#9 / Les graffitis de gangs comme marqueurs de rapports de force politiques sur le territoire. L’exemple de Compton (Californie).

Yohann Le Moigne

L’article de Yohann Le Moigne en PDF


Véritables phénomènes de société, les gangs de rue américains ont fait l’objet d’innombrables études. Étonnamment, les géographes ont été traditionnellement peu présents dans ce domaine de recherches, ce qui a laissé le champ libre aux sociologues et aux anthropologues qui se sont concentrés prioritairement, dans un premier temps, sur les facteurs socio-économiques contribuant aux processus collectifs de formation des gangs, avant de s’intéresser aux processus individuels d’adhésion à un gang (Vigil, 1988 ; Klein, 1995 ; Huff, 2002 ; Maxson et al., 2013 ; Curry, Decker et Pyrooz, 2014). Pourtant, la territorialité est généralement considérée comme une caractéristique fondamentale des gangs. Cela implique que leurs activités sont concentrées à l’intérieur d’un territoire, que les frontières de ce territoire sont relativement clairement définies, que le territoire est défendu contre des gangs souhaitant en prendre le contrôle ou même s’y aventurer, et que la majorité des membres du gang et leurs familles vivent à l’intérieur de ce territoire (Miller, 1975). Ce rapport au territoire permet de matérialiser le pouvoir et l’influence du gang, notamment grâce à l’existence de frontières délimitant ce qui lui « appartient » et ce qui ne lui appartient pas (Sack, 1986 ; Klein et Maxson, 2006). Cette matérialisation s’effectue bien souvent par le biais de graffitis, omniprésents sur les murs (et l’ensemble du mobilier urbain) des villes et des quartiers comptant un nombre important de gangs (Alonso, 1998 ; Phillips, 1999).

Cet article se propose d’analyser la fonction des graffitis de gangs, leur rôle dans les rivalités de pouvoir auxquelles se livrent les gangs de rue ainsi que les conséquences qu’ils peuvent avoir sur les conflits territoriaux. Nous nous appuierons pour ce faire sur un travail de terrain d’une durée cumulée de 16 mois réalisé entre 2009 et 2015 dans l’agglomération de Los Angeles1, et plus particulièrement dans la ville de Compton, un des hauts lieux des gangs modernes2.

Nous insisterons, d’une part, sur le fait que les graffitis de gangs, en contribuant à la matérialisation des frontières des territoires ainsi qu’en mettant en lumière des rivalités et des alliances, constituent une ressource précieuse pour la compréhension des rivalités de pouvoir, mais aussi des rapports de force sur le territoire. D’autre part, nous montrerons que les relations de pouvoir révélées et influencées par ces graffitis s’inscrivent dans un cadre politique, distinct du système politique de la société dominante, au sein duquel les notions de respect et de réputation sont fondamentales.

Représenter le gang et délimiter les frontières territoriales

Depuis l’ouvrage classique de Frederic Thrasher (1927) et le développement des premières études sur les gangs au début du XXe siècle, la littérature s’est grandement étoffée, notamment dans les années 1950 et 1960, puis 1980 et 1990, avec la diffusion et l’importance grandissante des gangs dans différentes régions du pays.

Cette littérature a permis de forger un consensus autour de la définition de ce qu’est un gang de rue : il s’agit d’un groupe essentiellement composé d’adolescents ou de jeunes adultes originaires d’un même quartier qui partagent une identité associée à un nom et souvent à d’autres symboles comme des codes vestimentaires ou des couleurs. C’est un groupe pérenne qui possède un faible degré d’organisation et est impliqué dans des activités criminelles sur un territoire relativement bien circonscrit. Dans le contexte étatsunien, cette dimension territoriale implique que, dans la majorité des cas, les gangs de rue sont racialement homogènes.

Dans l’agglomération de Los Angeles, la très grande majorité des gangs sont africains-américains et latinos. La ville de Compton, une municipalité de 100 000 habitants située au cœur de cette agglomération, à quelques centaines de mètres au sud de l’ancien ghetto africain-américain de Watts, ne déroge pas à la règle. Connue comme la Mecque du gangsta rap et la capitale étatsunienne du crime dans les années 1990, elle compte aujourd’hui environ 55 gangs, dont environ 35 sont noirs et environ 20 sont latinos (Le Moigne, 2016). Par ailleurs, avec 22 gangs crips, 13 gangs bloods3 et 20 gangs latinos, elle est la ville de l’agglomération de Los Angeles dont le rapport de force entre les trois types de gangs majeurs est le plus équilibré.

La carte ci-dessous représente la localisation des gangs situés à Compton et dans son voisinage immédiat.

