#17 / L’insatisfaction citoyenne relève-t-elle de l’erreur urbaine ? Regards croisés sur l’éco-quartier de l’Arsenal

Cedissia About et Claire Doussard

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Dans les années 1960 et 1970, en pleine période de reconstruction, les conflits se multiplient sur les transformations urbaines (Villeneuve et al., 2009), réalisées le plus souvent dans une logique de tabula rasa, mais aussi sur les questions environnementales ou la dégradation du cadre de vie. Les luttes citoyennes, portées par des associations de plus en plus compétentes, ne parviennent cependant pas ou peu à modifier les pratiques politiques descendantes, tandis que, dans le même temps, la participation des habitants est progressivement intégrée dans les textes internationaux, tels que la convention d’Aarhus (1998) ou la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (2000). À partir des années 2000, la mise en œuvre de démarches de développement durable et l’adaptation des territoires au changement climatique (Frimousse et Peretti, 2019) sont à l’origine de profondes mutations dans les pratiques urbaines, avec une implication des habitants renforcée pour anticiper, atténuer, voire éviter l’émergence de conflits.

À ce jour, les acteurs publics disposent de nombreuses démarches et outils pour mobiliser les habitants dans un projet (Gardesse, 2011) : l’information permet de partager les données et les décisions associées à un projet ; la consultation se traduit par l’organisation de réunions publiques lors desquelles les habitants sont amenés à donner des avis sur des éléments du projet (Zetlaoui-Léger et al., 2015) ; la concertation est associée à un processus de discussion et de négociation autour d’un projet donné en présence de plusieurs acteurs. Cette dernière est cependant mal distinguée de la participation, qui permet une implication plus approfondie des habitants ou des usagers autour de l’élaboration d’un projet. Aussi, alors que certaines démarches de concertation réglementaires peuvent ne pas prendre en compte les avis des citoyens, les processus de participation citoyenne le font systématiquement. Enfin, la coproduction permet aux habitants de participer activement à la définition et à la réalisation du projet avec les professionnels de l’aménagement, allant ainsi au-delà des discussions et négociations habituellement associées à la concertation (Gardesse, 2011).

Ces outils présentent néanmoins quelques limites : les décisionnaires ne sont pas toujours en mesure de prendre en compte toute la complexité et la diversité des points de vue entre les acteurs institutionnels et les habitants, ni toute la multiplicité des innovations associées au processus de participation (marches exploratoires, parcours sensibles, démarches de co-création, intertexting), alors que ces dernières produisent des données tant sensibles que factuelles sur les quartiers complétant le volet qualitatif des diagnostics (About et al, 2021). Par ailleurs, malgré le succès des démarches participatives multiformes, il reste difficile d’en faire bénéficier un grand nombre d’acteurs car la connaissance de ces dispositifs reste limitée à un cercle d’initiés, conscient des nombreux enjeux politiques auxquels ils sont associés (Gourgues et Sainty, 2019).

La finalité de ces démarches et outils mérite cependant d’être discutée. Si la participation citoyenne interroge les cadres de la démocratie représentative pour gouverner autrement (Hatzfeld, 2011), elle permet surtout d’adopter des décisions qui auront fait l’objet d’échanges à des fins d’amélioration des projets (Denolle et Duval, 2016) et d’apporter de meilleurs résultats sur la question de la satisfaction des habitants en phase de vie des quartiers (Marion, 2010). Cette notion de satisfaction est initialement associée à la performance d’un produit ou d’un service, comparativement aux attentes antérieures de clients (Van Ryzin, 2004). En aménagement urbain, la satisfaction fait référence d’une part au recensement des besoins et des demandes spécifiques des usagers en phase de conception, et d’autre part à la performance du projet au regard précisément de ces besoins et demandes. Bien qu’une évaluation objective des performances demeure souvent difficile à établir, elle constitue une base pour qu’une administration démocratique interprète ce que les citoyens peuvent ressentir, penser et souhaiter d’un projet (Wong et al., 2011). Elle peut aussi être révélatrice des décalages entre les objectifs initiaux de la maîtrise d’ouvrage, et la performance du projet estimée par les usagers, qui détectent parfois des erreurs de conception ou de réalisation en phase ex-post. L’évaluation de l’insatisfaction des citoyens peut ainsi se rapprocher de la mesure de ces erreurs. Par ailleurs, l’erreur urbaine est le fruit d’un processus relationnel, induisant que les notions d’échec et de succès soient fluides et utilisées à des fins politiques (Temenos et Lauermann, 2020). Dans quelle mesure l’insatisfaction citoyenne révèle-t-elle donc des erreurs de conception ou des dysfonctionnements relationnels associés au processus de concertation ?

