Vu / Guy Tillim, Museum of the revolution… of African cities

Mathilde Jourdam-Boutin

 

Le Vu de M. Jourdam-Boutin au format PDF


La Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris présente du 26 au 2 juin 2019, la dernière exposition de Guy Tillim. Né à Johannesbourg en 1962, il commence la photographie en 1986 au sein du collectif Afrapix, un groupe de photographes sud-africains noirs ou blancs considérant l’image comme un média de lutte contre la ségrégation raciale. Après avoir travaillé une dizaine d’année comme photojournaliste indépendant, il décide de ne plus travailler pour des agences de presse. La série Leopold and Mobutu, publiée en 2004, clôt ces dix années à couvrir les guerres, conflits civils et famines africaines pour produire ces « éternels clichés de misère que les gens attendent ». En 2002, il réalise Jo’burg, sa première grande série de photographie urbaine qui inaugure un intérêt pour les « changements de la ville »  (Guillot et Tillim, 2009). Il y saisit le centre-ville de la capitale sud-africaine abandonné par les blancs et ses nouveaux habitants noirs suite à l’abrogation du régime d’Apartheid. Il continue son travail sur l’espace urbain africain au travers de la série Avenue Patrice Lumumba, présentée en 2008, qui capture les bâtiments et vestiges du modernisme tropical postcolonial. Ceux-ci forment selon lui un « paysage étrange et magnifiquement hybride, en lutte contre les calamités qu’il a endurées ces cinquante dernières années » (2008 : 3).

Guy Tillim poursuit donc son travail de longue date sur les villes africaines à travers cette série de photographies – réalisées entre 2014 et 2018 dans les villes d’Abidjan, Accra, Addis-Abeba, Beira, Dakar, Dar es Salaam, Durban, Harare, Johannesburg, Kampala, Libreville, Luanda et Maputo. Intitulée « Museum of the Revolution », en l’honneur du musée éponyme de Maputo, l’exposition s’ouvre d’ailleurs sur une reproduction d’une fresque panoramique représentant la libération du pays de la domination coloniale, offerte par les Nord-Coréens aux Mozambicains. Celle-ci fait face à une citation d’Achille Mbembe1 invitant ainsi le visiteur à faire un parallèle entre la première fresque et celle proposée par le photographe au travers de ses œuvres. Il affirme en effet avoir voulu saisir le passage de ces rues « des régimes coloniaux aux régimes postcoloniaux » (2019, p.129) Pour autant, cette exposition au-delà même des photographies se fait le reflet des villes africaines et des révolution économiques et sociales qu’elles connaissent depuis une décennie.

1.Praça do Metical, Beira, Mozambique (Guy Tillim, Catalogue de l’exposition, 2019)

Reflet d’abord d’une urbanité africaine que le photographe tente de saisir et que la scénographie de l’exposition présente comme une. Les photographies n’étant disposées ni chronologiquement, ni par localisation, l’ensemble constitue un unique paysage continu marqué par les publicités reluisantes, le manque d’entretien des trottoirs et des bâtiments, les stands des marques de téléphonie mobile omniprésentes, les travaux et les voitures. Le visiteur joueur a bien des difficultés à deviner le lieu de prise de la photo car si ce n’est la propreté et l’orthogonalité des villes sud-africaines ou les marqueurs culturels comme la langue des réclames et le port de kufis par quelques hommes, toutes les photos cherchent à saisir un seul et même paysage, celui de villes en mouvement, qui bougent et qui changent (Illustration 1).

Depuis un point fixe, les photographies illustrent des villes où se croisent hommes d’affaire, vendeurs à la sauvette et benskineurs2 (Illustration 2). Très peu de ces personnages sont fixes : les habitants sont saisis dans leur parcours et leurs activités – jetant parfois un regard impromptu au photographe. Mais au-delà des habitants, c’est le mouvement des villes elles-mêmes que Guy Tillim choisit de saisir en capturant les ronds-points, les avenues et des paysages urbains ponctués de chantiers. Cette omniprésence de chantiers dans les photos donne l’impression de villes dynamiques, d’espaces en construction (Illustration 3).