1. Géographie des gangs de Compton en 2012 (Le Moigne, 2015)

Cette carte illustre notamment la grande densité des gangs sur le territoire de Compton. Ils se partagent parfois un même territoire, ce qui implique un niveau de contact très important entre membres de gangs différents et entre membres de gangs de groupes ethno-raciaux différents.

Des décennies de recherches sociologiques et anthropologiques ont montré que l’appartenance à un gang permet de s’entourer d’une famille de substitution et de compter sur un groupe de soutien à la fois physique, émotionnel et économique dans un environnement social extrêmement hostile. Mais il s’agit également d’un moyen de représenter un quartier, un groupe doté d’une histoire et d’une identité particulières, et, ce faisant, de montrer à vos homeboys4 ainsi qu’à vos ennemis qui vous êtes et ce pour quoi vous vous battez (Phillips, 1999). Représenter son gang – par le biais d’actions violentes, de tatouages, d’une tenue vestimentaire spécifique ou de graffitis – permet à la fois d’œuvrer pour la réputation du groupe et d’acquérir une reconnaissance personnelle. Il est donc implicitement attendu de chaque membre qu’il représente le gang d’une façon ou d’une autre. Cela implique que les graffitis de gangs font partie intégrante du paysage urbain dans les villes et les quartiers comptant un nombre important de gangs. Pionniers des recherches sur les graffitis, les géographes David Ley et Roman Cybriwsky (1974) ont identifié deux types de graffitis de gangs dans une étude importante effectuée à Philadelphie : des graffitis insistant sur une affirmation positive d’une appartenance à un gang ou de la supériorité d’un gang (assertive graffiti), et des graffitis agressifs (aggressive graffiti) qui constituent des défis lancés à des gangs rivaux. Plus de vingt ans plus tard, l’anthropologue Susan Phillips (1999) identifiait quatre types de graffitis de gangs (qui s’insèrent plus ou moins dans les deux catégories de Ley et Cybriwsky) dans une étude qui a fait date sur les gangs de Los Angeles : les hit ups (pratique qui consiste à faire la promotion d’un gang), les cross outs (la dégradation de graffitis promouvant un gang rival), les roll calls (graffitis énumérant tout ou partie des membres d’un gang) et les RIPs (acronyme de Rest In Peace, des graffitis rendant hommage aux membres d’un gang décédés).

L’étude de la territorialisation des gangs passe donc largement par un décryptage de la grammaire des interventions graphiques en ville. Ce qui suit s’appuie sur les cadres développés par Ley, Cybriwsky et Phillips pour analyser les différents éléments de cette grammaire et permet notamment, grâce à l’enquête de terrain, d’en identifier des caractéristiques locales liées à la géographie des gangs de Compton.

Dans les années 1980 et 1990, les faibles effectifs de la police de Compton et les moyens limités de la municipalité combinés au nombre très élevé de membres de gangs eurent pour conséquence de voir les graffitis fleurir sur les murs de la ville. À l’époque, le manque de pression policière et l’explosion de la culture des gangs permettaient aux membres de gangs de réaliser des graffitis assez chargés comprenant beaucoup d’informations, comme sur la photographie ci-dessous, mise à ma disposition par Hourie Taylor (chef du Compton Police Department de 1992 à 2000).

2. Gang roll call (Taylor, 1987)

Ce graffiti, réalisé sur un bâtiment vacant, constitue un bon exemple de roll call. Si cette composition est vraisemblablement l’œuvre d’un membre de gang crip énumérant une bonne partie des membres actifs de son gang, le cadrage de la photographie ne permet pas de déterminer avec certitude de quel gang il s’agit.

Le remplacement en 2001 de la police municipale (le Compton Police Department) par les services du comté de Los Angeles (le Los Angeles County Sheriff’s Department – LASD – doté de moyens humains et financiers largement plus importants), la mise en place de programmes anti-graffitis par la municipalité et surtout le nombre important d’homicides perpétrés pendant la réalisation de graffitis durant les années 1980 et 1990 ont entraîné une forte réduction du nombre de graffitis dans les rues, mais également du temps passé à les réaliser. Aujourd’hui, représenter son gang avec un graffiti s’apparente plutôt à une rapide signature réalisée « à la va-vite ». Une grande partie des graffitis observés dans les rues de Compton correspondent aux hit ups identifiés par Phillips (1999), ces graffitis destinés à la fois à la promotion d’un gang et à la revendication d’un territoire. Les trois photographies ci-dessous en sont des illustrations.

