#4 / La renaissance du port mozambicain de Maputo. Temporalités et spatialités.
Marie-Annick Lamy-Giner
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L’article de Marie-Annick Lamy-Giner au format PDF
Le Mozambique, territoire oblongue en forme de « Y », s’étire sur 2000 km du Nord au Sud. Tandis que la partie septentrionale du pays atteint une largeur d’environ 600 km, le Sud se démarque par sa taille de guêpe. Ainsi, la pointe méridionale où se situe la province de Maputo n’est large que de 60 km. Cette province, qui possède des frontières communes avec le Swaziland et l’Afrique du Sud, accueille en son sein la capitale Maputo (ex-Lourenço Marques)1, principale ville portuaire du pays. Sa situation géographique en fait un centre urbano-portuaire très excentré. Le port et la ville ont été édifiés, à la fin du XIXème siècle, par les Portugais, dans la baie de Delagoa. C’est l’ouverture d’une voie ferrée, la Transvalienne, entre l’Afrique du Sud et Lourenço Marques qui impulsa le développement portuaire. Parallèlement, les Portugais firent le choix de délocaliser la capitale de l’île du Mozambique2 vers la baie de Delagoa. Devenue capitale de colonie, Lourenço Marques se développa rapidement mais au détriment du reste du territoire, peu mis en valeur par les Portugais.
À la veille de l’indépendance du Mozambique, Maputo se présentait comme un des ports les plus actifs de l’Afrique australe. Il était le débouché du Transvaal, la région la plus riche, tant du point de vue minier qu’industriel, de l’Afrique du Sud. Lorsque le pays bascula dans la guerre civile post-indépendance3 en 1977, une des plus longues du continent, entre les partisans du Frelimo (Front de Libération du Mozambique) et de la Renamo (Résistance Nationale du Mozambique), le trafic portuaire s’effondra. La guérilla conduisit à la ruine de l’économie d’un des pays les plus prospères de l’Afrique australe. Lorsque la guerre prit fin en 1991, une grande partie des installations portuaires et équipements de Maputo avaient été détruits. Vingt ans après, la réhabilitation est toujours en cours.
Dans un contexte régional marqué par l’hégémonie des ports sud-africains, dans un pays en pleine reconstruction et nouvel eldorado des matières premières, Maputo veut retrouver son rang. Il lui faut dans cette perspective reconquérir ses arrière-pays qui s’étendent bien au-delà des limites du pays, de l’Afrique du Sud au Swaziland, du Zimbabwe au Botswana. La première ambition d’un port est d’être « organisateur de l’espace en vue de la circulation » (Vigarié, 1998), il s’agira, sous cet éclairage, d’analyser le rôle que joue aujourd’hui le port de Maputo au sein de sa ville mais aussi dans son environnement national voire régional. Pénalisé par un faible tirant d’eau, coincé dans son extension par une agglomération tentaculaire, a-t-il cependant, à l’ère du gigantisme des navires, les moyens de ses ambitions ?
Cet article se propose d’expliquer les mutations (construction, destruction liée à la guerre, processus de réhabilitation) du port, et de facto de la ville, de Maputo. Il s’agira d’appréhender les défis auxquels sont confrontés une ville portuaire, au rôle primatial, dans un pays aux énormes potentialités (ressources minières et gazières), mais classé parmi les États les plus pauvres de la planète (antépénultième dans le classement de l’IDH, avec 0,327). En filigrane, il importera de comprendre les enjeux territoriaux, par des éclairages géopolitiques, auxquels sont confrontés le Mozambique. En optant pour une approche géohistorique, il s’agit de croiser échelles de temps et d’espaces, « d’identifier des temps urbano-portuaires qui reflètent une trajectoire économique inscrite dans un contexte territorial donné » (Beyer & Debrie, 2011).
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De la jetée en bois au complexe portuaire
Entre sa découverte en 1500 et la moitié du XIXème siècle, Lourenço Marques, fut tour à tour aux mains des Hollandais, des Autrichiens, des Français et des Portugais. Tantôt station de commerce, tantôt poste militaire, la baie ne fit pas pour autant l’objet d’une mise en valeur portuaire. Dans les années 1890, après maints conflits, contre le peuple Ngunis4 pour le contrôle de la région, les Portugais finissent par asseoir définitivement leur domination sur la baie. Dès lors, ils décidèrent de construire un port à Lourenço Marques5, sur les rives septentrionales de la baie.
