#4 / L’affirmation de Marseille comme port de croisière en Méditerranée

Véronique Mondou

 

 

 


Marseille a mis en place depuis une quinzaine d’années une politique volontariste pour s’imposer sur le marché international de la croisière maritime. Il s’agit d’un véritable défi pour cette ville dont le port est marqué par une forte activité industrielle et dont l’attractivité touristique reste à affirmer. Pour réussir cet objectif, Marseille s’appuie à la fois sur des facteurs exogènes – la forte croissance de la croisière dans le monde et la montée en puissance du bassin méditerranéen – et endogènes – des investissements portuaires, un lobbying auprès des compagnies de croisières et un travail sur l’image de la ville.

Poussée par le renouvellement de l’offre et son internationalisation, l’industrie de la croisière maritime connaît depuis une décennie une forte croissance (le nombre de croisiéristes a doublé entre 2001 et 2013 pour atteindre plus de 20 millions), elle est aujourd’hui un des segments les plus dynamiques du tourisme (Dehoorne et Petit-Charles, 2011). Mais les risques restent présents : la surcapacité est une menace pour la rentabilité des compagnies (l’introduction de nouveaux bateaux de plus en plus grands pousse les compagnies à faire des promotions tarifaires afin de maximiser le taux de remplissage) et la crise financière mondiale affecte certains marchés.

La Méditerranée est devenue le deuxième bassin de navigation après celui des Caraïbes (Soriani et al, 2009 ; Cappato, 2010 ; Fournier, 2011). Par la diversité des escales, la qualité des infrastructures portuaires dans sa partie Nord et par le potentiel représenté par le marché européen, la Méditerranée est devenue un espace convoité par l’ensemble des compagnies. Parmi les ports européens, celui de Barcelone en Espagne et les ports italiens (Civitavecchia, Gênes, Naples, Venise) dominent largement le marché, mais Marseille a réussi la performance de passer d’une activité quasi-inexistante il y a encore 15 ans à l’accueil d’1 million de croisiéristes.

Après avoir présenté l’évolution de la fréquentation du port de Marseille, l’analyse portera sur les facteurs clés expliquant cette réussite. Il s’agit de comprendre les logiques à l’œuvre qui ont permis de faire évoluer la fonction du port. Nous étudierons les retombées économiques qui sont espérées par les collectivités locales. Enfin, nous verrons que pour Marseille l’enjeu va au-delà du développement économique, la croisière et les changements qu’elle entraîne devenant un outil afin de redynamiser la ville et de requalifier des espaces jusqu’à présent détachés du reste de la ville.

Un pari réussi……

D’une activité insignifiante (il y avait 8 550 passagers en 1992), Marseille a réussi à se hisser à une position dominante sur le marché français (premier port de croisière) et à une place de concurrent au niveau européen. En 2013, Marseille a franchi la barre du million de passagers avec une fréquentation de 1,18 million de croisiéristes. Comme le montre la figure 1, la progression a été régulière depuis la fin des années quatre-vingt-dix, soit quelques années après le début de la politique volontariste des collectivités locales. À partir de 2008, la croissance s’accélère, passant à deux chiffres. Les prévisions les plus optimistes tablent sur 1,6 million de passagers à l’horizon 2016 et les chiffres de 2014 sont prometteurs avec 1,35 million de passagers attendus.

En France, Marseille domine incontestablement ce secteur puisque le deuxième port constitué par l’ensemble Nice, Villefranche et Cannes totalise 613 000 passagers et le troisième port, Toulon/La Seyne-sur-Mer a reçu 386 000 croisiéristes en 2013 (Medcruise, 2014).

