#1 / Pour une cartographie des espaces souterrains : le cas du métro parisien
Marion Tillous
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Dans le métro parisien : pas de carte des espaces souterrains… sauf une
Le métro parisien n’est pas l’univers isotrope et a-social que l’on a coutume de dépeindre, mais bien un espace parcouru et pratiqué par ses usagers, support d’un attachement territorial. Or, à l’inverse des espaces de surface, les espaces de réseau souterrains ne sont pas représentés. Dans le métro, les plans représentant le réseau de transport dans sa totalité sont affichés au même titre que les plans de quartier. Mais l’espace du métro lui-même n’est pas dit.
Un seul cas fait exception ; le plan schématique de la salle centrale du pôle d’échange RER de Châtelet-les-Halles, que le voyageur peut trouver à son entrée dans la salle, une fois passées les barrières de contrôle. Si l’espace physique y est représenté, la photographie reproduite ci-dessous montre que le langage verbal domine tout de même la représentation cartographique de l’espace : les informations principales, en l’occurrence les directions permettant de distinguer les différents accès du RER, n’ont pas été traduites dans un langage visuel.
Un code couleur a tout de même été élaboré pour soutenir l’orientation des voyageurs. A la façade sud-ouest du pôle ont été attribuées des couleurs chaudes (jaune-orange-rouge) : celles-ci correspondent aux directions Ouest du RER A, et Nord des RER B et D. A la façade nord-est et donc aux directions opposées ont été attribuées les couleurs froides (bleu-turquoise-vert). Ces couleurs, lisibles sur le plan, sont également reproduites sur les murs du pôle. Si elles ne sont pas consciemment utilisées par les voyageurs pour se repérer (Tillous, 2009)1, il est possible qu’elles constituent un support non conscient à l’orientation. La multiplication des boutiques devant les murs extérieurs rend toutefois de plus en plus précaire la lisibilité même de ce code.
A l’exception de ce plan, aucun support cartographique ne donne au voyageur la possibilité de se représenter l’espace dans lequel il évolue. Tout se passe comme si les couloirs, les quais, les halls d’accueil étaient assimilés à des lignes et des points, sans consistance géométrique, donc sans réalité géographique.
Une carte souterraine : pour quoi faire ?
Or, Felicia Goledzinowski (Goledzinowsky, 1977) a montré que le plan schématique du réseau avait un impact beaucoup plus grand sur la représentation mentale des voyageurs que leur trajet réel. C’est ce qui explique que les cartes mentales recueillies par elle comme par d’autres chercheurs auprès des voyageurs prennent la forme de plans de réseau plus ou moins fidèles à l’original, mais jamais d’espaces du réseau. A leur lecture, on ne sait pas si le voyageur a eu à descendre un escalier ou à bifurquer à un carrefour ; on sait encore moins si l’espace qu’il a traversé était vaste ou confiné, si son trajet était droit ou sinueux.
Dans le cadre de nos recherches (Tillous, 2009), nous avons pu constater que même lorsqu’il est explicitement demandé aux voyageurs de représenter leurs déplacements au sein d’un pôle en particulier, une partie d’entre eux ne parviennent pas à représenter l’espace qu’ils parcourent et se contentent d’indiquer des éléments disparates. Ces mêmes voyageurs ne sont pas en mesure de représenter leur cheminement, mais l’indiquent verbalement à l’enquêteur au moment de l’entretien.
La carte ci-dessus a été dessinée par Mélanie, une enquêtée de 24 ans qui fréquente quotidiennement le pôle du Pont de Sèvres. Pour dessiner le pôle, elle représente principalement la voirie qui le surplombe, en l’occurrence la gare de bus située au centre l’échangeur routier du Pont de Sèvres. Elle s’appuie ainsi sur des représentations spatiales qui lui ont été proposées par ailleurs (plans ou vues aériennes), comme en témoigne l’orientation du dessin vers le nord. Le détail de son dessin, cadré sur l’accès au métro depuis la gare du bus, montre qu’elle ne cherche pas à conserver la proportionnalité des distances une fois à l’intérieur de la station. Passé l’escalier d’entrée, le voyageur a pénétré dans l’espace du réseau ; son itinéraire n’est plus représentable puisqu’il est bien plus virtuel que matériel. Les signes verbaux (les « M » majuscules indiquant les quais du métro) prennent le relais des signes non verbaux.
