#6 / L’assainissement d’une grande métropole en développement : l’échec des tuyaux à Delhi

Rémi de Bercegol et Shankare Gowda


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Il est estimé que les villes indiennes génèrent quotidiennement plus de 53 millions de m3 d’eaux usées (CPCB, 2013). La prise en compte de ces quantités phénoménales a été longtemps négligée par les autorités avant de s’imposer comme une nécessité de l’action publique depuis le milieu des années 1990. Outre les dégâts environnementaux, il s’agit en effet d’un grave enjeu de santé publique (Brisset, 2006), responsable d’épisodes épidémiques de peste (à Surat en 1994), de choléra (à Chennai en 1991-92, à Delhi en 1996) et, plus récemment, de résurgence de la dengue (Telle, 2015). À la suite de nombreuses plaintes par des associations de citoyens1, les jugements rendus par la Cour Suprême de l’Inde ont fait de la gestion de l’assainissement une obligation judiciaire pour l’État, ancrée dans la législation et renforcée par la création en 2010 du puissant « National Green Tribunal »2 (Gill, 2014), au point de devenir une thématique inévitable du débat politique. Cependant, la réalisation de l’idéal hygiénique d’une Inde urbaine assainie est encore loin d’être atteinte, non pas tellement pour des raisons financières (l’Inde consacre une partie importante de son budget à ses questions3.) mais plutôt à cause de choix d’organisations sociotechniques parfois inappropriés aux spécificités locales d’agglomérations en développement.

L’analyse de la gestion de l’assainissement des eaux usées de Delhi, considérée comme l’une des métropoles4 les plus polluées au monde, cristallise une partie de ces contraintes tout en révélant aussi les solutions potentielles pour relever le défi d’une urbanisation plus durable aux Suds. À bien des égards, le secteur de l’assainissement à Delhi témoigne du  « régime sociotechnique » (Graham, 2000) d’ingénierie hydraulique des villes indiennes. Il se calque sur l’idéal moderne du « réseau centralisé », hérité en Inde de la colonisation britannique5, c’est-à-dire un ensemble d’équipements de grande taille interconnectés et déployé de manière homogène sur un vaste territoire donné (Coutard, 2008). En Inde, ce grand système technique est conçu par des ingénieurs au sein de l’entreprise parapublique sectorielle que compte chaque État, et sa maintenance est partiellement décentralisée depuis les lois de décentralisation municipale de 1992. Le gigantisme de Delhi permet de mettre en exergue l’inefficacité de ce modèle : les rejets d’eaux estimés entre 3 et 5 millions de m3/jour selon les études, en augmentation continue, sont mal traités par l’infrastructure existante, pourtant l’une des plus importantes du pays, et polluent les eaux souterraines et de surface, au point que la rivière Yamuna (l’un des effluents du Gange qui traverse Delhi sur 22 kilomètres), ait été déclarée « biologiquement morte » (CSE, 2009). Le présent article6 porte sur le territoire de la Capitale nationale7 qui englobe cinq municipalités8  où habitent 16,7 millions d’habitants sur 1 484 km2 et qui forme une entité administrative et politique fixe, au sein d’une agglomération urbaine9 de 25 millions d’habitants s’étendant bien au-delà des limites statutaires de la ville (Dupont, 2015). On présentera dans un premier temps les dysfonctionnements et les difficultés d’évolution du système actuel puis, dans un second temps, les potentielles solutions pour améliorer l’assainissement de la ville.

Les pieds dans l’eau (usée) malgré tous ces tuyaux !

Delhi est la ville indienne disposant de la plus grande infrastructure d’assainissement du pays. De multiples investissements ont été réalisés ces dernières années, parmi lesquels un projet bilatéral de coopération entre l’Inde et le Japon, le Yamuna Action Plan (YAP), des importants prêts de la Banque Mondiale et les subventions de nombreux programmes de l’État central. Ces financements ont permis de doter la ville d’un réseau long de 6 000 kilomètres d’égouts et de 34 grandes usines d’épuration réparties sur 21 sites pour une capacité de traitement de 2,7 millions de m3 par jour.

