Edito #18 : Halte à l’urbanisation obsolescente programmée !
Agnès Bastin et Daniel Florentin
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Edito #18 : Halte à l’urbanisation obsolescente programmée !
En juin 2023, le Conseil de Paris a voté l’approbation de son nouveau Plan Local d’Urbanisme dit « bioclimatique ». À l’objectif de production de logements abordables, ce plan ajoute celui d’adapter la ville au changement climatique à travers une conception bioclimatique non seulement des bâtiments mais de la ville dans son ensemble. À titre d’exemple, la transformation du bâti existant doit devenir la nouvelle norme et la démolition n’être envisagée qu’en dernier recours (Ville de Paris, 2023). Ce document illustre une transformation urbaine, en cours dans de nombreux territoires et porté ici jusqu’aux aspects réglementaires les plus contraignants, vers un recyclage urbain plus soucieux de son empreinte matérielle, énergétique et physique.
Le recyclage est consubstantiel à la production urbaine : l’histoire des villes n’est jamais autre chose qu’une histoire de sédimentation, de réutilisation et de réagencement des espaces et des matières (Rossi, 1966 ; Corboz, 1983). Cette accrétion de couches qui constitue la trame paysagère du recyclage urbain, et qui mêle des époques et des rationalités variées et parfois peu cohérentes (Anand, 2015), peut se lire comme une généalogie des différentes formes de réponses à ce qui a été considéré, à différents moments, comme un problème ou un enjeu urbain. Les injonctions à une transition social-écologique, portées notamment dans des contextes urbains européens, constituent une nouvelle épreuve pour les pratiques de recyclage urbain, et contribuent de ce fait à les requestionner fortement. Comment ce recyclage est-il bousculé par une attention plus forte aux limites planétaires et quel type d’urbanisme cela produit-il ? Ce numéro est né de la volonté d’interroger la place et les formes du recyclage dans les transformations de la production urbaine contemporaine, pour identifier des signaux faibles d’un possible nouvel âge du recyclage urbain.
Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les professionnels de l’urbanisme en Europe se tournent vers le réaménagement des espaces bâtis alors que’organisation de l’extension urbaine avait constitué le cœur des stratégies urbaines depuis la fin du XIXe siècle (Lacaze, 1986 ; Jégouzo, 2014). La notion de recyclage est alors de plus en plus utilisée pour désigner métaphoriquement toutes les formes d’intervention urbaine sur ou à partir des tissus urbains existants. Le numéro entend prendre ce mot au sérieux et analyser la pertinence et les limites de sa transposition du monde des objets et des déchets à celui de l’urbanisme et des projets urbains. Il se place ainsi dans la suite des travaux de Roberto D’Arienzo, portant sur le cas critique de Naples. Dans ses travaux, D’Arienzo observe la superposition entre espaces de gestion des ordures ménagères et espaces désaffectés de la ville, ces derniers servant à stocker les quantités importantes de déchets solides. Il montre alors que les mécanismes de production et de gestion des ensembles urbains délaissés sont similaires à ceux des ordures ménagères. Les politiques de prise en charge des « restes urbains » ont connu les mêmes évolutions historiques, qu’il s’agisse des friches ou des déchets (D’Arienzo, 2014). Le numéro s’inscrit dans cette perspective.
