#3 / L’impasse et la guêpière

Aurélien Cohen-Guillaume

L’article d’Aurélien Cohen-Guillaume au format PDF


Deux quartiers, deux époques et deux photographes. Des années 50 au milieu des années 60, sur la place Blanche et les boulevards environnants, le suédois Christer Strömholm photographie les prostituées transsexuelles dont il partage le quotidien. De 1976 à 1977, la photographe américaine Jane Evelyn Atwood documente la vie des prostituées du cœur de Paris, autour de la rue des Lombards. Ces travaux donneront naissance à deux ouvrages, Les amies de place Blanche de Christer Strömholm, publié une première fois en Suède en 1983 par Jorhan Ehrenber, puis réédité en 2011 chez Aman Iman, et Rue des Lombards de Jane Evelyn Atwood, publié tardivement par les éditions Xavier Barral en 2011.

L’objet de cet article est de mettre en évidence la place centrale de l’espace urbain dans les photographies de Strömholm et d’Atwood. Car à travers cette place, transparaît son influence sur les pratiques de la prostitution et sur la matière même du témoignage photographique. Car au-delà de l’époque, c’est avant tout de deux quartiers de Paris dont il est ici question. Cette importance de l’espace urbain est encore accentuée par le choix d’ancrer les images dans un voisinage unique, dès le titre des ouvrages. Chez Strömholm, c’est la grande place, le boulevard et l’animation foraine du quartier de Pigalle ; il y a de la foire, des planches et du théâtre dans la rue du photographe suédois. Chez Atwood, ce sont les ruelles, les impasses et les allées des Halles ; des corps qui se dévoilent entre deux murs, sous la lumière d’un vieux lustre ou d’un lampadaire.

Ces deux espaces de rue structurent aussi différentes stratégies de mise en scène du corps, de théâtralisation du plaisir, et de protection contre les menaces normatives et policières de l’espace public. La rue des Lombards se prolonge sur les marches des perrons, double lieu de l’attente et du guet, puis pénètre les cages d’escalier, jusque dans les chambres où montent les clients. La place Blanche, elle, s’étend, large, bordée de grands boulevards, derrière des visages poseurs aux cils interminables, puis s’arrête, nette, au seuil de l’intime. À travers l’analyse des images, mais également à la lecture des témoignages des photographes et des prostituées, on cherchera à comprendre comment ces deux hétérotopies — au sens foucaldien d’espaces en marge — participent, par leurs topographies singulières, à des constructions esthétiques et sociales différentes qui finissent par faire corps avec les lieux qui les produisent.

Tout oppose a priori les deux quartiers de Paris photographiés par Strömholm et Atwood. La place Blanche d’une part, un grand carrefour urbain, où les rues de Bruxelles, Lepic, Blanche et Fontaine coupent le boulevard de Clichy. De l’autre, le ventre de Paris, le trou des Halles et les ruelles étroites qui jouxtent la rue des Lombards : la rue Sainte-Opportune, la rue Courtalon, la rue Quimcampoix ou la rue Nicolas Flamel. Ces deux topographies produisent des contraintes à la fois techniques et esthétiques dans le rapport que le photographe entretient avec son sujet. Mais ces espaces constituent également deux milieux dont les spécificités vont contraindre les corps à aguicher et à se dévoiler selon les possibilités offertes par leur environnement. Du point de vue photographique, c’est surtout à travers la composition, l’éclairage et les choix narratifs que va se manifester ce lien étroit entre la singularité d’une rue et les pratiques des corps..

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Jane Evelyn Atwood, la rue familière

Un escalier qui sort de la pénombre pour venir s’écraser sur le carrelage sale d’une entrée d’immeuble. Là, un lustre jette une lumière crue sur des corps à demi dénudés, tantôt figés dans une attente immobile et tantôt emportés dans des instants d’ivresse et d’amusement. Au bout du couloir, la rue est là, et les regards se croisent entre ceux qui passent et celles qui attendent. Dans les photographies d’Atwood, la seule profondeur — et donc la seule perspective — est celle de cette cage d’escalier. Elle est un espace mixte, à la fois prolongement de la rue dans l’intime et prolongement de l’intime dans la rue ; l’endroit où s’opère la métamorphose et à travers lequel celui qui était un passant devient un client. Il y a quelque chose comme une géographie du seuil dans les photographies d’Atwood ; un seuil problématique, qui dit l’ambiguïté de la séparation des espaces et la perméabilité de la frontière. Pour traiter cet espace, Atwood a choisi de fonctionner en champ et en contre-champ. Si le point de vue des prostituées est privilégié — la majorité des images donnent ainsi à voir la rue depuis la cage d’escalier — Atwood choisit à plusieurs reprises d’adopter un point de vue plus extérieur, comme le point de vue de la rue elle-même. Dans les images prises depuis la cage d’escalier, les corps forment une masse indistincte, figée dans l’attente, une amorce dans la pénombre du premier plan, avec au bout du couloir, la rue, plus ou moins visible ou devinée, mais toujours présente, par sa texture, sa lumière et les regards des passants.

