Mondes urbains chinois / Les effets du renforcement de la carte scolaire sur le marché immobilier chinois

Manon Laurent

L’article de Manon Laurent au format PDF


Depuis le milieu des années 1980, les villes chinoises ont connu d’importantes transformations démographiques, mais également structurelles. Si la Chine n’est pas urbaine, l’urbanisation y est croissante, les métropoles de plus de deux millions d’habitants sont nombreuses1  et on assiste à la « réorganisation de l’espace chinois à partir de la ville » (Sanjuan, 2013). Les changements que connaissent les villes chinoises se reflètent singulièrement dans les questions résidentielles. Pendant la période Maoïste et le début des années 1980, les terrains et les logements appartenant majoritairement à l’État étaient distribués par les unités de travail à leurs membres. Dans les années 1990, de nombreux changements légaux et administratifs (Wang et Murie, 1996) engendrent la commercialisation progressive des logements. Les foyers aisés peuvent alors choisir leur appartement sur le marché immobilier (Chen, 2009). Parmi les critères de sélection, la question scolaire est centrale (Tsang, 2003), l’objectif étant d’habiter près d’une bonne école dès la primaire pour que son enfant atteigne une bonne université. L’examen d’entrée à l’université, le gaokao, reste l’un des examens les plus sélectifs dans le monde. En quelques épreuves, tous les enfants chinois voient leur avenir tracé. Le classement national des résultats décide de l’université et de la filière dans lesquelles ils pourront s’inscrire. Or, l’existence d’un examen sélectif d’entrée au lycée reporte cette pression sur les niveaux inférieurs du système éducatif, notamment la scolarité obligatoire (école élémentaire et collège).

Pendant cette période, une carte scolaire restreint la liberté des familles en ce qui concerne le choix de l’établissement scolaire. Pour inscrire leur enfant dans un bon établissement et assurer sa réussite, les parents doivent choisir leur logement avec précaution. Cet article cherche à comprendre comment le renforcement de la carte scolaire en janvier 2014 a modifié les stratégies des acteurs du marché immobilier dans les grandes villes chinoises.

Nous nous concentrerons sur les métropoles de plusieurs millions d’habitants. En effet, la circulaire de 2014 ne s’applique qu’aux 19 plus importantes villes de Chine2 . Depuis les années 1990, les transformations urbaines ont souvent été analysées en termes de passage d’une urbanisation planifiée à une logique marchande en s’appuyant sur une dichotomie État contre marché (Abramson, 2006 ; Chen et Sun, 2006). Dans cet article nous montrerons que ces deux acteurs ne s’opposent pas mais plutôt travaillent en complémentarité pour organiser la ville. Nous appuierons notre argumentation sur l’analyse de la législation, de sites Internet d’acteurs du marché immobilier ainsi que sur six entretiens avec des mères d’élèves3 . Nous détaillerons tout d’abord le contexte législatif de la carte scolaire et ses objectifs. Dans un second temps nous montrerons comment sa mise en application renforce les stratégies des familles et des agences immobilières. Enfin nous essayerons de mieux comprendre le phénomène des « quartiers scolaires »4  et son émergence sur le marché immobilier.

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Une carte scolaire pour garantir l’égalité d’accès à la scolarité

La politique de « scolarisation de proximité » a été affirmée dès la loi sur l’éducation obligatoire de 1986, comme un moyen de garantir à tous les enfants chinois un accès à l’école. Elle est l’un des symboles du droit à l’éducation pour tous en Chine. Les gouvernements locaux ont la responsabilité de s’assurer que chaque enfant puisse aller à l’école, c’est-à-dire qu’il y ait suffisamment d’écoles par quartier pour que les enfants enregistrés puissent être scolarisés. Pour concrétiser ce droit, l’État a établi une carte scolaire. À chaque école est assignée une population résidentielle (Tsang, 2003). L’égalité d’accès à la scolarité suppose que chaque enfant accède à une école, mais également que toutes les écoles soient de qualité équivalentes (Zhang, 2011). Or cette dernière condition est rarement présente. Les établissements scolaires, dès le primaire, sont en concurrence pour avoir les meilleurs résultats aux examens d’entrée au niveau supérieur. La majorité des enfants s’inscrit dans l’établissement qui leur est assigné. Mais pour que leur enfant accède à une meilleure école, certains parents sollicitent une inscription auprès d’un établissement loin de chez eux. Cela a conduit l’État à renforcer la réglementation en 2014 pour préserver l’égalité d’accès à la scolarité.

