#14 / L’habitat vertical à Melbourne, une itération contemporaine et contestée du Great Australian Dream
Entretien avec Louise Dorignon, par Charlotte Ruggeri
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L’entretien avec Louise Dorignon au format PDF
Louise Dorignon est chercheuse en géographie urbaine au sein du Centre for Urban Research au RMIT University (Australie). Elle est titulaire d’une thèse en géographie menée à l’Université Lyon 2 Lumière au sein du laboratoire UMR 5600 (Environnement, Ville, Société), en cotutelle avec The University of Melbourne au sein de la School of Geography. Ses travaux portent sur l’habitat vertical dans les villes australiennes, particulièrement à Melbourne. Elle s’intéresse aussi aux géographies émotionnelles des espaces domestiques et à l’évolution des relations sociales dans la ville. Elle est membre du programme de recherche HOME (« Housing Outcomes Metrics and Evaluation », 2016-2020) porté l’ARC (Australian Research Council).
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La verticalisation est aujourd’hui associée à la métropolisation et est considérée comme l’une de ses expressions les plus visibles. Pouvez-vous revenir sur le processus de verticalisation et son évolution en Australie ?
En Australie, le processus de verticalisation est lié, entre autres, à une volonté récente de densifier les villes dans un contexte où les politiques de planification urbaines du XXe siècle ont eu pour principal objectif de séparer les fonctions urbaines et de créer des espaces urbains de faible densité. Historiquement, les villes australiennes ont en effet été développées dans le cadre de politiques publiques qui célébraient la forme suburbaine du pavillon individuel dotée de son jardinet à l’arrière (backyard), l’implantation de l’industrie et des commerces loin des zones résidentielles et, après la Seconde Guerre mondiale, le développement du réseau routier. Ainsi, les objectifs contemporains, qui sont ceux d’une ville australienne compacte, et au sein desquels laquelle la verticalisation joue un rôle sont pris entre les contraintes de ces paysages urbains de faible hauteur et de faible densité de la fin du XXe siècle, la pression exercée par une forte croissance de la population et de nouvelles aspirations politiques et sociales (ville smart ou ville compacte, par exemple).
La circulation de modèles architecturaux et économiques qui prévalent à la conception de tours et le rôle de grands groupes transnationaux du secteur de la construction dans leur réalisation tend à la production d’une certaine homogénéité paysagère. Les années 1980 sont marquées par la consolidation des CBD (Central Business District) et le renforcement morphologique des hyper-centres par la construction de tours surtout destinées à accueillir des bureaux. Cette décennie est aussi marquée par l’édification de plus en plus fréquente de réalisations extraordinaires et le rôle des starchitectes (Zaha Hadid, Bjarke Ingels, Renzo Piano, Rem Koolhas, Jean Nouvel etc.) dans une course à la verticalité menée par des pays alors émergents (Malaisie, Taiwan, Émirats Arabes Unis) et relayée par le tourisme international. La verticalisation n’est pas qu’une histoire de paysage, car les coûts très importants qu’elle nécessite et les mécanismes sociaux qui l’accompagnent recouvrent une forte dimension politique et symbolique, comme l’ont analysé Manuel Appert et Christian Montès (2015).
Aujourd’hui, l’Australie s’impose comme un pays meneur de la verticalisation dans l’hémisphère Sud : en 2019, plus de 700 grues (dont 73 % dévolues à la construction de tours résidentielles) érigeaient des tours sur le pourtour littoral Est de l’Australie (Melbourne – Sydney – Brisbane), surpassant le nombre total de grues en Amérique du Nord (RLB, 2019). À Melbourne, capitale de l’État du Victoria, la plus haute tour résidentielle de l’hémisphère sud (Australia 108) et la seule dotée de 100 étages habités est désormais presque entièrement construite. Depuis le début des années 1990, le nombre d’appartements occupés en Australie a augmenté de 78 % pour atteindre plus d’un million de logements lors du recensement de 2016. On compte aujourd’hui environ un appartement occupé pour cinq maisons individuelles en Australie, alors que ce chiffre était d’un pour sept en 1991. L’augmentation du nombre d’appartements occupés est un phénomène essentiellement urbain, concentré dans les grandes capitales australiennes. Par exemple, 94 % des appartements dans l’État du Victoria sont situés dans l’aire métropolitaine de Melbourne.