Évolution du trafic passagers à Marseille entre 1993 et 2013 (source : Grand Port Maritime de Marseille, 2014)

Évolution du trafic passagers à Marseille entre 1993 et 2013
(source : Grand Port Maritime de Marseille, 2014)

En Méditerranée, la distribution des ports de croisière laisse apparaître une opposition entre sa partie européenne, située au Nord, où les infrastructures se concentrent à proximité de la clientèle potentielle, et ses parties orientale et méridionale (fig. 2). Du point de vue de la mise en tourisme, cet espace présente de forts contrastes entre des pays faiblement fréquentés (l’Algérie, la Lybie, notamment) et des destinations très prisées du tourisme international (l’Egypte, la Tunisie, le Maroc). Or, même ces destinations ne possèdent pas de ports majeurs (Torbianelli V., 2011). À une raison d’ordre structurel s’ajoute une raison d’ordre conjoncturel. Le financement des infrastructures portuaires nécessite des montages complexes associant les organismes publics mais aussi les compagnies de croisières qui concourent financièrement à la création ou l’agrandissement des équipements portuaires. Dans un environnement politiquement instable, les compagnies reportent leur capacité d’investissement vers des ports situés dans des espaces plus sécurisés. Cette fragilité a été renforcée depuis 2011 avec les mouvements révolutionnaires populaires qui se sont produits principalement en Tunisie, en Égypte et en Libye.

Dans cet ensemble, Marseille se situe à la sixième place (MedCruise, 2014), derrière les ports italiens (Civitavecchia, Venise, à égalité avec Naples) et les ports espagnols des îles Baléares et de Barcelone. Les deux plus grands ports de Méditerranée, Civitavecchia et Barcelone, connaissent une fréquentation largement supérieure avec 2,5 millions de passagers (MedCruise, 2014), mais aujourd’hui Marseille arrive à concurrencer les ports qui évoluent autour de 1 million de passagers. La marche est donc encore haute avant d’atteindre le niveau barcelonais ou de Civitavecchia, même si ce sont ces modèles que Marseille s’applique à suivre.

Trafic passagers des principaux ports méditerranéens en 2013 (source : Medcruise 2014, réalisation personnelle)

Trafic passagers des principaux ports méditerranéens en 2013
(source : Medcruise 2014, réalisation personnelle)

…grâce à l’exploitation d’une situation favorable

Le bassin méditerranéen, formé de la mer éponyme à laquelle on peut associer la mer Noire, est devenu le deuxième bassin de navigation mondial dernière les Caraïbes. La saturation du bassin caribéen pousse les compagnies à positionner des navires sur d’autres mers, notamment la Méditerranée où toutes les compagnies proposent des croisières, principalement l’été, même si on note une diminution de la saisonnalité. La Méditerranée, par la diversité de ses escales, le potentiel de clientèle à proximité, les facilités de navigation toute l’année et la qualité de ses infrastructures, est devenue un lieu d’exploitation des bateaux incontournable pour les compagnies (Fournier, 2011). L’accueil favorable des touristes européens renforce son attractivité. Les Européens représentent, en 2013, avec 6,36 millions de croisiéristes, 30 % du marché mondial contre 22 % dix ans plus tôt (CLIA Europe, 2014). Entre 2005 et 2013, le nombre de croisiéristes a été multiplié par deux. Cependant depuis le début de la décennie 2010, avec des taux de croissance autour de 1 %, on ne connaît plus les taux à deux chiffres de la décennie précédente. Le ralentissement du marché européen s’explique par le recul des marchés italien et espagnol en 2012 (baisse respective de 9 et 18 %) confirmée en 2013 pour l’Espagne (- 18 %) alors que l’Italie connaît un léger mieux (+ 4 %). La crise économique qui a affecté lourdement ces deux pays explique cette chute. Enfin la France, même si elle n’est que quatrième au classement des pays européens, connaît un taux de croissance plus fort que la moyenne européenne avec 9 % sur les deux dernières années, néanmoins en baisse puisqu’il était en moyenne de 11 % sur les six années précédentes. Cette clientèle plébiscite les mers et océans entourant l’Europe et plus encore la Méditerranée, les Français sont ainsi 69 % à choisir ce bassin (CLIA Europe, 2014).