Responsabilisation des écoles

Le 28 janvier 2014, une circulaire a été promulguée afin de renforcer la carte scolaire et de limiter les nombreuses dérogations (Ministère de l’Éducation, 2014). Elle ne cible pas directement les parents, comme le fait le code de l’éducation français5 , mais les établissements. Les écoles doivent veiller à ce que les enfants qui s’inscrivent soient enregistrés ou résident dans le quartier. L’égalité d’accès à l’éducation est le principe au fondement de cette politique. La nouvelle circulaire est mise en application progressivement et devra être complètement respectée en 2017, c’est-à-dire que les écoles élémentaires devront avoir 100 % de leur effectif provenant de leur zone scolaire et les collèges 90 %. Cette circulaire concerne les 19 plus grandes villes de Chine. Elle ne précise pas quels moyens coercitifs ou incitatifs doivent être utilisés pour faire respecter les quotas prescrits, si ce n’est la publication de la zone scolaire de chaque école. Celles-ci ont donc affiché près de leur porte d’entrée la liste détaillée des adresses de logements dont les résidents peuvent prétendre inscrire leurs enfants dans l’établissement.

Ambiguïtés d’une réforme à visée égalitaire

Cependant l’État chinois maintient une certaine ambiguïté entre l’égalité d’accès et la liberté de choix scolaire, notamment entre les établissements publics et privés6 . La circulaire de 2014 reste floue quant à son champ d’application. Officiellement les quotas d’inscription doivent être respectés par tous les établissements de la scolarité obligatoire, qu’ils soient privés ou publics. La circulaire précise que les écoles privées doivent supprimer leurs examens d’entrée. Cependant, sur leur site Internet, celles-ci ne cachent pas le maintien d’une sélection.

En outre, si la carte scolaire s’appliquant à l’éducation est renforcée, la sélection à l’entrée au lycée est au contraire standardisée (Ministère de l’Éducation, 2010). Le gouvernement se donne pour objectif que l’éducation obligatoire soit accessible pour tous, mais maintient une scolarité post-collège élitiste et sélective. En effet, l’entrée à l’université est conditionnée par la réussite d’un examen national, le gaokao. Les résultats de cet examen et le classement qui en découle déterminent non seulement l’accès aux études supérieures, mais aussi l’université et la filière d’étude qui seront suivies par l’étudiant.

Des acteurs qui adaptent leurs stratégies

En raison de l’importance de l’école primaire et du collège pour la réussite de l’enfant et son ascension sociale, les parents chinois mettent en œuvre diverses stratégies pour inscrire leur enfant dans une bonne école. La carte scolaire régulant cette inscription, les parents adaptent leur trajectoire résidentielle à la qualité des établissements scolaires. Ils veulent habiter au plus près des établissements considérés comme bons. Ces stratégies sont prégnantes sur le marché immobilier et façonnent, en partie, les stratégies de vente des agences et promoteurs immobiliers.

Une trajectoire résidentielle tournée vers le succès scolaire

À partir d’entretiens, réalisés avec des mères d’enfants scolarisés en primaire ou au collège public et privé dans les villes de Shanghai, à Quzhou dans le Zhejiang, à Shaoguan dans le Guangdong et à Nantong dans le Jiangsu7 , nous avons pu identifier comment des trajectoires résidentielles sont directement liées à la scolarité.