Pour revenir aux termes de votre question, je dois préciser que pour mes travaux récents qui se sont focalisés sur la verticalisation résidentielle uniquement, j’ai eu recours à d’autres schémas d’analyse de la ville que celui de la métropolisation. J’ai surtout utilisé les études sur la gentrification et la notion d’habitat vertical1 pour replacer la réapparition de modèles de tours résidentielles à Melbourne dans une histoire du logement sur le temps plus long. Après la Seconde Guerre mondiale, la ville de Melbourne fait face à une crise du logement et le gouvernement du Victoria décide d’y répondre par la construction d’ensembles résidentiels de grande hauteur (voir fig. 1). Ceci est fait sous l’impulsion de discours hygiénistes et d’une architecture moderniste notamment influencée par Le Corbusier. Le réaménagement de ces espaces d’habitat informel, considérés alors par les pouvoirs publics comme des bidonvilles, a contribué à l’embourgeoisement de ces quartiers qui renferment aujourd’hui certains des biens immobiliers les plus chers de Melbourne. Les discours liés aux tours d’habitation à Melbourne ont pu être contradictoires, comme l’a montré Ruth Fincher (2004) dans ses travaux. Dans un premier temps, les tours de logement public ont été présentées par l’État comme des constructions modernes et confortables, particulièrement adaptées aux familles avec des enfants et à leur épanouissement. Quelques décennies plus tard, ces mêmes logements ont été stigmatisés comme de nouveaux bidonvilles et désignés comme des foyers inappropriés pour les familles. C’est dans le cadre d’une histoire contestée de l’habitat vertical (et plus largement de la vie en appartement) que j’ai abordé l’émergence de ces nouveaux modèles de tours en Australie pour les classes moyennes, et les modèles sociaux et culturels qui l’accompagnent.
Conceptuellement parlant, les outils d’analyse pour comprendre ce phénomène de verticalisation ont aussi beaucoup évolué pendant mon travail de thèse. Après s’être intéressé à la notion de verticalité, la géographie anglophone, dont Donald McNeill (2019), s’est peu à peu tournée vers un autre paradigme, celui de la ville « volumétrique ». Toujours dans une perspective de penser l’espace urbain non plus seulement horizontalement mais aussi verticalement, cette notion englobe de surcroît les notions de densité, d’intensité et de connectivité. Il y a donc de multiples angles sous lesquels considérer la verticalisation, qui reflètent les réalités (et inégalités) diverses contenues dans ce processus. La verticalisation n’est pas un processus uniforme, ses manifestations obéissent à des modes architecturales, des contextes économiques fluctuants, des traditions planificatrices et des temporalités différentes selon les espaces urbains (voir l’entretien avec Marie Gibert-Flutre qui décrypte la verticalisation au Vietnam).
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Quelles sont les conséquences concrètes de la verticalisation résidentielle pour Melbourne aujourd’hui, qu’est-ce que cela provoque en termes de gestion des flux, d’évolution du marché immobilier ou encore de pratiques quotidiennes ?
L’urbanisation à la verticale opère un réarrangement de Melbourne à différentes échelles. Dans mes différents travaux de recherche, j’ai surtout étudié les effets de la verticalisation résidentielle dans deux quartiers de Melbourne, ville où je vis et où j’ai aussi effectué mon terrain. À l’échelle métropolitaine, la production de nombreux projets immobiliers de grande envergure a eu pour effet d’augmenter le parc de logements selon le modèle du build-to-rent c’est-à-dire en renforçant la spéculation immobilière autour de produits de logement de plus en plus diversifiés, uniquement destinés à la location et dont la gestion est assurée par un promoteur immobilier. Les recettes liées à la vente de ces terrains ont aussi contribué à la bonne santé financière de l’État du Victoria.
En l’absence d’une planification urbaine réglementée de la part de l’État, les ensembles immobiliers de grande hauteur ont été conçus dans la décennie 2000 tout particulièrement comme produits d’investissement puis pour certains construits « à la va-vite » en contradiction avec le développement d’une ville juste et durable. Les tours de logements servent donc des fonctions qui excèdent la fonction résidentielle, comme le montre Megan Nethercote (2018) : elles jouent un rôle en tant que capitaux et investissements sur les marchés immobiliers internationalisés (voir aussi l’entretien avec Martine Drozdz sur la régénération par projets à Londres). En même temps, les nouvelles tours de Melbourne sont censées renforcer une image de dynamisme ainsi que promouvoir un urbanisme de « distinction » (Nethercote, 2018), dans le but d’attirer une main d’œuvre jeune et qualifiée. La verticalisation résidentielle participe donc de la financiarisation du logement, un phénomène fortement critiqué pour ses effets négatifs sur le droit au logement et la création de logements abordables et de qualité.
À l’échelle du quartier, les conséquences concrètes de la verticalisation à Melbourne comme dans d’autres grandes villes australiennes provoquent de vifs débats qui s’articulent autour de plusieurs grandes questions : conséquences sur l’environnement et la biodiversité, effets sur les transports et mobilités, accès à des logements abordables, sociabilités et qualité de vie. La construction de nouveaux complexes résidentiels peut restructurer un quartier avec l’arrivée de nouvelles populations et une demande accrue en services, infrastructures, espaces verts et écoles. Néanmoins, ces demandes sont en réalité mal connues des promoteurs et des acteurs locaux. Si la verticalisation et l’implantation de tours près des centres urbains est censée favoriser les modes de transport doux et l’utilisation de transports en commun (Fig. 2), rien ne montre que les habitant·es des tours utilisent moins la voiture par exemple, ce qui peut créer des tensions autour des pratiques de stationnement et pose la question de l’inclusion ou non de parkings dans ces complexes immobiliers. La verticalisation est défendue comme un moyen d’économiser des coûts en capitalisant sur les infrastructures urbaines existantes. Elle est également critiquée comme un fardeau pour des infrastructures déjà soumises à rude épreuve (réseaux routiers et de tramway, surchargés aux heures de pointes, ou commerces de proximité). Par ailleurs, la tendance du marché est à la mise à l’écart entre bâtiments haut de gamme et bas de gamme, que l’absence de règlementations protectrices dans le Victoria rend particulièrement inhospitaliers (chambres sans fenêtres, proximité avec immeubles voisins, absence de balcons ou d’espace extérieur communs etc.). On aboutit donc à une verticalisation qui peut être extrêmement inégalitaire, alors que la plupart des modèles immobiliers mixtes instaurés à Melbourne ces dernières années n’ont pas eu les effets positifs escomptés en termes de réciprocité sociale.