Profitant de la bonne santé du marché européen de la croisière et de l’engouement des croisiéristes pour la Méditerranée, Marseille est devenue un concurrent des autres ports méditerranéens, la ville et le port possédant des atouts lui permettant de se positionner comme une escale incontournable. Le premier point essentiel est la proximité d’une zone de chalandise conséquente : elle se situe au cœur d’un bassin de population d’un million d’habitants et par son réseau d’infrastructures de transport elle peut attirer une clientèle nationale et internationale. Le réseau autoroutier, l’aéroport international, la ligne à grande vitesse ferroviaire qui la place à 3 heures de Paris sont autant d’éléments qui attirent les armateurs. Ces éléments jouent en faveur de Marseille lorsqu’un arbitrage doit être fait entre les ports de la Méditerranée par les compagnies de croisière. Enfin, elle bénéficie d’une situation stratégique à une nuit de navigation de Barcelone et des ports d’Italie du Nord (Savone, Gènes). La forte densité de ports dans ce secteur constitue un atout pour les compagnies car cela leur permet de programmer des escales quotidiennes avec peu de navigation entre chacune d’entre elles. Avec le développement des croisières de courte durée, il est important pour les compagnies de bénéficier de nombreux ports d’escale à partir des principaux ports d’embarquement de la Méditerranée occidentale.

L’exploitation de cette position favorable donne un avantage à Marseille, mais seule une volonté politique forte a permis le développement de la croisière.


Un plan stratégique dédié à la croisière

Le mérite de la renaissance de Marseille comme port de croisière revient aux collectivités locales (Ville de Marseille, Chambre de commerce et d’industrie – CCI) associées au Port autonome de Marseille qui se sont dotées d’outils de développement et ont investi massivement. Le point de départ se situe en 1992 avec l’élaboration du Programme de développement sur cinq ans du Port autonome suivi en 1993 par la rédaction de la « Charte de la croisière » donnant une place à la croisière dans un port de commerce et industriel. La création en 1996 du Club de la croisière, émanation de la Ville de Marseille, de la CCI et du port, incarne cette volonté politique. Les fédérations de professionnels et les organismes institutionnels ont rapidement rejoint le Club de la croisière. Son action couvre trois domaines : promouvoir l’escale auprès des opérateurs, assurer la qualité de l’accueil des passagers et proposer des installations portuaires et des services en adéquation avec la demande des opérateurs. Ces domaines d’intervention du Club de la croisière doivent être associés aux facteurs déterminant l’attractivité d’un port (ODIT France, 2007). Ils reposent sur la satisfaction de trois acteurs : les croisiéristes, les armateurs, l’équipage. Les ports se doivent d’être performants dans les aspects techniques liés à l’accueil de bateaux de plus en plus gros, mais en amont, c’est la renommée et l’attractivité de la destination qui seront essentielles pour provoquer l’acte d’achat du croisiériste.