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Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

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À l’inverse, les contre-champs donnent à voir la façade de l’immeuble, et la rue, vide, tout juste animée par la silhouette floue d’un passant. Dans ces images, plus graphiques, la présence des corps est toujours intégrée au bâtiment lui-même ; soit dans le mince triangle blanc d’une fenêtre, au deuxième étage, d’où s’échappe, entre deux rideaux noirs, une silhouette qui guette, soit dans le rectangle gris de l’entrée du 19 de la rue des Lombards sur lequel se découpe, tel le gardien des lieux, une silhouette hiératique.

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Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

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Et quand les photographies quittent la cage d’escalier, c’est pour dire l’enfermement : des images clôturées de noirs profonds ou de murs resserrés — mais avec toujours, en filigrane, la rue comme horizon. Car nous savons toujours où nous nous trouvons. Et la singularité du travail d’Atwood vient aussi de l’intransigeance de cet ancrage spatial : à aucun moment notre œil ne quitte les abords immédiats de l’immeuble du 19 de la rue des Lombards. Cette sédentarité permet aux photographies de s’installer dans un contexte familier. Au bout de quelques pages, on reconnaît les lieux, les visages, les corps. Et par cette familiarité constamment renouvelée de l’environnement, la rue devient peu à peu un intérieur, un prolongement un peu factice, rassurant comme un décor de cinéma. Ce qui nous le rend si familier, c’est d’abord la présence indicielle de l’intime qui se construit au fil des images. Un décolleté ou une dentelle dévoilée — un bâillement dirait Barthes1 – et voilà que l’intimité érotique de la chambre descend dans la rue. Ainsi, nous passons d’image en image, de la chambre à la rue dans cette constance érotique. Ce vêtement qui s’ouvre à la lisière de la rue, c’est l’assurance de la continuité des espaces : elle est le signe et la promesse d’un dévoilement toujours plus grand au fur et à mesure que l’on entre dans l’immeuble, que l’on traverse le couloir et que l’on monte, enfin, l’escalier. Mais ce double sentiment de familiarité et d’unité spatiale ne vient pas seulement de cette continuité érotique. Au fil des pages, la répétition des motifs, des indices, des visages, imprime notre rétine. Même dans un plan large, nous finissons par reconnaître la façade, le numéro, la silhouette et tout un faisceau d’indices qui nous rappellent les images précédentes et placent la photo que nous avons sous les yeux dans une implacable logique sérielle. Impossible d’ignorer que nous sommes toujours au même endroit. De par cette profonde unité du lieu et de ses personnages, la rue perd son étrangeté pour devenir presque aussi familière qu’une chambre ou qu’un cabinet de toilette.

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Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

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Pour Atwood, la construction de cette familiarité semble avoir plusieurs rôles. Avant tout, elle témoigne de son propre processus de familiarisation avec cet immeuble et avec ses femmes2. En cela, le sentiment de familiarité qui finit par gagner le lecteur-spectateur est le miroir du rapport de la photographe à son sujet. Et c’est notamment de cette complicité doucement installée et lentement gagnée, que naît l’atmosphère presque familiale, sororale en tout cas, qui émane de ces images.

