Entendu / Entretien : Des Jeux et des villes, les liens ambigus entre urbanisme et olympisme
Entretien avec Sylvain Lefebvre et Romain Roult, par Daniel Florentin et Charlotte Ruggeri
Sylvain Lefebvre est professeur au Département de géographie de l’UQAM (Université du Québec à Montréal) et directeur du GREF (Groupe de recherche sur les espaces festifs)
lefebvre.sylvain AT uqam DOT ca
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Romain Roult est professeur au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR Université du Québec à Trois-Rivières. Il a réalisé plusieurs études sur l’aménagement des espaces et des équipements récréatifs.
Romain.Roult AT uqtr DOT ca
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LES JEUX OLYMPIQUES, ET EN GÉNÉRAL LES GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS, SONT PRÉSENTÉS DANS LES MEDIAS COMME DES OPPORTUNITÉS POUR LES VILLES QUI LES ACCUEILLENT. COMMENT EXPLIQUER CE DISCOURS ET DE QUELLES OPPORTUNITÉS PARLE-T-ON ?
Sylvain Lefebvre (SL) : En termes d’opportunités, il y a trois registres si l’on regarde les Jeux olympiques modernes. La première opportunité, qui est la plus mise en avant, bien qu’elle soit très difficile à mesurer ou à quantifier, est celle du rayonnement de la ville, à savoir sa capacité à accueillir de tels événements à portée mondiale. Les élites politiques et économiques misent avant tout sur ce type d’impacts pour justifier les investissements publics extrêmement importants. Cette première forme d’opportunité est l’objet d’un éternel débat : les villes ont besoin des méga-événements sportifs, c’est un levier de réputation et de prestige très important, bien que l’on ne puisse pas communiquer de chiffres concrets sur ces effets positifs.
La deuxième catégorie d’opportunités serait l’effet d’accélérateur pour des méga-opérations ou projets urbains, comme des projets d’infrastructures. On considère qu’une fois la candidature d’une ville retenue pour les Jeux olympiques, il y aurait un effet d’accélération sur la complétion d’un certain nombre de projets de transports collectifs, de grandes infrastructures de transports et de méga-équipements, quelle que soit leur nature. Le bémol, c’est tout de même que plusieurs de ces projets ne sont pas tout à fait menés ou complétés tels qu’ils auraient dû l’être au départ. Par ailleurs, certains équipements sportifs deviennent rapidement vétustes ou sont mal assumés en termes de gouvernance par la suite. Il s’agirait donc d’un levier urbanistique ou de développement urbain, mais à propos duquel il faut rester prudent.
La troisième catégorie d’opportunités serait la mise en valeur du sport d’excellence. Une fois les Jeux olympiques passés, il y aurait un effet de levier pour la pratique de certains sports, d’autant plus que les équipements sont disponibles. Cela permet aussi d’accueillir d’autres compétitions internationales. Mais encore une fois, ce n’est pas un effet automatique.
Romain Roult (RR) : Ces méga-événements jouent aussi un rôle pour certains pays afin de s’affirmer politiquement, d’un point de vue géopolitique, à l’échelle de leur région ou continent, ce qui se voit beaucoup en Asie et Asie du Sud-Est. Ces méga-événements sont un moyen d’accroître leur hégémonie festive, mais aussi leur hégémonie politique à l’égard de leurs voisins. C’est le cas de la Corée du Sud actuellement, mais aussi de Singapour avec l’accueil d’un grand prix de Formule 1.
SL : La Chine en est un exemple aussi. Avant les Jeux olympiques de 2008, la Chine a encore besoin d’affirmer sa croissance économique, la libéralisation de ses échanges et les JO furent un symbole fort et spectaculaire pour envoyer un message à l’échelle planétaire sur la capacité chinoise à jouer dans la cour des grands.
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PEUT-ON DIRE AVEC QUELQUES ANNÉES DE RECUL QUE LES JEUX OLYMPIQUES ONT PROFITÉ À ATHÈNES (2004), PÉKIN (2008), VOIRE LONDRES (2012) ET RIO DE JANEIRO (2016) ?
