Lu / Justice spatiale et précarité énergétique : aménager le périurbain lyonnais

Claire Fonticelli

PDF du Lu / Citer ce Lu


Métropole et éloignement résidentiel, vivre dans le périurbain lyonnais est un court ouvrage en format poche dirigé par Éric Charmes. Il fait suite au programme de recherche action, toujours en cours, portant sur Lyon, financé par la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (POPSU) et dédié aux Métropoles, dont il valorise une partie des résultats.

L’ouvrage interroge ce que pourrait être la justice spatiale à l’échelle d’une aire urbaine comme celle de Lyon, à l’aune de la précarité énergétique.  Il présente les initiatives, et surtout les freins, rencontrés par l’ensemble des acteurs pour atteindre cet objectif. L’introduction revient sur les causes de la périurbanisation et ses conséquences. Les parcours résidentiels des périurbains, objet de la première partie de cet ouvrage, accroissent la vulnérabilité énergétique qui est analysée dans la deuxième partie de l’ouvrage, notamment du fait de l’augmentation des coûts de la mobilité.

Les mécanismes de la périurbanisation lyonnaise

Cette première partie revient sur les mécanismes de la périurbanisation. Le premier chapitre analyse avec finesse bien que brièvement « le rôle de l’accession à la propriété dans le processus de périurbanisation » (p. 18). Il revient sur des mécanismes connus qui poussent à l’accession sociale en périurbain : un moindre coût de construction d’une maison individuelle par rapport à un logement collectif, le désir de maison individuelle… Cette analyse, d’abord à l’échelle de la France entière, puis de l’aire urbaine de Lyon, a le mérite de nuancer le rôle de l’accession à la propriété des urbains dans les dynamiques périurbaines. L’auteur rappelle que même s’il était possible d’empêcher l’étalement urbain, le problème de l’existant se poserait encore, et dans des proportions importantes : la couronne périurbaine lyonnaise accueille actuellement 600 000 habitants. Les habitants déjà-là, rattrapés par la périurbanisation et entretenant parfois peu de rapport avec le Grand Lyon sont les plus nombreux à accéder à la propriété : les ménages venant du Grand Lyon ne représentent que 20 % des emménagements entre 2008 et 2013 dans le cadrant périurbain Est lyonnais.

Le deuxième chapitre est composé de portraits des périurbains. Les trajectoires résidentielles et salariales de cinq ménages périurbains sont présentées. Ces portraits, qui sont mobilisés dans différents chapitres, apportent beaucoup à l’ouvrage. Un propos liant précarité et choix périurbain risquait l’écueil de tomber dans un discours misérabiliste sur les habitants du périurbain, discours encore trop présent dans les médias. Il n’en est rien, grâce à ces portraits, et à un discours toujours nuancé. Ils permettent de donner vie aux profils de ménages et d’éviter que les habitants disparaissent derrière les chiffres et les statistiques, d’autant que plusieurs portraits montrent combien les individus apprivoisent leur environnement périurbain et combien les trajectoires périurbaines sont plurielles. On peut toutefois regretter que les conditions de réalisations de portrait d’habitants ne soient pas précisées, tout comme les critères ayant permis de les sélectionner pour les présenter au sein de cet ouvrage.

Le dernier chapitre de cette partie se focalise sur le territoire du schéma de cohérence territorial (SCOT) de la Boucle du Rhône et du Dauphiné, à une trentaine de kilomètres de Lyon. Il illustre parfaitement les enjeux d’un territoire périurbain constitué : à l’écart des grands axes, il est confronté à une très forte dynamique résidentielle qui se traduit par une augmentation importante des mouvements pendulaires. L’auteur pointe le paradoxe de ce périurbain et de beaucoup d’autres, celui d’un territoire attractif « par la qualité de son cadre de vie, qualité qui pourrait être remise en cause par les formes actuelles du développement urbain » (p. 57). Les difficultés à maitriser le développement urbain ou à lutter contre la banalisation des paysages sont connues, liées à un manque d’ingénierie des collectivités périurbaines, et à une difficulté à penser « la solidarité à l’échelle de l’ensemble de l’aire métropolitaine » (p. 58).