Mais l’ancrage spatial a aussi une visée plus documentaire. En effet, la fin du travail de Jane Evelyn Atwood sur la rue des Lombards a été provoquée par la destruction de l’immeuble, conséquence des transformations massives du quartier des Halles au milieu des années 70. Dans le texte rédigé en 2011 pour accompagner l’édition de l’ouvrage, elle décrit ainsi le quartier de la rue des Lombards et la manière dont les mutations urbanistiques sont perçues par les prostituées : « À l’autre bout de la rue Quincampoix, qui part du 19 et remonte vers le nord, le Centre Pompidou était déjà en chantier. Cette partie du quartier était déjà rasée, les vieux immeubles depuis longtemps démolis. Il restait un énorme trou. Les prostituées de la rue des Lombards, comme toutes celles qui travaillaient dans les ruelles alentour, un lieu de prostitution depuis des siècles, allaient bientôt être virées. Les femmes le savaient. C’était l’angoisse. » (Atwood, 2011). Cette menace d’éviction qui finira par se réaliser en 1976 fait ainsi des images de Jane Evelyn Atwood un document précieux sur les mutations de l’espace urbain. Cette fin brutale fait basculer le travail d’Atwood dans une photographie du témoignage. Le microcosme qu’elle choisit de construire d’image en image, ce petit monde du 19 de la rue des Lombards, devient ainsi l’instantané d’une ville en mouvement, un récit singulier de la relégation globale et progressive des pratiques de prostitution dans les périphéries urbaines. Et dès lors, cette familiarité lentement façonnée forme le souvenir d’une ville qui n’est plus : ce ventre parisien, Blondine et les autres filles, quelques chambres, un escalier, une entrée et la rue enfin, étrange et bien connue.

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Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

Rue des Lombards – Jane Evelyn Atwood (© Éditions Xavier Barral)

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Strömholm : la place vagabonde

D’abord, il y a la fête, la femme serpent et les tréteaux. En sortant de l’univers feutré et familier des photographies de Jane Evelyn Atwood, nous voici plongés, avec Strömholm, dans le vacarme et l’agitation du boulevard, de ses néons, de sa foule, de sa vie perpétuelle. Dans un témoignage initialement publié en 1983 dans la première édition des Amies de place Blanche, Christer Strömholm décrit le quartier en ces mots : « Une fois par an, la fête foraine s’installait à Pigalle. Elle s’étendait le long du boulevard Rochechouart, du métro Anvers — place Pigalle — jusqu’à la place Blanche. (…) À l’heure où les ombres s’allongeaient, nous apercevions les prostituées qui sortaient des ruelles. (…) Au milieu des cirques, des freaks et des serpents, les prostituées se tenaient de façon bien visible à l’ombre des immeubles, gardant toujours un œil sur le boulevard, les spectacles et les clients. À la mi-janvier, lorsque les forains repartaient, le boulevard redevenait lui-même. La fête était finie. Sur le boulevard et dans les ruelles qui entouraient la place Pigalle et la place Blanche, les prostituées (…) reprenaient leur place. » (Strömholm, 2011) La construction du livre reprend cette chronologie. Les premières pages installent ainsi l’atmosphère d’un quartier effervescent, tout en théâtre, en baraques de foire et en néons de cabaret.

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« Fête foraine 1954-55 » ¬– Les amies de place Blanche – Christer Strömholm (© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

« Fête foraine 1954-55 » – Les amies de place Blanche – Christer Strömholm
(© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

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Dans cet univers de foire, apparaissent des visages maquillés — comme des statues d’albâtre dans la frénésie du boulevard. Les images d’Atwood ont parfois quelque chose de cinématographique, notamment dans cette façon de traiter l’environnement comme un décor ; c’est plutôt le théâtre qui hante la photographie de Strömholm, dans ces noirs denses et ces gris granuleux3, dans cet univers de cabaret qui apparaît derrière les portraits des transsexuelles de la place Blanche. Si dans les images d’Atwood, la ville se limite à une façade, à quelques pavés, et à la présence constante, en filigrane, d’une rue quasi symbolique, chez Strömholm en revanche, les images se drapent d’une profondeur très urbaine, d’un flou velouté dans lequel on devine une myriade de pavés, une voiture, des passants. Derrière les corps, s’étend la ville dans toute la largeur de ses boulevards.

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« Gina, place Blanche 1963 » ¬– Les amies de place Blanche – Christer Strömholm (© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

« Gina, place Blanche 1963 » – Les amies de place Blanche – Christer Strömholm
(© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

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Dans les images de Strömholm, la présence urbaine est aussi une présence lumineuse. Celui-ci raconte à ce propos, dans l’entretien que nous avons mentionné plus haut : « Je travaillais sans flash, je n’utilisais que la lumière existante, souvent celle du néon » (Strömholm, 2011). Cette esthétique de la lumière disponible permet de caractériser la présence de la ville par la manière dont elle éclaire les corps et les visages, constellant l’image des tâches blanches des réverbères et jetant sur les personnages une lumière ponctuelle qui les isole de la pénombre environnante. La manière dont Strömholm utilise la lumière donne à ses sujets des airs d’oiseaux de nuit, des silhouettes surgissant de la nuit parisienne. Par la subtile rencontre entre la douceur de la palette des gris et la densité des noirs, ces visages délicatement maquillés semblent sortir d’une nuit dure et profonde ; contraste absolu.

