Entendu / Entretien : Le Havre et les modèles portuaires : trajectoire du premier port français

Entretien avec Pierre Thorez, par Daniel Florentin

L’entretien au format PDF

Pierre Thorez est professeur émérite de géographie à l’Université du Havre. Il partage ses recherches entre des travaux sur les transformations post-socialistes et des travaux sur les transports, en particulier le transport maritime.

Le port du Havre a été marqué par des aménagements successifs. En se promenant dans le port, certaines zones semblent relativement abandonnées, des grues semblent ne plus fonctionner depuis un certain temps, alors qu’elles jouxtent d’autres installations fortement utilisées. Comment expliquer cela ?

La stratégie du Port Autonome du Havre devenu Grand Port Maritime du Havre a depuis longtemps été de se concentrer sur une activité prioritaire. Dans les années 1960 et début des années 1970, le tout pétrole, puis le tout conteneur. Depuis quelques années s’y est ajouté l’accueil des paquebots de croisière. Le trafic de marchandises conventionnelles a été délibérément sacrifié, au point que les grues, propriété du port, ont été démontées et que plusieurs hangars et entrepôts, certains après incendie, ont été détruits. Les lieux sont utilisés par les transporteurs routiers. Le quai Joannes Couvert pourrait prochainement accueillir une usine Areva de montage d’éoliennes. Ainsi, il y aurait une mutation fonctionnelle, du transport maritime à l’industrie, d’une partie du port ancien. Le GPMH a déjà, dans cette perspective, détruit la gare maritime de la Transat et s’apprête à détruire la gare maritime du port.

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Carte 1 : le port du Havre (HAROPA, retravaillée par D. Florentin).

Carte 1 : le port du Havre (HAROPA, retravaillée par D. Florentin).

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Le processus de conteneurisation, qui est étroitement associé aux logiques de mondialisation, est-il producteur de friches ?

Les terminaux à conteneurs (Port 2000), construits plus loin de la ville et au-delà du port « ancien », ont vidé les anciens bassins de leur activité et les friches portuaires se sont étendues. Le trafic conteneurisé et la taille des navires nécessitent pour l’évolution des navires et pour le stockage des conteneurs, des espaces beaucoup plus vastes que le trafic conventionnel. Le transfert des activités s’explique. Mais, à la différence d’autres ports, comme Anvers, qui ont conservé une activité dans les anciens bassins, ici les bassins anciens sont délaissés par le trafic. De plus, avec l’extension de Port 2000, les portiques du quai de Bougainville (en amont de l’écluse François 1er) ont été transférés dans le nouveau port. Il y a donc une friche portuaire sur un terminal à conteneurs qui n’est plus utilisé que pour délester le terminal roulier ou pour l’accostage de navires en avarie ou désarmés. En fait, la capacité globale pour les conteneurs a peu augmenté avec Port 2000 puisqu’une partie des terminaux des années 1980 y a été transférée.

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sur le quai de Bougainville, les portiques ont été transférés à Port 2000, laissant de grandes friches et des navires désarmés (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 1 : Sur le quai de Bougainville, les portiques ont été transférés à Port 2000, laissant de grandes friches et des navires désarmés (Pierre Thorez, 2014).

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Illustration 3 : Autre exemple de friches : le bassin Vétillart, où les activités maritimes ont disparu : les conteneurs empilés sont vides et seulement stockés ici (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 2 : Autre exemple de friches : le bassin Vétillart, où les activités maritimes ont disparu : les conteneurs empilés sont vides et seulement stockés ici (Pierre Thorez, 2014).

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Quel est le rôle des armateurs dans l’aménagement du port ? Comment a-t-il évolué au cours des dernières décennies ? Leur rôle s’est-il transformé en celui de quasi maître d’ouvrage ?

Les armateurs ont fait valoir leurs exigences : éviter les pertes de temps liées au passage de l’écluse, disposer de quais à tout moment, disposer de linéaire de quai afin d’opérer des opérations de transshipment1. C’est pour répondre à cette demande des armateurs que Port 2000 a été construit. Les armateurs menaçaient de ne plus desservir Le Havre par les navires-mères, mais uniquement par feedering2. Or la concurrence implique, au risque d’être marginalisé, l’escale des porte-conteneurs transocéaniques et le transshipment.

