Lu / Penser la métropole post-carbone et parvenir à la mettre en oeuvre ?
Inès Baudry
Le Lu d’Inès Baudry au format PDF
Alain Bourdin est professeur à l’École d’Urbanisme de Paris, sociologue et urbaniste. Il dirige la Revue Internationale d’Urbanisme et est membre du conseil stratégique du POPSU1. Penser la métropole post-carbone et la faire est un court ouvrage de 70 pages édité par le PUCA2 en 2020. Comme le précise Hélène Peskine (secrétaire permanente du PUCA) dans l’avant-propos, il s’agit pour l’auteur de poser le débat autour de la métropole post-carbone et d’ouvrir des pistes de recherche à partir de son travail d’exploration du sujet. Ce travail est basé sur les publications existantes sur le sujet ; sur une étude réalisée par Pauline Silvestre auprès de structures opérant dans le domaine de la prospective des métropoles ; ainsi que sur les entretiens menés avec treize personnalités du monde de la recherche et de l’expertise.
Alain Bourdin l’écrit lui-même (p. 17), la démarche proposée à travers cet ouvrage vise à servir trois objectifs : identifier une série de questions autour desquelles mobiliser afin de rassembler les connaissances sur l’avenir des métropoles et la manière dont on s’organise pour le penser ; identifier des partenaires ayant des préoccupations proches dans d’autres contextes nationaux ; faire des propositions concernant le rôle que peut jouer le PUCA pour la stimulation de la production de connaissances dans ce domaine.
Ainsi, malgré ce que peut laisser penser le titre qui parle de « faire » la métropole post-carbone, il s’agit bien d’un propos méthodologique qui est tenu tout au long du texte : comment penser la métropole post-carbone ? Comment s’organiser pour la mettre en œuvre ? Alain Bourdin propose au lecteur une base solide pour saisir les enjeux de la conception de cette métropole et suggère des débuts de pistes à explorer pour sa mise en œuvre.
En structurant son propos en trois parties, Alain Bourdin permet au lecteur d’identifier pas à pas les problématiques inhérentes au sujet de la métropole post-carbone : « Penser des objectifs urbains ou des modèles de métropole » ; « Des méthodes à réinventer ? » ; « Repenser les domaines d’intervention ». En introduction, l’auteur rappelle que les questions liées à la transition énergétique et écologique sont déjà présentes dans les travaux menés par les métropoles françaises, mais portent principalement sur des aspects opérationnels et sur le sujet de la ville intelligente. L’intégration de ces questions dans la manière de penser la ville n’est pas encore faite par les acteurs de terrain de la ville. Alain Bourdin souligne même une capacité limitée à penser l’avenir de la ville dans les métropoles, ce qui est d’autant plus dommageable que selon lui le modèle des grandes métropoles servira de référence à toutes les villes d’une certaine importance, en parallèle à des modèles pour les petites villes et les villes moyennes. Si Paris est la seule métropole de rang mondial en France, le propos développé vise à s’appliquer à toutes les métropoles du pays. Notons ici que malgré cette volonté, sur les treize personnes interrogées dans le cadre de cet ouvrage, seules cinq ne sont pas parisiennes (Mexico, Singapour, Toulouse, Grenoble et Strasbourg).
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D’abord, le point sur ce que font les villes
La première partie de l’argumentaire, « Penser des objectifs urbains ou des modèles de métropoles », explore la façon dont on pense actuellement l’avenir des villes. L’auteur pose ainsi la question des avantages et inconvénients des raisonnements par les objectifs, qui ont l’atout d’être mesurables mais mènent vite à la tyrannie des évaluations multicritères et des classements internationaux normatifs qui occultent l’aspect systémique des phénomènes naturels, sociaux et économiques qui président à l’organisation des villes. Pour sonder réellement ce que font les villes autrement que par les classements internationaux, plusieurs portes d’entrées sont possibles : les documents de planification ; les expérimentations ; les productions de l’imaginaire ; et les résultats de travaux scientifiques. L’étude menée ici par Alain Bourdin se concentre sur le contenu des démarches prospectives et leurs acteurs.
Dans la façon actuelle de concevoir l’avenir des villes, l’auteur identifie deux postures différentes : celle du réformisme et celle de la révolution. La posture réformiste consiste à transformer et faire évoluer le modèle existant quand la posture révolutionnaire vise à changer radicalement de modèle. On comprendra dans la suite du texte que pour Alain Bourdin c’est la posture révolutionnaire qui permettra d’atteindre les objectifs de la métropole post-carbone. Cependant, il souligne qu’à l’heure actuelle « on a très peu de choses à dire sur ce que sera la ville de demain [et on n’a] pas d’autre vision que celle de la ville actuelle, améliorée, retravaillée mais pas fondamentalement différente » (p. 25). Il s’agit là d’une posture réformiste.
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Ensuite, l’interrogation des méthodes de pensée
La seconde partie de l’ouvrage, « Des méthodes à réinventer ? », passe en revue les nombreuses méthodologies de fabrique de la ville qui seraient à réajuster. En introduction de cette partie, Alain Bourdin signale que « partout […] on peut avoir l’impression – non dénuée de sens – que la métropole de demain est celle qui se fait aujourd’hui. Du coup, il devient difficile de se projeter plus loin dans l’avenir » (p. 31). Pour réussir à développer de nouvelles méthodes de pensée sur la ville de demain, il est donc crucial d’être capables d’interroger le présent autrement. Dans ce sens, l’auteur propose six pistes de travail à explorer : privilégier les recherches ouvertes ; prendre au sérieux la question de l’imaginaire ; travailler sur les mots et les concepts ; faire une évaluation des classements de villes ; investir le secteur des signaux faibles ; comparer l’incomparable. Ces six pistes arrivent en conclusion de l’argumentaire précis qu’Alain Bourdin déroule au sujet de la méthodologie pour penser la ville. Pour des raisons évidentes de clarté, seuls certains éléments de cet argumentaire sont repris ici. Libre à celles et ceux dont la lecture de cet article aura éveillé la curiosité d’aller consulter le livre !
