Urbanités africaines / Le programme d’appui à la reconstruction de la Fédération Sénégalaise des Habitants – vers un urbanisme participatif et solidaire

Lionel Chabot, Pape Ameth Keita et Bea Varnai

L’article de L. Chabot, P.A. Keita et B. Varnai au format PDF


En unissant l’écriture à la parole, cet article cherche à mettre en lumière une dynamique de production de la ville en cours de construction dans la banlieue dakaroise. À partir de portraits vidéo, les membres de la Fédération Sénégalaise des Habitants (FSH), rassemblant des groupements d’habitants des quartiers précaires du Sénégal et sa structure d’appui urbaSEN témoignent d’une réalité urbaine en perpétuelle transformation. Cette réalité est marquée par les difficultés et les petits succès des habitants et de cette association de professionnels de l’urbain qui cherchent à reconstruire l’habitat et à améliorer l’environnement des quartiers précaires de la banlieue sinistrés par des inondations.

C’est notamment à travers le programme d’appui à la reconstruction engagé depuis 2013 que la FSH et urbaSEN ont l’ambition de mettre en œuvre un urbanisme à échelle humaine adapté aux capacités et aux besoins locaux ; inclusif, car ciblant les populations vulnérables traditionnellement mises à l’écart des processus de production de la ville ; participatif dans la mesure où cette forme d’urbanisme repose sur l’organisation et la prise de décision collectives et cherche à renforcer le pouvoir d’agir des habitants ; et solidaire, car s’appuyant sur des liens d’entraide et la prise de conscience d’un intérêt commun.

L’article présente ce programme de (re)construction étroitement lié à l’émergence d’un mouvement citoyen, tout en l’insérant dans le contexte urbain et social de la capitale sénégalaise. Il s’interroge sur le mode de production de la ville qu’il représente, son potentiel, ses limites, ses leviers d’actions et le met en perspective avec l’action de l’État visant d’une part la restructuration des quartiers précaires et d’autre part la maîtrise des problèmes d’inondations dans la banlieue de Dakar. Le programme de reconstruction vient en effet relier l’action de l’État et la mobilisation, d’abord spontanée puis structurée, des populations urbaines vulnérables avec l’ambition d’améliorer durablement leurs cadres de vie.

Dakar, portrait d’une ville ouest-africaine

L’agglomération de Dakar concentre un quart de la population du pays sur 0,28 % de son territoire (ANSD 2011 et Cities Alliance 2010) et n’échappe pas à l’étalement urbain. Ce phénomène est à la fois le moteur et le résultat d’une dynamique de ségrégation socio-spatiale, qui se traduit par une structure métropolitaine duale, avec un centre, principal pôle attractif qui concentre les fonctions les plus importantes du territoire national et l’habitat des populations aisées, et de vastes banlieues au développement peu maîtrisé, avec des zones de précarité occupées par les populations à faibles revenus (Sané, 2013). Ces zones situées dans les villes de Dakar, Pikine et Guédiawaye regroupent notamment les quartiers informels qui occupent plus de 30 % de l’agglomération et hébergent plus d’un million d’habitants (Cities Alliance 2010).

1. Photo satellitaire de l’agglomération de Dakar (Piriou, 2018)

En effet, l’indépendance acquise en 1960 et l’attrait de la capitale comme pôle de concentration de l’essentiel de l’activité économique et des services expliquent le déséquilibre entre offre et demande, aussi bien quantitative que qualitative, de logements. Ce dernier est accentué par l’exode rural des années 1970, conséquence d’une sécheresse prolongée. Les évictions des quartiers informels du centre de Dakar (Baye Gaindé, Nimzatt, Champs de Courses), le renchérissement des coûts de location et le difficile accès à la propriété immobilière et foncière pour les catégories sociales vulnérables accroissent cette problématique, créant ainsi des espaces d’exclusion dans la périphérie et dans les interstices de la ville formelle, concentrant les populations les plus vulnérables.