2. La course des vendeuses à Accra, Ghana (Mathilde Jourdam-Boutin, 2019)

3. Azikiwe St, Dar es Salaam, Tanzanie (Guy Tillim, Catalogue de l’exposition, 2019)

Une série de photographies en rupture avec sa précédente série sur les villes africaines, Avenue Patrice Lumumba, qui immortalisait des immeubles souvent délabrés et fantomatiques, des piscines abandonnées et des bureaux administratifs où le temps semble s’être arrêté. La plupart des personnes immortalisées dans cette série étaient statiques, fixés derrière leurs bureaux ou regardant à travers le lent délabrement de leur ville.

4. Administration office, RD Congo et Madagascar (Guy Tillim, Avenue Patrice Lumumba, 2007)

Dix ans plus tard, les tons gris cèdent la place à des teintes plus vives et des couleurs chaudes. Pour autant, ce n’est pas la peinture d’une Afrique urbaine idéale qui nous est présentée : la précarité et les inégalités se devinent partout. Dès lors si l’exposition propose un paysage urbain quasi uniforme des villes africaines, celui-ci est discontinu. En effet, de manière très habile, le photographe et la scénographie font croire au visiteur que la plupart des œuvres sont des photos prises en grand angle puis imprimée sur deux à quatre panneaux différents. L’œil recompose facilement l’ensemble de l’image, oubliant aisément la fine bordure beige du cadre.

Et pourtant, alors que la déambulation au sein de l’espace d’exposition est sur le point de s’achever, une œuvre intelligemment disposée pour être l’une des dernières trahit le mensonge : le corps d’un homme au premier plan y est tronqué d’un panneau à l’autre alors que le paysage de dernier plan se poursuit. Le visiteur revient sur ses pas, réalisant qu’il a été trompé : le photographe a réalisé ces plans en plusieurs fois, capturant, depuis un point fixe différents angles d’un même espace et reconstituant à postériori un panorama. Les coupures et les frontières sont donc là, partout, mais invisibles à l’œil qui ne cherche pas à les voir. Une manière de dénoncer la permanence des inégalités sociales qui se manifestent dans de nouvelles frontières urbaines de ces villes africaines ?

MATHILDE JOURDAM-BOUTIN

Mathilde Jourdam-Boutin est doctorante en géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, au sein de l’UMR Prodig. Ses recherches portent sur la néolibéralisation du secteur immobilier et sur les dynamiques urbaines au Cameroun.

m.jourdamboutin AT gmail DOT com

L’exposition Guy Tillim – Museum of the Revolution a eu lieu du 26 février au 2 juin 2019 à la Fondation Henri Cartier-Bresson. Toutes les informations ici.

Bibliographie

Guilot C., 2009, Entretien avec Guy Tillim : « L’apartheid m’a fait photographe », Le Monde, en ligne

Mbembe J.-A, 2013, Sortir de la grande nuit : essai sur l’Afrique décolonisée, Paris : La Découverte, 246 p.

Tillim G. et al., 2019, Museum of the revolution, Italie, MACK et Fondation Henri Cartier-Breton, 136 p.

Tillim G. et Gardner R., 2008, Avenue Patrice Lumumba, Munich, Prestel, non paginé

Tillim G. et Hochschild A., 2004, Leopold and Mobutu, Trézélan, Filigranes, non paginé

Pour citer cet article : Jourdam-Boutin M., 2019, « Vu / Guy Tillim, Museum of the revolution… of African cities », Urbanités, juillet 2019, en ligne.

  1. « L’Afrique postcoloniale est un emboîtement de formes, de signes et langages. Ces formes, signes et langages sont l’expression du travail d’un monde qui chercher à exister par soi. » (Mbembe, 2013 : 203). []
  2. Les benskineurs, au Cameroun, ou Zeminjan, au Bénin et au Togo, proposent des services de transports de personne sur motocyclette. Cette offre de transport connait un essor fulgurant avec l’arrivée de moto sud-asiatique sur le marché africain. []

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