SL : Depuis les Jeux olympiques d’Athènes, on constate qu’il y a d’énormes problèmes pour viabiliser les infrastructures, pour leur donner une vocation complémentaire ou autre une fois les Jeux terminés. On aurait été en droit de s’attendre à ce que, en retenant plusieurs leçons apprises du passé, une bonne planification post-Jeux eût été intégrée, mais il s’avère que ce n’est pas le cas. Athènes a été un fiasco et Rio de Janeiro le sera aussi. On a pu constater que des équipements tout neufs ou très récents, qui ont été des symboles très forts, notamment sur le plan architectural, sont en décrépitude et non utilisés. Par exemple, le « cube », bâtiment emblématique de Beijing pour les compétitions de natation de même que le Maracaña, stade iconique de Rio de Janeiro sont déjà vacants et inopérationnels. L’une des causes les plus évoquées pour expliquer cette situation est que les pouvoirs publics ont beaucoup de mal à reléguer la gestion et l’entretien de ces équipements à d’autres acteurs, notamment privés. De fait, viabiliser, entretenir, voire rentabiliser ces infrastructures devient extrêmement complexe, ce qui est lié à une démesure des coûts, qui est, elle, toujours en croissance.
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RR : Il faut bien avoir en tête que le Comité international olympique (CIO) fonctionne par rapport aux exigences d’infrastructures des fédérations internationales. Ces fédérations internationales ont un souci fort : chacune d’elle veut que son sport et la compétition soient présentés dans les meilleures conditions possibles pour que leur sport rayonne et puisse attirer de nouveaux adeptes. Certaines fédérations ont une telle emprise qu’elles vont exiger de disposer d’infrastructures extrêmement coûteuses et spécialisées et qui souvent sont totalement déconnectées des réalités et des besoins locaux. Passée l’euphorie des Jeux olympiques et paralympiques, les pouvoirs publics se retrouvent face à des équipements très évocateurs d’un point de vue architectural, à la fine pointe de la technologie et qui vont pouvoir potentiellement leur permettre d’accueillir des événements phares comme un championnat du monde – qui n’ont toutefois pas lieu tous les ans dans le même pays– mais aussi des équipements qui coûtent très cher à entretenir et qui sont disproportionnés en termes de capacité d’accueil, d’où le fait qu’ils soient laissés à l’abandon. Cela peut apparaître comme un paradoxe puisque ce sont des équipements implantés dans des villes multimillionnaires en habitants.
SL : Par ailleurs, il ne faut pas oublier que pendant la préparation des Jeux olympiques, le CIO suit de très près les projets et la construction des infrastructures et des équipements. Mais une fois les Jeux terminés, le CIO n’est plus du tout concerné et la question de la responsabilité du maintien de ces infrastructures se pose véritablement.
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CE PHÉNOMÈNE EST RÉCENT, VISIBLE SURTOUT POUR LES DERNIÈRES OLYMPIADES, OU EST-IL APPARU AVANT ?
SL : Ce n’est pas un phénomène récent, on l’a observé pour des éditions anciennes, Montréal (1976) étant un exemple-clé d’un début de démesure ou d’inflation financière dans l’organisation des Jeux olympiques, que ce soit en lien avec des exigences architecturales ou pour des raisons de sécurité, les Jeux olympiques de Montréal étant les premiers à se tenir après ceux de Munich (1972)1. Les gabarits des espaces intérieurs sont par exemple repensés pour une meilleure transmission télévisuelle, pour s’adapter aux nouvelles techniques de visionnement. De fait, certains postes budgétaires, comme la sécurité, vont prendre de l’ampleur. Donc non, ce n’est pas un phénomène récent, mais il s’affirme en particulier lors des deux plus grands événements sportifs mondiaux, la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques, en particulier les JO d’été.
RR : Si l’on regarde l’histoire des Jeux olympiques d’été, il est certain que la professionnalisation des Jeux, qui s’est affirmée dans les années 1970 puis 1980, a amené un certain nombre de commanditaires et a donné une place plus importante à la retransmission télévisuelle et cela a amplifié le cahier des charges pour les villes hôtes.
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POUR PARIS ET LOS ANGELES, DEUX MÉTROPOLES MONDIALES RECONNUES, QUI ATTIRENT DES INVESTISSEURS, DES TOURISTES, OU LE PRIX DU FONCIER EST DÉJÀ ÉLEVÉ, QUEL EST L’INTÉRÊT D’ACCUEILLIR DES JEUX OLYMPIQUES ?
RR : Pour ces deux villes, il demeure la possibilité, grâce aux Jeux olympiques, d’obtenir des investissements ou de débloquer des fonds publics plus rapidement ou facilement afin de lancer tout un ensemble de projets urbains. Malgré tout, la question du rayonnement est un facteur également, même si ces villes n’en sont pas obligatoirement avides, mais les JO sont une forme de renouvellement ou un moyen de maintenir leur prestige international. Dans le cas particulier de Los Angeles, pendant longtemps et pour différentes raisons, le CIO ne s’est plus vraiment tourné vers les États-Unis2 donc Los Angeles y voit une opportunité pour se repositionner comme une ville phare à l’échelle internationale.