Dans les différents articles du numéro, on voit émerger à la fois la question du recyclage des matériaux de la ville, mais aussi celle du recyclage du bâti ou de ses fonctions. À travers les différents terrains étudiés, le vocabulaire utilisé pour désigner ces mécanismes ne se limite pas au terme générique de recyclage. D’autres mots, comme ceux de « déconstruction » ou de « surcyclage », rendent compte de la diversité des phénomènes matériels, économiques et sociaux qui s’articulent dans les processus de caractérisation et de valuation des « restes urbains ». L’image de la « mine urbaine », utilisée dans l’entretien avec Joanne Boachon, est révélatrice du changement de regard sur ces restes. De même, le terme de friche a été étonnamment peu employé alors qu’il désigne un espace inutilisé ou abandonné, en attente d’une transformation, et donc une ressource majeure pour le recyclage urbain. Mais, considérer la friche comme un espace délaissé n’est pas sans ouvrir des questions importantes sur l’évolution de l’acte d’aménager et sa capacité à ne pas demeurer anthropocentrée, dans la mesure où ces espaces sont, par exemple, propices au développement d’habitats refuges pour certaines espèces en milieu urbain (Di Pietro et Robert, 2021). À partir de quel moment et selon quels critères considère-t-on un espace comme obsolète ? Par qui est-il délaissé et pour qui est-il renouvelé ? Le terme de « restes urbains » (article de Bataille et Gossart) insiste sur les traces présentes dans ces espaces plutôt que sur les vides qu’ils peuvent constituer. Reconsidérer les pratiques de recyclage urbain à travers les enjeux socio-écologiques, c’est aussi interroger les contours de ce qui est recyclable et considérer ce qui sera potentiellement non seulement revalorisé mais aussi altéré par ce recyclage.
Les articles du numéro sont centrés sur des cas français. Ils donnent ainsi à voir plusieurs couleurs de la palette des instruments de politiques françaises de recyclage urbain : les politiques de renouvellement dans les quartiers défavorisés (article de Chavassieux et al.), l’utilisation des procédures classiques de l’aménagement, comme la Zone d’Aménagement Concertée pour la conversion d’une grande friche hospitalière (article de Mercier et al.), la mise en œuvre d’innovation instrumentale à partir des appels à projets sur de petits délaissés urbains (article de Bataille et Gossart) et les politiques récentes d’économie circulaire (entretiens avec Laëtitia Mongeard et Joanne Boachon). Le recyclage est devenu un objectif en soi des politiques urbaines. La lutte contre l’étalement urbain et, plus récemment, l’objectif de zéro artificialisation nette orientent la construction neuve vers l’enveloppe urbaine existante. En France, les politiques dites de « renouvellement urbain » ont historiquement plutôt favorisé le recyclage par démolition/reconstruction, comme en témoigne le programme de rénovation urbaine, même si elles commencent à donner une plus large place à la réhabilitation, tout en peinant à financer au même niveau la démolition et la réhabilitation (Richardot, mars 2023).
Le renouvellement urbain, entendu au sens large comme le « processus de production urbaine à partir des tissus urbains existants » (Le Garrec, 2006 : 7) a fait l’objet de nombreuses investigations à partir des années 2000. La recherche académique s’est penchée sur la genèse de la politique de renouvellement urbain en France, notamment sur la démolition comme principal instrument de gestion des logements sociaux dégradés (Berland-Berthon, 2009 ; Epstein, 2013), ainsi que sur les effets des programmes de rénovation urbaine en termes de mixité sociale (Bacqué et Fol, 2007 ; Lelévrier, 2010). Cependant, la dimension socio-environnementale de ces politiques n’a pas été abordée. Or, comme le rappelle l’entretien avec Laëtitia Mongeard dans ce numéro, le recyclage urbain a une forte empreinte matérielle et énergétique. Cette réflexion invite donc à l’aborder dans sa dimension matérielle, ce qui pourrait conduire à mettre en avant les évolutions et les repositionnements des acteurs historiques de la production urbaine, voire l’émergence d’acteurs nouveaux, car le recyclage est devenu un enjeu de valeur économique en soi. En s’inspirant de travaux d’histoire environnementale qui étudient les infrastructures urbaines sous l’angle des mouvements de matière et des processus techniques et idéologiques qui les ont rendus possibles (Magalhães, 2022), une histoire socio-métabolique du renouvellement urbain pourrait apporter une contribution originale à l’histoire des capitalismes urbains.