À l’échelle domestique, qui a été notamment une des échelles que j’ai privilégiée dans mes recherches de thèse, les conséquences concrètes de la verticalisation pour la population australienne se manifestent à travers la nécessaire adaptation à la proximité et à l’habitat collectif. Pour beaucoup de résident·es de la classe moyenne que j’ai interrogé·es, vivre dans un appartement était une expérience nouvelle. Mon travail de terrain a confirmé les apports de la géographie urbaine australienne qui s’intéresse particulièrement aux sons et à la manière dont les familles avec des enfants vivent au quotidien dans ces tours. S’accommoder des bruits émanant des appartements voisins, et la découverte du vis-à-vis, requiert de multiples efforts de la part des ménages. Inversement les parents qui s’installent dans ces immeubles font souvent face au stigmate selon lequel ils n’offriraient pas à leurs enfants un cadre de vie adapté, ce qui provoque des mécanismes de culpabilité comme la géographe Sophie-May Kerr l’a montré dans le contexte de Sydney (2020).
Ces expériences montrent que la diversité des résident·es des appartements est en réalité mal connue, et implique qu’il est nécessaire de repenser les discours sur la verticalisation et la conception de ces immeubles. Ce que j’ai également constaté lorsque j’ai mené mes entretiens, c’est que ces nouveaux espaces résidentiels produisent une micro-politique quotidienne destinée à négocier la vie en hauteur et la présence des autres. Dans ces négociations, tous les résident·es ne sont pas égaux·les : non seulement la ligne de division entre propriétaires et locataires est réactualisée, mais d’autres mécanismes de distinction sociale apparaissent également dans la gouvernance de ces immeubles (ceux/celles qui vivent dans les étages, ceux/celles qui ne sont que de passage par l’entremise d’Airbnb, les différents segments de la classe moyenne, le genre).
C’est le cas par exemple entre premiers et premières arrivé·es dans l’immeuble d’un côté, et résident·es plus récent·es et par conséquent considéré·es comme plus novices de l’autre. Pour que les promoteurs puissent commencer à rentabiliser l’opération immobilière, l’emménagement dans l’immeuble débute souvent avant la fin des travaux (ce qui est aussi le cas dans les tours beaucoup plus hautes, où les résident·es des étages inferieurs s’installent alors que les étages supérieurs de la tour sont encore en construction). Les premiers et premières arrivant·es de l’immeuble sont liés par cette expérience commune de l’installation dans un complexe immobilier partiellement en chantier, avec les désagréments que cela peut occasionner. Ils partagent aussi l’expérience de la transformation progressive des lieux avec l’arrivée progressive des autres propriétaires et locataires·ices. Mais surtout, ils et elles ont résolu ensemble les premières difficultés dans l’immeuble (inondation, conflit avec les commerces du rez-de-chaussée etc.) ce qui leur confère une bonne connaissance de la gouvernance de l’immeuble, une forme de camaraderie et de complicité entre ancien·nes et parfois même des rapports privilégiés avec les promoteurs·ices. Ce phénomène générationnel, à l’échelle temporelle de l’immeuble, se retrouve ensuite dans la façon dont les rapports sociaux sont établis, les espaces communs occupés et les règles de voisinages établies.
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Dans votre thèse, à propos de Melbourne vous parlez d’un « high-rise way of life », pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Cette expression est à replacer dans un contexte plus large d’évolution des structures sociales et de logement à Melbourne comme c’est le cas dans d’autres capitales australiennes, Brisbane, Sydney ou Perth. Melbourne est doté d’un patrimoine culturel et structurel qui résiste à la verticalité, et à la densité plus généralement. Il est important de comprendre les valeurs historiques, politiques et idéologiques qui sous-tendent les débats autour de la verticalisation. L’habitat collectif est traditionnellement considéré par les Australiens et les Australiennes comme une alternative inférieure à la maison individuelle (Fig. 3), ou comme une option temporaire sur la voie de l’accession à la propriété. Néanmoins, le recul de l’âge d’accès à la propriété et l’arrivée sur le marché immobilier d’un grand nombre d’appartements offerts à la location à Melbourne témoignent d’une évolution des trajectoires résidentielles. En effet, les résultats du dernier recensement de 2016 ont confirmé l’augmentation de l’habitat vertical dans les structures du logement à l’échelle du pays. La spécificité de Melbourne en Australie est son poids démographique, politique et culturel et sa verticalisation rapide par rapport à une proportion initiale d’appartements beaucoup plus faible qu’à Sydney par exemple. Lorsque j’ai commencé mon terrain en 2017, Melbourne franchissait un seuil historique : pour la première fois dans son histoire, la construction d’appartements neufs dépassait celles des maisons individuelles.
