#19 / Course au label Capitale Européenne de la Culture en 2028 : événementialiser la préparation
Cristina Sanchez-Algarra
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Chaque année depuis 1985, la Commission Européenne choisit comme Capitale Européenne de la Culture (abrégé ici en CEC) jusqu’à trois villes de trois pays différents selon un calendrier tournant préétabli. Chaque pays pré-choisi organise, au moins 4 ans avant l’année capitale, une compétition nationale afin d’élire la ville détentrice du titre. En 2028, la France, la République Tchèque et la Macédoine accueilleront l’évènement. La ville labellisée reçoit de la part de l’institution européenne le prix Mélina Mercouri doté de 1,5 million d’euros afin d’organiser ce rendez-vous. Amiens, Bastia, Nice, Reims, Saint-Denis, Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen ont déposé un dossier de candidature en fin d’année 2022. Seules les 4 dernières ont été pré-choisies en mars 2023 et Bourges a finalement remporté la compétition en décembre 2023.
De simple festivité estivale1), l’année CEC s’est transformée en méga-événement regroupant une kyrielle de manifestations organisées sur une année. Même s’il est difficile de mesurer l’impact réel (Lucchini, 2006), son potentiel comme outil de développement urbain constitue une croyance partagée entre secteur privé, politique et acteurs culturels (Maisetti, 2014). Capable de placer la ville détentrice dans l’échiquier économique international par sa capacité à développer des rentes de monopole (Harvey, 2008, cité par Giroud et Veschambre, 2010), le label n’a cessé de susciter un intérêt croissant depuis sa création. L’engouement provoqué par l’initiative européenne est tel que les candidatures sont de mieux en mieux formulées, mais aussi de plus en plus agressives2 (Hall, 1992, cité par Gravari-Barbas et Jacquot, 2007) prolongeant dans le temps la période de candidature et augmentant le budget associé3.
Le dispositif a connu une première période où étaient principalement choisies les capitales de pays membres, lieux d’investissement symboliques consacrés à l’échelle nationale (Autissier, 2005). Désormais, ce titre est moins une distinction exaltant l’état actuel de la ville détentrice qu’un outil de réflexion autour d’une image prospective s’appuyant sur un récit, prétendu consensuel, suffisamment singulier pour emporter le titre. Son socle discursif repose sur la culture comme ressource immatérielle pouvant participer au développement local aux retombées multiples, qu’elles soient sociales, économiques ou urbaines (Ambrosino et Guillon, 2014). Empruntant à la culture et à l’art leur force symbolique et puisant dans les discours et action politiques (Di Méo, 2005), ce récit se construit pendant la phase de candidature et doit fédérer soutiens politiques et adhésion de la population locale en même temps qu’attirer l’intérêt extérieur.
Partageant les préoccupations des élites politiques et économiques, la littérature scientifique s’est beaucoup intéressée à l’héritage post-évènement des CEC. Ces travaux mettent souvent en lumière l’effet catalyseur dans le domaine du développement urbain (Lucchini, 2006 ; Gravari-Barbas et Jacquot, 2007 ; Garcia et Cox, 2013). Quelques rares exceptions se concentrent sur les étapes avant l’année capitale, comme la thèse de Marina Rotolo (2021), qui explore les effets de la superposition de labels (UNESCO, CEC) sur la production de la ville lors de la préparation de l’évènement de Matera 2019. De manière encore plus rare, certaines recherches analysent la phase de candidature, avant même la désignation de la ville, comme Ron Griffiths (2006) qui voit dans les candidatures anglaises à CEC 2008 un questionnement plus profond du rôle que la culture peut jouer dans les villes au-delà de l’exercice bureaucratique du dossier de soumission. Enfin, les chercheurs Giroud et Grésillon (2011) et Giroud et Veschambre (2010) étudient aussi une phase précédant la désignation, en explorant les conséquences de l’introduction de la compétition dans le système de désignation et les réponses des candidats français au titre en 2013, parfois sous forme de figures imposées résultant d’une procédure très règlementée. Cette contribution porte ainsi sur une phase peu étudiée, mais pourtant essentielle, et complète les études citées en étudiant ce temps de préparation pendant lequel les villes sont obligées de réfléchir à leur développement à l’horizon 2028, soit 15 ans après la désignation. En effet, en plus de l’organisation d’une programmation d’événements (voir budget année CEC des 4 finalistes sur le tableau 1) se déroulant sur une année, leur dossier de candidature intègre également leur vision à long terme pour leurs territoires – contractuelle envers les institutions européennes en cas de désignation – comprenant la construction et la rénovation d’infrastructures, de bâtiments, ainsi que l’aménagement des espaces publics (voir budget projets urbains sur le tableau 1). L’appel à candidatures européen force ainsi les villes à élaborer, au moment de leur candidature, « une politique destinée à renforcer les capacités des secteurs culturels et créatifs, y compris pour développer des liens durables entre les secteurs culturel, économique et social » (Ministère de la Culture, 2022). Nous cherchons à comprendre quelle est cette vision, comment elle est élaborée, à qui elle s’adresse, dans quel but et comment la dimension concurrentielle l’influence.