Enfin, plusieurs articles du numéro prennent pour terrain des territoires connaissant ou ayant connu des périodes de déclin, comme Saint-Étienne ou Saint-Dizier. Cette focalisation n’est pas étonnante dans la mesure où les processus d’obsolescence, liés par exemple à la désindustrialisation, produisent de vastes espaces en attente. Cependant, le numéro montre que le processus de recyclage ne se limite pas à la revitalisation de zones en déclin dans une course permanente à l’attractivité. Il s’agit d’un processus bien plus large, qui concerne tous les territoires, y compris des métropoles dynamiques. D’une certaine façon, cela traduit l’importance grandissante de la question écologique ou a minima de la contrainte sur l’artificialisation comme élément de cadrage des politiques de recyclage urbain, qui n’est pas cantonné à la seule revitalisation de friches dans des territoires fragilisés.
En prenant au sérieux les implications matérielles et urbaines du terme un peu galvaudé de recyclage urbain, le numéro rend visible les différents mécanismes à l’œuvre dans ce processus, en s’intéressant à la fois aux techniques du recyclage et aux mécanismes de valorisation qui l’accompagnent.
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Déconstruire, trier, réemployer : les techniques du recyclage urbain
Le recyclage urbain s’appuie sur un certain nombre d’opérations techniques qui agissent sur la matière pour restructurer et reconfigurer l’espace bâti. Les articles en décortiquent plusieurs, allant de la démolition, c’est-à-dire la suppression totale du bâti existant, à la réhabilitation et à la déconstruction. Ces techniques ne permettent pas les mêmes formes de recyclage. Alors que la démolition permet le recyclage du foncier, la réhabilitation permet le recyclage du bâti lui-même. Les autrices et auteurs mettent l’accent sur ces différents recyclages et leurs effets matériels et sociopolitiques.
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Démolir ou déconstruire pour recycler : une étape nécessaire ?
Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Laëtitia Mongeard analyse la démolition comme une technique préalable au recyclage du foncier urbain : il s’agit de libérer les terrains de constructions devenues des déchets. La démolition est une condition nécessaire à la remise en circulation de ces terrains sur les marchés fonciers et immobiliers. Il s’agit également d’une opération complexe et coûteuse, financée par la valeur attendue des projets de construction à venir, une fois le terrain libéré. La démolition apparaît donc comme un rouage essentiel dans les agencements marchands du recyclage urbain, en agissant sur la libération du foncier. Mais, ce rouage peut se gripper si la valeur attendue par la vente future des terrains n’est pas jugée suffisante par les acteurs des marchés fonciers et immobiliers. Les villes en décroissance connaissent précisément ces situations de grippage, révélatrices de formes de défaillance de marché. Elles mettent en avant que les pratiques de recyclage urbain ont tendanciellement davantage recours à des financements complémentaires (notamment via des subventions) pour répondre à cette défaillance.
Pauline Chavassieux, Geoffrey Mollé et Mathias Chavassieux s’intéressent à ces situations particulières à travers les cas stéphanois et toulonnais. Ils et elle analysent des projets de « déconstruction », pratique qui réaménage l’existant « par la soustraction d’éléments bâtis imaginée dans la perspective d’une recomposition fine des tissus urbains » et se distingue donc de la démolition, qui fait table rase. La déconstruction impose d’opérer des tris entre des éléments à déposer et à conserver. Ce terme ne traduit pas ici un euphémisme pour parler de démolition mais un geste architectural spécifique. Les choix de conception sont guidés par une attention à la qualité des matières présentes dans le bâti à remodeler mais aussi aux formes urbaines et architecturales. La soustraction permet parfois de révéler un patrimoine architectural devenu invisible et des traces des passés constructifs. Le projet de déconstruction s’apparente ainsi à une archéologie du bâti ordinaire, qui considère les restes urbains comme un objet de soin et d’attention.