Par ailleurs, ce qui m’a intéressé quand j’ai commencé à faire du terrain à Melbourne dès le début des années 2010, c’était ces projets de tours résidentielles qui faisaient irruption loin du CBD de Melbourne, parfois à 20 km du centre, au sein d’espaces suburbains jusqu’à lors marqués par l’habitat pavillonnaire mais caractérisés par une forte croissance démographique auxquels ces projets répondaient en partie. Un des concepts majeurs qui a guidé mes recherches est la notion très ambivalente et politique de « chez-soi » (home) et le rôle des promoteurs·ices immobiliers et des résidents et résidentes dans la façon dont le chez-soi est façonné en lien avec les imaginaires et pratiques de la verticalité.
Dans ma thèse, il s’agissait ainsi d’expliquer comment les promoteur·ices immobiliers tentent d’influencer les représentations liées à l’habitat collectif afin de séduire différents segments de la classe moyenne. Plutôt qu’un compromis acceptable dans lequel le couple maison-jardin est troqué pour les attraits de la vie urbaine, je voulais montrer que la vie en appartement était désormais présentée par les promoteur·ices immobiliers comme un style de vie sophistiqué et recherché, incarnant un renouveau nécessaire des quartiers péricentraux. En d’autres termes, la vie en hauteur dans les villes australiennes était en phase de devenir non seulement une configuration de logement acceptable pour une partie de la classe moyenne, mais également une fin désirable en soi. En outre, j’ai voulu analyser la façon dont ces imaginaires sont activement réinterprétés par les habitant·es, et montrer que ce « high-rise way of life » est coproduit par différents acteur·ices de la ville.
Par exemple, j’ai constaté lors de mes entretiens et de mes visites de terrain que les imaginaires hôteliers était fréquemment mobilisés dans les discours des promoteur·ices. Ces imaginaires du haut standing revalorisent les anciens préjugés, selon lesquels la vie dans une tour était, non pas la résultante d’un choix, mais la seule façon d’accéder à un logement urbain ou la conséquence d’un statut social inférieur ou de revenus limités (logement social, résidences pour étudiants·es internationaux·les ou travailleurs·ses expatrié·es). Ces imaginaires permettent de valoriser le fait de vivre dans un appartement à Melbourne où vivre dans une tour est d’abord lié soit au logement social soit aux résidences pour étudiants internationaux. Il était intéressant de voir comment les promoteur·ices et architectes ont recours à des caractéristiques typiques des hôtels de luxe (services personnalisés, accueil dans le hall d’immeuble, architecture grandiose, jeux de lumières, œuvres d’art…) afin de normaliser des appartements aux surfaces habitables très réduites, en s’appuyant sur l’auto-identification des résident·es à des citoyen·nes cosmopolites. Tout cela contribue à recréer l’image d’une expérience haut de gamme en lien avec la tour et permet à la classe moyenne de renoncer à l’idéal du pavillon avec jardin. Ces imaginaires qui mêlent la verticalité et cette forme d’habitat éphémère qu’est l’hôtel ont cependant leurs limites : bien que ces immeubles soient dotés d’un « concierge » (qui dénote en Australie d’un statut social élevé parce que le terme s’inspire des immeubles nord-américains notamment), les pratiques de location de courte durée, qui font presque de la tour un hôtel, sont prudemment mises sous contrôle par les syndicats de copropriété. Alors que l’adoption de ces imaginaires hôteliers pourrait impliquer une ouverture à des formes d’appartenance et de résidence plus transitoires, la plupart des résident·es et des promoteur·rices que j’ai interrogés étaient opposé·es aux locations de courte durée dans ces immeubles.
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En quoi le fait de vivre dans un immeuble de grande hauteur a des impacts sur les modes d’habiter la ville ?
Le point de départ de mon travail était qu’une majeure partie des études urbaines sur la verticalisation en Australie se focalisent soit sur la localisation et les modèles d’implantation des tours, soit sur les politiques de densification à échelle nationale et métropolitaine. Pour ces raisons, il était essentiel de se pencher sur les modes d’habiter dans ces complexes résidentiels neufs. Ma thèse a contribué à cet axe de recherche en développant une analyse à l’échelle micro des pratiques sociales à l’intérieur et à l’extérieur de deux tours dans des quartiers péricentraux. Le but était en effet de voir la façon dont ces complexes immobiliers modifient les trajectoires des quartiers péricentraux australiens et sont, à leur tour, modifiées par elle. Par ailleurs les immeubles que j’ai étudiés dans le détail avaient véritablement des velléités de « créer la ville » en proposant des services, des espaces de sociabilités, des événements.