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Les candidats ont systématiquement insufflé une dimension événementielle à la construction de leur candidature à force de colloques, de présentations, d’ateliers, de performances, et de leur communication importante, convoquant plusieurs milliers de personnes entre les acteurs culturels, le secteur privé et la société civile. Ainsi, cet article vise à éclaircir les raisons, les modalités, les expressions, le public ciblé, les acteurs mobilisés ainsi que les stratégies ayant conduit à la mise en événement de la phase préalable à la sélection, et à interroger la manière dont ces événements contribuent à façonner l’image prospective de la ville et sont utilisés par les candidats pour se positionner sur des questions essentielles d’aménagement territorial. Nous considérons la phase de présélection comme la période se déroulant entre l’annonce publique émanant du représentant politique (voir tableau 2) et la sélection de la ville par le jury, le 13 décembre 2023. Même si la période la plus intense d’événements commence principalement à partir de 2021, cette phase s’est étendue pour certaines candidatures jusqu’à 13 ans avant l’année CEC (voir tableau 2). De plus, le budget annuel des années précédant cette sélection peut atteindre plusieurs millions d’euros. Notre étude porte sur les événements organisés, financés ou portés par les équipes préparant la candidature, seules ou en partenariat avec d’autres acteurs. Nous considérons un événement comme un élément singulier, inhabituel, qui ne se répète pas dans le calendrier (à la différence des cérémonies), favorise l’interaction entre les acteurs, envahit des espaces (parfois marginaux) ou les transforme provisoirement en tribune politique, change l’ambiance urbaine et constitue une occasion pour mettre en valeur la ville, mais surtout pour faire parler d’elle avant et après (Boullier, 2010). Concrètement, nous analysons ici les événements organisés pendant la phase de candidature par les quatre villes pré-choisies à partir de l’étude de 300 articles de presse, de différents documents diffusés par les candidats (brochures de communication, dossiers de candidature) et des procès-verbaux du conseil des différentes collectivités concernées. L’ensemble est mis en perspective par l’observation directe de ces événements et par la réalisation d’une trentaine d’entretiens semi-directifs menés auprès des responsables de la candidature et auprès des experts culturels européens ayant participé à l’élaboration des candidatures ou ayant fait partie du jury de sélection de villes.
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Construire le récit fédérateur, l’image du futur
Événementialiser pour légitimer : l’important, c’est de candidater ?
Les prétendants au titre ont déposé un dossier (bidbook) répondant à une série de questions formulées dans l’appel à candidatures (Ministère de la Culture, 2022). Dans ce document, tous les candidats insistent sur la capacité de la culture à construire un récit qui serait : le socle « d’un imaginaire commun au Massif » (Clermont-Ferrand 2028, 2022), capable de « sortir des logiques de concurrence institutionnelle et des visions court-termistes », (Montpellier 2028, 2022) et pourrait « revitalise[r] les villes médianes » (Bourges 2028, 2022) ou même ériger la Seine en protagoniste (Rouen 2028, 2022).
Comme un ancien membre du jury nous l’indiquait, le candidat n’est pas seulement jugé sur le bidbook. En effet, les jurés mènent une enquête afin d’analyser l’implication de la population dans la construction du dossier et la place de la culture dans les projets politiques (entretien avec un ancien membre du jury, juin 2023). Ainsi, Clermont-Ferrand a mobilisé plus de 3 000 personnes pour participer aux États Généraux de la Culture, qui se sont tenus en 2015, soit treize ans avant l’année CEC (voir tableau 2), avec toute une série de rencontres qui a regroupé des habitants, des professionnels, mais aussi des écoles. Une Grande Restitution publique a clos cet événement où la culture a été érigée en outil pouvant « participer au développement et au rayonnement du territoire » via l’écriture d’un « nouveau récit de ville » nécessitant « la création d’un groupe de réflexion Clermont [CEC] 2028 » (Ville de Clermont-Ferrand, 2015). Dans l’idée de « tester, expérimenter, d’éprouver, d’observer comment le territoire s’empare du projet CEC » (Clermont-Ferrand 2028, 2022), le programme Effervescences a ensuite rythmé la ville entre 2017 et 2019 avec des installations monumentales, des performances et des rendez-vous secrets. Le programme Altitude, regroupant 129 activités, a pris la suite pendant l’été 2021. En 2022, c’est le programme Le sommet des sommets qui a proposé des expositions, des ateliers, des spectacles et des concerts. Enfin, pour 2023, l’association4 de Clermont affiche une programmation intégrant tout autant d’événements. La ville et la métropole auraient alloué environ 7 millions d’euros à sa candidature depuis 2017 (Clermont-Ferrand 2028, 2022). Pour connaître le budget global, il faudrait également ajouter les contributions du département, de l’État via le Comité Massif, des cotisations à l’association, de la région, de l’université, des fonds de dotations, du secteur privé et les contributions en nature.