Les tentatives de réduction des inégalités socio-spatiales avec la création des Sociétés Immobilières publiques, destinées principalement à satisfaire la demande des fonctionnaires en matière de logement, ne parviennent pas à répondre aux besoins des populations vulnérables1 (Seck, 1970 ; Sané, 2013). Ces populations sont alors contraintes de s’installer sur des terrains impropres à l’habitation, notamment des champs de culture désormais inexploités (Sané, 2013). Cette dynamique à forte tendance exclusive fait naître des quartiers informels et précaires aux portes de la ville planifiée, sur un espace devenu le réceptacle d’une population majoritairement issue du monde rural, non instruite et à faibles revenus (Sané, 2009).

2. Représentation schématique de l’urbanisation de la presqu’île du Cap-Vert de 1920 à 2018 (Piriou, 2018), cliquer ici pour lancer l’animation

Face à cette situation, l’État se voit dans l’obligation de réagir. D’abord, par des tentatives d’évictions forcées combattues par la population, pour ensuite aboutir à une politique de planification par rattrapage (Chenal 2013), qui va, plutôt que d’anticiper la production de la ville, chercher à réduire les dysfonctionnements urbains résultant d’une urbanisation spontanée et non maîtrisée. À partir de l’année 1985, cette planification par rattrapage a été accompagnée par la coopération allemande et institutionnalisée par un cadre légal et réglementaire2. Elle se traduit par des politiques de restructuration urbaine et de régularisation foncière (Sané, 2013), de plus en plus reconnues comme des modes d’intervention les plus à même de donner des solutions adéquates et inclusives à la problématique des quartiers précaires (Mansion et Rachmuhl, 2012). Ces modes d’intervention sont, cependant, souvent en retard par rapport au fort taux d’urbanisation des quartiers périphériques et aux dynamiques de ségrégation socio-spatiales qui en résultent.

Plus récemment, les ZAC (Zones d’Aménagement Concerté) et les pôles urbains sont adoptés comme outils de rééquilibrage du tissu urbain (Sané, 2013). Ces outils, s’inscrivant dans la récente politique d’aménagement, donnent forme aux futurs pôles urbains de Diamniadio et du Lac Rose, situés à 30 kilomètres à l’ouest et au nord du centre-ville de Dakar. Un pari urbanistique audacieux, inspiré du modèle des villes nouvelles, qui soulève de nombreuses questions dont celle de la greffe urbaine et de la société solidaire que cet espace doit contribuer à faire naître.

3. Panneau de chantier à Diamniadio (Chabot, 2018)

Dans les interstices entre l’ancienne ville (coloniale) planifiée et la nouvelle ville de Diamniadio se situe donc un territoire caractérisé par l’exclusion, l’informalité et la ségrégation socio-spatiale. Ces quartiers de la banlieue dakaroise ne sont le produit ni d’une action publique, ni d’investisseurs privés mais le fruit de l’effort quotidien de leurs habitants (le plus souvent laissés à eux-mêmes). Cette production sociale de l’habitat3, quand elle est mal maîtrisée, génère de la précarité par rapport à l’accès à l’habitat digne et aux équipements mais donne également un sens à l’entraide et à la solidarité. Ainsi, les quartiers précaires de la banlieue sont certes des lieux d’exclusion, mais ils hébergent également le potentiel d’un mode de production participatif et solidaire de la ville à travers l’action spontanée des habitants qui cherchent à faire face à la précarité de leur habitat et quartiers avec leurs propres moyens et capacités (Caslin, 2017). L’expérience de reconstruction et d’amélioration de l’habitat de la Fédération Sénégalaise des Habitants (FSH), et de sa structure d’appui urbaSEN, implantées sur ce territoire, s’appuie sur et se nourrit de ce potentiel.