D’autre part, les terminaux ont été « dédiés », et, en fait, privatisés. Associés aux armateurs (la Compagnie Nouvelle de Manutention Portuaire, CNMP, est ainsi liée à la CMA-CGM et Terminaux de Normandie à MSC sur une partie de Port 2000 et Maersk3 sur une autre), les manutentionnaires havrais sont maîtres d’œuvre sur les terminaux et propriétaires des superstructures comme les portiques. C’est une évolution mondiale : la plupart des terminaux à conteneurs sont désormais dédiés et gérés soit par des manutentionnaires qui opèrent dans plusieurs ports, comme par exemple Katoen Natie, originaire d’Anvers et présent sur tous les continents, soit directement par les armateurs comme Maersk qui exploite plus de cinquante terminaux par sa filiale APM Terminals.

Avantage pour les armateurs, ils gèrent leur terminal. Inconvénient : les terminaux sont à certaines heures tous occupés, mais ils sont vides certains jours ou à certaines heures. Il en résulte, sur la semaine, une certaine surcapacité.

Enfin, les armateurs, d’usagers du port deviennent des acteurs majeurs dont dépend l’activité portuaire. Ils sont en mesure de faire pression sur les ports pour obtenir ce qu’ils souhaitent, sous la menace de l’arrêt de la desserte. Seuls les grands ports incontournables peuvent, jusqu’à un certain point, imposer leur propre stratégie. Dans la chaîne de transport, les ports dépendent de plus en plus des stratégies armateuriales, en tout cas de stratégies qui leur échappent.

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Quels sont les effets de la réforme portuaire de 2008 pour la ville et l’autorité portuaire du Havre ? Les différentes directives européennes invitent à une privatisation des installations de manutention. Quelles sont les conséquences de ce processus ?

Les effets sur la ville sont difficiles à cerner. Un point évident, la conteneurisation a éloigné physiquement le port de la ville. De plus, en diminuant le nombre de personnes qui travaillent dans le port, les liens ville-port se sont distendus. Par exemple, les jeunes Havrais ne connaissent plus le port. La ville, depuis les années 1975, perd des habitants, tout comme l’agglomération. À la diminution de l’emploi portuaire s’ajoute la fermeture de nombreuses usines, dont les chantiers navals et la réparation navale, et la chute de l’emploi dans d’autres secteurs (Renault Sandouville). La perte est de plus de 25 000 habitants (près de 12 %) pour la ville en une trentaine d’années.

Pour ce qui est du port, l’organisation du travail a changé, notamment pour les dockers et les portiqueurs4. Les métiers ont considérablement évolué vers plus de technicité.

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Illustration 5 : un navire transbordé sur un quai dédié aux armateurs (Daniel Florentin, 2014).

Illustration 4 : un navire transbordé sur un quai dédié aux armateurs (Daniel Florentin, 2014).

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On oppose souvent le modèle anversois et le modèle de Rotterdam en termes de développement portuaire. En quoi consistent-ils ? Les évolutions du Havre sont-elles à rapprocher d’un modèle plutôt que l’autre ? La ville emprunte-t-elle aux deux modèles ? Perçoit-on des changements dans les modèles suivis par les autorités portuaires du Havre selon les époques ? Quelles en seraient les causes ?

Un premier contrat s’impose : il y avait sur le Range deux majors, ils sont aujourd’hui au moins trois : Hambourg, à peu près au niveau du Havre à la fin des années 1980, fait aujourd’hui presque jeu égal avec Anvers. Le port allemand a en effet récupéré son arrière-pays historique, une grande partie de l’Europe centrale, dont il avait été isolé par le « rideau de fer ». De plus, il est, avec Anvers et Rotterdam, un des hubs pour la desserte de la mer Baltique. Le Havre, depuis de nombreuses années, se maintient. Par son trafic total, il est sixième sur la Rangée après Rotterdam, Anvers, Hambourg, Amsterdam et Brême, soit un recul de 2 places en 25 ans. Le trafic conteneurisé reste fragile. Le Havre se classe à la cinquième place sur la Rangée, loin derrière Rotterdam, Hambourg, Anvers et Brême.