En réponse à cette question, notre article étudie les circonstances relatives à l’émergence de niveaux de satisfaction citoyenne variables du fait de décalages entre idéaux nationaux et métropolitains de projets urbains durables portés par la maîtrise d’ouvrage, et évaluations de la performance des projets par les usagers au niveau local.

À ce jour, plus de 500 projets urbains ont été engagés en France suivant les exigences de la démarche nationale EcoQuartier, incitant les porteurs de projets à mettre en œuvre des démarches participatives. La livraison de nombre de ces quartiers a néanmoins révélé des failles dans le déroulé de la concertation organisée par les acteurs institutionnels n’ayant pas toujours permis aux riverains de faire entendre leur voix (Chardonnet, 2016). Ces difficultés de dialogue sont notamment observables durant la phase d’éco-conception (Pinheiro-Croisel, 2014), mais aussi à la livraison des quartiers, qui peinent in fine à atteindre leurs objectifs socio-environnementaux.

Afin d’approfondir cette situation particulière où se mêlent de manière concomitante des sentiments de réussite et d’échec, nous avons choisi d’étudier le cas de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) de l’Arsenal à Rueil Malmaison. Ainsi, cet article explore dans un premier temps les conditions d’émergence de la ZAC de l’Arsenal aux niveaux national, métropolitain et local. Dans un second temps, il examine les dynamiques de participation et de satisfaction citoyenne présentes dans le cadre du projet. L’étude s’appuie sur des visites de terrain, la conduite d’entretiens semi-dirigés auprès d’habitants et de riverains de la ZAC, de la maîtrise d’ouvrage publique et de l’aménageur, ainsi que sur une enquête quantitative menée entre novembre 2021 et mars 2022 auprès de 91 riverains et habitants. Les citoyens locaux sont représentés par un réseau d’échanges entre résidents, Rueil Arsenal (RA), et un mouvement citoyen contestataire constitué en association sous le nom de Rueil Arsenal Grand Paris, pour un éco-quartier exemplaire (RAGP).

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La ZAC de l’Arsenal : de fortes ambitions pour transformer une friche industrielle en éco-quartier

Le quartier de l’Arsenal est aménagé sur une ancienne friche industrielle de 26 hectares (usine Renault et bureaux de l’OTAN), située à Rueil-Malmaison. La ZAC a été créée en 2015 pour répondre à des besoins de requalification urbaine et de densification du quartier, mais aussi pour pallier une offre inégale suivant les secteurs en transports publics, espaces verts, équipements publics et commerces.

1. Localisation et plan masse de la ZAC de l’Arsenal (C. Doussard, 2022)

Le projet a reçu le label EcoQuartier en phases 1 (engagement) et 2 (conception). La candidature à la phase 3 (réalisation) est en réflexion. Neuf engagements socio-environnementaux prioritaires ont été retenus dont celui d’« assurer une concertation continue ». C’est en réponse à ce dernier engagement que la collectivité estime avoir très largement communiqué et invité les riverains et habitants à participer à l’élaboration du projet. En effet, le site officiel de la ville de Rueil-Malmaison présente de nombreuses informations et vidéos destinées au grand public1. Il mentionne également le lancement de la concertation en 2014 et l’organisation d’une réunion publique en 2018. À ces évènements s’ajoute l’organisation de nombreuses visites de la maison de l’éco-quartier, des visites guidées du quartier, ainsi que des présentations trimestrielles des travaux en cours. La diffusion de l’information autour de ces différentes actions de concertation s’effectue en ligne, dans le bulletin municipal Rueil Infos, par distribution de prospectus dans les boîtes aux lettres, ou encore sur des panneaux publicitaires dans l’espace public. Les membres de l’association RAGP participent activement aux réunions de concertation, ainsi qu’un tiers environ des riverains ayant répondu à l’enquête. Pour la plupart, ces riverains sont propriétaires de leur logement depuis plus de 10 ans. Les habitants de la ZAC, quant à eux, sont le plus souvent arrivés à l’issue des livraisons des premiers lots et ont donc moins d’attaches dans le quartier. Ils présentent de ce fait un taux plus faible de mobilisation. C’est ce que présente le graphique 2 ci-dessous.