3. Gang hit ups (Le Moigne, 2011)

La première, en haut à gauche, laisse apparaître le nom du gang, Compton Varrio 3 (CV3), un gang latino du Nord de la ville, ainsi que le nom de l’auteur du graffiti (Mono) et la clique5 à laquelle il appartient (BGS, pour Baby Gangsters). La flèche orientée vers le bas, que l’on retrouve sur les deux autres photographies, indique que le gang revendique le territoire sur lequel a été effectué le graffiti comme le sien. Sur la deuxième photographie figure un graffiti des Lantana Blocc Compton Crips (LBCC), un gang noir du Sud-Ouest de la ville, et sur la troisième, un graffiti du gang Compton Varrio 124st Street (CV124), un gang latino du Nord de la ville, sur lequel apparaissent les noms de quatre membres : Miner, Nano, Eazy et Mugsy. Ces graffitis sont effectués sur des murs, des maisons abandonnées, du mobilier urbain mais également des arbres, des trottoirs et parfois même directement sur le sol, comme en témoignent les photographies suivantes.

4. Graffitis de gangs sur des supports variés (Le Moigne 2009, 2012 et 2013)

Le premier graffiti, en haut à gauche, a été réalisé par un membre des CV3. Le deuxième, en haut à droite, a été réalisé par un membre des South Side Compton Crips, un gang noir du Sud de la ville. Sur la troisième photographie, on distingue une série de graffitis réalisés sur une maison vacante par un ou plusieurs membres des Compton Varrio Tortilla Flats (CVTF), un gang latino du Nord de la ville.

Traditionnellement, les gangs latinos de la région de Los Angeles ont accordé une plus grande importance à l’esthétique de leurs graffitis que les gangs africains-américains, en effectuant notamment un important travail sur le lettrage. L’usage de la police Old English est, par exemple, devenu un élément caractéristique des graffitis de gangs latinos dans les années 1970 (Phillips, 1999)6. À Compton en revanche, comme dans de nombreux quartiers de South Central Los Angeles7, la densité de gangs est tellement importante que leurs membres n’ont pas le temps d’accorder un trop grand soin à leurs réalisations. Les graffitis sont destinés à être vus, ce qui signifie que leurs auteurs prennent souvent des risques importants en les réalisant, en particulier à proximité d’artères très passantes de la ville. Produire ce type de graffitis implique donc d’être à découvert et à la merci des membres de gangs rivaux et de la police. Par conséquent, dans un contexte aussi spécifique que celui de Compton, les auteurs de graffitis de gangs font en sorte de n’être vulnérables que durant un temps très réduit, ce qui a une influence sur leurs compositions.

5. Simplicité typographique des graffitis de gangs (Le Moigne, 2011).

Les photographies ci-dessus illustrent la grande simplicité typographique commune aux graffitis de gangs noirs et latinos de Compton. La première représente l’œuvre d’un membre des Tree Top Pirus, un gang africain-américain du Nord de la ville, qui n’a eu pour seul objectif que de rendre visible le nom de son gang, sans stylisation ou ornementation particulières. La seconde représente un graffiti réalisé par un membre des CV Lokos 13, un gang latino voisin des Tree Top Pirus. La composition contient une référence aux membres de ce gang (CV Lokeros 13), suivie d’un « R » signifiant « Rifa » – un terme de l’argot mexicain-américain fréquemment utilisé par les gangs latinos pour indiquer qu’ils contrôlent le territoire en question – et des surnoms de quatre membres du gang. Si l’on remarque dans ce deuxième graffiti une légère tentative de se démarquer du style simpliste des graffitis effectués par les gangs noirs, les effets de style apportés par son auteur n’ont cependant rien à voir avec la sophistication des graffitis de gangs latinos qui pouvaient fréquemment être observés dans les années 1970-1980 et que l’on observe toujours aujourd’hui sur certains territoires ayant une densité de gangs beaucoup moins élevée. Au cours des seize mois passés sur le terrain, je n’ai eu l’occasion de voir un graffiti de gang latino réalisé en style Old English qu’à une seule reprise (voir figure 6).

6. Un exemple rare de graffiti Old English dans une rue de Compton (Le Moigne, 2009)

Ce graffiti, qui représente le nom du gang CV3 (CV Tres), a été réalisé dans le cœur du territoire du gang, et plus particulièrement dans une rue où le niveau d’activité des membres du gang est extrêmement élevé, ce qui signifie que peu de membres de gangs rivaux osent s’y aventurer8. L’auteur du graffiti a donc eu tout le loisir de s’appliquer.

Par ailleurs, les risques encourus lors de la réalisation des graffitis contraignent leurs auteurs à n’opérer, la plupart du temps, que sur le territoire revendiqué9 par leur gang. Plus généralement, la grande densité de gangs à Compton implique que les membres de gangs ont un horizon géographique limité et ne peuvent pas se déplacer librement dans la ville, au risque de tomber nez à nez avec des membres de gangs rivaux. Il est donc nécessaire pour eux de savoir exactement sur quel territoire ils se trouvent à tout moment. Beaucoup de jeunes résidents de Compton, membres de gangs ou non, m’ont évoqué la nécessité d’utiliser, au quotidien, une carte mentale des territoires de gangs, comme si cela faisait partie d’un kit de survie en milieu hostile. Dans ce contexte, les graffitis de gangs contribuent également à délimiter le contrôle que les gangs prétendent exercer sur un territoire qu’ils s’approprient, et donc à découper l’espace urbain ainsi qu’à marquer des frontières, comme l’illustre de façon symbolique la photographie ci-dessous.