Les Boers6 avaient déjà voulu tenter l’expérience cinquante ans auparavant (1838) mais buttèrent sur les Portugais. Une seconde tentative d’annexion fut menée en 1869, par Pretorius (une des figures du Grand Trek, qui laissa son nom à la ville de Pretoria), avant finalement qu’un traité, celui de 1869, redéfini en 1875, ne clôt les altercations pour la possession de la baie. En définitif, les Boers obtinrent l’autorisation de construire une voie ferrée – nommée Transvalienne – entre le Transvaal et Lourenço Marques et d’utiliser les installations portuaires de la baie. En contrepartie les Portugais gardaient le monopole sur la région. La baie de Lourenço Marques ne comprenait alors qu’un simple appontement en bois construit en 1875.
Entre temps, des gisements diamantifères, à Kimberley (1869), et aurifères, dans le Witwatersrand sur le site de la future ville de Johannesburg (1886), furent découverts. Pour travailler dans les mines, le recours à une main-d’œuvre africaine devint rapidement une nécessité. À partir de Lourenço Marques, devenue lieu de transit, les Portugais mirent en place le recrutement des hommes. Alors que s’instaura en Afrique australe le système du travail migrant, Lisbonne comprit l’avantage de tirer profit de l’exportation et de la taxation des revenus des mineurs (Vidal, 2009). Depuis la fin du XIXème siècle, la frontière Afrique du Sud-Mozambique est marquée par un double flux : de marchandises vers Maputo et de travailleurs vers le Transvaal.
En délocalisant en 1897-98 la capitale de l’île du Mozambique vers Lourenço Marques, les Portugais répondent à des logiques extra-nationales, en l’occurrence servir de fenêtre maritime au Transvaal. Trop excentrée, la nouvelle capitale ne réussit pas à gouverner un pays, qui n’est pas alors à proprement parler une « colonie » mais une chaîne de comptoirs s’étirant d’Ibo, au Nord, à Lourenço Marques, au Sud (Pelissier, 2012). Après le congrès de Berlin, le tracé des frontières fut l’objet de maints pourparlers entre la Grande-Bretagne et le Portugal, lesquels ne ratifièrent le traité qu’en 1891. En échange de la construction d’une voie ferrée par le Portugal, entre la Rhodésie et l’estuaire du fleuve Pungué (Beira), la Grande-Bretagne finit par reconnaître la souveraineté du Portugal sur le Mozambique. Le colonialisme portugais réussit tout de même à tirer profit de sa position géopolitique, passage obligé vers le littoral indien pour les colonies britanniques (Rhodésie, Nyassaland) (Cahen, 1994). Il contrôlait le verrou vers l’océan Indien. Le chemin de fer de Lourenço Marques fut achevé en 1894, celui de Beira en 1897.
Devenu la fenêtre maritime minière du Transvaal, Maputo commença à diversifier son trafic en se lançant dans les exportations de fruits en 1930. La même année, Matola accueillit ses premières infrastructures portuaires avec l’édification d’un terminal pétrolier. Par la suite, le port laurentin confirma son rôle minéralier (exportations de cuivre et minerai de fer). L’activité du port fut à son apogée7 en 1972, avant de commencer à décliner au lendemain de l’accès à l’indépendance du pays.
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La nouvelle physionomie de la ville
Au sortir de la guerre, le centre de Maputo offre un visage dégradé alors que s’étalent, au-delà du plan orthogonal colonial, les zones d’habitat précaire (les caniços). Cette vague de croissance effrénée, marquée de vastes programmes de réhabilitation, qui embrase aujourd’hui Maputo, n’a réellement démarré que dans les années 2000 (Folio, 2008).