Les parents réfléchissent souvent à la scolarité avant la naissance de leur enfant. Avant 2014, quatre ressources sont essentielles à la réussite du projet parental : l’enregistrement résidentiel du hukou, le capital économique financier pour payer des frais d’inscriptions potentiels, le capital économique immobilier, soit l’adresse de résidence, et le capital social, ce dernier permettant par de bonnes relations d’obtenir les faveurs d’un directeur d’école (Cheng, 2002).

Avec le renforcement de la carte scolaire, c’est le capital économique immobilier qui est devenu la ressource familiale la plus importante pour assurer l’avenir de l’enfant. La prégnance de la scolarité dans la trajectoire résidentielle est un élément récurrent dans les entretiens menés. Les mères évoquent l’école comme un facteur déterminant dans le choix du lieu de résidence. Une des familles qui a construit elle-même sa maison, a choisi le terrain pour sa proximité avec de bons établissements scolaires. Une autre mère a convaincu son mari de déménager pour se rapprocher de l’école de leur fille, au détriment de leur temps de trajet quotidien pour aller au travail. Enfin, une autre famille prévoit de déménager pour se rapprocher de l’école dans laquelle ils ont réussi à inscrire leur enfant. Dans ces entretiens, la scolarité des enfants est l’un des facteurs majeurs de changement dans la trajectoire résidentielle de la famille au détriment de raisons pratiques comme le temps de transport entre le lieu de travail et de résidence pour les parents.

Finalement nous identifions deux stratégies familiales différentes. Certains parents choisissent leur logement en fonction de la qualité des écoles aux alentours. Au moment du choix résidentiel, le critère scolaire est central. Pour d’autres, le choix d’une école et le succès de l’inscription de l’enfant engendrent le déménagement de la famille pour se rapprocher de l’école. La première stratégie est renforcée par une carte scolaire plus stricte alors que la seconde est théoriquement interdite ou du moins compliquée, l’inscription dans une bonne école avant d’habiter près de celle-ci étant officiellement interdite.

Les agences immobilières comme agents du système éducatif

L’importance de la question scolaire dans le choix résidentiel des ménages aisés a été rapidement prise en compte par les agences immobilières en Chine. Certaines proposent ainsi à leurs clients de choisir leur logement en fonction de la carte scolaire. Le site www.house365.com, agence immobilière en ligne, a développé un grand nombre d’outils à disposition des internautes, permettant de choisir son logement en fonction d’une école. Grâce à des classements s’appuyant sur les résultats des élèves, le site propose également aux parents de choisir l’école de l’enfant, s’improvisant ainsi conseiller éducatif.

1. Moteur de recherche d’école (house365.com, consulté le 01/11/2015, version pour la ville de Changzhou)

1. Moteur de recherche d’école (house365.com, consulté le 01/11/2015, version pour la ville de Changzhou)

Le moteur de recherche visible dans l’illustration 1 attire l’attention par un slogan : « Chercher une école, explorer les quartiers scolaires, par où commencer ? », « Dans quelle école va aller votre bébé ? Venez vite chercher ! » Les deux zones de recherches permettent alternativement de trouver une école à partir d’un quartier résidentiel ou l’inverse.

Dans la version du site dédiée à la ville de Nanjing, on peut trouver une nouvelle arborescence de quatre pages web dédiée exclusivement à la question de la scolarité. Une page explique en détail les tenants et aboutissants de la circulaire de janvier 2014 et son application en 2015, avec l’infographie ci-dessous.