7. Le marquage territorial des Santana Blocc Compton Crips (Taylor, 1987)

Sur ce graffiti réalisé aux environs de 1987, les Santana Blocc Compton Crips (un gang noir du Nord de la ville) marquent l’entrée de ce qu’ils considèrent comme leur territoire et préviennent les « étrangers » souhaitant s’y aventurer qu’ils le font à leurs risques et périls (« Welcome to Santana Blocc. Enter at your own risk »). Au-delà de la promotion de son gang (volontairement présenté comme un gang dangereux) et de la matérialisation d’une frontière territoriale, l’auteur (O.B.G Mike) envoie plusieurs messages aux principaux rivaux des Santana Blocc et plus globalement à l’ensemble des Pirus (le nom générique donné à l’ensemble des gangs bloods de Compton). Le graffiti contient notamment l’inscription « 1# Piru Killa » qui présente les Santana Bloccs comme les principaux tueurs de Pirus. Cette pratique constitue une autre fonction importante des graffitis de gangs que nous allons aborder maintenant : la mise en lumière de l’état des rivalités de pouvoir à un instant t entre les différents gangs de la ville.

Un instantané de l’état des rivalités de pouvoir

Exposer les alliances et le mépris pour les rivaux

Les interactions entre gangs sont faites d’indifférence, de rivalités et d’alliances. Les relations sont très fluctuantes et peuvent littéralement évoluer du jour au lendemain. Comme les frontières des territoires, les alliances et les rivalités sont visibles sur les murs.

Les alliances sont un type de relations entre gangs rarement analysé. La plupart d’entre elles n’ont d’alliance que le nom et constituent en réalité une sorte de pacte de non-agression. Les membres des gangs concernés se respectent, ne se « testent » pas lorsqu’ils se rencontrent, et organisent parfois même des rencontres de baseball ou de football américain. Mais dans certains cas, les liens sont plus étroits. Les Carver Park Compton Crips et les Mona Park Compton Crips, deux gangs voisins du Nord de la ville, ont développé une relation très forte depuis de nombreuses années, parce qu’ils sont « encerclés par [leurs] ennemis » (entretien avec un membre des Mona Park Compton Crips, 13 juin 2011). Dans ce cadre, les deux gangs s’entraident mutuellement, humainement et matériellement, en cas de conflit avec un autre gang. Une autre alliance, composée de trois gangs voisins, a atteint un niveau d’entente encore supérieur, puisqu’elle tend aujourd’hui à être considérée comme un seul et unique gang. Les Acacia Blocc Compton Crips (ABCC), Spook Town Compton Crips (STCC) et Farm Dog Compton Crips (FDCC), trois gangs noirs du Sud de la ville, ont formé l’alliance connue sous le nom d’ATF (A pour Acacia, T pour Town et F pour Farm). Ces trois gangs réunis constituent un des ensembles les plus importants de la ville, avec près de 150 membres actifs.

8. L’alliance ATF sur les murs de Compton (Le Moigne, 2011)

Les graffitis ci-dessus illustrent l’alliance entre les trois gangs. À gauche, leurs initiales (STCC, ABCC et FDCC) ont été disposées l’une sous l’autre, à gauche d’une flèche orientée vers le bas surmontée d’un « my hood » (abréviation de « my neighborhood », mon quartier). Sur la photo de droite, l’alliance ATF revendique un territoire sur lequel elle coexiste, plus ou moins pacifiquement, avec les CV BKM.

La géographie particulière des gangs de Compton fait que les contacts, et donc les tensions potentielles entre gangs, sont très nombreux. Comme souvent dans ce genre de contexte, la plupart des rivalités apparaissent entre gangs voisins, autour des zones de frictions que constituent les frontières de territoires (Ley et Cybriwsky, 1974 ; Brantingham et al., 2012).

Les rivalités peuvent se déclencher pour diverses raisons. Il s’agit le plus souvent d’une altercation entre deux individus qui dégénère et implique l’ensemble des groupes, ce qui entraîne, selon les effectifs en présence, une escalade de la violence plus ou moins importante. Les gangs ont différentes façons d’afficher leurs rivalités, et par là même d’exposer au monde leur mépris pour leurs rivaux. La plus simple consiste à rayer un graffiti préalablement réalisé par un gang rival, ce qu’on appelle le crossing out. Sur la photo ci-dessous, un membre des CVTF a rayé un graffiti effectué par un membre des TTP, avec qui ils partagent une partie de leur territoire.