SL : Lorsque l’on observe l’attribution des méga-événements ces dernières années, on observe un basculement vers les pays émergents-dominants, c’est-à-dire des pays qui n’étaient pas jusque-là considérés comme assez matures pour accueillir ces méga-événements. Face à cela, on assiste désormais à une réaffirmation des anciens marchés, comme les États-Unis et les pays occidentaux, qui veulent démontrer qu’ils sont toujours capables d’accueillir ces événements.
Par ailleurs, pour des villes comme Paris ou Los Angeles, les Jeux olympiques représentent une opportunité pour recapitaliser des équipements sportifs, qui ont servi récemment pour des méga-événements. De fait, cela représente un argument pour justifier la tenue des Jeux olympiques puisqu’il ne sera pas nécessaire de tout construire puisque les grands stades sont toujours fonctionnels. Leur redonner un peu de lustre pour les JO permet aussi de justifier leurs coûts d’exploitation qui sont très élevés.
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LE RETRAIT SUCCESSIF DE PLUSIEURS CANDIDATURES POUR LES JEUX OLYMPIQUES DE 2024 ET LE FAIT QUE LE CIO AIT ATTRIBUÉ LES JEUX DE 2024 ET 2028 AUX DEUX VILLES EN LICE SONT-ILS RÉVÉLATEURS D’UN DÉSENGAGEMENT DES GRANDES MÉTROPOLES FACE À CE TYPE D’ÉVÉNEMENT ? COMMENT L’EXPLIQUEZ-VOUS ?
RR : Pour le moment, le CIO veut maintenir le principe que c’est une ville qui accueille les JO, ce qui est lié à la tradition olympique, alors qu’il est évident que ce n’est pas seulement la ville hôte qui organise, c’est toute une région, une province, l’État qui participent au financement. Il serait donc logique que le CIO opte pour une nouvelle formule avec un ou plusieurs pays hôtes comme pour la Coupe du monde de football où le Mexique, les États-Unis et le Canada sont candidats ensemble pour l’édition 2026.
Par ailleurs, pour les JO, on sait aussi que des villes déposent leurs candidatures en sachant pertinemment qu’elles ne vont pas aller jusqu’au bout du processus ou qu’elles n’auront pas les Jeux. Toutefois, par cette candidature, elles se font connaître, elles font savoir qu’elles existent, qu’elles sont capables de proposer un événement sportif, culturel et festif. C’est une tendance dans l’affirmation de certains territoires, notamment les territoires émergents-dominants.
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D’UN POINT DE VUE URBAIN, CERTAINS PROJETS ONT PU VOIR LE JOUR AUTOUR D’UNE CANDIDATURE OLYMPIQUE… QUI AVAIT ECHOUÉ. LA TRANSFORMATION PROFONDE DU QUARTIER DES BATIGNOLLES, QUI DEVAIT ABRITER LE VILLAGE OLYMPIQUE, EST L’HÉRITAGE DE LA CANDIDATURE RATÉE DE PARIS 2012, ET A CLAIREMENT BÉNÉFICIÉ DES DYNAMIQUES ENTOURANT LA CANDIDATURE. EST-CE QU’IL PEUT ÊTRE PARFOIS AVANTAGEUX DE PERDRE LA COURSE AUX JO ? EST-CE UNE STRATÉGIE DE RÉNOVATION URBAINE POSSIBLE ?
RR : Il est certain qu’en déposant une candidature qui n’aboutit pas, on met en lumière certains quartiers, tout en défendant l’argumentaire des Jeux qui favoriseraient la régénération urbaine. De fait, même si on n’obtient pas les Jeux, on donne de la visibilité à des acteurs qui peuvent défendre des projets de rénovation urbaine.
SL : Actuellement, peu d’exemples et de recherches sur le sujet existent, mais c’est un axe de recherche extrêmement intéressant. Ce que l’on observe pendant la course à l’obtention des Jeux, c’est un effet de mobilisation des acteurs, qu’ils soient locaux, régionaux ou nationaux. De fait, cela crée des contextes intéressants en termes de gouvernance. Paris peut être un exemple positif, mais a contrario, le cas de Rio de Janeiro présente une situation inverse. Malgré une mobilisation, les nouveaux quartiers ne remplissent pas du tout leurs objectifs. Par exemple, le parc olympique de Deodoro devait relancer un des quartiers les plus pauvres de Rio et ce ne fut pas le cas. Les équipements sportifs construits sont fermés, non utilisés et les 31 tours d’habitation du village olympique localisées plus loin ne prennent pas preneur sur le marché immobilier ; face à cette situation il y a un découragement des groupes sociaux et moins de présence de débat sur la place publique.