Cette pratique minutieuse et sélective est aussi au service de ce que les autrices et auteurs appellent un « surcyclage urbain ». La création de vides dans des tissus denses et considérés comme peu attractifs rend possible la valorisation économique des immeubles environnants. Ils sont remis en jeu sur le marché immobilier et leur réhabilitation devient économiquement rentable. Mais, ces processus s’appuient sur et conduisent à la gentrification sociale de quartiers historiquement populaires. L’article montre de manière fine les enchevêtrements entre opérations matérielles (déconstruction), valorisation économique (augmentation de la valeur des biens aux alentours) et effets sociaux (gentrification et attractivité). La déconstruction constitue, selon les autrice et auteurs, une véritable politique de gestion du déclin urbain par l’attractivité. On y retrouve, jusque dans la déconstruction et ses effets, l’importance des acteurs publics dans cette politique de gestion des processus de déclin urbain, à l’opposé de certaines pratiques de démolition analysées dans le contexte nord-américain, où la démolition sans reconstruction sert d’autres formes d’arrangements marchands et notamment la préservation d’une rente foncière, sans quête particulière d’attractivité (Nussbaum, 2015).
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Les déchets du recyclage urbain : nouveaux acteurs, nouveaux lieux, nouveaux marchés
Les pratiques de démolition se sont transformées sous l’effet des règlementations concernant la gestion des déchets de chantier. Les obligations croissantes concernant le tri, préalable au réemploi et au recyclage, ont accompagné la structuration de pratiques dites de déconstruction ou de déconstruction sélective. La régulation des déchets générés par les chantiers du recyclage urbain contribue à transformer les pratiques professionnelles vers davantage de curage des bâtiments et de dépose sélective, nécessaires ensuite au tri et à la valorisation des matières. Ainsi, un marché de la déconstruction se développe et est investi à la fois par des petites entreprises spécialisées et des majors du Bâtiment et des Travaux Publics. Les activités de réemploi, réutilisation et recyclage des déchets de chantier, qu’il s’agisse du second œuvre ou du gros œuvre, se structurent. Des acteurs classiques de la production urbaine investissent de plus en plus ce segment de marché, à des positions variées. Par exemple, des aménageurs urbains tentent d’encourager le développement de filières de réemploi des matériaux de construction (article de Mercier et al.). Ils font face à la difficulté de réserver du foncier en cœur urbain pour installer des activités à faible valeur ajoutée et génératrices de nuisances telles que des plateformes logistiques de mutualisation des matériaux ou des espaces de stockage de matériaux à réemployer. Comme le souligne l’entretien avec Joanne Boachon, les politiques publiques ont un rôle à jouer dans l’essor et la pérennisation de ces filières via des instruments fonciers et fiscaux pour stimuler la demande pour les matériaux réemployés.
De nouveaux acteurs, coopératives d’architectes, structures d’insertion, entreprises de l’économie sociale et solidaire, inventent des modèles économiques et techniques pour faire circuler les matériaux et les réemployer en ville (Ghyoot et al., 2018). C’est le cas de Minéka qui combine récupération, réparation et vente de matériaux du second œuvre dans la région lyonnaise avec une activité de conseil auprès des maîtres d’ouvrage pour l’élaboration de cahier des charges de réemploi (entretien avec Joanne Boachon). Des métiers se développent pour répondre aux besoins d’expertise croissante concernant les matériaux de chantier et les différentes filières de valorisation, comme celui de diagnostiqueur en vue du réemploi des matériaux. Autrement dit, la déconstruction et le monde qu’elle implique font émerger des besoins de connaissance nouveaux que le monde de la démolition invisibilisait : le bâtiment est désormais regardé comme un gisement de matières-ressources, qui font l’objet de nouveaux arrangements marchands où les problématisations écologiques et économiques s’entremêlent. La gestion de la fin de vie des bâtiments s’exerce désormais selon une granulométrie plus fine, ce que traduit efficacement l’image du passage de « la boule de démolition » à « la pince » mobilisée par Chavassieux, Mollé et Chavassieux. Le développement de filières assurant une deuxième vie aux matériaux de chantier leur a donné une valeur économique nouvelle, s’accompagnant du développement de nouveaux acteurs ou du repositionnement d’acteurs anciens, comme les grandes entreprises de la construction, pour capter la nouvelle valeur créée.