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« Themis 1963 » ¬– Les amies de place Blanche – Christer Strömholm (© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

« Themis 1963 » – Les amies de place Blanche – Christer Strömholm
(© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

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En contre-point de l’ancrage spatial de la rue des Lombards, Strömholm fait le choix de l’errance et du vagabondage. Si, comme chez Atwood, le quartier reste toujours le même, c’est le rayon d’action qui change. Les images voguent de rue en rue – en témoignent leurs légendes : « place Blanche », « place Pigalle », « rue Coustou », « Brasserie Graff », « rue Chappe », et ainsi de suite (Strömholm, 2011). Là encore, ce sont à la fois les pratiques photographiques et les pratiques de la prostitution qui varient, entraînées par l’espace lui-même. Dans le témoignage de Jacky4, l’une des transsexuelles photographiée par Strömholm, on sent très nettement la pratique d’une prostitution moins sédentaire que dans le sujet d’Atwood. Ainsi, du « studio de la rue Coustou » (Strömholm, 2011) où elle habite, Jacky se rend sur le boulevard pour travailler : « Nous nous tenions au Monoprix place Blanche… à l’angle du boulevard de Clichy ». Sa pratique de la prostitution est également discontinue et implique des pratiques plus nomades : « J’ai toujours alterné tapin et cabaret » dit-elle, égrenant la liste des lieux qui l’ont employé du « Drap d’or » au « Carrousel », en passant par « Madame Arthur ». La photographie de Strömholm suit cette mobilité, de l’intimité des studios et des chambres, souvent situé dans les petites rues environnantes, on descend sur le boulevard pour tapiner, puis on va boire quelques verres dans les brasseries du quartier. Il y a du mouvement, le sentiment d’une vie qui s’étend sur tout un quartier et l’occupe, dans sa totalité.

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« Carla & Zizou, Brasserie Graff 1963 » ¬– Les amies de place Blanche – Christer Strömholm (© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

« Carla & Zizou, Brasserie Graff 1963 » – Les amies de place Blanche – Christer Strömholm
(© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

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Mais la rue pour la prostituée, c’est aussi l’espace normatif de l’ordre public et de la menace constante de l’arrestation. Dans un entretien, une autre transsexuelle photographiée par Strömholm, Nana, raconte être sortie plusieurs fois du commissariat avec un PV indiquant « Homme habillé en femme hors des périodes de carnaval » (Strömholm, 2011). L’espace urbain est ainsi l’espace par excellence de la salubrité publique5 et de l’exercice du biopouvoir dont parle Michel Foucault6. En filigrane, derrière les images d’Atwood et de Strömholm, l’espace urbain existe donc aussi comme l’espace de la menace policière et du jugement moral – a fortiori dans le cas d’une prostitution homosexuelle et travestie. Pour elles, et d’autant plus dans les années 1950, le danger est réel et les arrestations régulières. Sortir dans la rue habillé en femme, c’est se confronter directement à la volonté de contrôle des corps dans l’espace public. Nana raconte ainsi les premiers moments de son travestissement : « J’ai commencé à me mettre des sous-vêtement, porte-jarretelle, soutien-gorge, etc … Je mettais un manteau par-dessus, un foulard sur ma tête, je me maquillais et je me promenais la nuit dehors. Et je me suis dit « Je dois revêtir la bure ». Comme mes cheveux étaient courts j’ai commencé avec un foulard et un grand chapeau de paille noir, dûment chaussée. Et je me suis élancée sur le boulevard (…). » (Strömholm, 2011).