2. Infographie explicative (house365.com, consulté 01/11/2015)

2. Infographie explicative (house365.com, consulté 01/11/2015)

La conclusion de cette infographie est qu’il est très difficile d’entrer dans une bonne école sans acheter ou louer un logement à proximité. En ce qui concerne les écoles publiques (à gauche), trois options sont proposées : suivre le recrutement de proximité, attendre le résultat de la loterie8  ou payer des frais supplémentaires. Le site leur attribue des médailles, respectivement : « le plus raisonnable », « croire en sa chance », « faire appel à ses relations ». Chaque médaille apparait comme un jugement de l’agence immobilière sur la faisabilité de la stratégie. En ce qui concerne la médaille du milieu, attendre le résultat de la loterie implique de laisser le hasard décider de la scolarité de son enfant et donc de rester passif et simplement « croire en sa chance ». Payer des frais de scolarité supplémentaires suppose d’utiliser des relations personnelles pour contourner la carte scolaire afin d’inscrire son enfant dans une école éloignée de son domicile. Pour cela il faut « faire appel à ses relations » mais également avoir le capital économique suffisant pour payer les frais supplémentaires que les écoles ou les directeurs demandent. Finalement, en ce qui concerne la première stratégie, respecter la carte scolaire, l’agence immobilière lui décerne la médaille la plus positive, c’est l’option « la plus raisonnable ». Les parents sont donc invités à adapter leur trajectoire résidentielle et à chercher un logement pour assurer la réussite scolaire de leur enfant. En ce qui concerne les écoles privées, à droite sur l’infographie, ce site affirme que 60 % du recrutement dépend des compétences individuelles de l’élève et 40 % dépend de la loterie.

D’après cette infographie expliquant la circulaire de janvier 2014, l’option la plus raisonnable est d’acquérir ou de louer un logement proche de l’école rêvée. La page est suivie d’un grand nombre de questions-réponses préparées par l’agence immobilière, qui détaillent les démarches à suivre en cas de changement des zones scolaires ou de déménagement. L’arborescence spécifique à la question de la scolarité est constituée de trois autres pages : l’une détaille minutieusement la carte scolaire de Nanjing, quartier par quartier, montrant la zone scolaire de chaque école rue par rue ; une seconde liste les meilleures écoles de Nanjing par quartier ; enfin la dernière produit un classement des 30 meilleures écoles primaires de Nanjing, publiant notamment les moyennes obtenues à l’examen d’entrée au collège. Les classements scolaires en Chine prolifèrent. Ils se distinguent par leur origine experte ou participative, leurs critères quantitatifs ou qualitatifs et leurs auteurs (entreprises, parents ou think tank).

Il est intéressant de noter comment ce site Internet de biens immobiliers s’est emparé de la question de la scolarité comme un moyen de guider les parents vers certains achats et leur vendre certains produits, comme les logements dans les « quartiers scolaires », sur lesquels nous reviendrons par la suite. Dans l’une des pages, le détail de la carte scolaire permet en cliquant sur un quartier scolaire d’accéder aux différentes offres de logements neufs, d’occasion ou en location dans ce quartier spécifique. Les parents peuvent donc choisir l’école de leur enfant puis dans un second temps choisir le logement qui leur convient.

3. Carte scolaire détaillée (house365.com, consulté 01/11/2015)

3. Carte scolaire détaillée (house365.com, consulté 01/11/2015)

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Dans cette illustration la première colonne liste les écoles primaires du quartier de Gulou à Nanjing, la seconde recense les adresses de la zone scolaire correspondante, la troisième indique le collège dans lequel l’enfant pourra s’inscrire et enfin la dernière colonne liste les « quartiers scolaires » existant dans la zone scolaire. L’apparition des « quartiers scolaires » dans la structuration urbaine des métropoles chinoises est liée à la carte scolaire et son renforcement.

Dans ces pages, l’agence immobilière se place comme un acteur de médiation entre l’État et les parents. Elle analyse, simplifie et explicite la loi à l’attention des parents, tout en montrant l’importance de leur choix résidentiel dans la scolarité de leur enfant. En cela elle sert à la fois ses intérêts et ceux du gouvernement. À la lecture de l’infographie et des questions-réponses, les parents sont invités à déménager près d’une bonne école pour respecter la carte scolaire.