1. Principales infrastructures d’assainissement de Delhi (Bercegol et Gowda, 2015 / Réalisation : Safège ©)

1. Principales infrastructures d’assainissement de Delhi (Bercegol et Gowda, 2015 / Réalisation : Safège ©)

Des quartiers entiers non connectés aux égouts

Le paradoxe de ce grand système reste cependant son inadéquation avec la réalité. À l’heure actuelle, aucune des 34 stations d’épuration existantes ne fonctionne à leur pleine capacité car près de la moitié des eaux usées n’y seraient pas acheminées. En 2012, selon le Delhi Jal Board (DJB – l’agence gouvernementale responsable des infrastructures d’eau et d’assainissement à Delhi), les installations ne fonctionnaient ainsi qu’aux deux tiers de leur capacité (soit 1,8 Mm3/j), tandis qu’au minimum 1,8 millions de m3 d’eaux n’étaient pas acheminées. Ce volume correspondrait non seulement aux eaux usées issues des nombreux forages domestiques mais aussi et surtout à celle des quartiers informels, non planifiés et donc non connectés par le Delhi Jal Board (Zimmer, 2012), ce qui constituerait environ 55 % de la population. Les ingénieurs du DJB peinent à appréhender les rejets d’une fabrique urbaine non-conventionnelle car par nature hors des documents officiels de planification. L’urbanisation informelle apparaît ainsi comme l’une des principales causes du non-raccordement d’une partie de la ville.

Officiellement 11 % de la population de Delhi vit dans des quartiers considérés comme des bidonvilles selon le recensement de 2011, mais selon d’autres estimations, près d’un tiers de la population y résiderait (698 bidonvilles officiellement reconnus par le gouvernement mais 4 380 quartiers précaires estimés par d’autres organes10.). Les conditions de vie y sont très difficiles avec une mortalité infantile de 55 pour 1 000 et un accès très limité aux services de base, en particulier à l’assainissement et aux latrines : 56 % des enfants seraient contraints de déféquer en plein air (Delhi Human Development Report, 2013), seulement 2,76 % des bidonvilles étant couverts par les réseaux d’égouts (NSS, 2009). Finalement, selon la Delhi Development Agency (DDA), les trois quarts des habitants occupent des espaces non planifiés par le Master Plan, non seulement des quartiers illégaux, mais aussi des anciens villages absorbés par l’urbanisation, des bidonvilles régularisés, des zones de relogement de populations déplacées, etc), ce qui rend a posteriori difficile la conception d’infrastructures.

En l’absence d’égouts, ces eaux usées non collectées rejoignent le système gravitaire de drainage, dont la faible inclinaison n’est prévue initialement que pour recevoir les eaux pluviales, et finissent par se boucher et par déborder sur la chaussée avant de polluer les sols et les rivières. Ce dysfonctionnement provoque des conflits institutionnels entre le Delhi Jal Board et les ingénieurs des départements des travaux publics (notamment responsables du système de drainage le long des routes), de l’environnement (à qui revient la charge des déchets qui contribuent à boucher ce système) et de la planification (qui définissent le statut légal des quartiers, et donc à connecter ou pas). Chacun se renvoie la responsabilité des dégradations, arguant avoir effectué sa mission dans les limites de ses prérogatives. Ce problème de coordination est aggravé par le triple statut administratif de la ville, central/régional/municipal, où se côtoient des institutions avec des mandats très similaires mais répondant hiérarchiquement à différents niveaux d’autorités politiques parfois antagonistes et qui perturbent la gestion du système.