Je propose de répondre à votre question sous l’angle de la gouvernance, qui est au cœur des impacts de la tour sur les modes d’habiter. Par ailleurs, je précise que je préfère utiliser l’expression volontairement floue de « tour » (ou high-rise) à celle « d’immeuble de grande hauteur » qui est spécifique au contexte et au droit français. Dans le Victoria, le seul indicateur de la hauteur dans les règlements d’urbanisme est la distinction entre 1, 2, 3 ou 4 étages et plus (des immeubles de 5 et de 78 étages appartiennent donc à la même catégorie juridique), ce qui constitue déjà un bon indice de la faible régulation en ce qui concerne la hauteur des immeubles à Melbourne.
Par leur taille et leur densité, les tours nécessitent des montages politiques complexes afin d’administrer la gestion des appartements et d’organiser la vie quotidienne des résident·es. Ils constituent un cadre important en Australie pour explorer les relations de pouvoir en raison de l’évolution de ces structures juridiques. Le rôle des syndicats de copropriété qui fonctionnent sous le régime de « strata title » spécifique au droit australien, et de ses administrateurs, est tel que les géographes Hazel Easthope et Bill Randolph (2009) ont pu en parler comme du « quatrième échelon de la gouvernance urbaine » (en dessous des échelons fédéral, étatique et local), malgré leur relative invisibilité dans la vie quotidienne. Les tours supposent par ailleurs un certain niveau d’implication et de coopération de la part des résident·es afin de garantir un certain niveau de contrôle, d’autonomie et de sécurité indispensable au vivre-ensemble.
J’avais donc pour objectif de comprendre comment le pouvoir est négocié spatialement et socialement par ces différents acteur·ices de la tour, syndicats de copropriété, associations de résidents, gardien·nes d’immeuble, gestionnaires et résident·es eux-mêmes, et à quels types de sociabilités cela aboutit. Dans les deux immeubles que j’ai étudiés, la vie quotidienne est régie en grande partie par une tendance à la sécurisation et par des relations sociales relativement distantes entre résident·es, malgré la profusion d’espaces communs censés créer une atmosphère de « village immeuble » (selon les termes utilisés par leurs architectes). Cela s’explique d’une part par les efforts des résident·es dans le but de maintenir un équilibre entre proximité spatiale et sociale, et d’autres part par le fait que les comportements peuvent vite devenir punitifs si les relations sociales s’étiolent (empoisonnement des plantes du voisin, obstruction d’une place de parking nominative, exclusion du groupe social etc.). Enfin, les outils de sécurisation dans la tour (contrôles des accès, caméras de vidéo-surveillance) jouent aussi un rôle dans les modes d’habiter et les attentes des résident·es en ce qui concerne la réduction de nuisances. Les réunions de copropriété peuvent se dérouler dans un climat tendu, particulièrement quand l’immeuble s’avère défectueux ou que la municipalité vient par exemple annoncer l’introduction d’un système test de compost dans l’immeuble avant de le généraliser au quartier, comme cela a pu être le cas pendant mon terrain. C’est cet apprentissage de l’habitat collectif auquel vient se confronter la classe moyenne australienne, qui modifie en retour la verticalité selon ses propres termes.
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Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez procédé pour effectuer votre travail de terrain dans ces espaces résidentiels à Melbourne ?
Les tours pour les classes moyennes sont donc des espaces fermés, sous contrôle et ainsi particulièrement difficiles d’accès, tant physiquement que socialement. Certains géographes-explorateurs comme Bradley Garrett (2013) ont pu avoir recours à des méthodes d’exploration urbaine pour s’approprier les gratte-ciels contestés de Londres et promouvoir une géographie verticale radicale, mais dans mon travail de thèse je me suis montrée moins intrépide.
Une fois les deux immeubles sélectionnés selon une série de critères (nombre d’étages, de logements, type de produit immobilier etc.), j’ai d’abord conduit une série d’entretiens avec les acteurs de la construction, de la promotion immobilière et de l’entretien des deux immeubles, que j’avais contactés directement par mail. J’ai ensuite déposé des centaines de flyers dans les boîtes aux lettres des immeubles, et j’ai obtenu un taux de réponse extrêmement faible. C’est en faisant un entretien avec le gérant d’un des deux ensembles résidentiels que je me suis rendu compte du rôle clef que ces « building managers » jouaient dans la gestion quotidienne de l’immeuble, et pouvaient potentiellement jouer dans le déroulement de mon terrain. J’ai donc sollicité leur aide pour afficher, officiellement cette fois, mes documents de recrutement dans les ascenseurs, parkings, et obtenu de nombreuses réponses positives des résident·es. J’ai pu ainsi non seulement organiser une trentaine d’entretiens avec des résident·es suivies de visites de l’immeuble, mais aussi être invitée aux réunions de copropriété et aux apéritifs organisés par le syndicat de copropriété, pendant lequel le building manager se transforme en barman.