« Mboolo mooy doole », l’Union Fait la Force : l’émergence de la Fédération Sénégalaise des Habitants, acteur de changement dans les quartiers précaires

 Certaines zones de la banlieue de Dakar abritaient des forages qui permettaient de desservir la capitale avec de l’eau potable. L’installation des populations, à partir des années 1960, sur ces zones non constructibles et déclarées impropres à l’habitat a donné non seulement lieu à des quartiers précaires et informels mais également à la pollution de la nappe phréatique. L’arrêt des pompages, l’apport de nouvelles eaux (Lac de Guiers) et l’urbanisation informelle et non maîtrisée provoquent la remontée de la nappe phréatique et les inondations récurrentes des quartiers de la banlieue à partir des années 2000. Ces inondations obligent une partie de la population à abandonner leur maison, à la reconstruire en permanence ou à vivre dans des conditions particulièrement précaires. Face à cette situation, l’État lance le plan d’urgence Jaxaay4 en 2005 consistant à construire des bassins de rétention dans les zones inondées et à reloger une partie de la population touchée dans une nouvelle cité à 30 kilomètres de Dakar (Sané, 2013). Ces ouvrages primaires (bassins de rétention) servent d’exutoire dans le cadre de la mise en œuvre du projet de gestion des eaux pluviales et d’adaptation au changement climatique (PROGEP) conduit par l’Agence de Développement Municipale (ADM)5 visant à drainer les eaux pluviales vers la mer et ainsi à réduire les risques d’inondations.   

4. Inondation de la rue principale de la Commune de Djiddah Thiaroye Kao, Pikine (Amiguet, 2009)

Autour des années 2000, les habitants des quartiers informels de Djiddah Thiaroye Kao (DTK), l’une des 16 communes de la ville de Pikine située à l’est de Dakar et l’un des territoires les plus touchés par les inondations, se mobilisent pour mettre en œuvre des actions d’urgence et spontanées (remblai de sable et de déchets, sillons) pour faire face aux inondations. Ces actions atteignant vite leurs limites, les différentes associations et initiatives citoyennes se sont progressivement regroupées au sein du collectif des associations de développement de DTK (CADDTK) et ont lancé un appel aux professionnels et aux structures d’appui pour développer des solutions pérennes à leurs difficultés. Cet appel a eu un écho auprès d’acteurs internationaux, notamment l’ONG urbaMonde Suisse (ex urbanistes sans frontières), qui ont accompagné l’initiative citoyenne et préconisé l’implication de professionnels locaux. Le projet urbaDTK voit alors le jour.

UrbaDTK vise la restructuration des quartiers informels de la commune à travers une planification urbaine participative. Entre 2009 et 2012, urbaDTK permet la formulation d’un plan d’urbanisme de détail (PUD) et d’un plan d’investissement prioritaire (PIP), la mise en place d’un bureau municipal d’urbanisme pour la Commune de DTK, ainsi que la naissance de l’association sénégalaise urbaSEN (2009). La mise en œuvre du PROGEP permettant de récupérer certaines zones de la Commune pour l’habitation et de mieux maîtriser la problématique des inondations, combinée à la mobilisation citoyenne à travers le projet urbaDTK ont fait émerger l’idée d’un programme d’accompagnement à la reconstruction. Dans un souci d’étendre et de pérenniser la démarche entreprise par urbaDTK, les professionnels et acteurs communautaires locaux se sont inspirés, grâce à la mise en réseau par urbaMonde, d’expériences de mobilisation citoyenne à l’international. Ceci a donné lieu à la création de la Fédération Sénégalaise des Habitants (FSH) en 2014. Tandis que la FSH est l’organe politique qui fédère les habitants des quartiers informels dans la continuité de la mobilisation citoyenne lancée par CADDTK, urbaSEN est son ONG d’appui constituée de professionnels de l’urbain du Sénégal.

5. Planification urbaine participative suite aux inondations (Amiguet, 2012)

Aujourd’hui, la FSH est composée de près de 3 800 habitants organisés dans plus de 160 groupes d’épargne, essentiellement féminins, issus des quartiers précaires de DTK, ainsi que des habitants des quartiers pour la plupart informels d’une quinzaine de communes de Pikine et Guédiawaye et d’autres villes du Sénégal (Rufisque, Thiès et Louga). Les membres de la fédération se constituent en Assemblée Générale pour élire leur bureau (présidente, trésorière, responsable de collecte de données, du pôle formation, du pôle animation et communication) et le comité de crédit pour une durée de trois ans.