Au sommet de la hiérarchie urbaine nationale, Maputo qui occupe essentiellement la rive gauche de l’estuaire a fini par rejoindre dans son extension la ville voisine de Matola, avec laquelle elle forme une conurbation de 2 millions d’habitants. La ville abrite 25 % de la population urbaine totale du pays, en incluant Matola, devant Beira (530 000 habitants) et Nampula (388 000). Matola s’est métamorphosé, au cours des années 60, en satellite industriel de Maputo (Jenkins, 2000). La ville voisine est devenue le « déversoir » régional de l’exode rural alors que parallèlement elle a vu, à la suite d’inondations récurrentes (dont celle de l’année 2000), le relogement des habitants de Maputo, dont les habitations ont été détruites (quartiers de Louis Cabral, Polana Caniço A).
Maputo a longtemps offert un visage dual : à une « ville de ciment », symbolisée par les constructions en dur du centre, et qui correspond à l’ex-ville coloniale, s’oppose une « ville de roseaux », les bidonvilles péricentraux où s’entasse 70 % de la population de la capitale (Lachartre, 2000). Pendant la guerre, la ville a accueilli plus de 100 000 deslocados, soit environ 10 % de la population totale de Maputo en 1990. Ces réfugiés ne sont pas repartis à la fin de la guerre, scotchés « à la ville-vitrine de la nouvelle ère mozambicaine » et à ses promesses (Vivet, 2012). Aujourd’hui, l’édification de condominios et le bétonnage du littoral tendent à remodeler le visage de la ville (fig. 1).
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La ville de ciment8, dont les noms des rues (Lenine, Mao Tse Tung ou Julius Nyerere) rappellent la parenthèse marxiste-léniniste post-indépendance, est hérissée de tours flambant neuves ou rénovées (banques, assurances, sièges sociaux) tandis que des centres commerciaux, aux enseignes sud-africaines, sont sortis de terre. L’Afrique du Sud bien qu’ayant rétrogradé à la sixième place reste un important pourvoyeur d’investissements directs à l’étranger au Mozambique, derrière notamment le Brésil et les États-Unis. Sa présence est surtout visible, à Maputo, dans les secteurs de la banque, la grande distribution, la restauration ou l’habillement. Il est vrai que le corridor de Maputo, dont la réhabilitation est achevée, facilite les échanges entre les deux voisins. Tant et si bien que Foucher et Darbon ont pu parler de « boulevard » vers une capitale mozambicaine transformée en « dixième » province sud-africaine (2001). Mais le débordement de puissance de l’Afrique du Sud est ici moins prégnant que dans sa première sphère d’influence, à savoir le Swaziland, le Lesotho ou le Botswana. À mesure que l’on s’éloigne de Maputo, à l’exception des gisements miniers, l’influence sud-africaine diminue. Lafargue rappelle que l’Afrique du Sud n’a pas les moyens financiers de concurrencer les puissances asiatiques dorénavant bien implantées dans la région (2007). Quoi qu’il en soit, cette proximité – la capitale se situant à 65 kilomètres de la frontière sud-africaine – explique que Maputo regarde davantage vers le géant voisin que vers le reste du territoire national.
La ville a vu aussi fleurir des condominios, quartiers résidentiels sécurisés, sensiblement similaires aux gated communities sud-africaines, le long du littoral donnant sur la baie de Maputo. Ainsi sur la frange côtière des quartiers de Sommerchield, Polana Caniço A et Costa do Sol, prennent placent une quarantaine de condominios, nés au départ d’un manque de logements de standing et davantage liés aujourd’hui à des critères sécuritaires (Folio, 2007). Ils forment comme des tâches de richesse dans le tissu des baraques précaires. Ici zones d’habitats riches et pauvres9 se jouxtent, quand en Afrique du Sud, les townships, legs de l’apartheid, ont été rejetés loin en périphérie. La montée de la criminalité à Maputo, liée notamment à la prolifération des armes depuis la fin de la guerre, n’est pas étrangère à cette volonté d’enclosure résidentielle.
La conurbation génère une part non négligeable du PIB (29 %), grâce notamment à un important parc industriel (30 % des industries du pays) et à la présence de la quasi-totalité des entreprises du secteur tertiaire (Municipalité de Maputo, 2012). À Matola, prennent place les plus grandes industries du pays. L’aluminerie Mozal, dont la production atteint les 500 000 tonnes par an, est le premier mégaprojet sorti de terre au lendemain de la guerre. Il se situe à 10 kilomètres du port de Matola, où a été érigé un terminal dédié à l’exportation d’aluminium. À proximité de Mozal, se déploie le parc industriel de Beluluane (dont une partie correspond à une zone franche), lequel accueille une vingtaine d’industries. Matola est également l’hôte des principales usines chimiques, pétrochimiques et agroalimentaires du pays.