Le phénomène des « quartiers scolaires »

Les métropoles chinoises sont caractérisées par une forte fragmentation de l’espace organisée par les bureaux de planification urbaine (Abramson, 2006 ; Chen, 2009). Depuis les années 1980, ces derniers dessinent les plans de développement des villes en se concentrant sur la question de l’utilisation des sols par zone résidentielle ou commerciale (Douay, 2008). Dans les dernières décennies, ces administrations ont multiplié les partenariats avec des acteurs privés, des promoteurs pour des investissements mais aussi avec des multinationales pour la gestion de services urbains. Les multiples projets d’acteurs concurrents produisent parfois la juxtaposition d’ensembles architecturaux, dont les quartiers scolaires sont un exemple parmi d’autres. Dans cette dernière partie exploratoire nous définirons et distinguerons plusieurs termes du vocabulaire chinois afin d’appréhender les « quartiers scolaires » plus spécifiquement.

Carte scolaire, scolarité de proximité et quartiers scolaires

Pour faciliter et favoriser les recherches sur le lien entre carte scolaire et marché immobilier en Chine, nous allons clarifier trois expressions que les acteurs utilisent pour désigner des phénomènes connexes sans pour autant qu’ils aient des définitions officielles fixées. Tout d’abord la circulaire de 2014 utilise jiùjìn rùxué9  que nous avons traduit par scolarité ou scolarisation de proximité, puisque le premier terme signifie « à proximité » et le second « s’inscrire dans une école ». Ce que nous avons simplifié par l’expression française carte scolaire est l’agrégation des « zones scolaires » (shījiàoqū10 ) de chaque école ou collège. Elles apparaissent dans les documents officiels des arrondissements urbains sous la forme de listes comme celle présentée par l’agence immobilière sur l’illustration 3, et non de cartes (Réseau d’information sur l’éducation de l’arrondissement Qixia, 2015). Définies par la carte scolaire du gouvernement, elles regroupent des logements appartenant à des « quartiers scolaires » ainsi que d’autres logements. Les « quartiers scolaires » (xuéqūfáng11 ) n’apparaissent ni dans les documents officiels, ni dans la littérature grise pour l’instant. C’est une expression utilisée par les familles que nous avons pu interviewer, par les agences immobilières et par les journaux. Dans la troisième colonne de l’illustration 3, elle désigne un immeuble ou un ensemble résidentiel relativement homogène12 . Les « quartiers scolaires » ne sont pas équivalents aux zones scolaires, mais en sont des composantes. Les plus convoités sont situés de façon stratégique au croisement des zones scolaires d’établissements primaires et secondaires considérés comme bons.

« Quartier scolaire » : un argument de vente, un phénomène urbain et un produit immobilier

En analysant le contenu de site d’agences immobilières et d’articles de journaux, nous pouvons compléter la définition des « quartiers scolaires ». Cela peut être un ensemble résidentiel qui permet l’accès à une ou plusieurs écoles maternelles, élémentaires, ainsi qu’à un collège et un lycée considérés comme bons, tout en étant à proximité d’une bonne université. Il est parfois défini comme un « nouveau produit dérivé du marché immobilier » 13  (News163.com, 2014) ou de conséquence néfaste de la carte scolaire.

Il semble recouvrir des phénomènes distincts : la requalification de biens immobiliers en fonction de leur proximité avec un certain nombre d’établissements scolaires de bonne qualité, la construction de logements à proximité de bons établissements scolaires ou encore la construction d’ensembles architecturaux comprenant des lieux résidentiels et des établissements scolaires. Le témoignage de l’une de nos interviewées qui a construit sa maison sur un terrain à proximité d’établissements scolaires de niveaux différents correspondrait au deuxième scénario. Cependant, les agences immobilières utilisent le terme de « quartier scolaire » pour désigner sans distinction les trois scénarios.