Le premier axe de la politique marseillaise a consisté à créer les infrastructures portuaires indispensables à l’accueil des navires. La course au gigantisme à laquelle se livrent les opérateurs oblige les autorités locales à prévoir des espaces de plus en plus grands, à la fois au niveau des quais mais aussi pour les terminaux recevant les passagers. La réalisation de ces infrastructures dédiées aux croisiéristes a fait figure de révolution dans cet espace portuaire dédié au fret et à l’industrie (Le Monde, 2009 ; Mas, 2005). Le développement du port de Marseille, pendant la seconde moitié du XXe siècle, reposait sur la croissance de l’industrie pétrolière et chimique et sur la sidérurgie. La flambée du pétrole en 1973-74 marqua une crise profonde et le port se tourna vers le transport par conteneurs. Les décennies suivantes furent marquées par une concurrence de plus en plus forte, de la part des ports méditerranéens, mais aussi et surtout par la domination des ports du Nord de l’Europe qui entraina une baisse du trafic de celui de Marseille. La recherche d’une diversification des activités portuaires devint une nécessité et c’est dans cette logique que le développement des croisières se fit. Ainsi, dans le Plan stratégique de développement correspondant à la période 2004-2009, l’activité de croisière devint la seconde priorité après le transport de conteneurs. Il ne s’agissait donc pas simplement d’investissements financiers : la transformation fut beaucoup plus profonde et toucha la nature même du port de Marseille. Dans ce cadre, la transformation de l’affectation des espaces portuaires devint un enjeu majeur. Cette mutation a été effectuée en plusieurs temps. Tout d’abord, il y a eu la reconversion du môle Léon-Gourret, espace affecté au fret et à la réparation navale désormais dédié aux activités touristiques. En 2003, une gare maritime fut construite pour les croisières baptisée « Marseille-Provence Cruise Terminal » (MPCT). En juin 2007, le Port autonome de Marseille lança un appel d’offre afin de concéder pour 25 ans les installations de croisière du môle Léon-Gourret. Costa Croisières, Louis Cruise Line et MSC Croisières le remportèrent en février 2008, attribution validée en 2009 par la Commission européenne (en 2013, Louis Cruise Line a revendu ses parts aux deux autres actionnaires qui possèdent dorénavant 50 % des parts). Cela a permis aux collectivités locales d’alléger leur investissement puisque sur les douze millions investis, les deux tiers sont supportés par les armateurs. Ce montage financier reproduit des pratiques déjà appliquées dans d’autres ports européens tels que Barcelone, Savone, Gênes, Naples ou Civitavecchia où les compagnies ont, seules ou en groupes, participé au financement des infrastructures. Cet investissement porte notamment sur l’extension d’un quai pour pouvoir recevoir des bateaux de 300 mètres de long. Il s’agit là d’un enjeu majeur puisque cela permettra à Marseille d’accueillir les plus gros bateaux du monde, les deux navires de la classe des Oasis appartenant à l’armateur américain Royal Carribean (5 400 passagers). Ces deux unités, bientôt rejointes par une troisième en 2016, sont exploitées jusqu’à présent en Caraïbe pour le marché américain jugé comme le seul à pouvoir absorber des bateaux de cette taille. Mais en 2015, l’un de ces navires sera positionné pour quelques croisières en Europe et Marseille a été retenue comme port d’escale. Avec l’accueil de ce bateau, Marseille rentre définitivement dans le club des ports incontournables en Méditerranée.

Un investissement conséquent a donc été engagé, mais deux faiblesses viennent entacher la performance de ces équipements. Tout d’abord, les infrastructures marseillaises ne permettent pas de faire accoster les bateaux en cas de fort mistral, les navires sont donc reroutés et ce majoritairement vers Toulon/La Seyne-sur-Mer (cela correspond à une quinzaine de bateaux par an). D’autre part, la distance de 8 kilomètres qui sépare le port de croisière du Vieux-Port (fig. 3) limite les impacts sur l’économie locale. Pour palier ces limites, une charte dite ville-port a été signée en décembre 2012 afin de poursuivre le développement des aménagements portuaires. Cet accord lie le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), la Ville, la Communauté urbaine, le Département des Bouches-du-Rhône, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la CCI et porte sur deux points fondamentaux : un nouveau partage des espaces portuaires et un investissement de 450 millions d’euros. Deux axes majeurs se dégagent : renforcer l’accueil des plus grosses unités et développer l’offre pour les croisières haut de gamme. Il s’agit à la fois d’augmenter la capacité d’accueil puisque les infrastructures sont arrivées à saturation et d’améliorer les conditions d’accès au port en cas de mistral. En mars 2012, a été inauguré un nouveau terminal de croisières grâce à la transformation d’un ancien hangar (le hangar 19). Mais étant donné la croissance du trafic, la construction d’une troisième gare maritime a été décidée grâce au réaménagement du Hangar 24 pour un montant de 8,5 millions. Sa mise en service depuis avril 2014 permet de recevoir jusqu’à six bateaux en simultanée, dont deux navires en tête de ligne ; 3 000 passagers entrant et 3 000 passagers sortant en même temps peuvent être gérés (fig. 3). Par ailleurs, l’élargissement de la passe Nord a été validé (elle passera de 170 à 220 mètres) afin de conforter l’accueil des bateaux de grande taille et de permettre l’accès au port même en cas de vent fort. Le projet porte aussi sur la remise en service de la plus grande cale sèche de Méditerranée. Longue de 465 mètres pour une largeur de 85 mètres, cette cale sèche pourra recevoir les plus grands bateaux du monde afin d’en assurer la maintenance technique. Les deux plus grands paquebots, l’Oasis et l’Allure of the Seas, longs de 362 mètres pourront être ainsi accueillis. Les compagnies profitent de ces arrêts techniques pour organiser avant et après des croisières à proximité et cet effet d’opportunisme jouera en faveur de Marseille dès 2015.