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Le renouveau du port de Maputo
Lorsque la guerre s’achève en 1991, le Mozambique est dévasté et exsangue. La guérilla a détruit usines et voies de communication dans un pays déjà en proie à la désorganisation10. Les trois ports furent donc handicapés par le sabotage récurrent des voies ferroviaires. Les destructions causées par la Renamo ont non seulement privé le gouvernement central des devises liées au transit mais elles ont aussi asphyxié les États attenants (Aicardi de Saint-Paul, 1987). Le pays a perdu, au profit de l’Afrique du Sud, son rôle de plaque tournante pour pays enclavés. Le trafic de Maputo chuta à 2,5 millions de tonnes en 1986.
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Aujourd’hui, une vingtaine d’années après la fin de la guerre, le port de Maputo a retrouvé de sa superbe et les stigmates de la guerre ne sont plus guère visibles. Tout a été reconstruit ou rénové, des hangars aux silos, des quais aux voies de communication. Bien que la majorité des équipements portuaires soit concentrée à Maputo (baixa), certaines activités, consommatrices d’espace comme les terminaux vraquiers, ont été maintenues à Matola (céréales, charbon, hydrocarbures et aluminium) (fig. 2). Les deux sites portuaires sont distants de 4 kilomètres à vol d’oiseau. Port originel, le port de la baixa est une succession de sept terminaux (conteneurs, sucre, fruits, voitures, etc.) (fig. 3). Cerné par la ville, il se révèle aujourd’hui trop exigu. Ce qui génère des tensions latentes entre les concessionnaires du port11, demandeurs de terrains, et la Caminhos de Ferro de Moçambique (CFM), la société publique en charge des ports et chemins de fer du Mozambique. En outre, le port doit aussi s’adapter au développement urbain. Le futur pont de Catembe, qui reliera les deux rives de la « Rio Esperito » en surplombant l’estuaire de 60 mètres, « grignote » un pan du terminal à voitures.
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Aujourd’hui le gigantisme croissant des navires pose la question du maintien d’un port à Matola. Les différents cours d’eau (Matola, Umbuluzi, Tembe…) qui viennent se jeter dans l’estuaire charrient énormément de sédiments et obligent à de fréquentes opérations de dragage. Le tirant d’eau est de 12 mètres à Matola, ce qui limite l’accueil des navires à des Panamax. La grosse opération de dragage actuellement menée devrait ramener les profondeurs à 14 mètres. À terme, le port de la baixa (Matola n’étant pas pour l’heure concerné) pourra accueillir des post-panamax12 et ainsi rejouer un rôle majeur au sein de la façade maritime de l’Afrique australe. Le trafic actuel témoigne d’une nette reprise d’activité, 17 millions de tonnes en 2013. Le processus de réhabilitation, au point mort au lendemain de la guerre, balbutiant au seuil des années 2000, a fini par porter ses fruits.
La concurrence des ports sud-africains voisins (Durban, Richards Bay et Ngqura – sorti de terre en 2009) se fait vive. Ils partagent tous plus ou moins le même arrière-pays, aux vastes étendues agricoles de plantation et riche en matières premières et minérales. Maputo jouit d’un avantage, à savoir sa situation géographique privilégiée, sur ses principaux concurrents (Lamy-Giner, 2009). Il est à portée, en étant à moins de 450 kilomètres des provinces sud-africaines du Mpumalanga, du Limpopo et du Gauteng, ainsi que des pays voisins du Swaziland et du Zimbabwe. Avec la réhabilitation du corridor de Ressano Garcia, vers l’Afrique du Sud, de Goba vers le Swaziland et du Limpopo vers le Zimbabwe, le port de Maputo retravaille pour les pays voisins. Il renoue avec sa fonction d’exutoire pour pays ou province enclavés. Parallèlement, il est au service des industries de la province. Sucre, mélasse et aluminium sont produits localement.
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Les enjeux de la ruée vers le charbon et le gaz : vers un rééquilibrage territorial ?