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LES OLYMPIADES SONT SOUVENT L’OCCASION DE GRANDS TRAVAUX D’INFRASTRUCTURES : ATHÈNES A VU SON MÉTRO SE DEVELOPPER FORTEMENT EN PRÉVISION DES JEUX DE 2004, PÉKIN A VU TROIS LIGNES OUVERTES UN MOIS AVANT LES JEUX DE 2008. EST-CE QUE LES JEUX SONT DE GRANDS MOMENTS DE PRODUCTION URBAINE ? QUEL TYPE D’URBANISME CELA PRODUIT-IL ?
RR : Le CIO mise beaucoup sur cet argument d’un point de vue des relations publiques. Lorsqu’une ville organise des Jeux, il y a cependant toujours deux budgets : le budget pour construire, aménager ou rénover les équipements sportifs et d’accueil de la famille olympique, lié directement au comité organisateur, puis il y a le budget d’aménagement urbain, qui est souvent beaucoup plus élevé. Avec ce budget, la ville, la région ou l’État profitent des Jeux pour mettre en chantier tout un ensemble d’aménagements urbains qui relèvent du transport et de l’événementiel.
SL : Dans les plans d’amélioration des villes en lien avec les JO, on retrouve souvent les grands axes et les grands équipements de transport comme les infrastructures aéroportuaires et les grands axes autoroutiers afin de fluidifier les déplacements entre les différents sites olympiques. Évidemment, ces éléments varient d’une édition à l’autre en raison des différences de configuration urbaine entre les villes hôtes. Malgré tout, ce que l’on retrouve d’une ville à l’autre, c’est que certains lieux de la ville sont privilégiés et ces améliorations d’infrastructures de transport ne bénéficient pas obligatoirement à tous les territoires urbains, alors que les acteurs insistent sur le fait que les Jeux permettent une amélioration des transports collectifs et doux. Ce fut le cas au Brésil avec Rio de Janeiro, alors que la ville et le pays accueillaient deux méga-événements sportifs à deux ans d’intervalle entre 2014 et 2016.
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LA PLUPART DES GRANDES COMPÉTITIONS INTERNATIONALES DONNENT ÉGALEMENT LIEU À DES DÉROGATIONS FISCALES IMPORTANTES, QUI BÉNÉFICIENT SOUVENT À DE GRANDS GROUPES PARTENAIRES DES GRANDES INSTITUTIONS COMME LE CIO, LA FIFA, L’UEFA OU LA FIA. CRÉE-T-ON À TRAVERS CES GRANDS ÉVÉNEMENTS DES HAUTS LIEUX DE L’EXTRA-TERRITORIALITÉ (FISCALE) ? L’URBANISME PRODUIT PAR CES ÉVÉNEMENTS EST-IL LUI AUSSI SOUVENT DÉROGATOIRE ?
SL : Assurément et ce n’est pas étonnant. Dans la plupart de ces grandes villes, l’urbanisme dérogatoire est déjà un fait acquis afin d’accommoder plusieurs forces du marché et des dynamiques immobilières, ce qui ne va pas toujours dans l’intérêt de la communauté d’accueil. C’est pour cela qu’il faut nuancer l’effet d’accélérateur ou de levier urbain parce que cela ne se fait pas toujours dans le sens des intérêts locaux.
RR : Dans le cas de Montréal et du Grand prix de Formule 1 par exemple, les subventions, qu’elles soient fédérales, provinciales ou municipales sont attribuées dans une logique complètement atypique comparée à d’autres événements organisés dans la métropole. Le Grand Prix a par exemple été l’occasion d’un détournement de la loi interdisant la publicité pour le tabac, contournée seulement le temps du Grand Prix. Ce fut le cas aussi en Afrique du Sud avec la Coupe du monde de football (2010). Lors de la Coupe sud-africaine de football, l’habitude était que des vendeurs de rue se positionnent à l’entrée des stades, or lorsque la FIFA est arrivée, elle a imposé tout un périmètre autour des stades dont les vendeurs de rue étaient exclus et où seulement certains produits pouvaient être vendus. Cela a entraîné une contestation des populations locales et des pouvoirs publics, mais eux ont fini par plier sous les directives de la FIFA, pris par les exigences de construction et de délais pendant la préparation de l’événement. On assiste finalement à l’avènement d’un produit aseptisé tout en s’éloignant énormément de certaines réalités locales.