Le dernier axe consiste à attirer les compagnies de croisière haut de gamme, il passe par une amélioration globale de l’offre et pas uniquement des infrastructures techniques. C’est donc au pied du nouveau Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), proche du Vieux-Port, installé sur des terrains concédés par le Port que l’accueil de ces unités est prévu.

Plan des terminaux de croisière (source : site internet du Club de la croisière Marseille Provence)

Plan des terminaux de croisière
(source : site internet du Club de la croisière Marseille Provence)

Mais des infrastructures ne suffisent pas à attirer les compagnies, le port doit aussi correspondre à une destination attractive pour les passagers. Marseille a réussi le passage d’un port non désiré, voire rejeté au statut de port qui compte en Méditerranée. Ainsi Costa, la plus importante compagnie sur le marché européen, avait déclaré ne jamais vouloir venir à Marseille. Jacques Truau, fondateur du Club de la croisière Marseille-Provence relate dans un entretien1 la réaction de Costa lors des premiers échanges au début des années quatre-vingt-dix : «  même si vous nous offriez l’escale gratuite, nous ne viendrons pas à Marseille ». Pourtant, Costa fut la première compagnie majeure à positionner un bateau à Marseille en 1996 (Costa Classica), suivi par d’autres navires. C’est ce même opérateur qui fit la première inauguration de paquebot à Marseille avec le Costa Serena en 2007.

Ce revirement de position de la part de Costa a été le résultat de la politique de promotion menée par le Club de la croisière. Le premier enjeu auquel a été confronté Marseille fut de faire connaître la destination auprès des armateurs. Les deux principales compagnies présentes à Marseille sont italiennes, Costa et MSC, mais rappelons que les deux principaux groupes, Carnival (propriétaire de Costa) et Royal Caribbean sont américains. Une des premières actions a donc été une participation au Seatrade de Miami, le rendez-vous mondial des professionnels de la croisière maritime, présence effective depuis 1994. L’objectif est double : se faire connaître et associer la destination à une image forte, en l’occurrence celle de la Provence pour Marseille avec comme visuel associé celui d’un champ de lavande. À l’échelle française et européenne, Marseille s’est positionnée comme organisateur d’événements en créant en 2000, le salon annuel de la croisière, Top Cruise. Cela permet à Marseille de se positionner comme acteur majeur dans les réseaux professionnels. De façon plus fine, il a fallu attirer les opérateurs en mettant en avant les atouts du port en termes d’infrastructure et en tant que destination touristique. La mise en place d’une synergie avec les acteurs institutionnels locaux est indispensable afin de relayer les informations. Ainsi, Marseille a profité de sa position de capitale européenne de la culture 2013 pour communiquer sur sa programmation culturelle et modifier ainsi son image. La tâche est lourde, notamment auprès des médias aussi bien français qu’étrangers, où Marseille est présentée comme une ville dangereuse. The Independent, le quotidien britannique, titrait ainsi en 2012 : « Marseille: Europe’s most dangerous place to be Young »2 tandis que The New York Times, intitulait la même année un article sur Marseille : « In a city plagued by violence, a spike in crime opens eyes nationwide »3 avant de titrer plus récemment « Marseille polishes its image »4 ou encore « Marseille the secret capital of France »5 article dans lequel est mise en avant la politique culturelle et non plus la criminalité.

Même si Marseille n’a pas réussi à se débarrasser totalement de sa réputation de ville dangereuse, elle est aussi désormais associée à un renouveau culturel. Elle a su éveiller la curiosité des touristes et l’augmentation de sa fréquentation témoigne de cette réussite.