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« Nana, place Blanche 1963 » ¬– Les amies de place Blanche – Christer Strömholm (© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

« Nana, place Blanche 1963 » – Les amies de place Blanche – Christer Strömholm
(© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

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Mais, progressivement, image après image, la rue s’efface. D’abord, c’est la foire qui disparaît. Les portraits se resserrent mais on distingue encore les néons et les pavés dans le flou de l’arrière-plan. Encore quelques pages, la rue s’évanouit presque – on la devine encore derrière les vitres du café ou à travers la fenêtre d’une chambre. D’autres images encore et voilà, c’est la chambre ; une scène de maquillage, en porte-jarretelles, debout devant une armoire. Plus de ville dès lors, seul l’espace intime continue à exister. Un espace coupé du monde, contrairement aux chambres de la rue des Lombards où s’esquisse toujours, à travers la silhouette d’un client ou d’une liasse de billets, la présence du dehors. Dans les images de Strömholm, l’impression d’intimité est brute : on joue, on pose, on se maquille, sur le lit souvent, et souvent à demi nue. La rue est loin désormais – et avec elle ses normes et ses humiliations.

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« Giulia & Carol, 19634 » ¬– Les amies de place Blanche – Christer Strömholm (© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

« Giulia & Carol, 19634 » – Les amies de place Blanche – Christer Strömholm
(© Éditions Aman Iman / Galerie VU)

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Aurélien Cohen-Guillaume

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Aurélien Cohen-Guillaume est photographe et chercheur. Après des études d’art et de théâtre à l’École Normale Supérieure de Lyon, il devient photographe indépendant et fonde le collectif Périscope en 2014. Son travail, qui se place à la croisée du documentaire et de la photographie contemporaine, interroge les notions d’espace, de normativité et d’écologie. En parallèle, il prépare une thèse de philosophie au Muséum National d’Histoire Naturelle sur la valeur du vivant et la crise de la biodiversité.

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Bibliographie

Atwood J.E., 2011, Rue des Lombards, Paris, Xavier Barral, 160 p.

Barthes R., 1973, Le plaisir du texte, Paris, Ed. du Seuil, 105 p.

Foucault M., 2001, Dits et Écrits II, « Les mailles du pouvoir », Paris, Gallimard, 1736 p.

Strömholm C., 2011, Les amies de place Blanche, Paris, Aman Iman, 224 p.

Vigarello G., 1987, Le propre et le sale, Paris, Ed. du Seuil, 282 p.

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  1. « L’endroit le plus érotique d’un corps n’est-il pas là où le vêtement baille. C’est l’intermittence qui est érotique : celle de la peau qui scintille entre deux pièces ; c’est le scintillement même qui séduit ou encore : la mise en scène d’une apparition – disparition. » (Barthes, 1973) []
  2. Nous renvoyons à ce propos à la lecture du témoignage qui occupe les dernières pages de l’édition 2011 de Rue des Lombards aux éditions Xavier Barral. Dans ce texte, Jane Evelyn Atwood raconte en détail la manière dont s’est lentement construit le lien de confiance qui l’unit aux prostituées qu’elle a photographiées. []
  3. On trouve dans les images de Christer Strömholm une vraie unité formelle, notamment grâce à une matière photographique homogène, tout à fait caractéristique de l’emploi d’un film Kodak Tri-X : granulosité dessinée, fluidité des transitions entre les zones de densités différentes et régularité du contraste, des basses aux hautes lumières, permettant des noirs très denses tout en conservant une grande finesse dans l’échelle des gris. []
  4. Le témoignage de Jacky a été recueilli et retranscrit par Hélène Hazera en 2011 pour la réédition des Amis de place Blanche aux éditions Aman Iman. []
  5. Dans Le propre et le sale, l’historien Georges Vigarello parle, au sujet de l’extension du domaine de l’hygiène public au traitement des « fléaux sociaux » (alcoolisme, prostitution, …), de « moralisation de la propreté » (Vigarello, 1987). []
  6. « Il y a deux grandes révolutions dans la technologie du pouvoir : la découverte de la discipline et la découverte de la régulation, le perfectionnement d’une anatomo-politique et le perfectionnement d’une bio-politique. La vie est devenue maintenant, à partir du XVIIIème siècle, un objet du pouvoir. La vie et le corps. Jadis, il n’y avait que des sujets, des sujets juridiques dont on pouvait retirer les biens, la vie aussi, d’ailleurs. Maintenant, il y a des corps et des populations. Le pouvoir est devenu matérialiste. Il cesse d’être essentiellement juridique. Il doit traiter avec des choses réelles qui sont le corps, la vie. La vie entre dans le domaine du pouvoir […] » (Foucault, 2001) []

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