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2. Niveaux de participation à la concertation (source : questionnaire diffusé en jan. 2022, C. Doussard, 2022)

Trois ateliers de concertation ont été organisés de mars à novembre 2017 sur différentes thématiques : le grand parc traversant, les commerces et les équipements, la circulation et le stationnement. Un autre atelier a également été organisé en juillet 2019 sur les questions de mobilité.

Le parc traversant (2,3 hectares) rejoint la place principale du projet, et se situe à moins de 300 m de chaque bâtiment. Il est l’élément structurant de la trame verte du projet, constitué également par des parcelles comprenant au moins 20 % d’espace en pleine terre. Le devenir d’une friche fait par ailleurs l’objet de débats informels en dehors des ateliers de concertation : la RAGP défend l’idée de la conserver pour l’aménager en parc urbain, tandis que la maîtrise d’ouvrage la réserve pour la construction d’une caserne de pompiers d’envergure territoriale.

Sur le plan des commerces et des équipements, le projet comprend des magasins de proximité en pieds d’immeubles, un Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT), un complexe sportif (piscine, gymnase, plateau sportif multisports en toiture), une crèche, un groupe scolaire (écoles maternelle et élémentaire), et des immeubles de bureaux. Le marché couvert, qui présente un caractère patrimonial, est réhabilité pour accueillir un équipement culturel.

La ZAC est située à proximité immédiate d’une future gare du Grand Paris (ligne 15) dont la mise en service est programmée pour 2030. Une ligne de bus (244) et une piste cyclable traversent le quartier. Les modifications des sens de circulation et l’évolution des modes de mobilités sont discutées lors d’ateliers de concertation sur le sujet, mais sont critiquées par certains habitants qui regrettent les retards de livraison de la future gare.

Sur le plan de l’énergie, 65 % de la consommation provient d’énergies renouvelables, notamment issues de 2 puits de géothermie qui alimentent différents bâtiments de la ville. Ces puits font l’objet de nombreux débats auprès des habitants et riverains inquiets de les savoir à proximité de l’école primaire. Pendant les travaux de forage, plus de 20 réunions d’information et d’échanges ont été proposées aux riverains.

Le projet comprend la réalisation de 2 300 logements, dont 25 % de logements sociaux. Ce chiffre est cependant contredit par un document issu du conseil municipal du 18 octobre 2018 annonçant 2 719 logements2. Cette augmentation de la densité de population du projet est utilisée par l’association RAGP pour démontrer le non-respect des engagements initiaux par la maîtrise d’ouvrage.

Comme nous pouvons le voir dans le cas du quartier de l’Arsenal, la transition écologique est abordée par la maîtrise d’ouvrage au prisme d’enjeux nationaux et métropolitains, dépassant largement l’échelle du quartier. Les collectivités territoriales de la Métropole du Grand Paris se doivent en effet de répondre à de multiples injonctions relatives à l’aménagement des futurs quartiers des gares multimodales du Grand Paris dans une logique de maîtrise de l’étalement urbain, avec la construction de près de 70 000 logements en Ile-de-France3 et dans le respect des bonnes pratiques de l’urbanisme orienté vers le rail (Schorung, 2020). Mais si cette transition est présentée par les pouvoirs publics comme un moteur de progrès dans l’élaboration des projets urbains, notamment avec l’appui du label EcoQuartier, elle n’est pas toujours comprise ou acceptée par les acteurs locaux qui ne trouvent de réponses ni concrètes ni immédiates aux problématiques rencontrées près de chez eux. Par exemple, les éco-quartiers doivent répondre à des exigences établies au niveau national, qui apparaissent parfois insuffisamment adaptées, voire en décalage avec les contextes territoriaux en termes de densité, de programmation, ou de coût et d’accès aux matériaux de construction (Fonticelli et Doussard, 2021). Un compromis est alors difficile à atteindre entre ces enjeux métropolitains et les besoins locaux des riverains, souvent propriétaires de longue date dans un tissu pavillonnaire « relâché », qui voient arriver avec inquiétude une opération de forte densification urbaine. Comme l’indique Sabine Barles (2017), la transition socio-écologique urbaine peut être encouragée, mais peut aussi être subie, suivant les outils de dialogue utilisés par les porteurs de projets et le niveau d’implication des citoyens.