 

Les effets attendus

Au-delà de la redynamisation de l’activité du port de Marseille, la volonté de Marseille de se positionner comme port de croisière répond à deux objectifs principaux : bénéficier des retombées financières grâce aux dépenses effectuées par les croisiéristes, les membres d’équipage et les opérateurs (avitaillement, maintenance) et profiter du changement d’affectation d’une partie du port pour opérer une transformation urbaine plus profonde.

Les chiffres officiels de la CCI évoquent 94 millions d’euros de retombées économiques en 2011 avec des dépenses comprises entre 105 et 152 euros par passager selon s’ils sont en transit ou en tête de ligne. Les commerçants du centre-ville évoquent plutôt des dépenses de l’ordre de 30 à 50 euros, mais ils reconnaissent tout de même une augmentation des ventes le jour où un bateau est en escale (Le Journal du Net, 2012). D’après l’étude menée en Europe par la Cruise Lines International Association (CLIA Europe, 2014), les dépenses se situent autour de 62 euros par passager en escale et elles sont de 21 euros pour les membres d’équipage. Même si ces chiffres sont à manier avec prudence et seraient à confronter aux dépenses effectuées par la collectivité, la manne financière apportée par plus d’un million de croisiéristes à Marseille est considérable.

Cependant, on constate que Marseille a du mal à s’affirmer comme destination à part entière. L’éloignement avec le centre et notamment le Vieux-Port ne favorise pas les déplacements vers les espaces commerçants de la ville. Certes, des excursions sont proposées par les compagnies, mais la destination marseillaise est davantage vendue comme la porte d’entrée de la Provence. De façon générale, deux catégories de ports peuvent être identifiées : d’une part ceux qui correspondent à une destination touristique majeure – il y a dans ce cas confusion entre le port et le lieu touristique – et d’autre part, les ports qui ne sont qu’un intermédiaire et ne servent que de lieu de transit. Les archétypes sont Barcelone et Venise comme destination majeure et à l’autre extrême, on peut citer Civitavecchia, qui est le port permettant d’atteindre Rome située à 80 km. L’étude des offres en excursions à Marseille montre la situation intermédiaire de la ville. Si on analyse l’argumentaire des deux principales compagnies présentes à Marseille (Costa et MSC) ainsi que celui du Club de la croisière, on constate l’association systématique de Marseille à la Provence. Marseille est présentée comme le « cœur de la Provence » où se trouvent à une heure de route des sites « mythiques »6. À Marseille, l’offre en excursion est partagée entre visite de la ville et circuits dans l’arrière-pays, alors que dans des villes comme Barcelone et Venise, l’offre est centrée sur les villes elles-mêmes (Ballester, 2011). Marseille n’est donc pas seule à profiter des dépenses des passagers qui se répartissent aussi avec l’arrière-pays.

Mais au-delà des retombées économiques, les opérations de transformation portuaire s’inscrivent dans le cadre plus large d’une rénovation urbaine dont l’objectif principal est d’améliorer l’intégration du port à la ville. Leur évolution s’est faite séparément mais les difficultés rencontrées par le port (baisse du trafic) et par la ville (baisse de population attirée par la périphérie) (Morel, 1999) les ont réunis dans un projet de développement commun (Mas, 2005). La réflexion sur la redynamisation de la ville s’est penchée sur les espaces délaissés par la fonction industrielle. Dans un cadre de forte densité bâtie et de rareté de l’espace central, il s’agit là d’une véritable « rente » foncière (Ducruet, 2005). Les fronts de mer font l’objet de toutes les attentions, certains auteurs parlent de « logique waterfront » (Bergsli, 2008) ou « d’économie de vitrine » (Rodrigues-Malta, 2001, 2004) pour désigner la nouvelle affectation de ces espaces et leur inscription dans une « attraction symbolique » (Bergsli, 2008). La référence à Bilbao ou plus encore Barcelone est évidente.