Toujours en quête d’attention médiatique, les candidats se sont aussi associés à d’autres manifestations qui jouissaient déjà d’une légitimité et d’une reconnaissance à l’international. Montpellier et Bourges n’ont pas hésité à tisser des liens avec le Festival de théâtre et de spectacle vivant d’Avignon, rendez-vous incontournable et célèbre à l’échelle européenne. La ville de l’Hérault a organisé pendant celui-ci une table ronde où l’association montpelliéraine a saisi l’occasion pour proclamer l’adhésion au projet CEC de la collectivité du Pays de l’Or (la seule à l’avoir intégré après la présélection). Cette dernière et la Métropole méditerranéenne n’entretiennent pas des relations cordiales et collaboratives malgré le fait qu’elles soient liées sur de nombreux sujets. Avignon a été utilisé pour afficher une cohésion et une unité territoriales difficiles à imaginer après les conflits territoriaux des années 19905 qui séparent encore la Métropole de Montpellier et le Pays de l’Or (Noté et Trabuchet, 2022). La Cité des Papes a été également l’endroit pour qu’Avignon réaffirme son soutien à la candidature berruyère dans le cadre du projet Matrice (1 million d’euros de contribution repartis entre les villes membres). Bourges a organisé le projet Matrice comme un forum de partage d’expériences regroupant 18 villes de taille moyenne (moins de 100 000 habitants selon le dossier) de France et d’Europe « convaincue[s] que la dynamique des territoires européens d’avenir réside dans les villes médianes situées en périphérie » (site de Bourges 2028). Sa première session a eu lieu lors du festival avignonnais. Bourges défend le modèle urbain (Söderström, 2012) de ville moyenne pour se développer de manière durable, exploitant habilement ses événements comme une puissante vitrine pour diffuser ce message. À la différence de Bourges, l’échelle choisie par la ville clermontoise pour développer son projet culturel est celle du Massif Central. La ville clermontoise et la Métropole ont payé 360 000 euros à la société A.S.O., propriétaire de l’ensemble des droits d’exploitation du Tour de France, afin, entre autres, que les caméras survolant le Puy-de-Dôme pour l’occasion filment le logo de la candidature Volcamour, évoquant les volcans caractérisant le Massif6.
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Les prétendants au titre ont événementialisé la candidature afin de stimuler les acteurs locaux, de fonder le socle discursif de la candidature et d’offrir un aperçu de l’année CEC auprès de leurs populations respectives pour susciter leur engouement. En revanche, si organiser ces événements peut apporter une sorte de caution aux porteurs (Di Méo, 2005), en réalité, ces rendez-vous ne sont que secondairement adressés à leurs habitants (Boullier, 2010). S’associer à la programmation des manifestations reconnues et utiliser leurs moyens de communication représente non seulement une excellente opportunité de mettre en avant la candidature et le travail de préparation, mais également de susciter l’intérêt autour de la ville (Boullier, 2010) à l’échelle européenne. À l’heure de la « manifestation de papier », celle qui se juge sur son écho médiatique (Champagne, 1990, cité par Boullier, 2010), il est impératif pour les villes candidates, particulièrement dans ce cadre compétitif, d’exister par leur réputation avant tout, conformément aux principes de « l’économie d’opinion » (Orléan, 1999, cité par Boullier, 2010). Avec ces événements amplement médiatisés, il ne s’agit plus de mettre en valeur la ville actuelle, en tant que cadre bâti, mais de faire circuler l’image prospective de la ville et son projet de développement qui peuvent la singulariser de ses concurrentes. La candidature devient un but en soi et ses événements une manière de la légitimer.
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Événementialiser pour créer l’adhésion : la concertation, preuve de consensus ?