9. Un cross out réalisé par un membre des Compton Varrio Tortilla Flats (Le Moigne, 2012)

Les gangs peuvent également employer une symbolique plus complexe, comme dans l’exemple ci-dessous. Ici, un membre des TTP fait la promotion de son gang sur son propre territoire, tout en s’attaquant à ses rivaux. Il revendique à la fois la supériorité de son gang et de l’ensemble des Pirus en positionnant le chiffre « 1 » à l’intérieur du « P », et il annonce à la fois que les TTP revendiquent leur statut d’ennemis mortels des Crips et des CVTF en écrivant « CK » et « TFK », respectivement pour « Crips Killers » et « Tortilla Flats Killers », tout en rayant le « C » et le « TF », comme pour leur manquer doublement de respect.

10. Graffiti agressif réalisé par un membre des Tree Top Pirus (Le Moigne, 2011)

Une autre pratique courante consiste à moquer un gang rival en lui attribuant un surnom ridicule plus ou moins proche de son véritable nom. Sur la photographie de gauche ci-dessous, les Tree Top Pirus s’attaquent aux CVTF, qu’ils surnomment Tuna Fish (les thons). Ils s’attaquent également à l’ensemble des Crips de Compton en ajoutant un « c » au mot « Fuck », « cck » signifiant ici « Compton Crips Killers ». Sur la photographie de droite, les Compton Varrio Segundos (CVS) contestent la revendication territoriale des Lime Hood Pirus (LHP), qui ont pointé une flèche vers le bas, et s’attaquent à l’ensemble des Bloods et Pirus en inscrivant « slobk », pour « tueur de slob » (slob étant un terme dégradant désignant une femme peu attirante, utilisé comme une insulte envers les Bloods).

11. Le graffiti comme vecteur de dénigrement des rivaux (Le Moigne, 2011)

Adaptation des graffitis à la recomposition des conflits

Traditionnellement, du fait des processus historiques de formation des gangs spécifiques à chaque groupe ethno-racial et de la ségrégation raciale qui maintenaient Noirs et Latinos globalement séparés dans l’agglomération de Los Angeles (Moore, 1978 ; Vigil, 1988 ; Alonso, 2004), les rivalités entre gangs ont toujours été principalement intraraciales. En théorie, les rivalités les plus intenses opposent les gangs bloods aux gangs crips, d’une part, et les gangs Latinos entre eux, d’autre part.

Au fil des années cependant, ces rivalités ont évolué. La maxime des membres de gangs peut être résumée comme suit : « we’re the best, fuck the rest ». Chaque gang cherche à défendre sa réputation et son nom, à être celui qui sera perçu comme le plus violent et le plus puissant. Il n’y a donc pas de raison de faire de sentiments envers d’autres gangs et les alliances construites de toutes pièces ne tiennent pas. Alors que dans les années 1980 et 1990, l’opposition Bloods/Crips était une véritable institution, son caractère automatique et primordial s’est petit à petit érodé et les frontières entre les deux types de gangs se sont montrées de plus en plus poreuses.

En parallèle, l’unité respective des Bloods et des Crips s’est délitée. Si cette tendance était apparue relativement rapidement chez les Crips, dont l’expansion rapide au début des années 1970 rendait quasiment impossible le maintien d’une unité totale, elle s’est renforcée dans les années 1990 et 2000 et a également commencé à toucher les Bloods et les Pirus. En 2009, par exemple, un membre des Mob Pirus (un gang du Nord-Est de Compton) tua un des leaders des Lueders Park Pirus (LPP), un autre gang Piru situé immédiatement au sud. Alors que les deux gangs entretenaient auparavant d’excellentes relations, ils sont depuis entrés dans un conflit extrêmement violent. Les LPP ont rapidement reçu le concours d’un autre gang piru des environs, les Cross Atlantic Pirus (CAP), avec qui ils se sont alliés pour lutter contre les Mob. Dès lors, les LPP et les CAP ont commencé à afficher leur alliance contre les Mob sur les murs de leurs territoires respectifs, comme sur la photographie ci-dessous.

12. L’alliance des LPP et des CAP contre les Mob Pirus (Le Moigne, 2011)

L’inscription « ES LPP x CAP MOBk », sur la gauche, indique que les East Side Lueders Park Pirus sont associés aux Cross-Atlantic Pirus dans leur rivalité contre les Mob Pirus (le « MOBk » au milieu de la composition indique que les LPP et les CAP se revendiquent officiellement « tueurs de Mob »). Cela complète l’autre partie du graffiti qui consiste en une revendication territoriale des CAP (on aperçoit une flèche pointée vers le bas) ainsi qu’une déclaration de guerre aux Mob (« MOB187 », 187 étant la section du code pénal californien se référant au meurtre).