À Marseille, cette opération de rénovation urbaine s’appelle Euroméditerranée (Bertoncello et Rodrigues-Malta, 2003). Il s’agit d’une initiative conjointe de l’État et des collectivités territoriales lancée en 1995. L’objectif est de « placer Marseille au niveau des plus grandes métropoles européennes »7. L’opération porte sur 480 hectares avec comme projet phare la création de la Cité de la Méditerranée : un programme de 600 000 m2 de bureaux recevant des entreprises en lien avec des activités maritimes, industrielles mais aussi tertiaires. Une composante majeure de ce projet urbanistique est le recours à des architectes « stars » qui vont créer des bâtiments « événement », symboles qui ponctueront cet espace repris sur le port. Il en est ainsi du siège social de la CMA CGM (transporteur par containeurs) réalisé par Zaha Hadid (fig. 4), du MuCEM par Rudy Ricciotti (fig. 5) au pied duquel seront arrimés les yachts et les petites unités de croisière, ou encore des projets à venir d’Yves Lion ou de Jean Nouvel. Ces architectes bénéficient d’une reconnaissance mondiale, récompensée par de prestigieux prix, labellisant ainsi une architecture iconique. On retrouve ici la recherche de « l’effet Bilbao », c’est-à-dire une architecture capable de devenir symbole, de devenir une image forte associée à un territoire avec une capacité attractive. L’objectif du projet Euroméditerranée est de créer une skyline à Marseille. Le projet est donc double : donner une image de Marseille par une requalification du waterfront et proposer aux Marseillais un espace à nouveau accessible.

Le siège social de la CMA CGM par l’architecte britannico-irakienne Zaha Hadid (Photo personnelle, 2013)

Le siège social de la CMA CGM par l’architecte britannico-irakienne Zaha Hadid
(Photo personnelle, 2013)

Le MuCEM par l’architecte français Rudi Ricciotti (avec en arrière-plan la tour de la CMA CGM et la cathédrale Sainte-Marie-Majeure) (Mondou, 2014)

Le MuCEM par l’architecte français Rudi Ricciotti (avec en arrière-plan la tour de la
CMA CGM et la cathédrale Sainte-Marie-Majeure) (Mondou, 2014)

La transformation du port de Marseille répond à une logique de réappropriation d’un espace longtemps délaissé et correspond à une stratégie de diversification économique. Le secteur de la croisière maritime connaît aujourd’hui une croissance mondiale, avec comme foyer moteur les États-Unis et les Caraïbes comme principal bassin de navigation, mais la Méditerranée portée par la clientèle européenne est l’objet des attentions de toutes les compagnies. Les choix stratégiques opérés au début des années quatre-vingt-dix par les autorités locales marseillaises lui donnent aujourd’hui une position incontournable. Mais la croissance de ce secteur et l’augmentation de la fréquentation du port de Marseille restent vulnérables. Les crises économiques, la très forte hausse des capacités rendant plus difficile le remplissage des navires, la nécessité pour les collectivités d’investir dans des infrastructures toujours plus grandes, ne permettent pas d’assurer la pérennisation des retombées de la croisière.

Véronique Mondou

Véronique Mondou est maître de conférences à l’Université d’Angers, UMR CNRS 6590, ESO – Espaces et Sociétés. Ses recherches portent sur les liens entre les transports et le tourisme. Elles s’articulent autour de deux axes principaux : l’accessibilité aux territoires et le rôle des transports dans le développement touristique. Le deuxième axe porte sur les croisières maritimes, en particulier la requalification des ports par l’activité de croisière et la diffusion de la croisière en Chine.

veronique.mondou@univ-angers.fr

Bibliographie

Ballester P., 2011, « Les nouvelles logiques spatiales du port de Barcelone : tourisme de croisière, aménagement et paysage », Études Caribéennes, n°18, http://etudescaribennes.revues.org/5154

Bergsli H., 2008, « Marseille et Oslo : des stratégies entrepreneuriales pour transformer le front de mer », Méditerranée, n°111, http://mediterranee.revues.org/2772

Bertoncello B., Rodrigues-Malta R., 2003, « Marseille versus Euroméditerranée », Les Annales de Géographie, n°632, 424-436

Cappato A. (sous la dir. de), 2010, Croisières et plaisance en Méditerranée, IIC/Plan Bleu, 76 p.