Ce sont aussi des espaces socialement hermétiques. Pour naviguer entre mes interactions avec des résident·es de la classe moyenne ou supérieure, je me suis appuyée sur les travaux des Pincon-Charlot sur les méthodes d’enquêtes auprès de la bourgeoisie, « objet de recherche impossible » (2005 : 77) , bien que les codes, et la notion même de classe sociale, soient bien différents en Australie du contexte français. En contexte anglophone et australien, le degré de formalité pendant les entretiens, par exemple, était bien moindre. Néanmoins, il a fallu être consciente du capital culturel et social dont est dotée la classe moyenne supérieure, ce qui leur offre la flexibilité et la liberté nécessaires pour contourner les questions indésirables. Il était donc de la plus haute importance, lors l’organisation d’entretiens, d’avoir accès, non seulement physiquement à ces espaces, mais aussi au milieu social, certes hétérogène, que constituaient chacun des deux immeubles. Menée avant l’entretien, la visite de l’immeuble et des environs était également une façon d’établir un lien de confiance avec les résident·es. Combiner des entretiens classiques chez les résident·es à ces visites à pied a permis de provoquer des souvenirs pendant les entretiens et également d’être présentée à d’autres habitant·es en chemin. Cela a révélé non seulement l’importance des rencontres fortuites dans les sociabilités quotidiennes dans les tours, mais cela a aussi mis en évidence la fonction des systèmes de confiance et de cooptation dans les milieux exclusifs de la classe moyenne supérieure (Wiesel, 2018).
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Ce développement de la verticalisation résidentielle est-il contradictoire avec l’étalement urbain, pourtant longtemps associé aux processus d’urbanisation des villes australiennes ? La verticalisation forme-t-elle une nouvelle forme de trajectoire suburbaine dans les villes australiennes ?
Les processus de verticalisation et d’étalement urbain sont concomitants dans les villes australiennes. Il faut rappeler que les impératifs de densification ou « consolidation » urbaine sont sur la table de travail des urbanistes en Australie depuis plus de trente ans. À Melbourne, le processus de consolidation est enclenché notamment par un assouplissement des freins à la densification avec le plan d’aménagement Metropolitan Strategy en 1981. Les objectifs de la lutte contre l’étalement urbain sont triples : protéger les paysages périurbains, augmenter le potentiel des transports en commun, et augmenter l’offre en logement abordables et bien situés. Malgré ces politiques, la densité des villes australiennes n’a que légèrement augmenté et l’expansion vers l’extérieur en marge des villes se poursuit.
En 2009, le plan d’urbanisme Transforming Australian Cities fait le constat d’une demande croissante de l’offre de logements dans le contexte d’une « nouvelle révolution urbaine ». Ce rapport est déterminant car il reconnaît la nécessité d’aller de l’avant et d’enrayer l’étalement urbain, alors présenté comme menant à une catastrophe économique, sociale et environnementale. Des grands principes sont établis afin de gérer l’augmentation de la densité et de contenir la croissance morphologique dans des zones de développement « clefs » et des « couloirs urbains » dans les suburbs. Ces principes comprennent la mixité des usages, la connectivité avec les routes principales, la qualité du domaine public et du caractère local, ainsi que certaines indications de hauteur. En d’autres termes, ces réglementations de la planification et du zonage au niveau de l’État et des collectivités locales tentent de confiner le développement de tours dans des zones de rénovation urbaine clairement identifiées, souvent des quartiers dont le zonage urbain est à la fois commercial et résidentiel.
Mon travail de terrain s’inscrit dans l’héritage manqué de Transforming Australian Cities, qui semble avoir eu des conséquences limitées sur la façon dont les projets de construction sont appréhendés dans les suburbs. La bataille pour préserver le suburbaustralien est partiellement perdue. Cela est dû en partie à la nature de la législation en matière d’urbanisme et au pouvoir prépondérant du tribunal civil et administratif de l’État de Victoria (VCAT) dans l’arbitrage des conflits. Dans l’État de Victoria, le VCAT est un tribunal qui statue sur des affaires civiles et administratives et qui entend fréquemment des litiges relatifs à la construction de tours. La plupart des acteurs municipaux auprès desquels j’ai enquêté m’ont expliqué préférer négocier directement avec les promoteur·ices immobiliers (sur la hauteur, la présence de passages ouverts aux piétons ou de cours intérieures) plutôt que d’en arriver à comparaitre devant le VCAT, dont la décision finale donne une marge d’action considérable aux constructeur·ices et promoteur·ices.
Les municipalités urbaines à Melbourne jonglent donc entre la préservation du suburb traditionnel et la réponse à une demande croissante de logements et de services de la part de la population. Dans mon travail, j’ai essayé de montrer que dans les faits, l’analyse binaire entre conservation du suburb et arguments pro-densification est souvent inopérante. D’une part, de nombreux travaux ont montré que le modèle de la maison et jardin tel qu’il a été idéalisé avait en réalité beaucoup évolué ces dernières décennies. Son faible impact environnemental doit être remis en question alors que les surfaces bâties occupent une part des îlots de plus en plus importante, que les jardins disparaissent et avec eux la végétation, créant des logements individuels mal isolés, énergivores et au rendement faible (Hurley et al., 2017).