Les groupes d’épargne qui composent la FSH sont des tontines, qui ont un fort ancrage au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest ; ils sont les véhicules d’une action collective visant à améliorer le cadre de vie de leurs membres. Ils se constituent grâce aux liens de confiance, de solidarité et d’entraide noués au cœur d’un territoire et d’une même communauté. Les membres de chaque groupe se retrouvent selon un rythme qui leur est propre pour épargner (au niveau du groupe et au niveau de la FSH), s’accorder des financements (pour des activités génératrices de revenus ou l’amélioration de l’habitat), faire des achats groupés de denrées alimentaires, redistribuer l’épargne à l’occasion d’événements d’importance et pour échanger des informations. Le fonctionnement de chaque groupe est propre à son contexte ; la création de certains a été inspirée par la FSH, l’existence des autres remonte bien plus loin dans le temps. La FSH mobilise et fédère ses membres pour faire entendre leurs voix auprès des collectivités publiques et défendre leurs intérêts en matière d’accès à un habitat digne et durable.

L’innovation, par rapport aux programmes de logement (publics ou impulsés par les acteurs de la coopération internationale) reposant sur des solutions souvent de type « clé en main » et limités dans le temps, réside dans la mise en commun de l’épargne à l’échelle d’une fédération. Cette mise en commun permet de constituer un fonds de roulement pour la (re)construction et l’accès au logement qui a pour ambition d’être pérenne (Mitlin, 2008). Elle nécessite et suscite à la fois la prise de conscience par les membres de la Fédération qu’ensemble ils disposent d’un plus grand pouvoir d’agir.

 Mboolo Mooy Doole, l’union fait la force, tel est le slogan de la FSH. Depuis 2015, la FSH est membre du réseau Slum Dwellers International, porteur de la voix des populations urbaines pauvres de 32 pays, organisées en fédérations de groupes d’épargne. Le ‘modèle SDI’, qui consiste à mobiliser les populations urbaines pauvres pour améliorer leur habitat à travers le rituel d’épargne solidaire, la collecte de données et le plaidoyer politique, a fortement inspiré la création de la FSH et la vision d’urbaSEN en tant qu’organisation d’assistance technique (Boonyabancha, 2001 ; D’Cruz, 2014). UrbaMonde, partenaire historique des deux structures, a impulsé ce rapprochement dans un premier temps et a contribué à l’émulsion des idées et de la vision d’urbaSEN grâce à un appui continu et à la mise en perspective avec d’autres acteurs de la production sociale de l’habitat.

Le programme d’appui à la reconstruction, levier d’action pour l’amélioration des quartiers précaires

La planification urbaine participative et la restructuration des quartiers précaires de DTK initiée en 2009, ainsi que la construction d’ouvrages primaires (bassins de rétentions, drainage, voirie, etc.) ont permis de mieux maîtriser les risques d’inondations dans la Commune et de sortir certaines zones hors d’eau. Mais elles ont également mis en évidence l’absence de propositions (étatiques) d’amélioration concrètes au niveau de la rue (ouvrages secondaires) et de la parcelle (maison) (Babacar, 2009). Le programme d’appui à la reconstruction, lancé par urbaSEN et la FSH en 2013, voit alors le jour pour apporter des réponses au difficile accès aux financements abordables et à l’appui technique pour les habitants des quartiers précaires. Face à l’absence de solutions d’amélioration de l’habitat, notamment pour les ménages endommagés par les inondations, c’est donc l’action citoyenne encadrée par des professionnels et doté par des fonds de la coopération internationale décentralisée qui vient relier et prolonger l’action de l’État au sein des quartiers, par la reconstruction de maisons et d’ouvrages collectifs (puisards, etc.).

6. Des inondations au programme d’appui à la reconstruction : repères historiques (Chabot, 2018), cliquer ici pour lancer l’animation

Les projets d’amélioration de l’habitat sont aux dimensions souvent modestes6, sans grandes prétentions architecturales et peu perceptibles sur le plan urbanistique. Ils tentent de répondre avec soin et peu de moyens aux besoins des habitants. Ceux-ci sont formulés par les membres des groupes d’épargne affiliés à la FSH, validés par ces derniers et le comité de crédit de la structure fédérale et comptent avec l’appui de l’équipe technique d’urbaSEN tout au long du processus de chiffrage, de suivi et de réception du chantier. Au-delà de la reconstruction des maisons sinistrées par les inondations, le programme vise l’amélioration progressive de l’habitat et des quartiers précaires. Depuis son lancement, le programme a bénéficié à plus de 260 ménages à faibles revenus qui ont obtenu un financement auprès du fonds rotatif de la FSH pour reconstruire leurs maisons avec l’appui technique d’urbaSEN.