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Alors que l’Angola se positionne comme le second producteur de pétrole du continent africain derrière le Nigéria (avec une production de 1,6 million de barils par jour) et que ses réserves de gaz naturel s’élèvent à 309 milliards de m3, l’autre pays lusophone de l’Afrique australe est en passe de devenir un nouvel eldorado (fig. 4). Le pays disposerait de 2000 milliards de m3 de gaz. Son sous-sol est par ailleurs riche en charbon. La province de Tete, à la frontière avec la Zambie et le Malawi, recèle 23 milliards de tonnes de réserve de charbon. Les sables lourds de Moma (province de Nampula) renferment ilménite, rutile et zircon13. Les exploitations ou projets d’exploitation de ces gisements miniers et gaziers ont surtout lieu dans la moitié Nord du pays, jusqu’alors en marge du développement. Ces richesses peuvent-elles réduire les inégalités spatiales héritées de la colonisation ? Le bilan reste pour l’heure mitigé. Certes à Tete, hôtels, banques, restaurants poussent comme des champignons, mais les mégaprojets qui concernent surtout les activités minières et énergétiques sont peu profitables à la population14. Ils ne génèrent qu’un nombre limité d’emplois, les impacts productifs sont réduits en raison des technologies utilisées et de la faiblesse structurelle de la base productive nationale (Avila, 2012). Surtout, ils bénéficient d’importantes exonérations fiscales.
Maputo n’est pas que spectatrice de cette ruée minière, le long des artères de la baixa poussent des gratte-ciels, sièges des filiales des grandes entreprises minières ou pétrolières (le brésilien Vale, l’anglo-australien Rio Tinto, l’américain Anadarko ou l’italien Eni). Du coup avec l’afflux massif de travailleurs étrangers, les prix flambent15 à Maputo, comme chez sa voisine lusophone Luanda. Les salariés étrangers s’installent en priorité dans les condominios. L’entreprise Mozal a ainsi construit plusieurs quartiers fermés pour loger son personnel (cadres en particulier).
La découverte et mise en exploitation des gisements miniers et gaziers vont-elles permettre une inversion des pôles, ou du moins un rééquilibrage territorial ? Incontestablement, la moitié nord du Mozambique, longtemps en situation de périphérie, connaît une amorce de développement. Néanmoins, il n’est focalisé que sur quelques secteurs circonscrits, autour des gisements charbonniers ou gaziers et le long des corridors. Certes l’essor du pays est très limité spatialement, mais ne vaut mieux-t-il pas un développement par enclave que pas de développement du tout ? La question mérite d’être posée dans ce pays où les séquelles de la guerre sont encore omniprésentes et où tout est à reconstruire. Ce PMA, qui affiche, qu’importe les indicateurs retenus (Idh : 0,327, Pib/hab : 400 $, indice de Gini : 0,476, etc.), de très mauvais résultats, a clairement misé sur la privatisation et les investissements directs étrangers. Tant pis si ces investissements restent ciblés (mines, corridor, port) conduisant à des logiques de développement à grande échelle. Sans doute, il s’agira de jauger à l’avenir leur capacité d’impulsion et synergie à l’échelle provinciale, voire nationale.
Les investisseurs étrangers tendent ainsi à suppléer un État dans l’incapacité financière d’engager de grands travaux de réhabilitation et de renforcement du réseau de communication. En y regardant de plus près, tous les axes majeurs mozambicains forment des pénétrantes latitudinales et jouent le rôle de trait d’union entre port et pays enclavés voisins. Comparativement, les axes Nord-Sud semblent dérisoires, même s’il existe une volonté gouvernementale d’améliorer ces liaisons (livraison d’un pont sur le Zambèze en 2009) et par là même gommer les disparités internes. L’absence d’un axe structurant Nord-Sud ajoute à la fragmentation du territoire. À l’heure de la ruée vers le gaz et le charbon, le manque d’infrastructures pénalise le pays. Par exemple, la faible capacité de la voie ferrée de Sena freine les exportations de charbon de la province de Tete ; le minerai noir s’entassant sur les lieux d’extraction. Pour résoudre le problème, la construction d’une nouvelle voie ferrée, courant entre les mines de Moatize et le port de Nacala, via le Malawi, a été entreprise par le groupe brésilien Vale.