D’autre part, j’ai découvert pendant mes entretiens que les habitant·es des tours pouvaient se montrer extrêmement ingénieux et ingénieuses en ce qui concerne la recréation d’un environnement suburbain par l’introduction de plantes à l’intérieur des appartements, ou même, dans un cas ponctuel, la combinaison de plusieurs appartements dans les étages inférieurs comme pour recréer le pavillon traditionnel du suburb. Ces résultats montrent aussi que les discours anti-verticalisation circulent et évoluent de façon non linéaire : à Abbostford, un de mes quartiers d’étude, des résident·es ont pu se montrer farouchement opposé·es à la verticalisation de leur quartier mais finalement déménager dans les appartements les plus prisés de ces immeubles.
Les valeurs souvent associées au suburb australien – jardin, famille, société – ne sont donc pas simplement remises en question par les stratégies de densification mais par la nature changeante du « grand rêve australien ». Ce qui est véritablement en jeu dans les suburbs australiens aujourd’hui, c’est donc la capacité des acteurs à déterminer la façon dont la verticalisation est produite et habitée.
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Dans le cas de Melbourne, quel est le rôle des acteurs locaux, en particulier municipaux, dans la verticalisation de la ville ? Existe-t-il des mobilisations ou des mouvements d’opposition à la verticalisation ?
Pour envisager le rôle des acteurs et les mouvements d’opposition à la verticalisation, il faut revenir rapidement sur les échelons administratifs dans l’État du Victoria. Ce qu’on appelle la ville de Melbourne correspond en fait à l’échelle métropolitaine du Greater Melbourne, un découpage territorial proche du Grand Londres, qui est divisée en municipalités (appelées « City », ou s’il s’agit de municipalités rurales, « Shire », qui signifie commune) regroupant elles-mêmes des « suburbs ». Contrairement aux États-Unis par exemple, le suburb australien ne désigne pas forcément un espace périurbain entièrement dépendant de l’automobile, mais fait référence à un échelon de la gouvernance territoriale et est synonyme de quartier dans le langage courant. Ils sont des lieux de vie et d’activités économiques dotés d’une forte identité. La City of Melbourne désigne donc parmi d’autres la municipalité centrale de la région métropolitaine de Melbourne et le CBD de Melbourne est techniquement un suburb. La distinction se fait davantage au niveau de la distance de ces suburbs au centre-ville et s’opère entre les « inner-city suburbs », proche et bien connectés au centre-ville par un réseau de tramways et de bus des « outer suburbs », plus éloignés et souvent uniquement reliés par une ligne de train.
La verticalisation des suburbs est généralement associée à une forte résistance des locaux qui rentrent en conflit avec les municipalités locales. On l’a vu, Melbourne comme les autres grandes capitales australiennes, est une ville attachée au modèle de la propriété individuelle et caractérisée par un fort étalement urbain (supérieur à celui de Sydney). La recrudescence depuis dix ans de la construction de tours résidentielles au-delà de l’hypercentre a relancé les discussions sur l’intégrité architecturale des suburbs. Les morphologies des bâtiments (hauteur, volume et visibilité), leurs fonctions (mixtes ou résidentielles) ont été vivement contestées par des militants locaux et des résident·es dans le cadre de débats historiques sur la préservation du caractère des suburbs. Il y a une forte tradition de contestation à la verticalisation du centre-ville qui s’est superposée dans le passé avec des mouvements activistes et ouvriers contre les processus de gentrification, notamment dans les années 1960 et 1970. Ces mouvements ont aussi pu se mêler a des tentatives de sauvegardes d’institutions culturelles (notamment musicales) dont la longévité était menacée par de grands projets immobiliers (Dorignon, 2014).
Plus récemment, ces mobilisations prennent des visages différents. Il y a l’idée que le caractère du suburb traditionnel australien peut-être mis en péril par des constructions plus hautes, même quand il s’agit d’immeubles de 6 étages, ce qui peut paraitre relativement bas dans un contexte européen. Les mouvements anti-verticalisation sont aujourd’hui particulièrement actifs dans les suburbs du Sud-Est de la ville, les plus aisés de Melbourne, qui s’opposent à ce qui est désigné comme une « jungle de béton » (concrete jungle). Certains de ces mouvements cachent en réalité d’autres motivations, comme celle de freiner l’arrivée de nouvelles populations dans ces quartiers (étudiant·es, locataires, locataires de logement sociaux), mais ce phénomène est plus difficile à mesurer. Pourtant, le plus grand nombre de projets de tours sont localisés dans le Nord. Les projets d’appartement ne sont pas absents dans ces suburbs aisés du Sud-Est, mais ils prennent des formes plus subtiles ou empruntent au vocabulaire du prestige ou du luxe pour tenter de se démarquer et séduire une clientèle de la classe moyenne supérieure. Cela conduit à un environnement très politisé, les autorités locales étant elles-mêmes souvent en désaccord avec le gouvernement du Victoria comme je l’ai expliqué précédemment. Ce schéma met en lumière une rupture entre les orientations stratégiques affichées des politiques d’aménagement à l’échelle métropolitaine et la réalité locale de l’évolution de la ville. Ceci renvoie à la question du rôle des acteurs de la régulation de la verticalisation : pour beaucoup d’observateurs, les acteurs municipaux n’ont en réalité aucun pouvoir, tout se décidant véritablement au niveau de l’État du Victoria.