2. Égout à ciel ouvert d’un quartier non autorisé au sud de la ville (Bercegol, février 2015)

2. Égout à ciel ouvert d’un quartier non autorisé au sud de la ville (Bercegol, février 2015)

Des tuyaux techniques…et politiques

Pour les ingénieurs du Delhi Jal Board, il faudrait « limiter le nombre d’habitants afin de se concentrer sur l’existant [alors que] nous sommes contraints à toujours étendre notre réseau pour rattraper l’urbanisation » (entretien Delhi Jal Board, décembre 2013). Le nouveau Master Plan de l’assainissement pour 2031 prévoit d’élargir massivement cette infrastructure avec 9 807 kilomètres d’égouts et la construction de 75 stations d’épuration supplémentaires, de tailles plus réduites et réparties sur 38 nouveaux emplacements à travers la ville11, ce qui devrait permettre de doubler l’actuelle capacité de traitement à 4,4 millions de m3/jour. Les ingénieurs sont contraints d’élaborer des solutions techniques coûteuses comme en témoigne le méga projet d’« égouts intercepteurs » (lancé en 2008 et en cours de développement) qui consiste à orienter les rejets des quartiers non couverts par le réseau d’égouts vers trois des plus grands drains de Delhi (Najafgarh drain, Supplementary drain et Shahadra drain) avant qu’ils n’atteignent la Yamuna, afin de réduire sa pollution. Ce projet est classique dans son approche pharaonique de type « éléphant blanc »12. Il est critiqué par des opposants au profil très divers (contribuables et hommes politiques locaux, experts et organisations non gouvernementales), principalement pour son coût élevé de 350 millions d’euros et parce qu’il contourne (littéralement) le réel problème de l’assainissement des quartiers précaires (CSE, 2009).

Au-delà de la seule perspective technique du dimensionnement des installations, se pose aussi la question première de la gouvernance du système technique qui se double de la question plus politique du statut foncier de la ville « informelle ». Ce n’est théoriquement pas au Delhi Jal Board que revient la responsabilité d’identifier et de régulariser des quartiers précaires. Leur reconnaissance dépend des contingences politiques du gouvernement élu, pour un mandat de cinq années, et des rythmes décisionnels de la Delhi Development Agency, responsable du Master Plan, qui alloue l’espace nécessaire aux infrastructures pour les connecter. Ce sont seulement à ces derniers que revient in fine le pouvoir de régularisation et d’intégration de l’habitat spontané. Le DJB ne dispose pas de la capacité légale pour connecter l’urbanisation informelle au même titre que le reste de la ville. Seule une reconnaissance formelle d’un droit à l’assainissement pour tous les habitants, y compris ceux des quartiers précaires, permettrait de dépasser cette appréhension limitée de la fabrique urbaine et ouvrirait alors la voie à une vision plus intégrée de la gestion des eaux usées.

L’émergence d’une alternative à la stratégie du « tout-tuyau » ?

Des initiatives ont émergé pour défendre des options alternatives à l’échec des réseaux d’égouts, notamment avec des technologies plus décentralisées. Promus essentiellement par des acteurs de la société civile (centres de recherche, organisations non-gouvernementales, activistes), parfois par des agents externes (coopération bilatérale, banque de développement), ces systèmes non conventionnels peinent pour l’instant à être intégrés à un service public indien certes en pleine transformation mais peu enclin à remettre en cause le paradigme dominant du réseau centralisé.

 

Des initiatives « hors tuyaux » très isolées

Depuis le lancement de la campagne Swachh Bharat, les médias indiens se sont focalisés essentiellement sur les toilettes low cost dont l’ONG Sulabh International s’est faite le porte-parole. L’organisation a diffusé son modèle tant en Inde qu’à l’étranger, comme par exemple au Pakistan ou encore en Afrique Subsaharienne. Ces toilettes fonctionnent grâce à une technologie hors réseau très simplifiée, avec deux fosses dont l’une se remplit pendant que l’autre sèche avant d’être vidée. Mais en ville, ces systèmes n’apparaissent pas adaptés, à la fois d’un point de vue environnemental et technique. Le principe est de laisser s’écouler les effluents pour ne récupérer que la matière solide – des excrétas secs –, ce qui s’avère inapproprié dans les lieux présentant de fortes densités. 33 villages en banlieue de Delhi qui avaient été équipés de toilettes Sulabh à la fin des années 1980 ont été depuis connectés au réseau d’égouts avec leur intégration à la ville. Finalement, le réseau d’égout reste conquérant face à des solutions compensatoires temporaires. Sulabh reste malgré tout très présent à Delhi par son contrat de maintenance historique des toilettes publiques, connectées au réseau d’égouts, et par les nouveaux contrats passés avec le gouvernement dans le cadre des toilettes installées dans les stations très fréquentées du récent métro.