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Valoriser les restes urbains : comment et avec quelles ambitions ?
Les articles du numéro mettent en avant des restes urbains, divers dans leurs formes et dans leurs temporalités, entre vastes emprises en cours de transformation, cœurs urbains dégradés et petits interstices délaissés en attente de nouveaux usages. Ces restes constituent des interstices spatio-temporels propices à l’expérimentation de nouvelles manières de produire la ville.
La transformation de la friche hospitalière Saint-Vincent de Paul dans le 14ème arrondissement de Paris illustre l’enrichissement du projet urbain initial par la période d’occupation temporaire (article de Mercier et al.). Ce projet a été pensé par la Ville de Paris comme un démonstrateur d’un recyclage urbain environnementalement vertueux. Ce cas est en effet exemplaire de l’équation économique difficile du recyclage urbain : comment atteindre une bonne performance environnementale du projet urbain dans un contexte de recyclage impliquant des coûts supérieurs à l’extension urbaine ? En effet, l’achat du foncier en recyclage représente souvent un coût bien supérieur au foncier en extension. Il coûte parfois très peu cher du fait des stigmates de ces usages passés mais il faut alors ajouter d’importants coûts de démolition, désamiantage ou dépollution. La construction en situation de recyclage tend donc à surenchérir les coûts de l’aménagement alors que la production de logements abordables demeure, en bien des endroits, une demande sociale forte. Pris dans cet effet ciseau, l’aménagement a tendance à rogner sur les ambitions environnementales. À partir de l’expérience de Saint-Vincent-de-Paul, les autrice et auteurs interrogent la capacité des cadres comptables de l’aménagement à pouvoir outiller ces ambitions environnementales, dans l’idée d’encastrer l’économie de l’aménagement dans les limites planétaires. Le cas de l’aménagement en contexte de recyclage est particulièrement intéressant de ce point de vue car les coûts économiques et financiers du recyclage sont élevés et souvent insoutenables selon une logique purement budgétaire. N’est-ce pas là l’opportunité de rebâtir les cadres cognitifs et comptables à partir desquels se pratique l’aménagement ?
Là où l’opération de Saint-Vincent-de-Paul offre un cas classique d’opération d’aménagement, de nouveaux mécanismes, se réclamant d’un urbanisme plus souple et innovant, ont vu le jour, notamment pour essayer de traiter cette question des restes urbains. Les appels à projets urbains innovants (APUI) en sont un exemple, sur des espaces variant de quelques centaines de m² à des tailles ressemblant davantage à des opérations urbaines classiques (quelques hectares). Bataille et Gossart montrent que ces APUI, souvent décriés pour leur propension à être des outils de financiarisation de la production urbaine, jouent un rôle différent selon les configurations territoriales. Ils constituent à ce titre un instrument de valorisation symbolique et économique de délaissés urbains dans des contextes peu attractifs pour les investisseurs privés. Dans les villes de Saint-Dizier et de Grenoble, le recours aux APUI sur des fonciers et des bâtiments appartenant aux collectivités a suscité des formes d’animation locale et de création de nouvelles centralités sans recours aux acteurs de marché. D’abord pensé dans des contextes métropolitains, ce type d’instrument est en quelque sorte recyclé et réapproprié dans des villes petites et moyennes, avec des formes de détournement et des effets inattendus. L’article montre que les APUI ne constituent donc pas une simple transposition aux villes moyennes de la mythologie CAME pour Compétitivité, Attractivité, Métropolisation et Excellence (Bouba-Olga et Grossetti, 2018). Dans les cas étudiés, ces instruments ont permis de rendre visible des communautés d’acteurs locaux et d’aider à leur pérennité et à leur animation plus qu’ils n’ont constitué des vitrines visant à faire exister les villes dans la compétition nationale ou internationale.