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Avis des acteurs de l’éco-quartier : des degrés de satisfaction nuancés

Malgré la mise en œuvre de nombreuses démarches participatives par la maîtrise d’ouvrage, les citoyens expriment différents degrés de satisfaction suivant les deux dimensions exprimées par Wong et al. (2011) : la prise en compte de leurs avis lors du processus de concertation d’une part, la performance du projet livré d’autre part.

3. Lots livrés (C. Doussard, 2021)
A. Immeubles de logements, rue du Général Guy de Boissoudy
B. Linéaire de commerces et de logements, rue des Bons Raisins
C. Puits de géothermie et groupe scolaire Robespierre
D. Complexe omnisports Alain Mimoun

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Quelle prise en compte des avis des acteurs locaux en présence ?

En premier lieu, devant une prise en compte jugée inégale de leurs revendications, et du fait que les conclusions des réunions leur semblent écrites avant même que celles-ci aient eu lieu, un groupe de riverains a constitué l’association RAGP en 2016. La présidente de l’association précise à ce propos que : « En aucun cas, la Mairie n’a montré un souhait transparent de s’appuyer sur les opinions de ses habitants pour améliorer le projet de la ZAC, ses représentants nous ont d’ailleurs dit ouvertement que c’était leur projet ». De son côté, la Mairie estime avoir instauré un véritable climat de dialogue et de compromis avec « les riverains qui sont réunis pour être écoutés, voire même trop dans certains cas », à toutes les phases du projet. Par ailleurs, la Mairie observe que les nouveaux arrivants sont plutôt satisfaits, ce qui la conforte dans ses choix d’aménagement du quartier. De fait, la position critique des membres de l’association RAGP laisse penser à la collectivité qu’il s’agit d’une opposition de principe : « (…) des associations sont systématiquement contre tous les projets et engagent des recours avec des avocats pour des intérêts personnels et financiers ». Or, l’enquête démontre qu’une majorité de riverains (non membres de l’association RAGP) considère que les éléments discutés en réunion de concertation n’ont pas été pris en compte. Le graphique 4 ci-dessous présente ces écarts de positionnement suivant l’ancienneté des citoyens dans le quartier et suivant leur appartenance ou non à l’association RAGP.

4. Évaluation de la prise en compte du processus de concertation (source : questionnaire diffusé en jan. 2022, C. Doussard, 2022)

En second lieu, l’un des nouveaux arrivants, propriétaire non-occupant d’un bien au sein de la ZAC, se passionne pour le projet dès son lancement, et participe aux réunions de concertation. Il rassemble de nombreuses informations qu’il décide de publier en créant son propre site Rueil-Arsenal en 2019. « Mon objectif était de partager avec d’autres habitants les nombreuses informations que j’avais pu recueillir sur le projet, de créer un espace d’échange pour les nouveaux arrivants et les riverains du quartier ». Cet acteur devient ainsi le relais informel de la maîtrise d’ouvrage auprès d’une large communauté d’habitants, qui peuvent partager leurs avis sur les étapes d’avancement du projet urbain au sein d’un forum de discussion et de groupes WhatsApp fermés. Sortant du cadre des réunions de concertation institutionnelles et du format associatif, il apparaît ainsi que les réseaux sociaux, issus des évolutions numériques de ces deux dernières décennies, permettent aux acteurs de bénéficier de nouveaux supports de partage de l’information d’une part et de leurs ressentis d’autre part.