3. Les systèmes de traitements décentralisés et hybrides représentent un potentiel encore peu exploité et dont la diffusion se fait essentiellement via des ONG (Schéma page 9 de rapport du Centre for Science and Environnement, 2014)

3. Les systèmes de traitements décentralisés et hybrides représentent un potentiel encore peu exploité et dont la diffusion se fait essentiellement via des ONG (Schéma page 9 de rapport du Centre for Science and Environnement, 2014)

D’autres systèmes alternatifs fonctionnant sur le principe d’une grande fosse septique biologique à l’échelle de l’immeuble ou de l’îlot d’habitation ont émergé ces dernières années. Depuis une dizaine d’années, le Centre for Science and Environment (CSE), un think-tank promoteur de ces systèmes, et l’India Insititute of Technology (IIT), une grande école d’ingénieurs, se sont chacun équipés d’un système de 8-10 m3 aux pieds de leurs bâtiments pour un prix modique (un peu plus de 3 000 euros d’installation et 300 euros de maintenance par année). De même, la crèche de Vasant Vihar, un quartier du Sud de Delhi, dispose d’une fosse de traitement de 50 m3 qui permet de réutiliser sur place les eaux traitées pour l’arrosage des espaces verts. Ces installations restent peu diffusées et tendent plutôt à se multiplier dans les immeubles collectifs de Gurgaon, une ville mitoyenne au sud de Delhi, où les promoteurs privés construisent des résidences autonomes en services et indépendantes des aléas du système public, destinées à une clientèle aisée.

Une rationalité technique difficile à ébranler

On reste encore loin de la diffusion d’infrastructures de traitement décentralisées comme dans les villes d’Indonésie par exemple, où le gouvernement, sous financement de la Banque Mondiale a favorisé la mise en place de tels systèmes pour remplacer la solution d’un réseau d’égout inadapté à l’étalement urbain (Blackett, 2015). Ces solutions, dont les effets à long-terme restent encore assez peu connus, commencent néanmoins à recevoir un écho de plus en plus favorable au sein même des instances décisionnaires indiennes, notamment grâce au travail de l’agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ) qui y voit là un moyen de favoriser son expertise, et de certains cadres de la Banque Mondiale qui pensent qu’elles ouvrent un potentiel plus flexible techniquement et surtout financièrement plus viable que le coûteux réseau d’égout conventionnel. Cependant, elles restent pour l’instant peu intégrées à l’action publique étant donné la difficulté des gestionnaires à pouvoir travailler « out of the box » (dixit un cadre de la GIZ lors d’un entretien au siège en Novembre 2013), hors du paradigme du réseau centralisé. À ce sujet, la présidente du Delhi Jal Board déclarait à propos du potentiel des systèmes décentralisés que tout changement de paradigme nécessiterait non seulement de nouvelles formations d’ingénierie, mais surtout une coopération accrue avec les autres agences gouvernementales, ce qui est loin d’être acquis (conférence CSE, décembre 2013). Cependant, le document préparatoire du Master Plan Assainissement 2031 du Delhi Jal Board évoque la potentialité d’intégrer des systèmes plus décentralisées, notamment dans les quartiers illégaux, tout en précisant que cela nécessiterait une coordination managériale accrue avec les autres départements techniques du gouvernement, les municipalités et les résidents.