Le programme est orienté non seulement par les besoins mais également les capacités des populations des quartiers informels : il s’appuie sur le fonctionnement participatif de la FSH, organe de prise de décision, et sur les liens d’entraide existant au sein des groupes d’épargne qui sont porteurs de pratiques socio-culturelles locales (la tontine). Il valorise également les savoir-faire des artisans locaux et l’important rôle de mobilisation et de cohésion sociale que jouent les femmes au sein de leurs quartiers. Pour renforcer le pouvoir d’agir collectif de la population locale, l’appui d’une structure telle qu’urbaSEN est indispensable tant dans le domaine technique qu’en matière d’animation, de sensibilisation et de mobilisation.

7. Membre de la FSH devant la construction de nouvelles latrines (Chabot, 2017)

Vers un urbanisme inclusif. Le fonds de rénovation urbaine, rotatif et autogéré

Le fonds rotatif est un instrument de projet à la fois innovant et indispensable du programme d’appui à la reconstruction permettant aux ménages vulnérables d’accéder à un financement abordable. Le fonds rotatif est constitué par une dotation initiale d’environ 100 000 euros de la coopération décentralisée suisse à travers un projet de coopération mené par l’association suisse urbaMonde et l’épargne solidaire des membres de la FSH mise en commun à l’échelle de la FSH (l’équivalent de 7,60 euros par mois et par groupe). En effet, l’épargne solidaire mise en commun au niveau de la fédération dans le fonds rotatif est le moteur de l’action collective de la FSH. Les membres de la FSH empruntent à tour de rôle et à travers leurs groupes d’épargne un montant maximal d’un million de FCFA (environ 1 500 euros) pour améliorer leur habitat. Ils remboursent en 20 mois, avec un mois de différé et un taux d’intérêt de 5 %7 dont 1 % revient au groupe d’épargne de la bénéficiaire, 1 % à la FSH, et 1 % à urbaSEN. Les 2 % restants sont versés au fonds rotatif.

8. Fonctionnement du fonds rotatif de rénovation urbaine géré par la FSH avec l’appui d’urbaSEN (Piriou, 2018)

Grâce à ce fonds, de nouveaux chantiers éclosent chaque semaine sur les terrains sablonneux de la banlieue. À ce jour (juin 2018), environ 220 familles8 ont reconstruit ou amélioré leur habitat ; 25 réalisations sont en cours et environ 600 chantiers individuels et des aménagements collectifs sont projetés d’ici 2021.

Le fonds rotatif de rénovation urbaine constitue ainsi une réponse à l’absence de moyens financiers propres et d’accès aux financements abordables pour les populations touchées par les inondations ou habitant dans des conditions précaires. Toute décision concernant l’attribution des financements est prise par la FSH, d’abord au niveau des groupes qui arbitrent et valident les demandes individuelles qui leur sont soumises, puis par le comité de crédit de la FSH, qui s’appuie sur les conseils d’urbaSEN. Il est à noter que le financement est accordé par la FSH au groupe et non pas à la bénéficiaire, de sorte que le groupe est solidairement responsable de son recouvrement.

Le caractère rotatif du fonds permet à la FSH de pérenniser ses activités et de les élargir progressivement, tant géographiquement qu’en termes de champs d’action. Cette pérennité est assurée dans la mesure où la FSH et urbaSEN sont capables de sensibiliser les membres de la fédération à l’intérêt d’un fonds commun et pérenne et de faciliter son appropriation par les bénéficiaires.

À partir de 2019, la FSH et urbaSEN souhaitent expérimenter le financement de projets collectifs, formulés, chiffrés et réalisés par les habitants membres de la FSH, portant sur la gestion des eaux et l’espace public à travers le fonds rotatif.