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VOUS NOTEZ QUE DEPUIS LES ANNÉES 2000 LES MÉGA-ÉVÉNEMENTS SPORTIFS PASSENT D’UNE SPHÈRE URBAINE OCCIDENTALE À UNE SPHÈRE URBAINE ÉMERGENTE, QUE VOUS L’ASSOCIEZ À L’IDÉE DE « VILLE ÉMERGENTE-DOMINANTE ». CES NOUVEAUX LIEUX DES GRANDS ÉVÉNEMENTS SPORTIFS SONT AUSSI MARQUÉS PAR DES INEGALITÉS SOUVENT PLUS PUISSANTES QUE DANS LES VILLES OCCIDENTALES. LES CONTESTATIONS QUI ENTOURENT CES ÉVÉNEMENTS SONT-ELLES DU MÊME COUP PLUS GRANDES ?
RR : Il n’y a pas un seul type de ville émergente-dominante, en lien avec des contextes continentaux et géopolitiques qui leur sont propres. Si on pense, entre autres, à des villes des émirats ou du Sud-Asiatique, puisque l’on peut être face à un pouvoir dictatorial sans pour autant qu’il se nomme ainsi, il peut y avoir une contestation, comme autour du Grand prix d’Abu Dhabi, mais elle est rapidement étouffée et contrée, souvent dans la violence. À l’inverse, dans des villes comme Rio de Janeiro ou des villes sud-africaines, les contestations peuvent faire plier ou au moins changer certains projets. À Rio de Janeiro, le CIO est souvent passé en force d’où des importants ratés qui vont faire parler d’eux pendant de nombreuses années.
Par ailleurs, certes le CIO ou la FIFA se sont tournés vers d’autres pays, mais ils ne peuvent pas totalement tourner le dos aux pays qui avaient traditionnellement accueilli ces événements, entre autres parce que leurs téléspectateurs sont majoritairement dans ces pays. Cela est vrai jusqu’à un certain niveau, mais si les grandes institutions ne tournent pas totalement le dos à des pays organisateurs traditionnels, c’est lié à une image de marque. Les grands événements sportifs sont avant tout des enjeux de communication et de relations publiques, donc ces institutions cherchent un équilibre entre pays occidentaux et pays émergents-dominants.
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VOUS ÉVOQUEZ À PLUSIEURS REPRISES DES ÉCHECS OU RATÉS LIÉS AUX JEUX OLYMPIQUES DE RIO DE JANEIRO, À QUOI PENSEZ-VOUS EN PARTICULIER ?
SL : Les « ratés » les plus spectaculaires sont ceux que l’on constate après, en lien avec les promesses et les investissements effectivement réalisés. L’un des principaux symboles de cela est le stade du Maracanã, qui a été rénové. Récemment, il a connu de nombreux problèmes, il a été vandalisé et complètement fermé parce que les coûts d’entretien augmentaient à un rythme trop élevé. On peut aussi penser au quartier du parc olympique Deodoro avec de nombreux équipements qui auraient dû servir par la suite, notamment pour la communauté, et tout a été fermé et laissé à l’abandon, en seulement quelques mois. Aucun repreneur privé ne veut se charger de l’exploitation de ces équipements et on assiste à une dégradation très avancée des sites qui sont vacants, les matériaux se détériorent parce que l’entretien représente des coûts trop élevés pour les acteurs publics. Les immeubles du village olympique auraient dû être convertis en appartements, certes de luxe, mais ils n’ont pas trouvé preneur.
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PATRICK BRAOUZEC, ANCIEN MAIRE COMMUNISTE DE SAINT-DENIS, A TOUJOURS VANTÉ L’IDÉE QUE LE STADE DE FRANCE AVAIT ÉTÉ UN CATALYSEUR POUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE DE LA PLAINE SAINT-DENIS, UN ASPIRATEUR À ENTREPRISES, ET QUE LE DÉVELOPPEMENT D’ACTIVITÉS DE HAUTE VALEUR AJOUTÉE SUR CE TERRITOIRE PERMETTAIT DE FINANCER UNE PARTIE DES POLITIQUES DE REDISTRIBUTION SOCIALE. EST-CE UN PHÉNOMÈNE UNIQUE OU TOUT À FAIT CLASSIQUE ? LA GRANDE INFRASTRUCTURE SPORTIVE PEUT-ELLE SERVIR À DES POLITIQUES DE REDISTRIBUTION SPATIALE ?