4. Critères de choix d’un appartement (Fang.com, consulté 01/11/2015)

4. Critères de choix d’un appartement (Fang.com, consulté 01/11/2015)

L’illustration 4 est le site de l’agence immobilière Fang.com. Le bandeau rouge permet de choisir le type de biens recherché (neuf, occasion, location) et des informations générales sur le marché immobilier. Sur notre illustration nous cherchons un appartement neuf. En dessous de la barre de recherche, le troisième bandeau propose quatre manières de chercher un logement : selon le type de bâtiment, selon les caractéristiques du logement (nombres de pièces, séparation de certaines pièces etc.), selon les réserves en logement et finalement selon les « quartiers scolaires de qualité ». En sélectionnant cet onglet, les internautes n’ont plus que deux caractéristiques à choisir : le niveau scolaire et le quartier de la ville. Dans les autres onglets les internautes peuvent filtrer leurs recherches avec de nombreux critères tels que la ligne de métro à proximité, le prix du logement ou encore la taille du logement. Finalement il semble que pour les parents qui choisissent de se loger dans un « quartier scolaire de qualité », seul l’établissement scolaire est un critère de choix. L’annonce reproduite en bas de l’illustration est la fiche de présentation d’un collège situé dans le quartier de Xianlin à Nanjing et dans lequel sont disponibles à l’achat six immeubles résidentiels avec des logements dont le prix au mètre carré avoisine les 16 500 RMB, soit environ 237 €. Le quartier scolaire est tout d’abord un argument de vente pour les agences et les promoteurs immobiliers. Cependant sa définition restant floue, cela permet de requalifier de nombreux ensembles résidentiels préexistants en « quartiers scolaires ».

La carte scolaire officiellement mise en œuvre pour améliorer l’égalité d’accès à l’école renforce d’une certaine manière la ségrégation spatiale urbaine. En effet, la trajectoire scolaire envisagée pour l’enfant détermine les stratégies résidentielles familiales. Or le marché immobilier s’est adapté aux critères de choix des ménages chinois, ce qui a participé à l’émergence du phénomène élastique des « quartiers scolaires ». La proximité d’une école considérée comme bonne est un facteur important d’augmentation des prix de l’immobilier (Li, 2012). Par conséquent, seuls les ménages aisés accèdent aux « quartiers scolaires » près des bonnes écoles. Ceux-ci, bien qu’ils ne soient pas intégrés dans l’organisation administrative territoriale, pourraient participer, ou du moins modifier, la cohésion sociale des communautés que l’État tente de construire. En effet les dynamiques autour de la scolarité des enfants et la demande de participation14  des parents dans la vie de l’école pourraient faciliter l’émergence de certaines communautés résidentielles. Le phénomène des « quartiers scolaires » est au cœur d’interactions complexes entre les acteurs privés, promoteurs et agents immobiliers, les acteurs gouvernementaux dans le domaine de la planification urbaine et de l’éducation et enfin les parents et enfants des classes aisées urbaines. Ces interactions impliquent des tensions, des adaptions et des coopérations dans les stratégies de chaque acteur.

MANON LAURENT

Manon Laurent est doctorante à l’Université Concordia de Montréal en sciences politiques. Ses travaux portent sur les évolutions contemporaines du système éducatif chinois, d’une part les contenus d’enseignement et en particulier les cours de mandarin en primaire, d’autre part les transformations des structures institutionnelles et de la législation scolaire depuis les années 1990.

manonlaurent3 AT gmail DOT com

Couverture : Carte Scolaire de Taizhou, Province du Jian (Site internet du bureau de l’éducation de la ville de Taizhou, consultée 14/01/2016)