Parmi les questions auxquelles ils doivent répondre, les candidats doivent expliquer « comment la population locale et la société civile ont été impliquées dans la préparation de la candidature » (Ministère de la Culture, 2022). Les projets insistent tous sur la vertu d’élaborer un récit à travers le dialogue interculturel et la participation de tous les acteurs (institutionnels, économiques, culturels, associatifs, habitants). Les quatre finalistes se sont lancés dans l’organisation d’ateliers, de colloques, de forums et de soirées afin de mobiliser la population. Ils ont affiché la volonté de réunir aussi bien les acteurs culturels, les habitants, les partenaires politiques, le secteur privé et les représentants d’autres villes formant partie de leur réseau national ou international. Montpellier a organisé de mai à juin 2022 des ateliers de co-construction : « cinq rencontres imaginées comme des temps de travail et d’échange autour de cinq thématiques cardinales » (site de Montpellier 2028). L’association Rouen Seine Normande 2028 (abrégé Rouen 2028) a organisé la manifestation Entrez dans le rêve (voir tableau 2) afin de « libérer les utopies et susciter l’envie d’un projet fédérateur et capital » (Rouen 2028, 2022). Dans la même logique, le Kindarena a accueilli en mai près de 200 personnes dans le but de « stimuler l’imaginaire ». La presse locale a relayé ces moments de dialogue parfois festifs et les images de ces réunions enrichissent le dossier de candidature (Rouen 2028, 2023). Interrogés cependant sur les idées concrètes des habitants intégrées dans le dossier de candidature, les organisateurs de ces moments festifs de concertation ont pu citer un seul projet baptisé L’île flottante (entretien avec les responsables de la candidature, novembre 2023) reprenant en partie les idées des associations existantes Le monde flottant et Dans le sens de barge qui envisagent des manifestations artistiques sur les rives ou directement sur la Seine, en réponse « au manque d’équipements culturels, d’animation et des liaisons transversales du fleuve » (Entretien avec des responsables des associations, novembre 2023). L’Archipel, l’Assemblée de Seine et le Conseil des Sages sont également affichés dans le dossier rouennais comme des espaces fédérateurs de réunion et dialogue citoyens ayant joué un rôle crucial dans la préparation du dossier. Etonnamment, celui-ci a été finalisé avant la deuxième et dernière réunion de l’Assemblée de Seine dont le « fonctionnement reste encore à inventer » (Rouen 2028, 2023). Pendant que ces événements se déroulaient, le conseil métropolitain approuvait – sans consultation citoyenne – la stratégie culturelle jusqu’à 2038, la reconnaissance de l’intérêt métropolitain des tiers-lieux comme le triangle Béthencourt ou l’ancienne école de Duclair et lançait les études pour la transformation de douze sites du patrimoine industriel en lieux culturels. Ces actions figurent dans le dossier de candidature représentant une partie des 158 millions prévus pour le développement des projets urbains (voir tableau 1).
Le temps de préparation de l’événement CEC a quitté les salles de réunion pour générer des rendez-vous réalisés dans des lieux iconiques. Toutes les candidatures ont proposé des temps de réflexion collective sur l’avenir de leur ville, néanmoins l’enjeu médiatique est bien plus important. La mise en événement d’ambiance festive et conviviale à caractère artistique a servi d’une part pour légitimer un récit déjà défini au préalable et, d’autre part, pour faire de la concertation citoyenne une performance amplement médiatisée au niveau local et régional. Il est ainsi essentiel d’afficher le lieu investi, la quantité d’événements, le nombre d’habitants ayant participé et le prétendu consensus. L’exercice de discussion et de débat collectif au sein de ces rendez-vous n’a néanmoins pas servi à intégrer efficacement les suggestions des habitants, mais a mis en lumière de manière frappante le manque de pluralité de points de vue dans les processus décisionnels (Scognamiglio et Carrel, 2022), l’absence d’organes de représentation citoyenne existants et l’inefficacité des outils de concertation citoyenne.
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Le renouvellement du socle discursif
Événementialiser les défis climatiques : un paradoxe ?