Les débats sur la ZAC de l’Arsenal ont ainsi permis l’émergence de groupes de citoyens militants, qu’ils soient en faveur ou non du projet. Les conflits peuvent de fait être structurants pour le développement d’un quartier inscrit dans une métropole, dans la mesure où ils conduisent à la construction d’un milieu communautaire fort, favorable à l’expression des multiples identités des acteurs (Trudelle et al., 2016). En ce sens, nous pouvons retenir que le manque de satisfaction citoyenne vis-à-vis des modes de concertation institutionnelle traditionnels développés pour l’Arsenal a permis de contribuer au développement de dynamiques communautaires parfois innovantes, venant renforcer la participation des habitants et des riverains au projet. En revanche, si dans la plupart des cas le renforcement de la participation citoyenne au processus de conception des projets peut apporter de meilleurs résultats socio-environnementaux (Marion, 2010) et être considéré comme un moyen d’amélioration continue des projets (Denolle et Duval, 2016), ce n’est pas le cas pour toutes les opérations ni sur tous les sujets.

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Les citoyens considèrent-ils le quartier de l’Arsenal comme performant ?

Le label EcoQuartier, porté par le ministère de la Transition écologique depuis 2011, donne au projet urbain le titre d’éco-quartier lorsqu’il répond aux 20 engagements du référentiel ÉcoQuartier (voir ici). Le label est alors un gage de qualité et de réussite des opérations construites au prisme des principes du développement durable. Le quartier de l’Arsenal, labellisé EcoQuartier, s’inscrit dans cette démarche.

Les résultats du questionnaire, auquel 91 personnes ont répondu, interrogent cependant cette réussite. Ils font émerger d’importantes disparités dans les réponses suivant que les répondants sont riverains, habitants ou membres de l’association RAGP. Ces derniers estiment en effet que la ZAC est avant tout un éco-fiasco, du fait notamment du manque d’offres suffisantes en espaces verts et transports doux, et de la trop grande densité des immeubles. Le graphique 5 ci-dessous montre que les réponses des autres usagers sont plus nuancées : 83 % des riverains et 44 % des nouveaux habitants estiment que le quartier de l’Arsenal n’est pas un éco-quartier, tandis que 44 % des nouveaux habitants pensent habiter dans un éco-quartier. Il apparaît ainsi que les nombreux critères de la démarche EcoQuartier ne sont pas toujours interprétés de la même manière par les institutionnels et les acteurs locaux, qui, selon leur positionnement dans le suivi de l’opération, apportent un regard et une expertise spécifiques.

5. La ZAC de l’Arsenal est-elle un éco-quartier ? (source : questionnaire diffusé en jan. 2022, C. Doussard, 2022)

Par ailleurs, les graphiques 6a et 6b ci-après font observer des disparités importantes sur les niveaux de satisfaction (échelle allant de 1 — je ne suis pas satisfait — à 5 — je suis très satisfait —) et de perception des conséquences du projet sur les modes de vie des acteurs en présence. Les membres de RAGP sont les moins satisfaits, et, à l’extrême inverse, les nouveaux habitants sont les plus satisfaits quelle que soit la thématique abordée. Pour la plupart des habitants, il reste cependant difficile de se faire un avis objectif sur un quartier encore en chantier. L’un d’entre eux s’exprime en ces termes : « les immeubles sont presque vides et le quartier est sans âme ». L’écart le plus important concerne la satisfaction relative au parc (1,8 point d’écart).

6a. Niveaux de satisfaction des aménagements (source : questionnaire diffusé en jan. 2022, C. Doussard, 2022)

6b. Conséquences de l’éco-quartier sur le mode de vie des usagers (source : questionnaire diffusé en jan. 2022, C. Doussard, 2022)

Cette contradiction entre les avis des usagers se retrouve dans certains commentaires. Ainsi, un habitant indique que « le parc traversant (est) agréable pour se déplacer d’une rue à une autre », tandis qu’un riverain l’associe à « une simple allée de 600 mètres de long ».

7. Le parc traversant Jacques Chirac (C. Doussard, 2022)

Qu’ils soient membres ou non de l’association RAGP, les habitants et les riverains s’accordent sur l’impact positif des futurs commerces (pour 57 % des riverains et 56 % des habitants). Un riverain indique qu’il « attend l’arrivée de nouveaux commerces » et que « le complexe sportif est le seul point positif actuellement », car ce dernier « amènera de l’activité ». La satisfaction relative aux équipements publics, majoritairement associés au complexe sportif et au groupe scolaire, est plus nuancée. Près de 41 % des riverains indiquent que ces équipements auront un impact négatif sur leur mode de vie, tandis que 38 % des habitants estiment qu’ils auront au contraire un impact positif.