La précarité énergétique des périurbains, une double vulnérabilité

La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse essentiellement à la précarité énergétique rencontrée par certains ménages périurbains et les outils déployés à différentes échelles pour y remédier. Le livre souligne que la précarité énergétique ne concerne pas seulement les ménages habitant des copropriétés de type grands ensembles situées dans des banlieues populaires et connues pour leur mauvaise isolation. En ajoutant aux dépenses en chauffage celles des frais de transport, les auteurs montrent que la précarité énergétique concerne les périurbains, notamment les plus lointains.

Le premier chapitre documente l’inégalité des ménages face aux dépenses de transport. Il rappelle le paradoxe suivant : les dépenses les plus importantes de transport sont le plus souvent assumées par les ménages les plus modestes. Le désir d’accéder à une maison individuelle, les prix de l’immobilier font que beaucoup de ménages modestes (gagnant moins de 2 500 € par mois) accèdent à la propriété dans le périurbain lointain, car ils sont exclus des marchés immobiliers des secteurs plus proches. Les inégalités en termes de durée et de coût de déplacements vont du simple au double entre le périurbain le plus proche des grandes aires métropolitaines et celui le plus éloigné. Il en résulte une précarité souvent invisible : les auteurs notent que dans le périurbain lointain, du fait des dépenses de transport, peuvent être considérés comme pauvres des ménages de deux adultes et deux enfants gagnant moins de 3 000 € par mois, contre 2 150 € pour le seuil de pauvreté à l’échelle nationale. Tout en rappelant la diversité des périurbains et leur capacité d’adaptation, les auteurs soulignent un sentiment de fragilité ressenti par beaucoup des ménages des couronnes périurbaines modestes. Et, que, si certains parviennent à ajuster ou à adapter leurs mobilités, tous ne peuvent pas.

Le deuxième chapitre analyse la capacité de certaines collectivités à agir sur la précarité énergétique. Il pointe les politiques parfois contradictoires des acteurs publics, liées aux différentes échelles d’action, aux différentes priorités à un moment donné ainsi qu’au manque d’outil statistique pour mesurer la précarité énergétique et de définition claire et consensuelle qui permettrait de s’en saisir. En comparant trois territoires aux situations très différentes (une banlieue populaire, Saint-Fons ; un espace périurbain lointain constitué de trois intercommunalités formant le Grand Rovaltain ; et un territoire rural le Trièves), les auteurs montrent que l’efficacité des outils développés dépend du contexte des communes. Le manque d’ingénierie dans les communes périurbaines et rurales, malgré la présence d’acteurs nationaux (ADEME, réseau Rappel) freine la lutte contre la précarité énergétique, même si l’investissement fort d’élus autour des questions environnementales, ou l’existence de dynamiques enclenchées par la réalisation de documents de planification prenant en compte la précarité énergétique peuvent donner lieu à des initiatives dans ces territoires ruraux ou périurbains. Ces politiques demeurent trop souvent sectorielles et centrées sur le logement, ce qui limite leur impact dans ces territoires.

Dans un troisième chapitre, les actions de l’agence d’urbanisme de l’aire métropolitaine lyonnaise sont présentées. Urbalyon a identifié les territoires où se manifestait une « double vulnérabilité, liée à l’habitat et aux mobilités » (p. 97) traduisant une pauvreté structurelle, qui concerne, sans surprise, les espaces périurbains les plus lointains. Le chapitre pointe la difficulté à articuler transition écologique, équité territoriale et justice spatiale à l’échelle d’une aire métropolitaine.

Enfin, dans le dernier chapitre, les actions engagées par la métropole de Lyon sont présentées, soulignant le passage d’une prise en compte classique de la précarité énergétique – par le biais essentiellement d’actions sur la rénovation des logements et la tarification énergétique – à des actions plus larges incluant la mobilité et mobilisant davantage d’acteurs – notamment les acteurs du transport – et de territoires. Un travail pour identifier les secteurs où résident les ménages les plus touchés par la précarité énergétique a été entrepris, et devra être suivi d’un travail de terrain pour identifier finement les ménages touchés. Il résulte de ces actions une prise de conscience de la nécessité d’une approche transversale et multifactorielle de la précarité énergétique, et surtout du besoin d’étudier cette question à différentes échelles et au-delà de la métropole lyonnaise.