L’initiative européenne CEC est conçue pour « mettre en lumière la richesse et la diversité de la culture européenne dans le but de rapprocher les peuples européens et de cultiver une compréhension mutuelle » (Ministère de la Culture, 2022). Conçues pour susciter la mobilité entre les Européens, les programmations de l’année CEC peuvent regrouper des événements se déroulant sur une journée ou sur un week-end obligeant les Européens à se déplacer rapidement en avion. Le projet de Marseille 2013, tourné vers un public international, a ainsi intégré son aéroport comme partenaire territorial. S’écartant de cette position, un des éléments les plus marquants des quatre finalistes est le positionnement vis-à-vis du développement durable qui se traduit dans le cas rouennais par l’affichage de sa volonté de ne pas inciter les visiteurs « à prendre l’avion depuis leur lieu de vie habituel pour vivre les expériences Capitale [s] » (Rouen 2028, 2022). Les déplacements en avion sous-tendant le projet CEC en 2013 sont devenus des points négatifs dans les candidatures de 2028 qui privilégient désormais le développement de mobilités douces. La programmation de Bourges inclut l’habillage des trains et des gares et des résidences ainsi que des concerts à bord des trains. Du côté des infrastructures, cette candidature entend pouvoir augmenter le nombre de trains de nuit reliant Paris et l’Europe de 25 % et les trains reliant la ville à Paris de 40 %. L’investissement dans ces mobilités est accompagné par l’affichage d’une « sobriété budgétaire » (Hammache, 2023) structurant une candidature « qui ne construit pas, mais qui réhabilite […] avec des légères rénovations » les bâtiments phares de la ville (comme l’Hôtel Dieu qui sera transformé en Cité des Artistes) (Bourges 2028, 2023). Le recours à une programmation artistique et à un projet urbain liés au développement des mobilités douces est présenté comme l’aboutissement logique des trois colloques nommés « Imaginons ensemble Bourges 2028 » organisés lors de la phase de préfiguration (voir tableau 2). La remarque des habitants sur l’obligation de se déplacer en véhicule privé pour accéder aux rendez-vous artistiques et culturels marque cet événement et cristallise également la difficulté de la municipalité d’expulser les véhicules du centre historique de la ville (entretien avec un acteur culturel de la ville, mars 2024).
Ce constat citoyen a donné lieu à deux manifestations pendant la préparation de la candidature berruyère : une pour connecter la ville et son agglomération (Métro Europa) et l’autre pour connecter les zones rurales et celles-ci à la ville (RER Europa) (voir cartes de la figure 4). La première a relié des lieux à travers des trajets bas carbone à parcourir à pied, à vélo et en trottinette. La deuxième, RER Europa, développé en 2022, a mis à disposition des citoyens du département du Cher un bus alimenté par du biométhane issu des ordures ménagères pour pouvoir réaliser un parcours touristique guidé de quatre heures dans « l’ultra-ruralité »7 de ce département (Bourges 2028, 2022).
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De la sorte, l’année CEC servirait pour ériger Bourges en « territoire d’avenir, idéal pour prototyper les solutions innovantes de demain, adaptables en tout ou en partie pour un grand nombre de villes de [cette] taille, qui, comme nous l’avons dit, représentent une majorité de citoyens en France et dans l’UE » (Ibid., 2022). Leur sobriété affichée, ancrée dans une démarche responsable sur le plan environnemental, s’affirme comme un argument de distinction. Bien que le budget de 46 millions d’euros – selon la délibération du conseil municipal du 4 décembre 2023 – soit le plus modeste parmi les 4 villes présélectionnées, son rapport au coût par habitant en fait la ville qui investit le plus (voir tableau 2). Événementialiser la phase de préfiguration a permis néanmoins de diffuser un message de sobriété, en plus de tester certains prototypes et de conférer à la culture un rôle principal afin de confronter les enjeux climatiques. Si ceux-ci ne sont pas une nouveauté dans les thématiques abordées par les candidatures, les placer comme moteur de développement urbain en accordant à la culture ce rôle actif constitue un renouvellement thématique et formel. Paradoxalement, une initiative vouée à stimuler la mobilité internationale à sa naissance se positionne aujourd’hui comme un espace de débat dans lequel expérimenter, à travers les événements initiés lors de la candidature, une offre culturelle disponible pour tous (du centre-ville à l’ultra-ruralité) et accessible via des modèles de déplacement décarbonés.
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Événementialiser les entités négligées : une opportunité de réconciliation ou une preuve de cohésion territoriale ?