Mais une gestion du service poussée à la transformation

Cette synergie institutionnelle est cependant difficile à réaliser étant donné la multiplicité des institutions que les réformes de décentralisation n’ont pas contribué à éclaircir, à Delhi plus qu’ailleurs depuis la tripartition de la principale municipalité de 2012 (South Delhi, East Delhi et North Delhi) qui s’ajoute aux échelons gouvernementaux de l’État administrant le même territoire. Finalement, c’est la montée en puissance du « National Green Tribunal » qui apparait source de changement. Par exemple, au début 2015, un jugement a contraint les départements de l’irrigation de Delhi et d’Uttar Pradesh à se coordonner avec la Delhi Development Authority pour fournir une cartographie des bassins versants dans le cadre de la protection de la rivière Yamuna, qui traverse les deux États, et sans laquelle les ingénieurs ne peuvent proposer un plan d’aménagement cohérent pour la rivière. Mais, les décisions de justice ne sont pas forcément suivies d’effets immédiats en raison d’une part des possibles recours existant devant la Cour suprême et d’autre part de la difficulté pratique d’application, dans un contexte de morcellement administratif. De plus, la tendance pour l’assainissement consiste plutôt en une approche sectorielle à partir de projets qui font appel à des opérateurs privés, et notamment les groupes Suez et Veolia, déjà présents à Delhi et dans le reste du pays. Cette rationalisation du secteur est un processus auquel le « National Green Tribunal » participe directement, notamment à travers l’une de ses récentes décisions préconisant l’instauration d’une taxe de « compensation environnementale » pour les usagers, selon le principe du « pollueur payeur » (jugement du 15 mai 2015). Cette mise à contribution financière des habitants-usagers, dont les modalités de collecte restent à définir (incluse avec la taxe sur la propriété, ou sur la facture d’eau, ou sur la facture d’électricité), s’appliquera aussi dans les quartiers précaires (elle sera d’un minimum de 100 roupies par famille dans les bidonvilles, soit l’équivalent de 1,4 euro) et témoigne d’ores-et-déjà de la transformation payante du service et de la figure de l’usager-consommateur qui l’accompagne. Loin d’être neutre, cette judiciarisation des politiques environnementales peut aussi renforcer l’exclusion d’une frange pauvre de la population, par le déplacement forcé de bidonvilles en périphérie sous des prétextes d’hygiénisme13 (Baud et De Wit, 2009 : 328)

Quelles pistes pour assainir Delhi ?

L’assainissement à Delhi est considéré avant tout comme une problématique technique et qui doit être traitée comme telle : par des techniciens et à partir d’une infrastructure technique fondée sur un réseau d’égout centralisé. Or, pensé uniquement du point vue technique, ce grand système d’assainissement néglige la fragmentation sociale, foncière et institutionnelle de la ville, ce qui amoindrit leurs performances, malgré des investissements financiers colossaux. La libéralisation en cours des infrastructures d’assainissement, si elle peut certainement améliorer la gestion sectorielle n’est pas vraiment centrée sur une meilleure intégration de ces problématiques sociopolitiques. Quant aux expériences décentralisées, bien qu’elles représentent un réel potentiel pour compléter les insuffisances de grands systèmes peu adaptés, elles ne pourront néanmoins pas se substituer à ces derniers étant donné le défi des volumes colossaux à traiter. La solution semble se trouver dans une hybridation des échelles d’interventions, en développant des systèmes locaux au niveau de l’ilot d’habitations dans les quartiers peu connectés, de manière articulée avec les grands réseaux déjà existants pour assurer la collecte de l’ensemble des reflux. Cette réorganisation du système ne pourra se faire sans l’intégration des aspects socio-politiques de l’assainissement urbain, car ils peuvent parfois remettre en cause la pertinence de certaines technologies. Elle devra se faire au sein d’une gouvernance renouvelée qui favoriserait une synergie des différentes institutions. En ce sens, prendre en compte la ville subalterne, par la reconnaissance de droits dans la ville (Tawa Lama-Rewal, Zérah et Dupont, 2011) et en particulier du droit à l’assainissement des quartiers précaires, serait un premier pas pour faciliter la gestion durable des rejets urbains.