Un autre point saillant du projet, la densité de population du quartier, n’a pas fait l’objet d’un atelier de concertation spécifique alors qu’il suscite de nombreux désaccords entre acteurs. Près des deux tiers des riverains estiment que leurs avis n’ont pas suffisamment été pris en compte en phase de conception et que l’augmentation progressive de la densité du quartier, avec les constructions d’immeubles de logements collectifs, aura des conséquences négatives sur leur qualité de vie. Un riverain rappelle que « c’était un quartier aéré avec des maisons ou des bâtiments bas et on se retrouve aujourd’hui avec une mini-Défense dans un quartier complètement étriqué ». Un autre indique « La hauteur et la proximité des bâtiments, c’est pire que dans les années 70 ! ».

8. Typologies urbaines et architecturales (C. Doussard, 2022)
A : Eco-quartier
B : Quartier pavillonnaire riverain

Il apparaît ainsi que les différentes trajectoires résidentielles (riverains, nouveaux habitants, propriétaires, locataires, etc) induisent des expériences variables du projet, et ce, quels que soient les moyens de communication et de concertation mis en place. Suivant leur parcours et leur ancienneté dans le quartier, la satisfaction des acteurs locaux est multiple et dépend de points de vue qui leurs sont propres. Les riverains souhaitent préserver l’identité pavillonnaire d’un quartier auquel ils sont attachés depuis parfois plusieurs décennies, et demandent à faire entendre leur voix. Certains habitants s’enthousiasment pour leur nouveau quartier, inscrit dans la modernité au sein du vaste territoire en chantier de la Métropole du Grand Paris, et qui bénéficient dans ce cadre d’une amélioration de leurs conditions de vie. D’autres au contraire sont plus critiques vis-à-vis d’un quartier encore en chantier dans lequel ils viennent d’arriver sans l’avoir véritablement choisi. Dans le cas du développement d’éco-quartiers à forte densité en milieu urbain à dominante pavillonnaire, l’identification de ces différents parcours résidentiels peut contribuer à mieux comprendre l’acceptation ou le rejet de projets alliant des qualités périurbaines, telles que la présence d’espaces verts, le calme, la sécurité, et des pratiques de proximité urbaine associés à la présence de transports publics, de commerces et de services (Cailly, 2014). Or, dans le cas de l’Arsenal, le caractère structurant des infrastructures à dominante urbaine (gare du Grand Paris, géothermie, équipements publics, commerces de proximité) est encore émergent. Ceci peut induire des frustrations de certains riverains et nouveaux habitants qui perdent en qualité de vie sans pour autant profiter à court terme de ces nouveaux équipements et services.

Les écarts de satisfaction peuvent également être le résultat de l’incompréhension entre les différents savoirs citoyens caractérisés dans l’urbanisme participatif suivant différentes typologies comme le savoir d’usage individuel et le savoir d’usage collectif ; le savoir professionnel diffus et l’expertise technique collective ; les savoirs militants individuels et les savoirs militants collectifs. Ces différentes approches, aussi légitimes les unes que les autres, nuancent la notion de frontière entre savoirs experts et profanes dans l’urbanisme. Ainsi, la considération et la prise en compte simultanées de ces différents savoirs contribuent à améliorer la satisfaction des acteurs et à constituer les fondements de communautés locales (Nez, 2011). Par ailleurs, si maîtres d’ouvrages et maîtres d’œuvres connaissent bien les ressorts et les enjeux nationaux du label EcoQuartier du fait de leur expertise professionnelle, ce n’est pas toujours le cas des citoyens qui s’appuient sur leur expérience personnelle du quartier, induisant de fait des décalages dans l’évaluation des réussites et des échecs de l’opération de l’Arsenal.

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Conclusion

Que nous apprend en somme le projet de la ZAC de l’Arsenal sur les liens entre satisfaction citoyenne, erreurs de conception et dysfonctionnements relationnels dans le processus de concertation ?