Bibliographie

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  1. D’après le National bureau of Statistics of China le taux d’urbanisation en 2006 est de 43,9 % et 37 villes dépassent les deux millions d’habitants (Chen, 2009). []
  2. Ces 19 villes sont : Beijing (Pékin), Shanghai, Tianjin, Chongqing, Harbin, Changchun, Shenyang, Jinan, Nanjing, Hangzhou, Guangzhou, Wuhan, Chengdu, Xi’an, Dalian, Qingdao, Ningbo, Shenzhen, Xiamen. []
  3. Nous avons conduit six entretiens entre janvier et mai 2015 dans le cadre de notre mémoire de Master 2 à Paris Diderot intitulé Les évolutions contemporaines du système éducatif chinois, sous la direction de M. Gilles Guiheux, et soutenu le 8 septembre 2015. []
  4. Nous traduisons ici le terme chinois 学区房xuéqūfáng. Nous revenons dans l’article sur ses utilisations et ses significations. []
  5. Selon les articles L212-7 et L131-5 du code de l’éducation français ce sont les personnes responsables d’un enfant soumis à l’obligation scolaire qui sont tenues d’inscrire leur enfant dans l’école à proximité de leur domicile. Il s’agit des parents ou de tout autre responsable légal. []
  6. Le secteur privé comprend des écoles qui peuvent être différenciées par leur propriétaire (individus, entreprises ou communauté), leur gestionnaire, ou encore les frais d’inscriptions qu’elles appliquent (Cheng et DeLany, 1999). L’État chinois utilise l’expression en anglais « non-gouvernemental » pour désigner les établissements qui ne sont pas publics et soutient leur développement dans le Plan National Décennal de Développement et de Réforme de l’Éducation à Court et Moyen Terme (Ministère de l’Éducation, 2010). []
  7. Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs : un par téléphone et cinq entretiens par le biais d’une messagerie instantanée répandue en Chine : Wechat. L’utilisation d’un logiciel de messagerie instantanée pour réaliser nos entretiens s’est imposée à nous par nos enquêtés et nous avons pu explorer les richesses de cette méthode. En effet les entretiens sociologiques demandent une méthodologie particulière dont l’objectif est de discuter avec un individu d’un sujet qui intéresse le chercheur et concerne l’enquêté. Cette discussion est structurée par une grille de questions préétablie et lors d’une rencontre généralement organisée par le chercheur s’imposant souvent à l’enquêté. En dépit d’un manque théorique de naturel et pratique d’observation, la messagerie instantanée comme outil d’enquête a ses avantages (Béliard et Brossard, 2012), elle permet d’atténuer la distance culturelle et sociale entre l’enquêté et le chercheur. Nos entretiens se sont déroulés en chinois à l’écrit, par conséquent les enquêtés n’étaient pas en face d’une étrangère, étudiante en sociologie à l’université, s’exprimant dans un chinois approximatif, mais plutôt face à leur téléphone sur un logiciel qu’ils maîtrisent parfaitement. D’autre part, la messagerie instantanée s’intègre bien dans l’emploi du temps de l’enquêté sans le perturber, il peut prendre le temps de réfléchir et ressent moins l’artificialité de la situation d’entretien. []
  8. À l’issue du recrutement de proximité, les places restantes dans les écoles sont attribuées par loterie. Les parents peuvent inscrire leur enfant à cette loterie. []
  9. En caractères chinois : 就近入学 []
  10. En chinois : 施教区 []
  11. En chinois : 学区房 []
  12. L’urbanisation a engendré parfois la construction ou l’incorporation d’ensembles résidentiels relativement homogènes appelés villages cūn 村ou petit quartier xiǎoqū 小区 []
  13. Nous traduisons ici l’expression « 房地产市场的衍生品 » fángdìchǎn shìchǎng de yǎnshēngpǐn utilisée dans l’article. []
  14. Dans le Plan National Décennal de Développement et de Réforme de l’Éducation à Court et Moyen Terme (Ministère de l’Éducation, 2010), l’intégration des parents dans l’organisation scolaire est une recommandation répétée. []

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