REMI DE BERCEGOL ET SHANKARE GOWDA

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Rémi de Bercegol est chercheur à l’Institut IWAR de l’Université Technique de Darmstadt et affilié au Centre de sciences humaines de New Delhi ainsi qu’au Laboratoire Techniques, territoires, sociétés (LATTS – École nationale des ponts et chaussées – Université Paris-Est). Ses recherches portent sur l’urbanisation du monde et les transformations des villes du Sud, principalement observées à travers le filtre de leurs services essentiels (eau, assainissement, déchets, énergie).

Chercheur indépendant basé à Delhi et affilié au Centre for Policy Research, Shankare Gowda est docteur en science politique. Ses travaux portent sur les processus d’exclusion et l’analyse des transformations politiques en Inde. Il a réalisé à ce titre de nombreux terrains dans différents États du sous-continent.

Illustration de couverture : Des tuyaux d’assainissement à Delhi (Bercegol, 2015).

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Bibliographie

Baud I.S.A et De Wit J. (dir.), 2008, New forms of urban governance in India ; Shifts, models, networks and contestations, New Delhi, Sage, 420 p.

Bercegol R. et Gowda, S., à paraître, « Les rejets urbains (déchets et eaux usées) de Delhi » in Lorrain D., Halpern C. et Chevauché C. (dir.), Villes Sobres,  (Nouveaux modèles de gestion des ressources),à paraitre, 350 p.

Blackett, I., 2015, « Emerging Global Frameworks for Analyzing Urban Sanitation Needs », Conférence du Centre for Policy Research, 22 avril 2015.

Brisset, S., 2006, « Un bien pour un mal… des améliorations sanitaires pernicieuses : eau, choléra, leptospirose humaine et dengue à Chennai, Inde », Espace populations sociétés, 2006/2-3, 251-269.

Centre for Science and Environment, 2009, Review of the interceptor plan for the Yamuna, Analysis by River Pollution Unit, 22 p.

Central Pollution Control Board, 2013, Perfomance Evaluation of Sewage treatment plant under NRCD, Ministry of Environment & Forests, 128 p.

Coutard O., 2008, « Placing Splintering Urbanism: introduction », Geoforum 39, 1815-1820.

Dupont V., 2015, « Entretien/ Delhi : Les défis d’une métropole en extension », Urbanités

Gill G.N., 2014, « The National Green Tribunal of India: A Sustainable Future Through The Principles of International Environmental Law », Environmental Law Review, Vol. 16, No. 3, 183-202.

Graham S., 2000, « Constructing Premium Network Spaces : Reflections on Infrastructure Networks and Contemporary Urban Development », International Journal of Urban and Regional Research, 24 (1), 183-200.

Organisation des Nations Unies, 2014, World Urbanization Prospects: The 2014 Revision, Highlights (ST/ESA/SER.A/352), Department of Economic and Social Affairs, Population Division, 32 p.

Governement of National Capital Territory of Delhi, 2013, Delhi Human Development Report, Institute for Human Development et Academic Foundation, New Delhi, 26 p.

National Sample Survey, 2009, « Some Characteristics of Urban Slums, 2008-09 », NSS 65th Round (Juillet 2008 – Juin 2009), Ministry of Statistics and Programme Implementation, 150 p.

Sheikh S. et Banda S., 2014, The Delhi Urban Shelter Improvement Board (DUSIB): The Challenges Facing a Strong, Progressive Agency, Centre for Policy Research, New Delhi, 27 p.

Tawa Lama-Rewal S., Zérah M.-H. et Dupont V. (dir.), 2011, Urban Policies and the Right to the City in India, Delhi, UNESCO, 188 p.

Telle O., 2015, « Géographie d’une maladie émergente en milieu urbain endémique, le cas de la dengue à Delhi, Inde », in Cybergeo : European Journal of Geography https://cybergeo.revues.org/26921

Zimmer A., 2012, « Fragmented governance, divided cities : The need for an integrated view on urban waste water : A Case Study of Delhi » in Dams Rivers People, 10 ; 9-13.