Les articles du numéro donnent ainsi à voir différentes modalités de valuation des délaissés urbains, qu’elles passent par de la valorisation économique, la structuration d’acteurs locaux ou des formes de transformations plus symboliques. Le recours à des politiques d’attractivité pour les investisseurs privés et des catégories socio-économiques supérieures cohabite avec des mécanismes de péréquation et des financements publics. Les participations des collectivités aux projets d’aménagement en renouvellement urbain demeurent souvent déterminantes, comme l’illustre le cas de Saint-Vincent-de-Paul à Paris. Dans les situations de décroissance étudiées par Pauline Chavassieux et ses collègues, les déconstructions sont très largement financées dans le cadre du programme national de rénovation urbaine. S’il n’a pas été pensé pour les villes en décroissance, ce dispositif est approprié par les acteurs locaux pour financer et mettre en œuvre des politiques de dé-densification et d’attractivité via la déconstruction (Dormois et Fol, 2017). Finalement, les articles du numéro confirment le rôle central de l’acteur public dans les arrangements marchands du recyclage urbain, éventuellement via des instruments relevant de l’expérimentation, mais visant à réguler les forces du marché et activer des ressources locales hors des logiques de valorisation par le marché.
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Des villes à usage unique ?
À l’issue de la lecture de ce numéro, la question des mécanismes de production des restes urbains, autrement dit l’obsolescence du cadre bâti, demeure un chantier à explorer. L’urbanisme reposant sur le recyclage urbain ne constitue pas en soi un urbanisme sobre, comme le rappelle d’ailleurs Laëtitia Mongeard, ce qui permet de nuancer l’hypothèse de signaux faibles d’un âge du recyclage urbain écologisé. Il demeure nécessaire d’interroger les formes d’obsolescence qui touchent les constructions urbaines (défaut de maintenance, obsolescence financière…) et qui semblent inscrites dans les cycles de la production urbaine. Cette obsolescence est-elle programmée par les concepteurs et les financeurs de la ville, au même titre que le caractère jetable d’un grand nombre de marchandises est inscrit dans leur design (Guien, 2020) ? À l’inverse, la réversibilité ou la modularité des espaces, souvent promues par les concepteurs (Démians, 2023) et penseurs de l’urbain (Scherrer et Vanier, 2013), peut-elle véritablement outiller une forme de travail continu pour l’allongement de la durée de vie du bâti, condition nécessaire mais pas suffisante d’un recyclage urbain soucieux des ressources ?
AGNÈS BASTIN ET DANIEL FLORENTIN
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Sommaire du numéro
Édito #18 : Halte à l’urbanisation obsolescente programmée !
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Déconstruire, trier, réemployer : les techniques du recyclage urbain
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Valoriser les restes urbains : comment et avec quelles ambitions ?
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Couverture : Le quartier Manhattan à Bruxelles en chantier (Bastin, 2021)
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Bibliographie
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Berland-Berthon A., 2009, La démolition des logements sociaux. Histoire urbaine d’une non-politique publique, Lyon, Éditions du Certu, 487 p.
Bouba-Olga O. et Grossetti M., 2018, « La mythologie CAME (compétitivité, attractivité, métropolisation, excellence : comment s’en désintoxiquer ? », HAL, en ligne.
Corboz A., 1983, « The Land as a Palimpsest », Diogenes, n°121(31), 12-34.
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Pour citer cet article : Bastin A. et Florentin D., 2024, « Edito #18 : Halte à l’urbanisation obsolescente programmée ! », Urbanités, #18 / Halte à l’urbanisation obsolescente programmée, mars 2024, en ligne.
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