CLIA Europe, 2014, The Cruise industry. The contribution of cruise tourism to the economies of Europe, Bruxelles, 28 p.

Dehoorne O., Petit-Charles N., 2011, « Tourisme de croisière et industrie de la croisière », Études Caribéennes, n°18, http://etudescaribennes.revues.org/5623

Ducruet C., 2005, « Structures et dynamiques spatiales des villes portuaires : du local au mondial, Mappemonde, n°77, http://mappemonde.mgm.fr/num5/articles/art05106.html

Ducruet C., 2007, « Typologie mondiale des relations ville-port », Cybergeo, n°417, http://www.cybergeo.eu/index17332.html

Fournier C., 2011, « Le tourisme de croisières en Méditerranée »,Géoconfluences, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/typespace/tourisme/TourScient6.htm

« Le marché de la croisière dopé l’économie et l’image de Marseille », Le Journal du Net, 25 mai 2012

« Marseille veut s’imposer en capitale de la croisière »,Le Monde, 18 mars 2009, http://www.lemonde.fr/voyage/article/2009/03/18/marseille-veut-s-imposer-en-capitale-de-la-croisiere_1169560_3546.html

Mas S., 2005, Marseille, une évolution portuaire entre continuité et rupture, ISEMAR, Note de synthèse, n°76, 4 p.

Medcruise, 2014, Cruise activities in Medcruise ports: statistics 2013, Le Pirée, 68 p.

Morel B., 1999, Marseille, naissance d’une métropole, L’Harmattan, 222 p.

ODIT France, 2007, La croisière maritime en France métropolitaine et d’Outre-Mer, 113 p.

Rodrigues-Malta R., 1999, « Villes d’Espagne en régénération urbaine. Les exemples de Barcelone, Bilbao et Madrid », Les Annales de géographie, n°608, 397-419.

Rodrigues-Malta R., 2001, « Naples-Marseille : Waterfront Attitude », Méditerranée, n°1-2, 97-106.

Rodrigues-Malta R., 2004, « Une vitrine métropolitaine sur les quais. Villes portuaires au sud de l’Europe », Les Annales de la recherche urbaine, n°97, 93-101.

Soriani S., Bertazzon S., Di Cesare F., Rech G., 2009, « Cruising in the Mediterranean: structural aspects and evolutionary trends »,Maritime Policy and Management, vol. 36, n°3, 235-251.

Torbianelli V., 2011, Les croisières en Méditerranée, des promoteurs d’investissements et de relations entre les ports et les villes, IEMed, 6 p.

  1. « Et Marseille devint un port de croisière… », Econostrum, 27 mars 2013, http://www.econostrum.info/Et-Marseille-devint-un-port-de-croisiere_a13910.html []
  2. « Marseille: Europe’s most dangerous place to be Young », The Independent, 24 septembre 2012, http://www.independent.co.uk/news/world/europe/marseille-europes-most-dangerous-place-to-be-young-8166738.html []
  3. « In a city plagued by violence, a spike in crime opens eyes nationwide », The New York Times, 19 septembre 2012, http://www.nytimes.com/2012/09/20/world/europe/marseille-hit-by-violent-wave-of-drug-crimes.html?pagewanted=all&_moc.semityn.www&_r=0 []
  4. « Marseille polishes its image », The New York Times, 6 septembre 2013, http://www.nytimes.com/2013/09/08/travel/marseille-polishes-its-image.html?module=Search&mabReward=relbias%3Ar []
  5. « Marseille the secret capital of France », The New York Times, T Magazine, 4 octobre 2013, http://tmagazine.blogs.nytimes.com/2013/10/04/marseille-the-secret-capital-of-france/?module=Search&mabReward=relbias%3Ar []
  6. Site internet du Club de la croisière Marseille Provence, http://www.marseille-cruise.com []
  7. Site internet d’Euroméditerranée, http://www.euromediterranee.fr []

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