 

 

  1. Par exemple, B.L. Wadhera, avocat à la Cour Suprême, et Almitra Patel, ingénieur à la retraite, sont à l’origine de deux célèbres procès (B.L Wadhera vs. Union of India., en 1996 et Almitra Patel vs. Union of India, en 2000) qui ont contraint judiciairement le gouvernement à considérer le problème de la collecte et de l’entreposage des déchets urbains []
  2. Il s’agit d’un tribunal créé en 2010 ayant pour mandat spécifique l’instruction rapide des affaires environnementales (http://www.greentribunal.gov.in/). Ses décisions peuvent être contestées devant la cour suprême dans un délai de 90 jours. []
  3. Outre la récente mission nationale « swachh Bharat Abhyan », on peut citer notamment le « Central Rural Sanitation Programme » en 1986, « Total Sanitation Campaign » en 1999, « Nirmal Gram Puraskar » en 2003 et « Normal Bharat Abhiyan » en 2012) et elle s’inscrit à la suite d’autres programmes de rénovation urbaine qui ont permis de financer les grandes  infrastructures des services de base. []
  4. Par le terme métropole, on désigne « l’ensemble urbain de grande importance qui exerce des fonctions de commandement, d’organisation et d’impulsion sur une région et qui permet son intégration avec le reste du monde » (voir : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/metropole). []
  5. Par exemple, la station de traitement d’Okhla, au Sud de Delhi a été construite par les britanniques en 1937 et est aujourd’hui réputée pour être l’une des plus grandes d’Asie avec une capacité de traitement de 170 MGD (« MGD » pour Million Gallon Day/1 gallon = 4,546 litres, usage britannique qui a perduré en Inde). []
  6. La collecte des données a été réalisée à l’occasion de plusieurs séjours réalisés entre 2013 et 2015 avec le support du Centre de Sciences Humaines de New Delhi, l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et le bureau d’étude Safège dans le cadre de l’ANR Syracuse dont les résultats, dont cet article présente une partie, sont à paraître en 2015 (Lorrain, 2015). []
  7. Delhi constitue le territoire de la Capitale nationale (National Capital Territory), doté d’une Assemblée législative (contrairement aux autres territoires de l’Inde directement administrés par le gouvernement central – excepté le territoire de Pondichéry) et administré par un gouvernement (qui dispose de moins de pouvoir qu’un État, certaines compétences restant au sein du gouvernement central). []
  8. Il s’agit de la Corporation municipale de Delhi, divisée depuis 2012 en trois communes (South Delhi, East Delhi, North Delhi, le conseil du cantonnement de Delhi et la municipalité New Delhi (laquelle est aussi le siège de l’État central et du gouvernement du Territoire de la Capitale Nationale). []
  9. L’agglomération urbaine de Delhi est un concept introduit par le recensement indien décrivant un continuum urbain dont les limites spatiales sont redéfinies tous les dix ans. []
  10. Les chiffres sur ce sujet, par nature polémiques, différent selon les institutions et s’échelonnent entre 11 % (selon le recensement de 2011) et environ 1/3 de la population (Sheikh et Banda, 2014). []
  11. On peut douter de la réalisation d’un tel plan, non pas tellement pour des raisons financières mais avant tout pour des raisons foncières : il n’est pas gagné en effet que le Delhi Jal Board DDA puisse fournir 38 nouveaux emplacements, et encore moins aux endroits désirés par les ingénieurs, dans une ville qui manque d’espace. []
  12. On fait ici référence à la politique des « grands barrages », qualifiés autrefois de « temples de l’Inde moderne » à l’époque de Nehru et désormais qualifiés d’ « éléphant blancs », projets coûteux et sans pertinence économique. []
  13. Par exemple, les jugements consécutifs aux procès évoqués ci-dessus (Almira Patel vs Union Of India et B.L Wadhera vs Union of India) ont conduit à l’éviction de bidonvilles alors que ce n’était pas là l’objectif des plaignants. []

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