Toute une catégorie de voyageurs a donc besoin d’un support cartographique de l’espace souterrain pour se le représenter, le mémoriser et s’y attacher comme à un espace familier. Il est donc nécessaire de proposer un support graphique donnant une place centrale à une représentation de l’espace qui se passe du langage verbal pour le donner à voir dans sa matérialité.
Une carte souterraine : comment faire ?
La cartographie des espaces souterrains ne consiste pas en une simple extension de la cartographie actuellement réservée aux quartiers surplombant les stations. Elle exige de trouver des solutions sémiologiques à des problèmes spécifiques à l’espace de réseau souterrain. Nous en avons dégagé quatre, à titre exploratoire.
Rendre lisible un espace chevelu
La caractéristique du réseau de métro est d’être creusé et non construit, exception faite bien entendu des stations aériennes ou de dalles, comme la station François Mitterrand. Cela signifie que non seulement l’espace n’est pas perceptible depuis l’extérieur de la station, à la façon d’un bâtiment dont on peut comprendre la forme générale depuis la rue par exemple, mais également que son organisation n’a pas de traits géométriques simples, qu’elle est complexe et dispersée, quasi-tentaculaire.
La représentation graphique de la station doit donc compenser cette dispersion en donnant à voir un espace circonscrit et, pourquoi pas, représenté depuis un extérieur fictif. Elle ne peut pas se contenter de donner uniquement des représentations orthonormées parcellaires, mais toujours les relier à l’ensemble de la station, à la façon dont le carton cartographique permet de situer la carte dans un ensemble plus vaste.
Rendre compte du feuilletage de l’espace
L’espace souterrain est un espace feuilleté, c’est-à-dire distribué sur plusieurs niveaux qui peuvent se superposer, mais qui ne se recouvrent pas complètement. Les outils de l’architecte viennent ici au secours de ceux du géographe puisque la représentation en perspective s’avère plus lisible que celle orthonormée. Toutefois, l’exemple de la représentation des grandes gares en perspective montre que l’exercice est relativement épineux.
Le manque de lisibilité de ce plan laisse penser que la représentation en 2D atteint ici ses limites et qu’une représentation en 3D (maquette par exemple) ou, mieux encore, une représentation narrative (espaces détaillés un par un par des focalisations en vidéo) permettraient d’atteindre plus aisément l’objectif souhaité.
Deux améliorations peuvent toutefois être apportées pour que la représentation en perspective, qui reste la plus facile à mettre à disposition du public, soit lisible. La première consiste à donner une idée des volumes en suggérant la forme des murs et des plafonds et en plaçant des personnages dans l’espace. La seconde paraît anodine, mais elle est centrale : améliorer la qualité esthétique des représentations. Pour que le voyageur-lecteur puisse se repérer dans un espace encore faut-il que celui-ci lui semble facile d’accès. S’il a envie de lire la carte, il aura moins de freins à la parcourir et aura donc plus de facilité à s’y repérer. Sortie de la question particulière de l’orientation, la représentation de l’espace parcouru doit être de qualité pour permettre la reconnaissance et l’attachement.
Favoriser les continuités, en particulier entre ville et réseau
Dans le réseau, l’action principale d’un voyageur est de se déplacer d’un point à un autre, que ce soit en direction d’une ligne ou de la station vers la ville. Il y a donc un enjeu particulier à assurer les continuités entre les différents points. Or, nous avons vu plus haut à propos de la salle centrale de Châtelet-les-Halles que le langage verbal était prédominant dans le traitement actuel de ces continuités.