Même si un certain nombre de symboles patrimoniaux persistent, dans l’esprit de construction d’un nouveau récit, la candidature s’accompagne de nouveaux emblèmes. La candidature rouennaise, en cohérence avec son discours réconciliateur « par le renouvellement de [son] rapport au fleuve » (Rouen 2028, 2022), a organisé des manifestations loin de ses symboles classiques. La Seine est devenue le protagoniste de sa candidature suivant la tendance décrite de reconnexion des villes à leur fleuve [et leurs rives] par Jean Debrie (Le Monde, octobre 2022). Néanmoins, cette ville n’a commencé à se réapproprier les berges de la Seine qu’au début des années 2000 et c’est seulement en 2010 qu’elle s’intéresse à sa rive gauche, jusque-là parc de stationnement. Pour signaler l’investissement non seulement de la rive gauche, mais aussi de ses bâtiments industriels, la candidature Rouen 2028, dans le cadre d’un projet prototype a organisé une JAM session sur le hangar 181, en bord de Seine, et le long du boulevard industriel à Rouen. Sous la direction du graffeur Kejo, une nouvelle fresque a été réalisée pendant un week-end de juillet 2023 servant de cadre pour des ateliers graff pour les enfants, battles hip hop, foot freestyle et DJ sets. Dans la continuité de ces manifestations, la ville normande a également programmé une croisière stupéfiante. Soutenue par Rouen 2028, l’association Dans le sens de barge a proposé pendant un week-end d’octobre 2022, une croisière destinée au grand public et d’une durée de 4 heures « proposant de découvrir la Seine autrement » abordant « les dimensions portuaires, industrielles et patrimoniales des territoires » (Rouen 2028, 2022).
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Du côté montpelliérain, le coup de projecteur a été mis sur les communes présentant une activité culturelle moins importante que Montpellier. Affichée comme une volonté de « bâtir un territoire de candidature plus représentatif du bassin de vie » et d’instaurer « le dialogue institutionnel et territorial » dans un « territoire marqué par la concurrence territoriale », cette candidature a organisé deux appels à projets dont le cahier des charges imposait de « faire émerger des projets partenariaux entre les territoires à l’échelle du bassin de vie de la candidature » (Montpellier 2028, 2022). Au total, 1,4 million dépensé par l’association de la candidature divisés sur 83 projets culturels (700 000 euros pour 48 en 2022 et 700 000 euros pour 35 projets en 2023) disséminés dans le territoire de candidature. Même s’il existe une certaine concentration de rendez-vous localisés sur la Métropole de Montpellier et la Communauté d’agglomération Sète Agglopôle, les deux principaux financeurs de la candidature, la carte de sites (voir carte 6) montre une forte volonté de dispersion des projets qui sont toutefois dirigés par la ville porteuse de la candidature. En effet, 49 sites sont localisés dans ces deux intercommunalités sur 78 au total selon la carte de la programmation 2023.
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À l’heure où le processus permanent de réforme territoriale8 ne cesse de créer des tensions politiques fragilisant le secteur culturel et empêchant le développement des projets culturels de territoire (Négrier et Teillet, 2019), le moment de candidature s’est révélé comme un moment clé de réflexion et de choix des limites et des échelles à partir desquelles concevoir non seulement des projets culturels, mais aussi des projets d’aménagement. Des rives négligées par le passé, des territoires périphériques et/ou confrontés à la concentration métropolitaine du pouvoir se retrouvent mis en lumière grâce à l’événementialisation des candidatures au CEC. Comme Dominique Boullier l’indique, l’événement exploite l’accessibilité et la centralité, les caractéristiques qui constituent la ville selon Henri Lefebvre, permettant aux participants d’accéder à certains lieux devenus centraux pour l’occasion (Boullier, 2010). La mise en événement participe aussi à la construction du discours dissimulant les fractures politiques et peut renvoyer une image de cohésion sociale, de cohérence et d’unité fonctionnelle territoriales sans pour autant dépasser le déséquilibre entre la ville-centre et les communes environnantes.
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Conclusion : candidater, est-ce aussi important qu’emporter le label : pourquoi événementialiser ?
Les temps et les enveloppes financières accordés à la phase de préparation des candidatures au label CEC ont augmenté. Notre article met en évidence que, désormais, le simple fait de candidater constitue un objectif en soi. Il est clair que la rédaction du dossier joue un rôle crucial dans la construction d’un projet fédérateur dans un contexte de tensions politiques résultant d’une réforme territoriale constante.
Dans le cadre d’une concurrence nationale accrue, les porteurs de projets des quatre villes françaises candidates, finalistes au titre en 2028, Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen ont conçu une cascade d’événements médiatisés au niveau local et régional pour donner un avant-goût de l’année CEC, susciter l’envie de candidater et l’adhésion de tous les acteurs. Les associations, en apparence indépendantes de toute influence politique – même si financées majoritairement par la ville candidate – et chargées du dossier, ont événementialisé la candidature pour construire un récit prétendument consensuel capable de fédérer à l’intérieur et séduire à l’extérieur. L’événement, par son caractère singulier, facilite l’adhésion des habitants ainsi que l’échange entre les acteurs des différentes échelles du territoire. La candidature et son événementialisation servent ainsi à exhiber une certaine cohésion territoriale à plusieurs niveaux. Il s’agit de mobiliser un récit qui fédère aussi différentes collectivités de plusieurs échelles (commune, EPCI, département et région) et leurs responsables politiques, malgré leurs affiliations politiques. Cet article met en évidence que la période de candidature pouvant s’étendre jusqu’à 13 ans avant l’année CEC (Clermont-Ferrand, 2022) associe politiques culturelles, développement urbain et construction territoriale (Négrier et Teillet, 2019).
