#1 / Y a-t-il un pilote dans la rame ? A la découverte de la ligne 1, entièrement automatisée

Pauline Muyl


La ligne 1 est entièrement automatique depuis le 22 décembre 2012 dernier… et c’est près de la station Bastille, au PCC – comprendre Poste de Commande Centralisé – que tout se joue désormais.

Approuvée par le Syndicat des transports d’Île-de-France en 2004, l’automatisation de la ligne 1 qui avait débuté en 2007 et aura nécessité 629 millions d’euros, est désormais achevée. La ligne 1 devient donc la seconde ligne entièrement automatique du métro parisien après la ligne 14 inaugurée en 1998.

C’est dans une pièce qui surplombe le Poste de Commande Centralisé que nous reçoit Philippe Mancone, le directeur de la ligne 1. Au neuvième étage à quelques pas de la place de la Bastille, les locaux lumineux offrent une vue dégagée sur la Seine. Depuis le PCC, vaste salle équipée de dizaines d’écrans, une poignée d’agents supervise l’exploitation de l’ensemble de la ligne.

Philippe Mancone, nous présente son parcours ainsi que la ligne 1, dont il est le directeur depuis quatre ans et demi (cliquez sur le lien pour écouter):

Philippe Mancone

La ligne 1, la plus ancienne du métro parisien, a été mise en service le 19 juillet 1900 lors de l’Exposition universelle. Elle est aussi la ligne la plus fréquentée du réseau avec quelques 213 millions de voyageurs par an. C’est pour répondre à cette demande très importante mais aussi très variable que l’automatisation de la ligne a été décidée. Le directeur nous l’explique : « Sur la 1 vous avez beaucoup de touristes donc on ne peut pas spécialement prévoir le nombre de voyageurs, on a aussi des manifestations, des événements, etc. Le système automatique permet de répondre en temps réel à la demande. On fait un clic sur une souris, et on envoie des trains en ligne. Sur un système classique on ne peut pas appeler un conducteur et lui demander de venir conduire une heure ». Le système automatique offre ainsi une réactivité et une souplesse plus grandes que le système classique.

Automatiser la ligne 1 a nécessité de nouveaux équipements réalisés en collaboration avec quatre partenaires industriels : Siemens a fourni le « cerveau » de l’automatisation, Alstom les 49 nouvelles rames et le système de vidéosurveillance et d’information des voyageurs dont elles sont équipées, tandis que les sociétés Eiffage TP (groupe Eiffage) et Sogea TPI (groupe Vinci) se sont vues confier à part égale les travaux sur les quais. Ce qui fait toute la spécificité et toute la difficulté de cette automatisation : la ligne 1 a été maintenue en service sans interruption majeure pendant toute la durée des travaux d’automatisation, une gageure technique et organisationnelle que le PDG de la RATP Pierre Mongin n’hésite pas à qualifier « d’exploit ». Rendre possible une circulation mixte de navettes automatiques et manuelles présentait en effet d’importants défis techniques. C’est une première mondiale pour une ligne aussi fréquentée.

Philippe Mancone nous explique comment le nouveau système fonctionne (cliquez sur le lien pour écouter) :

Fonctionnement technique

Photo 1 (Muyl)

Les écrans de contrôle de la ligne 1 (Source : P. Muyl, 2013)

Dans le Poste de Commande Centralisé, quatre agents seulement sont aux commandes de l’ensemble de la ligne : un « chef de régulation », deux « assesseurs »,  et un « informateur ». Face à eux, un mur d’écrans les renseigne en temps réel  grâce à trois niveaux d’information : des images vidéo leur permettent de contrôler ce qui se passe sur chaque quai, et au-dessous, une représentation de l’ensemble de la ligne localise chacune des rames en temps réel. Enfin, devant chaque agent, 5 ou 6 écrans fournissent des informations sur chacun des équipements : navettes, portes palières, etc.

Photo 2 (Muyl)

Les écrans de contrôle par agent (Source : P. Muyl, 2013)

Le chef de régulation peut décider d’envoyer des navettes supplémentaires en cas d’affluence trop grande dans une station ou intervenir à distance sur un équipement défaillant. D’ordinaire plutôt silencieux, il arrive que le PCC s’anime lorsque des incidents perturbent le trafic (cliquez sur le lien pour écouter) :

 Au coeur du PCC

Au lendemain de la fin de l’automatisation de la ligne, c’est l’heure d’un premier bilan…

A en croire Philippe Mancone, le bilan est déjà très positif, à l’instar du dossier de presse saluant une « opération sans précédent », et une « expérience unique au monde ». Il insiste longuement sur le « savoir-faire » qui a permis le maintien en service de la ligne pendant toute la durée du chantier sans accrocs majeurs. Le directeur de la ligne 1 ne s’en cache pas : la ligne 1 est une vitrine pour la RATP. D’ailleurs rien n’est laissé au hasard dans la communication autour de ce projet et lorsque Philippe Mancone répond à nos questions, c’est en présence de la directrice de la communication de la ligne 1 et d’une représentante du service de presse de la RATP.