9. Marietou Geye, , responsable financement chez urbaSEN (durée 2:04)

Les habitants maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre : vers un urbanisme participatif

Dans un contexte de précarité urbaine et de mise à l’écart des processus de décisions prises par l’État, le programme cherche à mettre le pouvoir d’agir dans les mains des usagers de la ville, les habitants. Cela s’opère de manière transversale à travers la sensibilisation de la population aux problématiques urbaines, l’accompagnement au plaidoyer politique, la planification participative, la maîtrise de l’information (à travers la collecte de données, la cartographie par drone9 et la délivrance d’attestations d’occupation foncière) et la maîtrise d’ouvrage habitante.

10. Une membre de la FSH pose devant sa maison reconstruite, commune de DTK, Pikine (Chabot, 2017)

La maîtrise d’ouvrage habitante se traduit par la responsabilisation des membres de la FSH concernant le choix des maisons à reconstruire en priorité et la validation des crédits de (re)construction – ce qui implique de faire un arbitrage entre les besoins et les moyens à disposition – la validation des montants des financements et de la portée des travaux, le choix et le paiement des artisans et la gestion des décaissements et du recouvrement. De plus, les membres de la FSH sont responsabilisés, aux côtés d’urbaSEN, au suivi de chantiers (maîtrise d’œuvre) à travers la formation des déléguées de chantier au sein de chaque groupe bénéficiant d’un financement à la construction.

Encourager la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre habitantes constitue d’abord un choix pragmatique dans une perspective de réduction des frais de suivi et des coûts de réalisation. Mais cette approche correspond également à une stratégie d’autonomisation des membres10 de la FSH, d’appropriation des réalisations et de prise de responsabilité par le collectif – les groupes d’épargne et la fédération d’habitants – et requiert un accompagnement de la part d’urbaSEN.

11. Portrait vidéo d’Astou, membre de la FSH ayant bénéficié du programme d’appui à la reconstruction (durée 1 :13)

Reconstruire c’est bien, bien reconstruire c’est encore mieux : vers une reconstruction solide et durable des quartiers précaires

UrbaSEN appuie la FSH sur les aspects liés à la construction à travers son équipe chantier en charge des états des lieux, de l’encadrement du devis, du suivi et de la réception des chantiers. Cette dernière intervient également dans le renforcement des capacités des artisans, la formation des membres de la FSH à la maîtrise d’ouvrage et plus récemment, l’organisation de la filière de construction grâce à la mise en place de la « briqueterie FSH ».

Les constructions réalisées sur les chantiers de la FSH présentent en effet ponctuellement des malfaçons dues au manque de qualification de certains artisans et de leur outillage, mais également au fait que ces travaux de reconstruction reposent souvent sur des constructions existantes de mauvaise qualité. Ces défauts constructifs ponctuels fragilisent la solidité à moyen terme des maisons. De plus, la qualité des matériaux de construction, au même titre que le confort thermique à l’intérieur du bâtiment, ne représentent pas, au vue de l’urgence de certains travaux, une priorité pour les habitants.

Cependant, la qualité des matériaux tout comme le confort intérieur sont des éléments décisifs dans un processus de reconstruction de logements dignes voulant s’inscrire dans la durée. Parvenir à réaliser des reconstructions modestes et de qualité, c’est d’une part offrir un environnement sécurisé aux habitants et, d’autre part, augmenter le confort d’habitation et la rentabilité de leur investissement économique.

12. La briqueterie FSH en exploitation, commune de Médina Gounass (Chabot, 2018)

Bien que la brique en ciment aggloméré représente le matériau de base utilisé quotidiennement sur les chantiers dans la banlieue, ce matériau de construction ne favorise pas la régulation thermique naturelle des bâtiments et nécessite souvent l’installation d’un climatiseur ou l’utilisation d’un ventilateur d’appoint. Cependant, ces installations sont peu répandues compte tenu de leurs coûts importants. Néanmoins, la brique en ciment aggloméré fait partie du paysage urbain de ces quartiers précaires et de la ville ‘formelle’ ou ‘moderne’. La brique en ciment aggloméré matérialise par conséquent une forme de modernité à laquelle aspirent généralement les habitants, par rapport aux constructions vernaculaires offrant un meilleur confort thermique.