L’analyse des entretiens et des résultats du questionnaire démontre que les écarts de satisfaction diffèrent en fonction des acteurs interrogés et des performances du projet sur de nombreuses dimensions. Pour la maîtrise d’ouvrage, l’obtention du label national EcoQuartier et la mise en place de démarches institutionnelles de concertation sont des gages de réussite de l’opération. Pour les membres de RAGP, contestataires, l’insatisfaction est principalement liée à des défauts de transparence des élus en phase de concertation, et à une prise en compte insuffisante de leurs avis en phase de conception malgré une participation accrue aux différentes réunions. Pour les habitants et les riverains n’ayant pas participé activement au processus de concertation, d’autres modes de participation informels ont contribué à une meilleure perception de la prise en compte de leurs demandes, notamment via le concours de l’habitant en charge de RA. Les nombreuses disparités de points de vue apparues dans l’analyse des entretiens et des réponses au questionnaire interrogent sur la possibilité de satisfaire l’ensemble des acteurs, au regard d’enjeux de politiques publiques à l’échelle élargie de la métropole.

Ces variabilités dans l’évaluation de ce qu’est un éco-quartier ou un éco-fiasco démontrent que l’échec et la réussite sont des concepts qui relèvent de l’incertitude (Ramirez-Cobo et Zepf, 2018), et soulignent les écarts entre les ambitions des uns et les attentes des autres générant de fait des démarches contestataires. Ceci laisse entendre que l’acceptation des projets peut nécessiter des étapes de conflits suivis de dialogues, de négociations et de compromis entre tous les acteurs. Enfin, le projet de l’Arsenal nous rappelle que si le développement d’éco-quartiers est une perspective désormais incontournable, la durabilité en tant qu’objectif de société est encore difficilement imposable à chaque individu. À l’heure où ce concept est fortement remis en cause (About et al., 2019), il apparaît essentiel de faire preuve d’humilité vis-à-vis des complexités inhérentes à la concertation et aux très nombreuses thématiques qui se réfèrent aux projets d’éco-quartiers.

CEDISSIA ABOUT ET CLAIRE DOUSSARD

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Cedissia About est docteure en urbanisme et enseignante-chercheure, chercheuse-associée au Lab’URBA, UE7374, Université Gustave Eiffel, École d’Urbanisme de Paris. Elle travaille sur les questions de la ville durable, des éco-quartiers, de l’éco-construction, ainsi que sur les promenades urbaines sensibles avec les habitants.

cedissia.about@gmail.com

Claire Doussard est docteure en aménagement, enseignante à l’École Spéciale d’Architecture et chercheuse-associée à l’UMR AUSser 3329 CNRS, laboratoire AHTTEP. Elle travaille sur les questions environnementales en lien avec l’urbanisme, et particulièrement avec les éco-quartiers à l’échelle internationale.

claire.doussard@gmail.com

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Couverture : L’éco-quartier de l’Arsenal (C. Doussard, 2021)

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Bibliographie

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Cailly L., 2014, « Les habitants du périurbain tourangeau à l’épreuve d’un changement de modèle : vers une recomposition des modes d’habiter ? L’exemple des habitants de la ZAC des Terrasses de Bodets à Montlouis-sur-Loire », Norois, 231, 75-90.

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Denolle A.-S. et Duval E., 2016, « Urbanisme et participation », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°14, 31-39.

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Gardesse C., 2011, La « concertation » citoyenne dans le projet de réaménagement du quartier des Halles de Paris (2002-2010) : les formes de la démocratisation de l’action publique en urbanisme et ses obstacles, Thèse de doctorat en aménagement de l’espace, Université Paris-Est, 583 p.

Gourgues G. et Sainty J., 2019, La démocratie participative peut-elle convaincre la population de participer ? Analyse d’une enquête par sondage, en ligne.

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Sitographie

Ville de Rueil-Malmaison, consulté en novembre 2021.

Association « Rueil Arsenal Grand Paris, pour un EQ exemplaire», consulté en novembre 2021.

Réseau d’échange résidents, consulté en janvier 2022.

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Pour citer cet article : About C. et Doussard C., 2022, « L’insatisfaction citoyenne relève-t-elle de l’erreur urbaine ? Regards croisés sur l’éco-quartier de l’Arsenal », Urbanités, #17 / L’erreur est urbaine, janvier 2023, en ligne.

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  1. Source : site officiel de la ville de Rueil-Malmaison, voir ici []
  2. Source : Publication du Groupe écologiste et citoyen du conseil municipal, 9 juin 2020, voir ici. []
  3. Source : LOI n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, voir ici []

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