Comme tout a été fait en fonction des conteneurs, le trafic conventionnel a disparu. En cela Le Havre se distingue d’Anvers qui maintient tous types de trafic. Anvers concentre en effet un grand nombre de lignes régulières et dispose de quais ou terminaux spécialisés pour tous types de marchandises, de la pierre de taille à l’eau minérale. Les gestionnaires de ce port municipal sont des négociants qui ont avant tout une stratégie commerciale. Ils veulent conserver tous les services qui peuvent contribuer à générer des bénéfices. Ainsi, pour les conteneurs, autant que la carte de la rapidité, les Anversois jouent celle du dépotage et de l’empotage (chargement et déchargement du contenu des conteneurs), considérant que l’immobilisation des conteneurs pour ces opérations rapporte plus que leur chargement immédiat sur des modes de transport terrestres.

Rotterdam joue plus la carte du transit rapide de conteneurs, mais aussi celle des pondéreux liquides et solides. Ce port, municipal lui aussi, n’hésite pas à augmenter ses capacités de stockage, y compris lorsque le « juste à temps » était considéré comme la seule solution viable par certains… Au Havre, on accueille peu de pondéreux en vrac solide : du charbon seulement et un trafic pétrolier non négligeable. Globalement, surtout comparé aux ports allemands, Le Havre a décroché. Cela relève en grande partie de facteurs géopolitiques qui ne dépendent pas de la volonté du port. Le Havre continue de souffrir de l’insuffisance des relations ferroviaires avec l’arrière-pays, aggravée par la politique d’abandon du fret par la SNCF. Cela dit, les autorités du GPMH, composées d’ingénieurs « Mines Ponts », nommés par l’État et plus sensibles aux grands travaux que les négociants des ports du Nord directement intéressés aux trafics, auraient sans doute pu s’efforcer de maintenir des trafics de niches dans le domaine conventionnel, par exemple les grumes, le sucre et les céréales.

Quelle est la relation qui unit le port du Havre et celui de Rouen, plus en amont ? Sont-ils complémentaires ou concurrents ? Les récents aménagements du port de Rouen changent-ils la fonction des terminaux céréaliers du Havre ?

Rouen et Le Havre font depuis 2012 partie d’un même ensemble portuaire, le GIE (Groupement d’Intérêt Économique) HAROPA qui comprend aussi le port de Paris. Ils sont donc censés agir en complémentarité. Mais de vieilles rivalités sont longues à effacer.

Le cas des céréales est exemplaire : Le Havre était un port céréalier. Souvent des navires de fort tirant d’eau commençaient leur chargement à Rouen et venaient l’achever au Havre. Mais le trafic céréalier n’existe plus au Havre. Les aspirateurs à grain ont été démantelés. Les silos servent au stockage mais pas en vue du chargement sur des navires. Cette interruption est liée à la fois à l’augmentation du gabarit du chenal de la Seine jusqu’à Rouen mais aussi au choix d’y concentrer le trafic céréalier qui ne semblait plus intéresser Le Havre.

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Illustration 6 : Silos à grains et à sucre du terminal céréalier, route du Môle central. Grues et aspirateurs ont été démontés (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 5 : Silos à grains et à sucre du terminal céréalier, route du Môle central. Grues et aspirateurs ont été démontés (Pierre Thorez, 2014).

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Une ligne relie quotidiennement Le Havre et Portsmouth, son symétrique de l’autre côté de la Manche. Y a-t-il une activité économique intense entre les deux villes ? Ou est-ce davantage du tourisme de loisirs qui unit les deux villes ?

La ligne Le Havre-Portsmouth est sans cesse menacée. Après le retrait des P&O5, le port est parvenu à faire venir une autre compagnie, LD lines, qui, à son tour, a cessé son activité sur cette ligne fin 2014. Implanté depuis 2013, avec une relation saisonnière par un catamaran à grande vitesse (NGV), Brittany Ferries a renforcé son offre en reprenant le roulier des LD lines rebaptisé Étretat. Mais le service est dégradé. Avec deux navires, P&O dans un premier temps, puis LD offraient trois liaisons quotidiennes dans chaque sens avec des horaires commodes pour la clientèle tant britannique que continentale. Avec un seul navire, il n’y a plus qu’une rotation par jour, avec moins de souplesse horaire et une longue immobilisation du navire. Ce dernier est utilisé sur une autre ligne en fin de semaine. Il en sera de même en 2015 sans service quotidien à heure fixe et des périodes d’interruption totale. Une telle offre n’est pas suffisamment attractive. En fait, peu de liens existent entre les deux villes. La majorité, pour ne pas dire la quasi-totalité des passagers de cette ligne ne font que traverser les deux ports. Ce sont pour partie des touristes mais aussi des camions.