Si les rivalités ont traditionnellement été intraraciales, le milieu des années 1990 a été marqué, à Compton comme dans le reste du centre de l’agglomération de Los Angeles, par un accroissement des tensions entre gangs noirs et latinos (Umemoto, 2006 ; Le Moigne, 2013, 2016). Les graffitis ont rapidement reflété ces évolutions, comme l’illustrent les quatre photographies ci-dessous.

13. Exemples de graffitis racistes réalisés par des membres de gangs latinos (Le Moigne, 2009, 2011)

Le graffiti représenté sur la première photographie, en haut à gauche, est l’œuvre d’un membre des CVTF faisant la promotion de son gang en insultant les « nègres » (terme qu’il a d’ailleurs mal orthographié). Il fut réalisé sur une des artères principales de la ville à la vue des milliers d’automobilistes l’empruntant chaque jour. Le deuxième, en haut à droite, est également l’œuvre d’un membre des CVTF. On peut y lire « CV T-Flats ↓ PK CK NK », le « PK » signifiant « Piru Killers » (tueurs de Piru), le « CK » signifiant « Crip Killers » (tueur de Crip), et le « NK » signifiant « Nigger Killers » (tueurs de nègre). La troisième photographie représente encore un graffiti réalisé par un membre des CVTF. On peut y apercevoir un graffiti des TTP barré, à côté duquel ont été inscrits « PK » (Piru Killers) et « NK » (Nigger Killers). Le dernier graffiti, plus sobre, consiste simplement en un « NK » inscrit au-dessus du porche d’une maison par un membre des CV3.

Cette pratique se répandit au même moment dans la plupart des zones ayant connu des changements démographiques impliquant l’arrivée massive d’une population latino dans des quartiers auparavant majoritairement noirs. Les gangs latinos concernés devinrent connus comme étant des « gangs NK » et la pratique s’institutionnalisa au fil des années, générant une augmentation sensible de la défiance et de la haine entre gangs noirs et latinos dans certains quartiers.

En réaction, comme le montre la photographie ci-dessous, certains membres de gangs noirs se mirent également à réaliser des graffitis racistes, mais dans une proportion largement moins importante cependant.

14. Exemple rare de graffiti raciste réalisé par des membres de gangs noirs (Alonso, 2005, http://www.streetgangs.com/bloods/compton/mobpiru#sthash.GG2uOlWM.dpbs)

Ce graffiti fut réalisé par des membres des Mob Pirus en 2005, année au cours de laquelle les tensions entre gangs noirs et latinos étaient à leur comble (Le Moigne, 2016). On peut y lire des affronts classiques comme le « CK » destiné aux Crips, ou des attaques contre les ennemis principaux du gang à l’époque : CV3K, SBCK (Santana Blocc Crips Killers), POGCK (Palm and Oaks Gangster Crips Killers ; les POGC sont un gang de la ville voisine de Lynwood). Ils revendiquaient même le fait de n’avoir que des ennemis en inscrivant, dans la partie supérieure droite du graffiti « Whoeva Killa » (« tueur de qui que ce soit »). Mais ce qui constituait une évolution majeure par rapport aux décennies précédentes, c’était la dimension ethnique de ce graffiti caractérisée par l’inscription : « Fuck wet backs », en référence aux immigrés mexicains10.

Une autre fonction importante des graffitis de gangs est donc de mettre en lumière les alliances mais aussi, et surtout, les rivalités entre gangs, notamment par le recours à l’insulte visant les gangs rivaux. Par conséquent, les graffitis permettent aux résidents ainsi qu’aux observateurs (policiers inclus) d’être tenus informés de l’état des rivalités de pouvoir et des rapports de force sur le territoire, rendant ainsi visible ce que les membres de gangs appellent « gang politics » et qui désigne l’ensemble des pratiques leur permettant de négocier les relations de pouvoir sur le territoire. Dans ce cadre, les graffitis ont également pour conséquence d’attiser les tensions entre gangs rivaux (parfois même les tensions interraciales) et de contribuer directement à l’augmentation de la violence (notamment lorsque plusieurs gangs se disputent une même portion de territoire et entrent en concurrence pour le contrôle symbolique de l’espace public). En effet, si les graffitis sont la plupart du temps réalisés à l’intérieur des territoires revendiqués par les gangs, un certain nombre d’entre eux sont effectués aux frontières de ces territoires, qui sont souvent des zones grises contestées par plusieurs gangs. L’objectif des auteurs de ces graffitis étant de faire en sorte que la promotion de leur gang et les attaques portées à l’encontre des gangs rivaux soient visibles du plus grand nombre, ils sont parfois amenés à prendre des risques en allant « au contact » avec leurs rivaux.