Forte de ce constat, la FSH avec l’appui d’urbaSEN, a fait le choix pragmatique de produire des briques de ciment aggloméré de qualité supérieure tout en étant moins chères que les briques disponibles dans les quartiers. La « Briqueterie FSH », inaugurée en avril 2018, a pour objectif de fournir aux chantiers de la FSH des briques qui respectent les bons dosages et l’emploi d’agrégats de qualité afin d’améliorer en priorité la solidité des constructions.

13. Des membres de la FSH posent devant la bétonnière de la nouvelle briqueterie, commune de Médina Gounass, Guédiawaye (Chabot, 2018)

Au-delà de l’amélioration de la qualité des matériaux de construction, l’équipe chantier d’urbaSEN met également en place des mesures pour améliorer la qualité des travaux. Des ateliers d’échange autour des bonnes pratiques constructives visent à renforcer les compétences des artisans mandatés par les bénéficiaires tout en sensibilisant les déléguées de chantier de la FSH au domaine de la construction. Le principe consiste à transformer ponctuellement certains chantiers de reconstruction en micro-chantiers écoles afin de tirer pleinement parti d’une dynamique constructive déjà existante. Lors de ces ateliers, les travaux planifiés sont réalisés en présence des artisans du quartier conformément aux recommandations techniques en vigueur avec l’appui de l’équipe chantier d’urbaSEN

14. Atelier de formation sur un chantier de la FSH (Chabot, 2017)

En résumé, l’objectif de cette série de mesures est de renforcer la durabilité constructive des projets de reconstruction de la FSH, un prérequis incontournable à la durabilité socio-économique visée par le programme d’appui à la reconstruction. Ces mesures tentent de répondre à des situations d’urgence dans une perspective à moyen terme, en tenant compte des aspects socio-culturels et de la réalité du terrain.

Vers un urbanisme participatif, inclusif et solidaire

La FSH et sa structure d’appui urbaSEN démontrent par l’exemple – le programme d’appui à la reconstruction – qu’un urbanisme à échelle humaine, inclusif, participatif et solidaire est non seulement nécessaire pour compléter des politiques urbaines plus ‘conventionnelles’, mais également possible. Bien que perfectible, ce programme permet de rattacher les opérations urbaines structurantes au tissu urbain fin et d’améliorer le cadre de vie des populations de manière incrémentale.

Ce mode de production de la ville apporte une réponse pragmatique et inclusive aux problématiques urbaines des quartiers de la banlieue de Dakar. Il demande de mobiliser et de fédérer les habitants, de les doter d’outils de collecte de données, de matériaux et techniques de construction durables et de financements abordables, tout en les accompagnant dans la négociation de partenariats avec les autorités centrales et locales. Cette démarche vise à renforcer le pouvoir d’agir des habitants des quartiers précaires, les bâtisseurs anonymes de la banlieue traditionnellement mis à l’écart des prises de décision concernant leur habitat.

Son succès dépend de la capacité d’articuler une démarche ‘par le bas’ avec l’action publique ‘par le haut’. En effet, dans l’ambition de lutter contre la précarité de l’habitat et des quartiers précaires, l’une ne peut pas se faire sans l’autre – d’autant que la reconstruction acquiert son sens une fois les inondations maîtrisées, la restructuration urbaine ne peut se faire que si elle compte avec la participation et l’appui des habitants. Le degré d’autonomisation des habitants, la mobilisation de moyens et d’instruments innovants, l’existence d’une assistance technique au service des usagers finaux de la ville, tout comme une volonté politique favorisant la transformation durable des quartiers précaires et leur intégration au tissu urbain sont des éléments indispensables pour garantir la réussite de ce mode de production de la ville.

L’ambition actuelle et future des acteurs mettant en œuvre le programme d’appui à la reconstruction est de mettre en avant ce mode de production de la ville, dans une démarche expérimentale et d’amélioration continue, de démontrer son potentiel et d’identifier ses limites.