À cela s’ajoutent les croisières. Le Havre accueille en saison plus de 200 escales de paquebots. Depuis quelques années, il est tête de ligne pour des croisières de Costa et de Royal Caribbean. Mais peu de ces paquebots avitaillent au Havre et les retombées semblent limitées en ville. L’office de tourisme estime que chaque croisiériste rapporte 80 euros. Mais sans préciser le mode de calcul. Cela englobe-t-il les frais de port, le remorquage, le pilotage, le lamanage6, la location d’autocars … ? Beaucoup de croisiéristes vont en excursion hors de l’agglomération (plages du débarquement pour les passagers des États Unis, Rouen voire Paris) et ceux qui restent au Havre dépensent très peu sur place, d’après les commerçants. Les croisières n’ont pratiquement aucune incidence sur le musée d’Art Moderne André Malraux (MuMa). Des recettes seraient possibles s’il y avait avitaillement et plus de tête de croisière.

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Illustration 7 : Le terminal de croisières du Havre (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 6 : Le terminal de croisières du Havre (Pierre Thorez, 2014).

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Illustration 8 : Vue depuis le terminal de croisières, l’ancien terminal des ferries pour l’Irlande, le MuMa et la vigie (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 7 : Vue depuis le terminal de croisières, l’ancien terminal des ferries pour l’Irlande, le MuMa et la vigie (Pierre Thorez, 2014).

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Comment peut-on juger ces différents aménagements en termes urbanistiques ? Les projets de requalification des quartiers sud de la ville vont-ils dans le sens d’un effacement de cette coupure ? Quels sont les publics visés ? Contribuent-ils à une revalorisation des quartiers portuaires dans l’ensemble ?

La rénovation des quartiers sud non seulement n’efface pas la coupure ville-port, mais elle la renforce. Ils sont insérés dans l’espace urbain alors que le port s’en éloigne. La majorité des logements construits contribuent à la gentrification de ces quartiers. Ce sont principalement des logements privés inaccessibles, tant à l’achat qu’en location, aux populations à faible revenu, majoritaires dans le parc vétuste ou à caractère social (HLM) du quartier de l’Eure. La rénovation des quartiers sud s’est inscrite dans une politique de valorisation de l’identité maritime et négociante du Havre, avec le bassin Paul Vatine où se rassemblent les voiliers de la Transat Jacques Vabre, au détriment de l’identité portuaire et industrielle. Au point que le nom du quartier, quartier de l’Eure, à résonance ouvrière, a été changé en quartier Saint Nicolas. Mais l’ancien nom persiste et semble devoir se maintenir. Ce modèle de transformation d’un vieux quartier portuaire et industriel s’apparente au « modèle britannique », à l’image des docks de Londres ou de Liverpool, repris dans d’autres pays (Hambourg, Oslo…). Au Havre, une tour, comparable à celle de Portsmouth était aussi envisagée. Inversement à Anvers, les vieux quais et entrepôts sont toujours voués à l’activité maritime ou à la batellerie, même si le parc de logement des vieux quartiers est rénové. C’est le « modèle anversois » qui consiste à conserver une fonction maritime et fluviale aux vieux bassins.

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Illustration 9 : Bassin Vatine, avec l’IUT rénové et les docks transformés en centre commercial (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 8 : Bassin Vatine, avec l’IUT rénové et les docks transformés en centre commercial (Pierre Thorez, 2014).

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Illustration 10 : Quartiers Sud du Havre en cours de rénovation (Pierre Thorez, 2014).

Illustration 9 : Quartiers Sud du Havre en cours de rénovation (Pierre Thorez, 2014).

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L’intensification de la mondialisation a changé les volumes, les rythmes et les pratiques sociales du commerce maritime. Comment cela se traduit-il pour une ville comme Le Havre ? Comment le folklore portuaire a-t-il évolué ? Les marins restent-ils encore en ville quelques jours ? Les lieux de sociabilité ont-ils évolué ? De quelle manière ?