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Exacerbation des tensions et implication des pouvoirs publics

Les graffitis, en particulier dans leurs formes les plus agressives, jouent un rôle important dans le maintien des tensions car ils constituent un acte de défiance et d’irrespect envers un gang rival, a fortiori lorsqu’ils sont réalisés sur le territoire de ce gang. Chaque graffiti agressif appelle une réponse similaire du gang visé, et comme de nombreux homicides sont perpétrés au cours de sessions de graffitis, qui impliquent que leurs auteurs soient à découvert, il importe pour les pouvoirs publics de contrôler la quantité de graffitis visibles afin d’éviter l’exacerbation de la haine entre les gangs rivaux et une escalade de ce genre de prise de risque. Jusqu’en juin 2011, la municipalité de Compton octroyait des contrats lucratifs à deux associations pour l’enlèvement des graffitis : Change (gérée par des Africains-Américains) et Urban Graffiti (gérée par des Latinos). Mais les énormes difficultés budgétaires de la ville ont eu raison de ces contrats.

15. L’enlèvement des graffitis : un enjeu doublement politique (Le Moigne, 2011, 2012)

Les services municipaux ont donc dû reprendre le flambeau (voir figure 15) alors que les coupes budgétaires et les diminutions d’effectifs rendaient le maintien d’un nombre acceptable de graffitis totalement utopique. Au cours de l’été 2011, ils fleurirent sur les murs de la ville (voir figure 16), ce qui lui redonna l’aspect menaçant qui la caractérisait dans les années 1980 et 1990 et augmenta à nouveau la perception d’une ville gangrenée par les gangs, renforçant de ce fait la probabilité de voir les investisseurs et les résidents potentiels fuir une ville déjà en grande difficulté au niveau socio-économique.

16. Murs recouverts de graffitis à l’été 2011 (Le Moigne, 2011)

L’analyse des graffitis de gangs est d’une grande utilité pour comprendre les rapports de force qui structurent le territoire dans les villes et les quartiers concernés par ces phénomènes. Ces inscriptions, parfois très sommaires, permettent à leurs auteurs de faire la promotion d’un gang et contribuent, par là même, à la matérialisation d’un territoire bien délimité (bien que souvent contesté) et de « lignes de front » sur lesquelles est perpétrée la majorité des violences (mortelles ou non) entre gangs rivaux.

De plus, les graffitis de gangs mettent publiquement en lumière des alliances mais surtout des rivalités qui, dans un contexte de raréfaction des ressources, sont souvent liées à des question de prestige et de respect (Klein, 1995 ; Phillips, 1999 ; Vigil, 2007 ; Curry, Decker et Pyrooz 2014). Par conséquent, le paysage visuel de la ville de Compton ainsi que les conflits afférents à son contrôle donnent à voir la dimension politique des gangs – une dimension souvent mise de côté dans les nombreuses recherches menées sur les graffitis qui ont abouti au développement de typologies distinguant très nettement « graffitis politiques » et « graffitis de gangs » (Halsey et Young, 2002 ; McAuliffe et Iveson, 2011). Entre revendication territoriale et affichage du mépris envers les gangs rivaux, ces graffitis inscrivent en effet leurs auteurs, et par extension l’ensemble de leurs groupes, dans un système politique local, parallèle au système politique « légitime » de la société dominante, au sein duquel se négocient des relations de pouvoir entre groupes et individus marginalisés (Vigil, 1988 ; 2007).

La production de graffitis par les gangs leur permet donc de s’approprier symboliquement un territoire qu’ils ne contrôlent que très partiellement et qu’ils partagent par ailleurs avec des résidents qui ne maîtrisent pas toujours les codes de ce système politique alternatif. Si les gangs n’entretiennent généralement pas de rapports directs avec le milieu politique « légitime », ces deux systèmes politiques peuvent parfois entrer en confrontation, notamment lorsque les pouvoirs publics interviennent pour reprendre le contrôle du paysage visuel urbain et l’expurger de tout ce qui pourrait nuire au développement économique et à la réputation de la ville ou du quartier concerné. Dans le cas de Compton, la maire Aja Brown, une jeune urbaniste élue en 2013 et réélue en avril 2017, déclarait peu après sa première élection vouloir faire de Compton « le nouveau Brooklyn ». Mais cette volonté de gentrifier une ville dont la réputation a été ternie par des décennies de rivalités meurtrières entre gangs ainsi que par l’avènement du gangsta rap (dont Compton est la capitale mondiale (Le Moigne, 2011)) est particulièrement mise à mal par le rappel constant, exercé par les graffitis de gangs, de la présence d’une criminalité institutionnalisée. Par conséquent, les programmes municipaux d’enlèvement des graffitis participent de la volonté des pouvoirs publics de réaffirmer le pouvoir de l’ordre social « légitime » et de limiter le potentiel de nuisance d’un système politique concurrent que les graffitis rendent trop visible.