À la lumière de notre analyse, il apparaît clairement que la mise en événement de la candidature renforce le discours des élites politiques en faveur d’investissements massifs dans la culture, érigée comme levier de développement urbain et économique de manière durable. Le caractère éphémère des manifestations de l’année CEC a provoqué depuis son origine des déplacements courts en avion. Paradoxalement, cette initiative propose aujourd’hui une remise en question de ces modes de transport. L’événementialisation de la candidature a ainsi servi à diffuser un discours de rupture sur les déplacements carbonés et à imaginer de nouveaux projets suscitant les mobilités douces.
Affichés comme des outils de construction collective de la candidature, ces rendez-vous ne s’adressent que secondairement aux habitants des villes candidates, car ils visent en réalité une position dans l’échiquier international. Les candidats exploitent la notoriété médiatique des événements évoqués captant ainsi l’attention sur la ville avant et après le moment prévu, mettant en lumière des aspects spécifiques de celle-ci. Leur visibilité a été un levier stratégique pour que les villes affirment leur position sur des questions cruciales d’aménagement territorial tels que la décentralisation, la lutte contre les déséquilibres territoriaux, la participation citoyenne, et le développement durable.
CRISTINA SANCHEZ-ALGARRA
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Architecte-urbaniste, doctorante au laboratoire ATE de l’ENSA Normandie. Axes de recherche : art, culture, aménagement du territoire, lieux culturels, requalification de friches, tourisme.
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Couverture : Banderole de la candidature rouennaise à Capitale Européenne de la Culture enjoignant les visiteurs de l’Armada à « Embarquer vers Rouen 2028 » (Cristina Sanchez-Algarra, Juin 2023)
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Bibliographie
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Lucchini F., 2006, « Capitales Européennes de la Culture. Changer l’image internationale d’une ville », Les annales de la recherche urbaine (Vol. 101, No. 1, pp. 90-99). Persée-Portail des revues scientifiques en SHS, en ligne.
Maisetti N. 2014, Opération culturelle et pouvoirs urbains. Instrumentalisation économique de la culture et luttes autour de Marseille-Provence Capitale européenne de la culture 2013, L’Harmattan, 168 p.
Ministère de la Culture, 2022, « Appel à candidatures dans le cadre de l’Union Européenne « Capitale Européenne de la culture » pour l’année 2028 en France », en ligne.
Négrier E. et Teillet P., 2019, Les projets culturels de territoire. Presses universitaires de Grenoble, 155 p
Orléan A., 1999, Le Pouvoir de la finance, Paris, Éditions Odile Jacob.
Palmer R. (dir.), 2004, Évaluation des « Capitales européennes de la culture », Étude pour la Commission européenne, Bruxelles.
Rotolo M., 2021, La production de la ville en contexte labellisé. Matera, Capitale européenne de la culture en 2019, Thèse de doctorat en aménagement, Paris, Université Paris Est, 544p, en ligne.
Söderström O., 2012, Des modèles urbains en mouvement. Urbanisme, (383), 43‑45.
Scognamiglio T. et Carrel M., 2022, « La participation citoyenne : définitions, méthodologies et état des lieux », Action publique. Recherche et pratiques, No. 13, pp. 6‑14, en ligne.
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Dossiers de candidature et dossiers de presse :
Bourges 2028 Association, 2022, « Territoires d’avenir. Présélection », 39 p., en ligne.
Bourges 2028 Association, 2023, « Territoires d’avenir. Sélection », 80 p., en ligne.
Clermont-Ferrand Massif Central 2028 Association, 2022, « Terre du Milieu, une capitale de transition », 64 p., en ligne.
Montpellier 2028 Association, 2022, « Partageons nos imaginaires », 64 p., en ligne.
Rouen Seine Normande 2028 Association, 2022, « Time to meander. Présélection », 64 p., en ligne.
Rouen Seine Normande 2028 Association, 2023, « Time to meander ! Sélection », 104 p., en ligne.