Les escales de navires sont courtes, une douzaine d’heures en moyenne pour les gros porte-conteneurs, alors que les cargos classiques restaient à quai plusieurs jours. À bord les équipages sont peu nombreux, une douzaine de personnes contre plus de trente voire de quarante, par le passé. Les navires accostent loin de la ville. Aussi, la majorité des équipages n’a guère le temps de descendre à terre. Le folklore portuaire a quasiment disparu. Les filles, les marins et les bars sont d’un autre temps. Il ne reste que la mémoire des vieux havrais pour conserver le souvenir de l’animation des quartiers proches du port et la nostalgie des paquebots d’antan. Les lieux de sociabilité accueillent plutôt les locaux ou les routiers. La vie des marins a beaucoup changé en quelques décennies, l’ambiance de la plupart des ports aussi, suite aux mutations techniques et sociales dans le transport maritime.

Mais autre chose a changé : les notabilités locales. Les familles de consignataires, manutentionnaires, transitaires, agents maritimes, ne jouent plus le même rôle et n’ont plus autant de pouvoir. Des grandes familles ont disparu de l’agenda du port. Les armateurs ont leurs propres services ou sont entrés dans le capital de ces entreprises de la bourgeoisie locale qui souvent aussi s’est reconvertie vers d’autres sources de profit.

Le port de Calais a, au cours des derniers mois, souvent été mis en avant pour le fort afflux de migrants et la difficulté de leur gestion. Le Havre est cependant, par son caractère portuaire, aussi une zone frontalière. Le problème se pose-t-il différemment ici qu’à Calais ? Pour quelles raisons ? Comment a évolué la gestion des migrants illégaux au cours des dernières années dans la ville / le port du Havre ? La législation maritime est-elle homogène entre les différents pays européens sur les migrants illégaux ? Comment traite-t-on un migrant illégal trouvé sur un bateau selon qu’on est en France, en Angleterre, aux Pays-Bas ou en Belgique ?

La destination recherchée par la plupart des migrants clandestins sont les Iles Britanniques. Or les liaisons sont ici bien moins nombreuses qu’à Calais et le contrôle plus facile. La ligne d’Irlande n’existe plus depuis plusieurs années. Il y a eu une « filière roumaine » au tournant du siècle. Les migrants, par ailleurs présents légalement en France, cherchaient à embarquer dans des conteneurs vers l’Amérique du Nord. Plusieurs (combien?) ont péri de soif et de faim au cours des traversées, car, une fois le conteneur embarqué, personne ne peut l’ouvrir avant son déchargement.

Pour avoir, il y a une vingtaine d’années, été requis lors de l’affaire du MC Ruby7, j’avais appris qu’à cette époque (années 1990), la déclaration de chaque clandestin, obligatoire pour un commandant, donnait lieu à des procédures diverses suivant les pays. En France, il y a obligation d’interdire au clandestin de débarquer, d’où l’aménagement de lieux d’emprisonnement sur les navires en service sur les destinations sensibles. Au Royaume Uni idem avec, en plus, une amende élevée au navire pour chaque passager clandestin déclaré. Amende aussi aux Pays Bas. Je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui, mais je crains que le système ne soit pas en la faveur des clandestins ni des équipages, incités à faire le ménage plutôt qu’à déclarer des clandestins à bord…

Les migrants illégaux au Havre arrivent de ce fait rarement par bateau. Ce ne sont que rarement des personnes en attente d’un embarquement. Ce sont plutôt des migrants entrés par d’autres frontières qui se retrouvent ici suite à une errance, parce qu’ils connaissent des gens sur place ou à la suite d’un pseudo-contrat de travail.

Entretien réalisé en février 2015 par Daniel Florentin

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  1. Transbordement, ndlr []
  2. Acheminement des marchandises sur courte distance par des petits navires après transbordement des navires-mères, pour desservir les ports n’étant pas des hubs suffisants pour les armateurs, ndlr []
  3. Maersk (société danoise), MSC (Mediterranean Shipping Company, société italienne basée à Genève) et CMA-CGM (Compagnie Maritime d’Affrètement – Compagnie Générale Maritime, société française) sont, par ordre d’importance, les trois plus grands armateurs au monde pour les porte-conteneurs, ndlr. []
  4. Personnes en charge de la conduite des engins lourds de manutention, du type portiques, en vue du chargement ou déchargement, ndlr []
  5. Compagnie de ferries britannique, ndlr []
  6. Opération d’assistance technique lors de l’amarrage, ndlr []
  7. Six marins ukrainiens, du porte-conteneurs MC Ruby, furent jugés devant la cour d’assises de la Seine-Maritime pour le meurtre de huit passagers clandestins africains, ndlr []

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