LIONEL CHABOT, PAPE AMETH KEITA ET BEA VARNAI

Lionel Chabot, paysagiste-urbaniste, lionel.chabot AT urbamonde DOT org

Pape Ameth Keita, urbaniste, keita AT urbasen DOT org

Bea Varnai, spécialiste en développement international, bea.varnai AT urbamonde DOT org

Couverture : rencontre de la Fédération Sénégalaise des Habitants et de Slum Dwellers International (Amiguet, 2016)

Bibliographie

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Chenal, J. 2013, « Modèles de planification de l’espace urbain. La ville ouest-africaine. » Genève, MétisPresses, 362 p.

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Pour citer cet article : Chabot L., Keita P. A. et Varnai B., 2018, « Le programme d’appui à la reconstruction de la Fédération Sénégalaise des Habitants – vers un urbanisme participatif et solidaire », Urbanités, Dossier / Urbanités africaines, octobre 2018, en ligne.

  1. Notamment, les Sociétés HLM, SICAP (1960-70), HAMO (1980). Cette même période voit l’émergence du secteur privé immobilier comme nouvel acteur d’accompagnement des coopératives d’entreprises (Cité Air Afrique, Comico) ou de production de logement destiné à la vente privée (Cité Aliou Sow, Logements Namora). []
  2. C’est à la suite de la tentative de réorganisation spatiale du quartier Arafat (Grand Yoff, Dakar) au début des années 1980 et les confrontations qui s’en sont suivies, que les premières réflexions autour d’un cadre institutionnel et légal pour la restructuration urbaine ont été menées. Une première expérience a été mise en œuvre à Dalifort en 1985 et des instruments législatifs instaurés : le décret 91-748 du 29 juillet 1991 organise la procédure d’exécution des opérations de restructuration et de régularisation foncière des quartiers non-lotis dans les limites des zones déclarées de rénovation urbaine ; le décret  96-386 du 15 mai 1996 abroge et remplace le décret 91-595 du 14 juin 1991 instituant le fonds de restructuration et de régularisation foncière FORREF). En 2002 la Fondation Droit à la Ville entre en opération avec l’appui de la coopération allemande ; la DARZI, enfin, est créée dans le cadre du plan décennal de gestion des inondations (2012) et opérationnalisée en 2013. []
  3. « La production sociale de l’habitat englobe le processus ainsi que le produit qui résulte de l’initiative collective des personnes de construire leur propre habitat : logements, villages, voisinages et même d’importants secteurs urbains. Par des processus de production sociale, les personnes dessinent, planifient, mettent en place et préservent les espaces vitaux et les composants urbains, apportant des solutions aux problèmes qui surgissent de leurs conditions de vie. » http://habitat-worldmap.org/mots-cles/production-sociale-de-lhabitat/ []
  4. Le Plan Jaxaay a permis le relogement d’environ 20 000 ménages, acceptés d’être relogés volontairement, avec un investissement total de 52 milliards FCFA de l’État. []
  5. Ayant comme principaux bailleurs la Banque Mondiale et l’Agence Française de Développement []
  6. Les projets réalisés sont généralement les suivants : reconstruction d’un mur, rénovation de la toiture, surélévation des murs, reprise des fondations, installation de sanitaires, agrandissement (pièce supplémentaire). []
  7. Les populations cibles sont généralement exclues du système banquier classique. Pour les mutuels ou programmes de microfinance (PAMECAS, MICROCRED, etc.), les taux d’intérêts varient entre 14-20 %. []
  8. Les familles vivant dans la banlieue de Dakar sont généralement composées d’au moins dix personnes. []
  9. Cette composante du projet est financée par la coopération décentralisée suisse et réalisée en collaboration avec We Robotics. Le vaste territoire de la banlieue de Dakar et l’ambition d’urbaSEN de devenir un centre de ressources et d’innovation justifient le recours à cette technologie, permettant à l’équipe technique de développer leurs compétences pouvant être mises à profit dans l’avenir. []
  10. Portrait Vidéo de Khadiatou, membre de la FSH ayant bénéficié du programme d’appui à la reconstruction.Portrait Vidéo de Khadiatou, membre de la FSH ayant bénéficié du programme d’appui à la reconstruction. []

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