#1 / Sous les ponts de Hanoï

Arno Baude


L’urbanité c’est du « savoir-vivre », la capacité d’établir des relations furtives dans le milieu d’inconnus que constitue la grande ville. C’est une forme de sociabilité propre à la ville, une “culture” pouvant définir le caractère de ses habitants.

L’urbanité change de forme et d’intensité suivant les différents territoires urbains qui constituent la ville mais aussi suivant les cultures. Elle dépend fondamentalement de l’accessibilité des lieux publics (Joseph, 1998).

L’urbanité Hanoïenne est mobile et éphémère. Elle oscille entre des espaces publics improvisés ou pensés. Elle est populaire. Le paysage urbain de Hanoï entretient une urbanité culturelle qui résume celle du pays.

Sous les ponts routiers, en périphérie de Hanoï, l’urbanité est préservée. Elle conserve dans le prolongement de la ville, la forme d’une urbanité culturelle.

Arno Baude (2013)

Arno Baude (2013)

Urbanité particulière à Hanoï

Dans la zone résidentielle de Tây Hồ, l’urbanité se développe, sur des nattes, autour du lac de l’Ouest; un parc permet les rencontres; le parvis de la maison communale, les activités sportives organisées. Non loin de là, mais séparé par deux voies rapides, le “village” privé de Ciputra est desservi par un quadrillage d’avenues vidées de ces lieux de sociabilité (seule demeure une aire de jeux pour enfants).

L’urbanité des quartiers historiques de Hoàn Kiếm, Hai Bà Trưng et Ba Đình, ancrée dans le centre, est plus intense. Elle résulte du manque d’espace et de la densité de la population propre à ce territoire. C’est la densité de la population qui crée l’urbanité à Hanoï. Ce type d’urbanisation se retrouve également à Gia Lâm, sur la rive opposée du fleuve rouge.

Ces quartiers sont constitués de maisons-tubes étroites et en profondeur, de maisons extra-plates, de ruelles labyrinthiques où la surface habitable est réduite et où les relations humaines entre Vietnamiens sont régies par la promiscuité.

L’urbanité Hanoïenne se situe, alors, où il y a de la place, sur les trottoirs, au seuil des maisons, là où on peut se retrouver autour de quelques tabourets pour faire une halte, boire un thé, fumer.

Ce lieu de halte faisant office de buvette compose l’urbanité particulière (Hannerz,1983) d’Hanoi et du Vietnam.

Ce sont des lieux de sociabilité, définis comme populaires, qu’on retrouve partout, du nord au sud du pays, dans les rues et jusque sous les ponts.

Ces espaces improvisés sont comme à disposition. Ils servent à travers la ville: ils sont solidaires de la population mais disparaissent peu a peu.

Arno Baude (Photographie prise d'un téléphone portable)

Arno Baude (Photographie prise d’un téléphone portable)

Urbanité souterraine en périphérie de la ville

Dans ces lieux publics qui ne sont pas des territoires, où il est même dangereux de s’installer, comme par exemple sur une voie d’arrêt d’urgence, l’hospitalité est inventée.

Les conducteurs de deux roues (ou d’autres véhicules) sont les bienvenus alors que rien ne les y invite. C’est l’hospitalité paradoxale d’un lieu sans hôte (Bordreuil, 2000).

L’espace sous un pont est théâtral et secret. Il est similaire à une scène avec ses coulisses mais l’activité se déroule dans un espace éphémère, de passage.

Le tablier de béton du pont procure une zone d’ombre ou un abri aux intempéries pour l’individu à moto mais cet espace est pour ainsi dire inexistant et seul l’espace buvette le fait vivre. Les voyageurs s’y arrêtent et rencontrent les locaux.

Ces espaces de sociabilité se distribuent des deux côtés de la voie et préservent “l’essence d’une ville” (Hannerz, 1983). D’ailleurs les compétences civiles (Bordreuil, 2000) vietnamiennes amènent d’autres activités plus commerciales à s’y greffer comme la vente de carburant et les services de dépannage ou les moto-taxis.

Arno Baude (Photographie prise avec un téléphone portable)

Arno Baude (Photographie prise avec un téléphone portable)

L’urbanité souterraine, même si marginale, fait partie intégrante de la vie sociale Hanoïenne, elle la prolonge d’une part dans la forme, en répétant les même dispositifs improvisés dans la capitale et d’autre part, dans l’espace, avec un développement urbain qui donne un exemple de la ville sans fin où la périphérie disparait dans un flou d’agglomérations anonymes. Ce cadre souterrain devient un espace public organisé par le voisinage. Un refuge.

Ce sont des lieux de rencontre des habitants du voisinage où l’on peut se retrouver et créer des modèles d’urbanité différents en marge de son village d’origine. Ceux qui créent l’espace de convivialité sont généralement des habitants « du coin » et c’est souvent la proximité du domicile qui amène à choisir l’emplacement. L’environnement ainsi délimité au pont, facilite les contacts, comme il peut en interdire d’autres. Ces lieux d’urbanité souterraine n’ont rien d’interlope. Même s’ils ne sont pas officiels, ils sont légitimés puisque tous les passants les  pratiquent.

Arno Baude

Arno Baude tente de combiner art et géoréférencement en considérant les marqueurs culturels et les environnements sociaux au Vietnam et en Asie du Sud-Est.

Pour en savoir plus : arnobaude.tumblr.com

Bibliographie

Bordreuil J-S., 2000, « La ville desserrée » in Paquot T., Lussault M. & Body-Gendrot S. (dir), La ville et l’urbain, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, coll. L’état des savoirs, 444 p.

Hannerz U., 1983, Explorer la ville, Elements d’anthropologie urbaine, Paris, Les Editions de Minuit, 420 p.

Joseph I., 1998, La ville sans qualités, Paris, Editions de l’Aube, coll. Monde cours, 209 p.

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