L’enjeu commercial est de taille : « Notre expérience sera à la disposition de toutes les métropoles ayant besoin de moderniser leur réseau pour répondre à la croissance de la demande. La RATP est prête à proposer ses compétences, valorisant sa position de leader mondial du métro automatique » (Pierre Mongin, PDG de la RATP, novembre 2011). Ainsi, les experts de la RATP tout comme ceux de Siemens, pensent que le marché de l’automatisation des lignes existantes sera mûr dans une dizaine d’années.  Son savoir-faire, la RATP compte également le mettre au service de l’extension et de la création de réseaux automatiques, à commencer par le chantier du Grand Paris dont la ligne 14 prolongée doit être la colonne vertébrale.  Philippe Mancone le confirme : « Aujourd’hui, quand on veut acheter un tramway, on passe forcément par la ligne 1 où on démontre un savoir-faire. Et ça peut inciter ceux qui viennent à se dire : quand on confie la création d’une ligne de tramways à la RATP, elle a su faire une automatisation, donc ça ne devrait pas poser de problème ».

C’est lorsqu’on aborde la délicate question de l’avenir des conducteurs, que le discours se fait moins assuré. Certes Philippe Mancone avance que sur les quelques 250 conducteurs que comptaient la ligne 1, 200 ont été redéployés sur le reste du réseau RATP et 42 ont bénéficié d’une formation et supervisent aujourd’hui l’exploitation du nouveau système qui nécessite des compétences bien plus pointues.  Mais il ne s’en cache pas : « sur le plan social, vous vous doutez bien qu’il y a un certain nombre de discussions sur l’avenir des conducteurs eux-mêmes ». Un bilan en demi-teinte qu’il tempère, car pour lui « en dehors des conducteurs eux-mêmes, on a quand même donné du travail à de nombreux ingénieurs de chez nous et aussi à des industriels français Alstom, Siemens, (…) et si on devait faire un bilan – et on en attend des parts de marché en France comme à l’étranger – quand on fera le bilan ça aura plutôt été créateur d’emplois que l’inverse ».

Quant au point de vue des anciens conducteurs reconvertis, il évoque des sentiments un peu mitigés : « conducteur c’est une certaine culture de la critique, de l’échange… et quand vous vous retrouvez agent de maîtrise du jour au lendemain… » même s’il affirme que la plupart deviennent ensuite « moteurs, et prennent plaisir à cette nouvelle relation avec les voyageurs ».

Vers une automatisation du reste du réseau ?

Lorsqu’on lui demande si l’automatisation est amenée à s’étendre au reste du réseau, le directeur de la ligne 1 répond que « L’automatisation en soi n’est pas une religion, c’est un système parmi d’autres et qui répond mieux que d’autres à nos besoins dans certains profils ».  La RATP fixe un seuil : l’automatisation garderait toute sa pertinence tant qu’il s’agit de viser 85 secondes d’intervalle entre deux rames en heure de pointe, pas au-delà. Pour lui, Il serait par exemple incongru de vouloir automatiser la ligne 10, pour laquelle le système classique répond parfaitement aux besoins.  Selon Philippe Mancone, ce système pourrait être bénéfique à « encore au moins une ligne ou deux » du réseau parisien, et des « réflexions (seraient) en cours » au sein de la direction générale de la RATP. D’autant que le système a fait ses preuves sur la ligne 14 dont le bilan serait « très satisfaisant » et sur la ligne 1 d’ores et déjà « considérée comme une réussite ».

Quant à savoir si l’automatisation de la ligne 1 permet d’envisager une ouverture 24h/24 à court terme, Philippe Mancone répond que des discussions pourraient s’engager « dans quelques mois sur un créneau comme le weekend… ». « On essaiera de voir ce qui est réalisable » explique-t-il  mais dans l’immédiat c’est impossible selon lui : le système nécessite encore de faire des essais la nuit et le dossier pourrait être compliqué à négocier avec les partenaires sociaux…

Pauline Muyl

Pauline Muyl est normalienne, géographe et ancienne productrice des Matins de France Culture.

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