La conclusion interroge les conséquences du Covid-19 sur la périurbanisation, et le renforcement du désir de maison avec jardin, risquant d’accroitre la pression foncière sur le périurbain lointain voire au-delà. La nécessité de croiser action sociale, politique de transport, urbanisme et aménagement du territoire pour espérer parvenir à une certaine justice spatiale se confirme.

Conclusion : un portrait tout en nuance du périurbain lyonnais et de ses difficultés

Les objectifs du programme de recherche Popsu Métropole1 sont de faire travailler ensemble élus, professionnels de l’urbanisme, et chercheurs ; de produire une connaissance commune ; et de la transmettre au plus grand nombre. Ces objectifs sont clairement atteints dans cet ouvrage. L’écriture est polyphonique : de nombreux chercheurs et chercheuses y ont participé, tout comme un ancien élu ou des chargés de mission. Ces différents auteurs et autrices se rejoignent sans jamais se répéter et accompagnent de perspectives différentes le lecteur tout au long de sa lecture.

L’objectif d’un ouvrage accessible au plus grand nombre est également rempli : le livre est facile à lire, les différents chapitres sont autonomes, les illustrations soignées et la conception graphique de l’ouvrage ajoutent au plaisir de la lecture. Un lectorat de chercheurs regrettera sans doute parfois l’absence de bibliographie ou la présentation partielle des méthodes utilisées pour étayer les propos – malgré une courte note méthodologique, qui précise surtout la démarche Popsu métropole – mais ce n’est pas l’objectif de l’ouvrage.

De ce livre, on retient un portrait tout en nuance des enjeux des territoires périurbains lyonnais et des difficultés des ménages modestes à accéder à la propriété. Si les enjeux réels et les difficultés de ces territoires ne sont pas effacées, le propos est toujours nuancé et jamais généralisant. Les différents chapitres de ce court ouvrage font ressortir les paradoxes de la justice spatiale : les ménages les plus pauvres sont souvent ceux qui supportent les plus grandes dépenses en termes de transport, les ménages concernés par la précarité sont rarement vus comme pauvres, les espaces périurbains les plus concernés par la pression foncière sont ceux qui ont le moins d’ingénierie pour y répondre …

Si les différents acteurs institutionnels qui écrivent dans l’ouvrage témoignent d’une volonté de réfléchir la justice spatiale à l’échelle d’une aire urbaine comme celle de Lyon, ils soulignent également les difficultés à avancer vers cet objectif : l’absence de définition partagée sur la précarité énergétique, des actions encore trop sectorielles, un manque de prise en compte des différentes échelles d’intervention, les décisions parfois contradictoires prises par différentes collectivités. Ils soulignent toutefois le déploiement de nouveaux outils – certes encore insuffisants – et l’opportunité offerte par le cadre institutionnel lyonnais qui regroupe des compétences spécifiques pour agir. Surtout, pour concevoir des actions adaptées, la prise de conscience de ces différents acteurs des réalités de la précarité énergétique est un espoir. La recherche action, dont cet ouvrage nous donne un avant-goût, y contribue.

CLAIRE FONTICELLI

 –

Claire Fonticelli est maîtresse de conférences en urbanisme et aménagement, au sein du département Villes et territoires durables de l’Université d’Aix-Marseille (IUT). Ses recherches portent sur le périurbain, les modes d’habiter, les politiques de densification et leurs traductions paysagères et architecturales.

claire.fonticelli@univ-amu.fr

Référence de l’ouvrage : Charmes E. et Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (eds.), 2021, Métropole et éloignement résidentiel : vivre dans le périurbain lyonnais, Paris, Éditions Autrement, 141 p.

Couverture : Périurbains, mais pas trop (POPSU, 2020)

Pour citer cet article : Fonticelli C., 2022, « Justice spatiale et précarité énergétique : aménager le périurbain lyonnais », Urbanités, Lu, février 2022, en ligne.

  1. Voir site internet du programme : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/plateforme-d-observation-des-projets-et-strategies-r81.html consulté le 02/12/2021. []

Comments are closed.