L’usage de couleurs dans l’espace permet d’indiquer des unités ou continuités spatiales de façon plus immédiate que des dénominations ou indications fléchées. C’est l’option qui a été choisie au sein de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, dont les neuf terminaux s’étendent sur une surface d’environ 3 250 ha : les parkings sont nommés par une couleur qui sert de base à la décoration de leur accès.
Lorsque les informations délivrées sont nécessairement d’ordre verbal, il est toujours possible de les traduire par des icônes. C’est le parti pris par les gestionnaires du réseau de Mexico : chaque station possède son propre idéogramme. Avec ses anneaux olympiques, la station Olimpica se repère facilement sur le plan du réseau, tout comme la station Zapata qui arbore le profil du révolutionnaire mexicain coiffé de son sombrero.
Les continuités entre le réseau et la ville sont celles qui représentent l’enjeu le plus important : le moment de sortie de pôle demande de mettre en relation des espaces qui ne sont jamais représentés conjointement. De nombreux voyageurs contournent cette difficulté en suivant au hasard les panneaux de couleur bleue indiquant une sortie puis de se repérer une fois dans l’espace urbain. Pour assurer la continuité entre ville et réseau, les trois procédés décrits plus hauts peuvent être combinés : usage de symboles pour désigner des lieux marquants de l’espace urbain, usage de couleurs le long des couloirs pour distinguer les issues, et représentation en perspective associant ville en surface et espaces souterrains.
Proposer une lecture non technique d’un cadre spatial conçu comme un outil plus que comme un territoire
L’autorité gestionnaire du réseau du métro, la RATP, dispose d’ores et déjà de documents graphiques couvrant l’ensemble de son territoire : les « référentiels patrimoniaux et techniques ». Ceux-ci contiennent tous les attributs de plans d’architectes, avec en plus des informations concernant les numéros des équipements disposés dans l’espace de la station et le contenu des panneaux de signalisation. Ils représentent à la fois les espaces ouverts aux voyageurs et ceux réservés au service. Ce sont donc des représentations graphiques disponibles de l’espace du réseau.
Pourtant, il n’est pas concevable d’utiliser ces plans techniques pour proposer une représentation de l’espace au voyageur pour la simple raison qu’ils renforcent l’idée que le réseau est un outil à la disposition du voyageur. C’est vrai, et c’est d’ailleurs pour cela que l’autorité gestionnaire s’efforce d’améliorer sans cesse l’ergonomie entre cet outil et le voyageur, mais ce n’est pas que cela : d’autres modes de représentation graphique doivent être imaginés pour dire l’espace à la façon d’un territoire, par exemple en empruntant à la carte topographique sa palette sémiologique et esthétique.
Marion Tillous
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Marion Tillous est géographe, maître de conférences à l’Université Paris 8 (Vincennes-Saint Denis) et membre du laboratoire LADYSS.
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Bibliographie
Goledzinowsky F., 1977, Etude de la fonction d’orientation dans l’espace souterrain du métropolitain, Université Paris 5, sous la direction de J. Stoëtzel.
Tillous M., 2009, Le voyageur au sein des espaces de mobilité : un individu face à une machine ou un être socialisé en interaction avec un territoire ? Les déterminants de l’aisance au cours du déplacement urbain, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la direction de F. Beaucire.
Vignaux G., 1987, Le réseau des transports parisiens : territoires et cartographies mentales, Paris, RATP, Département du Développement, Unité Prospective.
- La grille support des entretiens réalisés dans le cadre de notre thèse comportait explicitement une question concernant la capacité des voyageurs interrogés à s’orienter dans le pôle de Châtelet-les-Halles en l’absence de panneaux signalétiques : aucune personne interrogée, pas même celles qui se sentaient en mesure de s’orienter sans panneaux, n’ont mentionné ce code couleur. [↩]
- Ces informations proviennent d’un atelier professionnel réalisé par quatre élèves du Magistère Aménagement (Paris 1 – Panthéon-Sorbonne) pour le compte de la SNCF et sous notre direction. Il a consisté en une « Étude signalétique de la Gare Montparnasse » et a requis l’analyse comparative du système signalétique de deux autres sites : l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle et le centre commercial de Val d’Europe. [↩]