aucun autre frais facturé par l’administration des cinémas.
Lors de notre enquête sur le terrain visant à recueillir des informations, nous avons utilisé l’ethnographie, méthode d’anthropologie qui consiste à pénétrer la réalité que nous prétendons comprendre. En ce sens, au-delà de l’observation de ces milieux, des entretiens avec plusieurs habitués des cinémas pornographiques ont été menés sur le terrain dans le cadre du mémoire de Master qui est à l’origine de cet article. Parmi les professionnels du sexe avec lesquels nous avons été en contact, nous avons pu noter que les hommes habitent généralement dans les quartiers périphériques, alors que les travestis habitent dans la zone centrale de la ville. En outre, certains d’entre eux travaillent dans d’autres lieux en plus des cinémas, comme des saunas, des clubs de sexe ou dans la rue même, pendant la nuit. Ainsi, en travaillant dans plusieurs de ces espaces de la ville, ils peuvent établir une certaine connexion entre eux, et cela non seulement du point de vue spatial, mais également par rapport aux habitués de ces différents lieux.
Dans les alentours des cinémas on trouve des hôtels qui, en réalité, fonctionnent comme des motels et sont souvent utilisés par les habitués de ces cinémas quand ils ne désirent pas avoir de rapports sexuels dans les cinémas. C’est généralement ce qui se passe quand il s’agit de relations avec les professionnels du sexe. De plus, dans le Centre il y a d’autres espaces qui d’une certaine manière sont liés avec ces cinémas pornos, soit par la proximité spatiale, soit parce qu’ils ont des habitués en commun ou encore de par la similarité des pratiques qui s’y déroulent. Il s’agit de saunas et de clubs de sexe existant dans le Centre qui, avec les cinémas pornos, forment une tache d’espaces de pratiques sexuelles dans ces quartiers.
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Dans le cas de cette zone, la forme de visibilité est particulièrement curieuse, parce qu’alors que certains d’entre eux se trouvent dans des zones où l’on observe un certain mouvement, la discrétion de la façade des établissements complique leur identification par les personnes qui ne sont pas des habitués, comme de simples passants qui n’appartiennent pas à ce milieu. Magnani (2002) ajoute que la tache est le lieu des croisements inattendus et non prévus : « Dans une tache déterminée on sait quel type de personnes ou services on va trouver, et pas exactement qui, et c’est cette attente qui motive ses habitués. » (Magnani, 2002, p. 23)
Ces espaces intègrent ce que nous pouvons appeler le circuit gay de Salvador, c’est-à-dire les lieux fréquentés par des personnes homo-orientées extrapolant les limites du Centre avec l’existence de divers autres espaces et établissements dans la ville. Malgré une grande indépendance du point de vue spatial, le circuit comprend la totalité des équipements qui proposent un service déterminé ou servant à la réalisation d’une pratique. Ainsi, même sans une contiguïté spatiale les espaces sont généralement connus par les membres de ce circuit, même si l’on considère que tous ne fréquentent pas ces lieux.
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Le porno a toujours été présent au cinéma, dès son origine. Cependant, la façon dont il était produit et projeté s’est modifiée au fil du temps. De la même manière, le cinéma porno a toujours été présent dans la ville bien que de manière clandestine et dans des lieux plus restreints. Il est possible de voir qu’il existe une certaine relation entre les images et les pratiques sexuelles à l’intérieur même des cinémas porno, ce que l’on observait déjà d’une certaine manière depuis les premiers films produits afin d’exciter le public. Nous pouvons dire qu’actuellement dans les cinémas porno de Salvador les films de sexe explicite sont une toile de fond. En effet, ce qui sous-tend réellement dans ces cinémas, ce sont les pratiques sexuelles entre les habitués.
Les cinémas porno entretiennent une relation étroite avec la dynamique du centre de Salvador, parce que leur fonctionnement est lié au flux de personnes dans cette zone intéressées par ce type d’espace qui peut leur conférer un certain anonymat. En outre, l’ouverture de deux nouveaux cinémas est symptomatique d’une pulsion érotique qui existe dans le centre et indique une dynamique particulière dans cette région liée aux espaces de pratique sexuelle.
Quelques unes des questions identifiées ici ne sont pas à l’ordre du jour de l’urbanisme dans ses diagnostics, plans, projets, etc. et nous n’affirmons pas que ce devrait être le cas. Autrement dit, il ne s’agit pas de classer ces pratiques comme nous le faisons avec les différentes activités urbaines. Il est en effet nécessaire de les prendre en considération quand nous réalisons des interventions urbanistiques, puisque ces pratiques sont elles aussi une partie intégrante de la dynamique urbaine. Toutefois, certains aspects abordés au long de ce texte contribuent à comprendre la dynamique du Centre et de la ville elle-même sous une perspective autre que l’approche traditionnelle de l’urbanisme, y compris en cherchant des outils dans d’autres champs de connaissance qui nous aident à répondre à certaines questions. Il ne s’agit pas seulement de comprendre, par exemple, quelles sont l’utilisation et l’occupation du sol ou quelles activités économiques fonctionnent dans cette zone. Il existe en effet des activités qui attirent des publics spécifiques (comme les cinémas pornographiques et les saunas) et qui fonctionnent selon leur propre logique. Dans ce sens, pour mieux comprendre notre questionnement, tout en sachant qu’il existe des limites techniques de l’urbanisme à ce sujet, nous cherchons à utiliser l’ethnographie, méthode caractérisée en anthropologie pour chercher à nous rapprocher de notre objet d’étude afin de mieux l’appréhender. Toutefois, nous pensons que les échanges entre les différents domaines de connaissance, dans le cas présent l’urbanisme et l’anthropologie, peuvent se révéler très enrichissants quand le travail est mené avec sérieux et méticulosité.
João Soares Pena
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João Soares Pena est urbaniste diplômé de l’Université de l’État de Bahia, maître en Architecture et Urbanisme de l’Université Fédérale de Bahia et membre du Groupe de recherche Laboratório Urbano.
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Image de couverture : Pena, 2013
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Bibliographie
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Pena J. S., 2012, « Cinemas de Salvador : apogeu e decadência dos cinemas de rua », O Olho da História, nº 18, Disponible sur : http://oolhodahistoria.org/n18/artigos/joaopena.pdf
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Perlongher N., 2008, O negócio do michê : a prostituição viril em São Paulo, São Paulo, Editora Fundação Perseu Abramo, 271 p.
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- Nuno César Abreu est un cinéaste brésilien également professeur à l’Université d’État de Campinas (UNICAMP), au Brésil. Il est l’auteur du livre Le regard porno : la représentation de l’obscène au cinéma et en vidéo , œuvre importante qui aborde la production pornographique depuis l’invention du cinéma jsqu’à sa production et consommation en VHS. [↩]
- Abreu (1996) explique que les films ayant une thématique sexuelle sont définis fondamentalement de deux façons : soft core et hard core. Soft core fait référence aux films érotiques, c’est-à-dire, qui n’ont pas de scène de sexe explicite, seulement suggéré. Hard core quant à lui désigne les films où le sexe apparaît de forme explicite et c’est ce qui réellement « importe », compte tenu de l’excessive exhibition d’actions sexuelles, du pénis en érection et de la pénétration. [↩]
- Pour savoir plus sur les cinémas de rue de Salvador voir Pena (2013). [↩]
- Traduit librement par l’auteur de cet article. [↩]