Néanmoins, le développement des tours résidentielles et leurs représentations sont largement influencés par les décisions des professionnels de la construction urbaine – architectes, promoteur·ices, constructeur·ices et acteur·ices de l’aménagement. Leur rôle dans la constitution de discours sur la validité des tours résidentielles comme lieux de vie mérite un examen plus approfondi dans la recherche urbaine.
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En quoi la crise de COVID-19 vient-elle bouleverser le processus de verticalisation à Melbourne ?
Les éléments de réponse que je peux vous donner se fondent sur mes observations en tant qu’habitante de Melbourne. La crise provoquée par la pandémie de COVID-19 au début de l’année 2020 vient heurter de plein fouet la ville de Melbourne. La gestion sanitaire dans l’État du Victoria ne permet pas d’endiguer la contamination, imposant un confinement à la ville d’une longueur inédite par rapport aux autres capitales (O’Sullivan et al., 2020). En juillet 2020, l’État du Victoria ferme ses frontières avec la Nouvelle-Galles du Sud (dont Sydney est la capitale) pour la première fois depuis 1919. Au moment où je vous réponds, cette frontière est toujours fermée. À Melbourne, la gestion du COVID-19 a imposé la presque fermeture du CBD et généralisé le télétravail depuis sept mois.
Dans un premier temps, les liens entre la crise du COVID-19 et les tours résidentielles se sont portés principalement sur la question sanitaire. Alors que la façon dont le virus se propage est mal connue, de nombreuses craintes et incertitudes se sont dirigées vers les immeubles hauts et denses. Les experts de santé publiques hésitent sur le risque accru ou non de transmission du virus dans l’habitat collectif, qui nécessite l’utilisation de surfaces communes, la proximité dans des espaces exigus (ascenseurs, cages d’escaliers) et discutent de la propagation du virus dans les conduits d’aération. Tout ceci crée un contexte d’incertitudes qui réaniment de vieilles peurs liées à l’habitat dans les tours. Néanmoins, ces conversations révèlent vite les inégalités auxquels ont été soumises les différentes tours de la ville en fonction de leur composition sociale. Le 4 juillet, 9 tours de logement social, dans les quartiers Nord de Melbourne notamment, se voient imposer un confinement strict avec interdiction totale de sortir de chez soi, et sont placées sous surveillance de la police. Ceci déclenche de vives contestations dans les médias et dans l’opinion publique, déclenchant un mouvement de solidarité (voir fig. 8) qui révèle la capacité de la société urbaine de Melbourne à questionner son gouvernement en temps de crise.
Dans un second temps, la pandémie de COVID-19 annonce à Melbourne des conséquences majeures sur la viabilité de tours existantes ainsi que sur l’avenir du secteur de la construction. La vacance des tours de bureaux dans le CBD est en augmentation et certains commentateurs suggèrent qu’ils soient convertis en logements. Ces chiffres restent encore faibles avec une augmentation de la vacance de 3,2 % à 5,9 % (Property Council of Australia, 2020), mais les premières estimations montrent que 40 % des travailleurs·ses ne sont pas retourné·es dans les bureaux du CBD à Melbourne et que seulement 7 % de ces tours étaient utilisées en août 2020 alors même que l’offre continuait de croître (Cummins, 2020). On voit en ce moment apparaitre une discussion sur la possibilité du maintien possible du télétravail, le développement de centre suburbains locaux et une distribution plus équitable des espaces verts dans la ville (voir fig. 9). Il y a certainement eu une forte médiatisation des discours autour d’une fuite du centre-ville vers les espaces semi-ruraux à la marge de la ville et vers les petites et moyennes villes du Victoria, et en même temps la réactivation d’un programme politique et social pour une ville plus juste, davantage piétonne et accessible à tous et toutes. Néanmoins le CBD n’est pas absent de ces efforts pour repenser la ville à l’aube du post-COVID-19. Architectes et urbanistes s’emploient à imaginer l’occupation des espaces dans la rue, dans un contexte où les ruelles du CBD étaient des espaces de vie animés et économiquement dynamiques. Le défi réside dans le maintien d’un centre hautement verticalisé et dans une distribution équitable de mesures urbanistiques post-COVID-19.
Entretien réalisé en octobre 2020 par Charlotte Ruggeri
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Couverture : Le complexe immobilier Acacia Place à Abbostford (L. Dorignon, 2017)
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Pour citer cet entretien : Dorignon L., 2020, « L’habitat vertical à Melbourne, une itération contemporaine et conteste du Great Australian Dream », Urbanités, entretien pour le #14 / Il n’y a pas que la taille qui compte, en ligne.
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- Les études sur l’habitat vertical s’intéressent aux relations entre les modes d’habiter, pris au sens large, et la verticalité (du bâti et des espaces mais aussi du regard, des imaginaires etc.). Depuis une dizaine d’années, ce champ de recherche connait un regain d’intérêt et explore la diversité des pratiques (Baxter, 2017), des relations sociales (Ghosh, 2014) et des formes urbanistiques et politiques (Mollé et al., 2019) liées au processus de verticalisation résidentielle. [↩]