SL : C’est un argument classique, mais la réalité est beaucoup plus nuancée. Tout d’abord, ce type d’opération urbaine peut favoriser la gentrification donc l’embourgeoisement des territoires concernés, visible à Londres également. Puisque la valeur du foncier augmente et que de nouveaux équipements sont implantés, notamment de transports, cela permet d’attirer de nouveaux commerces, de nouvelles entreprises, mais d’une autre nature que ceux présents auparavant. Et de fait, cela va attirer une nouvelle population.
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EN TERMES DE PRATIQUES SPORTIVES, NOTE-T-ON UNE ÉVOLUTION CES DERNIERES ANNÉES ? PEUT-ON DIRE QUE LE SPORT N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI VISIBLE DANS LES VILLES (SALLES DE SPORT, ÉQUIPEMENTS EN PLEINE RUE, DÉVELOPPEMENT DE LA COURSE), MAIS QU’IL S’EST EN MÊME TEMPS PROFONDÉMENT INDIVIDUALISÉ ?
SL : Le sport fédéré et encadré a encore de nombreux adeptes et est à la base des méga-événements mondiaux. Toutefois, on note l’émergence de pratiques sportives en lien avec une réappropriation de la ville et des espaces urbains vacants ou non, sur un mode très individualisé. Cela requiert très rarement des investissements majeurs en termes d’équipements, mais nécessite plutôt des aménagements en termes de règlement, en termes notamment de cohabitation avec d’autres modes de transport. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais c’est un phénomène en expansion. La pratique du skateboard ou du longboard donne lieu à une hybridation des pratiques entre jeu et sport, qui permettent à la fois de circuler mais aussi de se réapproprier la ville. Tout cela ne va pas effacer le sport fédéré et encadré, mais des championnats apparaissent.
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RR : Le sport a toujours été présent dans les villes, mais le sport-spectacle est lui de plus en plus omniprésent dans le développement des villes. En tout cas, il est certain que le sport s’échappe de plus en plus d’une logique organisée et réglementée, le sport n’obéit plus non plus à une partition du temps entre travail et loisirs, il se mêle à tout type d’espaces et de temps, ce qui déstabilise fortement les pouvoirs publics parce qu’il est plus difficile de savoir quels sont les attentes et les besoins de ces pratiquants.
SL : Il est évident que le sport n’a jamais été aussi visible en ville d’où des politiques qui encouragent les mobilités actives comme avec le vélo-partage et les pistes cyclables. On accommode aussi les « ORNI », les objets roulants non identifiés comme les skates, trottinettes… Ces modes de déplacement urbain sont de plus en plus présents et certaines villes, notamment en Amérique du Nord prennent des virages assez radicaux pour favoriser ces pratiques, comme New York qui se dit ville de « design actif », donc on aménage la ville pour que la population bouge plus.
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PLUSIEURS CHERCHEURS OU ACTEURS URBAINS SE PENCHENT DÉSORMAIS SUR LE CARACTÈRE GENRÉ DES INSTALLATIONS SPORTIVES EN VILLE. PEUT-ON DIRE QUE LE SPORT RENFORCE LES INÉGALITÉS DE GENRE DANS L’ESPACE URBAIN ?
SL : Nous avons étudié cette thématique à travers des équipements sportifs très locaux, des équipements qui devaient encourager la pratique sportive. En travaillant sur les patinoires montréalaises, on a pu observer que la gestion de certains aménagements n’accommodait pas les jeunes filles. C’est une thématique de recherche qui prend de l’ampleur et c’est nécessaire puisque c’est une réalité.
ENTRETIEN RÉALISÉ EN AOÛT 2017
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Photographie de couverture : le Los Angeles Memorial Coliseum
- Les Jeux olympiques de Munich ont été marqués par la prise d’otages et l’assassinat de membres de l’équipe israélienne par le groupe Septembre noir, organisation palestinienne. [↩]
- Même si les Jeux olympiques d’été d’Atlanta en 1996 ou de Salt Lake City en 2002 sont assez récents, il faut se rappeler que, pendant plusieurs années, un important désaccord a existé entre le CIO et les États-Unis et ses instances olympiques nationales, au niveau spécifiquement des droits télévisuels. [↩]