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La ville de Maputo est incontestablement un des centres urbains les plus dynamiques du Mozambique. Il tire une partie de son rayonnement de son port. Les deux autres établissements portuaires du pays connaissent eux aussi, après l’atonie de la guerre, un regain d’activité. Mais ils restent encore pour l’heure pénalisés par une mauvaise desserte (voies ferrées saturées avec des travaux de rénovation traînant en longueur). En revanche, après la réhabilitation de ses deux complexes portuaires, Maputo est redevenu un des ports les plus actifs de l’Afrique australe. Il jouit de sa proximité avec l’Afrique du Sud, avec lequel il est relié par le corridor de Maputo. Ce couloir redonne non seulement à l’ex-Lourenço Marques son rôle de façade exutoire mais favorise aussi un afflux d’investissements sud-africains de ce côté-ci de la frontière, contribuant au développement de la capitale. Aux flux de capitaux et de marchandises, dans un sens, s’opposent les flux de migrants clandestins, dans l’autre.
Force est de constater que dans ce pays qui affiche une des croissances (7 % par an) les plus vives du continent, le développement reste limité à une capitale au rôle primatial, à des axes extra-territoriaux, que symbolisent les corridors, et à quelques pré carrés, « poches » minières ou gazières, aux mains de multinationales. Les investissements étrangers ne sont pas que d’origine sud-africaine. Trois autres pays émergents, formant les BRICS (à savoir le Brésil, la Chine et l’Inde), sont aussi aujourd’hui fortement implantés au Mozambique. Ils ont des visées sur les gisements de matières premières et de gaz naturel et ils ambitionnent de nouer avec l’Afrique une féconde collaboration politique, leur permettant d’asseoir leur influence sur l’échiquier international (Lafargue, 2007). Dans le domaine portuaire, trois projets de port en eau profonde sont sur la table, dont un au sud de Maputo, dans la baie de Techobanine. Ce qui devrait renforcer la domination de la ville-capitale, laquelle tire une partie de son dynamisme de sa proximité avec le géant voisin et l’autre de son rôle de vitrine du Mozambique, un des pays les plus courtisés (investisseurs, organismes de coopération) et choyés (ONG, bailleurs de fonds) du continent.
MARIE-ANNICK LAMY-GINER
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Marie–Annick Lamy-Giner est maître de conférences en géographie à l’Université de La Réunion, dans le Centre de Recherches et d’Etudes en Géographie à l’Université de La Réunion (CREGUR). Ses recherches portent sur les problématiques inhérentes aux transports maritimes et transports aériens, en particulier en Afrique australe et dans le Sud-Ouest de l’océan Indien.
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Bibliographie
Aicardi de Saint-Paul M., 1987, « Les transports en Afrique australe » in Afrique Contemporaine, n° 141, 3-31.
Avila J., 2012, Développement et lutte contre la pauvreté: le cas du Mozambique, Paris, L’Harmattan, 208 p.
Beyer A & Debrie J., 2011, « Les temporalités frontalières et urbaines du port de Strasbourg. Analyse géohistorique d’une relation fluviale ville-port », Métropoles, n°10, http://metropoles.revues.org/4494
Cahen M, 1994, « Mozambique, histoire géopolitique d’un pays sans nation » in Cahen M. (dir.), Géopolitiques des mondes lusophones, Paris, L’Harmattan, 213-266
Folio F., 2008, « Regards sur le Mozambique contemporain », Echogeo, n°7, 14 p.
Folio F., 2007, « Les condominios à Maputo : enjeux sociétaux et spatiaux autour de l’implantation des ensembles résidentiels sécurisés dans la capitale mozambicaine », Les Annales de géographie, 247-270.
Foucher M., Darbon D., 2001, L’Afrique du Sud, puissance utile ?, Paris, Belin, 126 p.
Jenkins P., 2000, City Profile Maputo, Cities, vol. 17, n°3, 207-218.
Lachartre B., 2000, Enjeux urbains au Mozambique de Lourenço Marques à Maputo, Paris, Karthala, 320 p.