Le sujet des mots, du nom des choses et des concepts, apparaît comme central dans l’argumentaire développé. L’auteur rappelle que s’interroger sur l’avenir consiste à chercher de nouvelles perspectives et de nouveaux paradigmes (prospective de révolution), ce qui nécessite une connaissance fine du présent. Dès lors, la prospective doit être un travail de langage dont l’objectif est de nommer justement les choses pour les mettre en évidence et nous permettre de mieux connaitre le présent. C’est notamment crucial pour les éléments de rupture des modèles qui existent aujourd’hui mais que nous connaissons mal. L’un des interlocuteurs d’Alain Bourdin cite même Camus à ce sujet : « Mal nommer c’est ajouter du malheur au monde ». La coopération interdisciplinaire entre sciences dures et sciences sociales sur le sujet de la ville, nécessaire et pourtant si compliquée à mettre en place, ainsi que la déconstruction de concepts consensuels comme celui de la smart city figureraient parmi les bénéficiaires importants de ce travail de langage.
Par ailleurs, Alain Bourdin identifie, séparément, deux méthodes qu’il estime ne plus fonctionner : les classements et les scénarios. Nous prenons ici la liberté de les rapprocher. D’une part, les classements donnent l’illusion d’une synthèse transversale des connaissances sur les villes alors qu’ils ne servent ni plus ni moins qu’à mesurer le jeu concurrentiel entre elles. La connaissance sur les villes étant morcelée entre différents domaines qui ne communiquent pas entre eux, ce manque de transversalité empêche de développer une vision d’ensemble du présent comme de l’avenir, malgré lesdits classements. L’étude des tendances que reflètent les classements ne doit pas être une fin en soi, mais le point de départ pour donner du sens aux différences et aux éléments de rupture. D’autre part, la méthode des scénarios ne fait plus ses preuves. Alain Bourdin rapporte les propos de ses interlocuteurs qui expliquent que la phase de planification de l’action est terminée tandis que celle du projet commence à s’effacer. L’action publique se retrouve alors en situation d’incertitude et réagit par le développement de scénarios extrêmement normatifs, qu’elle espère être des prophéties auto-réalisatrices.
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Enfin, un passage compliqué à la mise en oeuvre
L’ouvrage démontre bel et bien que les questionnements méthodologiques ont largement été traités par le domaine de la recherche et en fait une très utile synthèse. Cette étape obligatoire dans la remise en cause d’un paradigme (pour creuser ce sujet, voir La structure des révolutions scientifiques de Thomas S. Kuhn) est donc bien avancée, mais qu’en est-il du passage à la mise en œuvre des idées ?
Comme annoncé dès l’avant-propos et l’introduction du texte, Alain Bourdin propose moins de pistes sur ce point. Intitulée « Repenser les domaines d’intervention », la troisième partie de l’ouvrage qui explore les domaines d’intervention entre finalement assez peu dans le concret. Notons tout de même l’identification du sujet de « la transformation et le cycle de vie de l’énorme production urbaine des dernières décennies » comme étant « [l’une] des questions centrales pour la compréhension et la réalisation de la ville de demain » (p. 53). Les actions à mener dans ce domaine peuvent très concrètement être reprises par les acteurs de terrain, du propriétaire aux pouvoirs publics, avec les instruments dont ils disposent déjà aujourd’hui. Cet exemple est l’un des rares de l’ouvrage pour lequel le pont entre la recherche et la mise en œuvre semble être aisé à envisager.
Si Alain Bourdin fait le choix assumé et bien argumenté de laisser le sujet de la gouvernance hors de son propos, le lecteur touche assez vite du doigt la limite de cette décision : on reste sur sa faim en ce qui concerne la mise en œuvre des idées traitées dans le texte, d’autant qu’elles sont extrêmement intéressantes. Étant donné que l’objectif du PUCA est justement de se faire passerelle entre recherche et mise en œuvre, on regrette que l’auteur n’aie pas davantage élaboré sur le rôle de cette institution comme cela était annoncé en introduction. L’ouvrage est ainsi une excellente base pour se doter d’une vue d’ensemble des enjeux pour penser la métropole post-carbone, mais un peu moins pour ce qui est de la faire. Il revient à chacun de construire à partir de cette base et d’explorer les possibilités de mise en oeuvre.
INÈS BAUDRY
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Inès Baudry est diplômée d’une licence en géographie et urbanisme de l’Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine de Grenoble et du master Stratégies Territoriales et Urbaines de Sciences Po Paris. Elle travaille actuellement dans le secteur privé en Suisse romande.
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Référence de l’ouvrage : Bourdin A, 2020, Penser la métropole post-carbone et la faire, Paris, Ministère de la Transition écologique, Ministère de la Cohésion des Territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, DGLAN, PUCA, 72 p.
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Couverture : La ville post-carbone (jcomp – www.freepik.com)
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Bibliographie
Kuhn T., 2018, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion 337 p. (traduction Française de l’ouvrage original édité par les presses de l’Université de Chicago en 1970).
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Pour citer cet article : Baudry I., 2021, « Lu / Penser la métropole post-carbone et parvenir à la mettre en œuvre ? », Urbanités, septembre 2021, en ligne.
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- Le POPSU (Plateforme d’observation des projets et des stratégies urbaines) est une émanation du PUCA. [↩]
- Le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) est une agence d’État interministérielle dépendant du ministère de l’écologie et du ministère de la cohésion des territoires. [↩]