Vu / (Re)découvrir Yona Friedman et l’exposition Ville Avenir à la Halle aux sucres de Dunkerque
Sonia Laloyaux
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La Halle aux sucres de Dunkerque, en partenariat avec le Frac Grand Large, a organisé au premier semestre 2025, une exposition nous plongeant dans l’univers de Yona Friedman, visionnaire de « l’architecture mobile ». Cette exposition était l’occasion de faire connaître les travaux de cet architecte qui résonnent avec les enjeux contemporains de la fabrique urbaine. Cette exposition a pris place au sein d’une exposition plus large, Ville Avenir, qui se poursuit jusqu’au 21 septembre. L’œuvre de cet architecte était accompagnée, à certains moments de la semaine, des réflexions innovantes sur les villes de demain d’étudiants et d’autres architectes. Il s’agit d’une exposition conçue par WAAO, le centre d’architecture et d’urbanisme sur la réinvention du territoire dunkerquois. Les maquettes et dessins de Yona Friedman étaient prêtés par le FRAC et appartiennent à la collection du CNEAI.
Cet architecte est également un artiste, un penseur, un sociologue et un anthropologue, Il s’est intéressé à la question du logement et a développé les principes « d’architecture mobile » et de « ville spatiale ». Cette architecture mobile correspond à des « systèmes de constructions permettant à l’habitant de déterminer lui-même la forme, l’orientation, le style, etc., de son appartement et de pouvoir changer cette forme, chaque fois qu’il le décide (Friedman, 2020 : 19). »
Cette vision de l’architecture, Yona Friedman, qui a fait ses études en Hongrie et en Israël, la diffuse d’abord en France où il s’installe en 1957. Il fonde le Groupe d’Étude d’Architecture Mobile (GEAM) en 1958 et précise ses idées privilégiant l’auto-planification à travers de nombreuses publications. Pour lui, l’individu redevient un acteur responsable de l’amélioration de son environnement, ce qui se retrouve tout au long de l’exposition de ses travaux.
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Une exposition pour découvrir Yona Friedman
Yona Friedman, un architecte moderne

1. Maquette de Yona Friedman « Gribouillis » (v. 1990). (Laloyaux 15 février 2025)
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L’exposition était assez courte à découvrir, mais permet d’avoir une vision déjà large de l’œuvre de Yona Friedman. Elle était incluse dans une autre exposition sur la ville durable, qui est l’une des thématiques régulièrement étudiées à la Halle aux sucres et qui fait le lien avec la conception architecturale de Friedman qui écrivait en 1961, concernant la fonction des architectes : « Leur rôle véritable devrait consister à aider et à suivre dans leur domaine et en tant que techniciens, le développement général. Ainsi, la ville nouvelle doit-elle s’adapter aux transformations foudroyantes de la technique et profiter de cette technique pour laisser aux habitants le maximum de liberté d’adapter leur ville à leur mesure » (Friedman, 2020 : 48).
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2. Affiches des expositions en cours de La Halle aux sucres de Dunkerque. (https://www.halleauxsucres.fr/agenda/expositions, 2025)
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Visiter l’exposition permet donc, entre autres, de découvrir ou de redécouvrir les gribouillis, l’une des nombreuses approches non géométriques, avec les tourbillons, les froissements, de l’artiste, mais aussi une maquette de tour qui date de 1985 qui attire le regard dès le début de l’exposition. Ce n’est qu’un aperçu de l’œuvre de l’architecte et l’on peut retenir au-delà de ses sculptures ou maquettes, une petite vidéo de l’artiste où lui-même prend la parole, expliquant son œuvre, ses travaux, ainsi que sa réflexion intellectuelle. Des dessins représentant une proposition de la ville spatiale, ici, Berlin (v. 1990) agrémentent le tout.

3. Maquettes de Yona Friedman. À gauche, « Tour 1985 » (v. 2000), à droite « Ville Spatiale » (v. 2010). (Laloyaux, 15 février 2025)
Une perception de l’habiter très moderne
Cette exposition permet de (re)découvrir les concepts et la vision de l’architecture et de l’urbanisme de cet architecte et artiste et, en particulier, sa perception de l’habiter des temps modernes. Il s’agit d’un habiter constitué d’un habitat adapté aux besoins évolutifs des populations, mais tenant également compte d’une nécessaire durabilité. Yona Friedman précise cette conception dans la définition qu’il a du terme de mobilité : « Les transformations sociales et celles du mode de vie quotidien sont imprévisibles pour une durée comparable à celle des bâtiments habituels. Les bâtiments et les villes nouvelles doivent être facilement ajustables suivant la volonté de la société à venir qui les utilisera : ils doivent permettre toute transformation, sans impliquer la démolition totale. C’est le principe de la mobilité, terme que j’ai choisi après beaucoup d’hésitation et faute d’avoir trouvé un qualificatif plus exact. Les règles d’une nouvelle architecture pourront se formuler après une période de « trial and error »1, comparable à celle de formation spontanée du « code de la route ». » (Friedman, 2020 : 19).
Il a également réalisé des séries de dessins, diaporamas et manuels pour expliquer une recherche appliquée aux manières d’habiter la terre. Dans une volonté de vulgarisation et d’accessibilité à ses théories, Yona Friedman affectionnait particulièrement les bandes dessinées. En 1973, il met au point ses premiers manuels en bandes-dessinées sur l’écologie ou l’habitat précaire. Encadrant les œuvres de Yona Friedman, nous retrouvons des panneaux qui permettent de facilement comprendre la grammaire architecturale de l’artiste ; sa manière de dessiner par exemple autour des structures tubulaires, du train, des chaînes de panneaux, etc. En effet, ses premières théories architecturales sont nées dans un camp de réfugiés, pendant la Seconde Guerre mondiale, où il met au point la technique des chaînes de panneaux, un système permettant aux occupants de façonner leur espace grâce à des panneaux pliants. L’idée de Yona Friedman était de trouver un moyen de partager un espace limité et sa technique était de diviser temporairement des espaces réduits dans un contexte de survie.