YOHANN LE MOIGNE

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Yohann Le Moigne est maître de conférences en civilisation américaine à l’Université d’Angers et membre du Laboratoire Langues, Littératures, Linguistique des universités d’Angers et du Maine (3L.am). Ses recherches portent sur la question ethno-raciale aux États-Unis, en particulier dans les domaines des gangs et de la politique locale.

Yohann.lemoigne AT univ-angers DOT fr

Couverture : un graffiti du gang CV 155 sur lequel on peut lire CV 155 ST (Compton Varrio 155th Street), TLS et MDS (pour Tiny Locos et Malditos, deux des cliques qui composent le gang), PK (pour Piru Killers, en référence aux gangs Pirus de Compton), AK (pour Alondra Killers, en référence au gang rival CV Alondra 13) ainsi que le surnom de trois membres du gang (Ant, Stomps et Strangr) (Le Moigne, 2011)

Bibliographie

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Vigil, J., 1988, Barrio Gangs : Street Life and Identity in Southern California, Austin, University of Texas Press, 220 p.

Vigil J., 2007, The Projects : Gang and Non-Gang Families in East Los Angeles, Austin, University of Texas Press, 256 p.

  1. Cette immersion longue sur le territoire d’étude m’a notamment permis de m’impliquer dans plusieurs associations locales composées en grande partie d’anciens membres de gangs reconvertis en travailleurs sociaux et de développer un réseau grâce auquel j’ai pu rencontrer des dizaines de membres de gangs. Par ailleurs, les photographies qui illustrent cet article ont été prises dans le cadre de cette enquête de terrain, sans prise de risques particulière dans la mesure où, comme nous le verrons plus loin, les gangs n’exercent pas de contrôle uniforme sur leur territoire. Leurs membres ne sont donc pas présents physiquement en tout lieu et à toute heure. []
  2. Au début des années 1990, le taux d’homicide de la ville de Compton était le plus élevé du pays. En 1991 par exemple (année particulièrement meurtrière durant laquelle 87 homicides furent commis), il était plus de trois fois supérieur à celui de Los Angeles, ville qui était pourtant considérée comme le ground zero des gangs modernes aux États-Unis (Le Moigne, 2016). Le nombre d’homicides a largement diminué depuis les années 2000 mais il reste toujours très élevé. En 2016, 43 homicides ont été perpétrés à Compton, la grande majorité dans le cadre de rivalités entre gangs, ce qui portait le taux d’homicide à 43,9 pour 100 000 habitants, un chiffre près de six fois supérieur à celui de la ville de Los Angeles (sources : 2016 crime statistics, Los Angeles Police Department ; 2016 crime and arrest statistics, Los Angeles County Sheriff’s Department). []
  3. Les Crips et les Bloods sont les deux types de gangs africains-américains de la région de Los Angeles. Voir Alonso (1999) pour plus de détails. []
  4. Le terme homeboy et son diminutif homie désignent les garçons du quartier et par extension les camarades au sein d’un gang. []
  5. Les cliques sont des sous-groupes, créés sur des bases générationnelles ou géographiques, à l’intérieur des gangs (Klein et Maxson, 2006). []
  6. L’ouvrage de Chastanet et Gribble (2009) regorge, à ce propos, de superbes photographies illustrant les évolutions de style dans le graffiti des gangs latinos. []
  7. South Central Los Angeles est le ghetto africain-américain historique de la ville de Los Angeles. Il est situé immédiatement au nord de Compton et abrite une grande partie des quelques 400 gangs actifs existant à Los Angeles. []
  8. Si la plupart des altercations et des homicides se produisent à proximité des frontières des territoires revendiqués par les gangs, là où les opportunités de contact entre membres de gangs rivaux sont les plus nombreuses, il arrive que des membres de gangs s’enfoncent plus profondément à l’intérieur du territoire d’un gang rival, notamment pour y commettre des drive-by shootings (des coups de feu tirés depuis une voiture en mouvement et visant des membres de gangs rivaux marchant dans la rue ou réunis à un endroit qu’ils fréquentent habituellement). []
  9. Les membres de gangs ne contrôlent jamais véritablement leur territoire. Ils se représentent ce territoire comme leur appartenant, qu’ils l’occupent de manière active ou non. C’est la raison pour laquelle j’utilise l’expression « territoires revendiqués » plutôt que de considérer ces territoires comme des réalités objectives et des zones uniformément contrôlées. Cela implique que les zones situées à la frontière de plusieurs territoires sont souvent contestées et revendiquées par différents gangs. []
  10. Le terme « wetback » (littéralement « dos mouillé ») fait référence, de façon très péjorative, aux immigrés sans-papiers mexicains. Il est apparu dans les années 1920 pour désigner les Mexicains qui gagnaient les États-Unis en traversant le Rio Grande. []

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