Lafargue F., 2007, « La rivalité entre la Chine et l’Inde en Afrique australe », Afrique Contenporaine, n°222, 167-179.
Lamy-Giner M-A., 2009, « Le port mozambicain de Maputo à la reconquête de ses arrière-pays », Annales de Géographie, n°118, 247-269.
Municipalité de Maputo : www.cmmaputo.gov.mz/
Pélissier R., 2012, « Portugal : trois empires perdus », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°107, 44-53.
Vidal D., 2009, « Vivre sur fonds de frontières. Les migrants du Mozambique à Johannesburg », Cultures & Conflits, n°72, 102-117.
Vivet J., 2012, Déplacés de guerre dans la ville, La Cidadinisation des Deslocados à Maputo (Mozambique), Paris, Johannesburg, Karthala-Ifas, 366 p.
Vigarié A., 1998, « Les ports maritimes et leur environnement humain et économique » in Gamblin A. (coord.), Les littoraux espaces de vie, 65-94
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- Du nom d’un navigateur portugais qui explora la baie en 1544-45. [↩]
- Île située à 3 km du littoral, dans la province septentrionale de Nampula. [↩]
- Le conflit fit 1 million de morts et 6 millions de déplacés. [↩]
- Les Ngunis, dont les Zoulous sont la branche la plus connue, investirent, au cours de la Mfecane (état de guerre parmi les populations africaines de la région) le Sud du Mozambique, au début des années 1830. Ils y asservirent alors les Tsongas, installés dans la région bien avant l’arrivée des Européens. Ngunis et Tsongas résistèrent à l’occupant portugais jusque dans les années 1890. [↩]
- Promue au rang de ville en 1887, Lourenço Marques devint la capitale du Mozambique en 1897. [↩]
- Au cours du Grand Trek, vers 1835, des milliers d’Afrikaners, appelés Trekboers (fermiers vagabonds) ou Boers quittent la Colonie du Cap et s’avancent vers l’intérieur du pays. De luttes en massacres, les Boers finissent, après avoir été évincés du Natal par les Britanniques, par s’implanter dans le Transvaal, où ils lorgnent sur la fenêtre maritime de Lourenço Marques. [↩]
- Son trafic s’élevait à 14,8 millions de tonnes en 1972, contre 13,6 pour Durban (Lamy-Giner, 2009). [↩]
- Elle se découpe en deux zones : la baixa, ville basse, par opposition à la ville haute (alta), qui correspond aux quartiers résidentiels construits sur les hauteurs de Maputo. [↩]
- Il arrive que pour la construction d’un condominio, des familles soient déplacées vers la périphérie (Vivet, 2012). [↩]
- Elle est imputable à une orientation socialiste faite d’erreurs de gestion et choix de politiques inadaptées qui se soldèrent par l’échec des expériences de collectivisation de l’agriculture et de nationalisation des usines. [↩]
- Le principal concessionnaire est le Maputo Port Development Company, lequel est aux mains de la compagnie émirati Dubaï Ports World et du sud-africain Grindod (spécialisé dans le transport maritime et la logistique). [↩]
- Les Panamax sont des navires qui ont les dimensions requises (longueur hors-tout : 294,1 mètres ; maître-bau : 32,3 mètres ; tirant d’eau : 12,0 mètres ; tirant d’air : 57,91 mètres) pour traverser le canal de Panama. Un Post-Panamax est un navire dont les dimensions ne l’autorisent pas à pénétrer dans le canal. [↩]
- Il s’agit de minéraux lourds. L’ilménite, une des principales sources de dioxyde de titane (TiO), est utilisé comme pigment dans la peinture, les plastiques et le papier. Le rutile est employé dans les flux de soudage ou encore pour produire du titane métallique et des pigments. Le zircon, quant à lui, entre principalement dans la fabrication de la céramique (surtout les carreaux de salle de bain), dans la fonderie ou l’industrie des produits réfractaires. [↩]
- La forte proportion de terrains destinés aux concessions minières (34 % de la surface de la province de Tete) contribue à créer des conflits autour de l’usage des terres, dans un pays où 75 % de la population active est employée dans l’agriculture. [↩]
- Les loyers sont exorbitants, entre 3000 et 5000 dollars pour un trois ou quatre pièces. [↩]