Ville de Clermont-Ferrand, 2015, « États généraux de la culture. Restitution publique », 12 p.
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Articles de presse, internet
Boularand A., 2022, « Près de Montpellier. 10 ans du Pays de l’Or : On a mis de côté les idéologies », Actu.fr, 14 février 2023, en ligne.
Bruet C., 2023, « Les douze travaux de la culture », Paris Normandie, 22 Mai 2023.
Bruet C., 2023, « Rouen Capitale européenne de la culture 2028. « Si on gagne, c’est une révolution » », Paris Normandie, 7 décembre 2023, en ligne.
Debrie J., 2022, « Jean Debrie, professeur en aménagement de l’espace : On observe une forme de reconnexion des villes à leur fleuve », Le Monde, 5 octobre 2022, en ligne.
Finger S., 2023, « Transports : vers les plages de Montpellier, la gratuité abandonnée… », Libération, 20 Décembre 2023, en ligne
Hammache S., 2023, « Bourges 2028 mise sur la sobriété », Le journal des Arts, 24 octobre 2023
Métropolitain, 2023, « Montpellier. Capitale Européenne de la Culture : le Pays de l’Or rejoint la candidature », Métropolitain, 3 juillet 2023, en ligne.
Noté J. et Trabuchet L., 2022, « Métropole et Pays de l’Or, une relation comme dans un film », Midi Libre, 22 Mai 2022, en ligne.
Noté J., 2022, « Littoral montpelliérain : le Pays de l’Or dit non au tramway jusqu’à la mer », Midi Libre, 15 Février 2022, en ligne.
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Pour citer cet article : Sanchez-Algarra C., 2024, « Course au label Capitale Européenne de la Culture en 2028 : événementialiser la préparation », Urbanités, #19 / Urbanités événementielles, en ligne.
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- Les études menées sur l’analyse post-événement CEC se rejoignent sur le fait que, jusqu’à 1990, l’opération se résumait à une série d’activités estivales (Giroud et Gresillon, 2011) et que c’est à partir de cette date que la ville de Glasgow fait évoluer le programme autant dans son budget (60 millions d’euros) et dans sa durée (se prolongeant maintenant sur une année) que dans le fait de lier rénovation urbaine et action artistique (Ibid., 2011 ; Autissier, 2005 [↩]
- Marseille 2013 avait un budget pour la manifestation de 98 millions d’euros, représentant 53 euros/habitant (858 120 habitants en 2011 selon l’INSEE), tandis que Rouen, la ville au ratio budget/habitant plus faible parmi les 4 candidatures étudiées, prévoit 161 euros/habitant. [↩]
- Le Conseil Municipal de la Ville de Marseille a voté sa candidature à CEC en 2004, soit 9 ans avant l’événement (Marseille, 2013). Clermont-Ferrand a lancé sa candidature au moment de la réalisation des États Généraux de la culture, concertation citoyenne qui a abouti au Schéma culturel de la ville en 2015, soit 13 ans avant l’événement CEC, prévu en 2028. [↩]
- Toutes les candidatures sont portées par des associations. La création d’une structure associative portant le projet vise à démontrer l’indépendance de toute influence politique (entretien avec le directeur culturel d’une des intercommunalités candidates, octobre 2023). Cependant, il est important de noter que les principales parties prenantes de ces associations demeurent les collectivités fondatrices, ce qui soulève des interrogations quant à l’indépendance réelle de ces associations. [↩]
- L’adhésion de cette agglomération a été annoncée ainsi (Métropolitain, 2023) car le Pays de l’Or maintient avec la Métropole de Montpellier une confrontation politique permanente qui a commencé à la fin des années 1990 quand Montpellier a voulu absorber, contre leur gré, les communes avoisinantes faisant partie de l’agglomération du Pays de l’Or (Boularand, 2022). Le conflit partisan a aussi empêché le développement du projet du tramway reliant le centre du Montpellier et la plage en traversant le Pays de l’Or (Finger, 2023 ; Noté, 2022). [↩]
- Délibération du conseil municipal de la ville de Clermont-Ferrand, 14 décembre 2022. [↩]
- Bourges parle « d’ultra-ruralité », tandis que Clermont-Ferrand utilise « l’hyperruralité » pour se référer aux zones périphériques de leurs territoires de candidature mal reliées à la ville principale. [↩]
- La loi MAPTAM en 2014 (affirmation du statut de métropole), celle de la fusion des régions en 2015 et la loi NOTRE en 2015 promettaient la révolution, la simplification et la décision, mais elles ont rajouté une complexité supplémentaire (Négrier E. et Teillet P., 2019). [↩]