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4. Dessins de Yona Friedman. À gauche, vue d’ensemble, à droite zoom sur les chaînes de panneaux. (Laloyaux, 15 février 2025)
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Avec les structures moebiennes, on retrouve les bases expliquées par l’architecte, rappelant l’ensemble baroque qu’elles peuvent former. Ensemble baroque que Yona Friedman ramène à l’individualisme de masse qui est un phénomène lui-même baroque.
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5. Dessins de Yona Friedman : « Structures moebiennes ». (Laloyaux, 15 février 2025)
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Une exposition qui se complète avec celle de Ville Avenir
Mieux saisir les enjeux de la ville de demain
La nouvelle exposition de la Halle aux sucres permet d’explorer les enjeux d’urbanisme et de vivre ensemble pour une ville de demain plus solidaire, attractive et ouverte. Elle met en avant le caractère particulier et participatif du territoire, qui bâtit la ville sur la ville avec les habitants pour un avenir plus désirable et mieux adapté.
Cette exposition comporte deux volets. Un premier concerne le potentiel de réemploi des matériaux et des espaces en urbanisme en collaboration avec le Centre d’architecture et d’urbanisme, le WAAO : « La ville tourne en rond ? Architecture, ville et paysage, modes de (ré)emploi. ».
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6. Exposition « Ville Avenir » sur le réusage de la ville par la municipalité et ses habitants. (Laloyaux, 15 février 2025.)
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Le second volet inédit est consacré à la réinvention du territoire dunkerquois de manière immersive et ludique. Chaque thème pour laquelle la Communauté urbaine de Dunkerque est compétente et engagée (mobilité, industrie, emplois, eau, nature) est présenté à la manière d’un synopsis et d’un plateau de décor de cinéma.
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Un lieu d’exposition qui a lui tout seul vaut le détour
L’exposition consacrée à Yona Friedman se tient d’ailleurs dans l’un des derniers bâtiments témoignant de l’activité du port de marchandises de Dunkerque dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il s’agit de la Halle aux sucres, construite en 1898. En 2011, les travaux de réhabilitation commencent, avec comme architecte Pierre-Louis Faloci. Le bâtiment est livré en 2014.
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7. La Halle aux sucres aujourd’hui, un pôle de ressources et d’expertise sur le thème de la ville durable. (Laloyaux, 15 février 2025)
Cet ancien bâtiment portuaire propose aujourd’hui des espaces réaménagés privilégiant le réusage et la sobriété. C’est un lieu vivant proposant de multiples expositions et conférences autour de la question de la ville durable. Diverses compétences du territoire liées au monde urbain, à sa conception et son évolution, ainsi que les archives historiques, l’agence d’urbanisme, les services d’urbanisme et d’environnement de la Communauté urbaine, l’Institut national supérieur des études territoriales sont réunis dans ce lieu symbolique de l’histoire de Dunkerque et d’une ville mobile, dans le sens où les bâtiments peuvent être réaménagés.
La Halle aux sucres est donc un écrin parfaitement adapté pour recevoir la pensée de Yona Friedman, qui écrivait en 1976, dans Comment habiter la terre : « Le but est d’amener le lecteur à reconsidérer la place de l’homme-habitant dans un écosystème et de l’amener à réfléchir, dans un contexte de pénurie ou de crise durable ou temporaire, à des solutions de survie de son espèce. » (Friedman, 2016 : 9).
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En conclusion, passer par la Halle aux sucres permet de réfléchir à l’avenir de la ville, de l’usage spatial de l’habiter, tout en profitant d’un lieu agréable. Ce lieu est aussi une réussite du réusage de la ville et incarne la réflexion sur l’évolution de la ville et de ce qui importait pour Yona Friedman, à savoir : « rechercher des techniques qui permettent de passer d’une solution à l’autre pour adapter la ville, si besoin est, aux modes de vie des habitants, au lieu d’adapter les habitants aux propositions des urbanistes. » (Friedman, 2020 : 70).
SONIA LALOYAUX
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Sonia Laloyaux est docteure en géographie et chercheuse associée à l’Université de Lille (Laboratoire Territoires, Villes, Environnement et Société). Elle est professeure d’histoire-géographie de l’Académie de Lille. Ses recherches portent sur le patrimoine, le renouvellement urbain et les friches industrielles dans les Hauts-de-France et en Belgique.
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Bibliographie
Friedman Y., 2020, L’architecture mobile (1958-2020) – Vers une cité conçue par ses habitants eux-mêmes, Paris, L’éclat, 128 p.
Friedman Y., 2016, Comment habiter la terre, Paris, L’éclat, 128 p.
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Sitographie
Archives de Dunkerque, Exposition « La Halle aux sucres, quelle histoire ! ».
Cité de l’architecture, « Variations sur Yona Friedman », Conférence organisée le 25 janvier 2015 à la Cité de l’architecture et du patrimoine.
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Pour citer cet article : Laloyaux S., 2025, « (Re)découvrir Yona Friedman et l’exposition Ville Avenir à la Halle aux sucres de Dunkerque », Urbanités, Vu, juillet 2025, en ligne.
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Couverture : Dessins de Yona Friedman « Proposition de Ville Spatiale Berlin » (1990). (Laloyaux, 15 février 2025)
- « essais et erreurs » (traduit par l’autrice). [↩]











