Vu / Habiter le campement

Posted by urbanites on vendredi, mai 6, 2016 · Leave a Comment

Clara Piolatto et Charlotte Ruggeri

L’exposition Habiter le campement se tient à la Cité de l’architecture & du patrimoine de Paris jusqu’au 29 août 2016. Elle est structurée par six grands thèmes : 1. Les nomades, 2. Les voyageurs, 3. Les infortunés, 4. Les exilés, 5. Les conquérants et 6. Les contestataires. Ces six sections s’organisent autour d’un dispositif appelé la « Tangente », installation spatiale sonore et lumineuse qui rythme le parcours du visiteur, imaginée par Pier Schneider de 1024 architecture.

Avant d’explorer cette « Tangente », le visiteur peut s’arrêter pour visionner une carte du monde animée qui lui donne quelques clés de lecture et de contexte. Pour chaque section, des chiffres et une réalité géographique prennent forme : un milliard de travailleurs nomades (1. Les nomades), 862,5 millions de personnes vivant dans des bidonvilles (3. Les infortunés), 150 sites dans le monde pour les mouvements de type Occupy (6. Les contestataires).

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1. La « Tangente » (Piolatto, 2016)

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L’exposition Habiter le campement présente un tour du monde de l’objet architectural qu’est l’abri, qui peut devenir campement. Selon Fiona Meadows, architecte et commissaire de l’exposition, « l’abri nous parle d’architecture, le campement d’urbanisme. Sans lieu fixe, ni durée déterminée, ce dernier s’inscrit dans un temps et un espace temporaire : c’est un endroit où se poser, se rassembler, avant de reprendre la route. » On peut observer une multitude de possibilités matérielles pour faire abri (la yourte, l’igloo, la tente), des recours à des matériaux divers (carton, bâche, peau de phoque) et des appels à des imaginaires culturels variés. L’exposition alterne festivals de musique, lieux de tourisme plus ou moins luxueux, modes de vie alternatifs, lieux de contestations, centres de rétention administratifs, jungles et camps de migrants ou de réfugiés. Cette multitude de types de campement donne à voir des imaginaires hétérogènes et mondialisés, tout en ne se focalisant pas sur un territoire ou une situation. Malgré l’actualité, l’exposition s’efforce de présenter autant la jungle de Calais que le festival des Vieilles charrues, pour ne citer que le cadre français.

Tout au long du parcours, les concepteurs de l’exposition interrogent deux notions centrales, l’habiter et toutes les formes qu’il peut prendre à l’échelle du campement, et la mobilité, en lien avec les enjeux de sédentarisation. L’habiter peut à la fois relever d’une fiction (reconstitutions de batailles napoléoniennes), tout en mettant en avant des modes de vie alternatifs ou contestataires (Les Indignés espagnols, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes). Quel que soit le lieu ou la forme du campement, mais aussi la raison de son existence, les populations concernées récréent des formes d’habiter intelligibles par tous, qui leur sont propres et connues. À travers ces exemples mondiaux, on peut par exemple observer une permanence de la partition des espaces entre lieux collectifs et intimes.

Ces deux notions d’habiter et de mobilité apparaissent comme intrinsèquement liées tout au long de l’exposition, démontrant qu’un type de mobilité peut engendrer une forme d’habiter le campement qui lui est spécifique. Plus l’abri est pérenne, plus ses fondations sont solides et peu transportables. En lien avec ces deux notions, les échelles du campement permettent également de s’interroger sur son inscription spatiale. Chaque type de campement est généralement visible à deux ou trois échelles : à l’intérieur de l’abri, l’abri vu de l’extérieur et dans certains cas une vue aérienne ou à petite échelle du campement. Cette approche multiscalaire permet alors de visualiser l’emprise spatiale du campement. L’alignement des tentes, des mobil-homes, ou encore des cabanes montre l’importance prise par certaines formes de campement qui peuvent en effet occuper plusieurs hectares de territoire et regrouper plusieurs millions de personnes.

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2. Tentes de pèlerins à Mina (La Mecque) en 1991, Arabie Saoudite (Catalogue de l’exposition, 2016)

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Cette prise de recul offre également l’opportunité de s’interroger sur le lien entre campement et ville. Toutes les situations évoquées dans l’exposition ne relèvent pas de l’urbain, mais plusieurs types de campements questionnent la géographie urbaine de ces campements. Alors que des coupures évidentes apparaissent entre le campement et la ville, comment le lien entre ces deux territoires se fait ? De plus, par l’emprise spatiale qu’ils représentent, quels sont les territoires d’élection de ces campements ? Les marges ou interstices urbains semblent être privilégiés dans le cas des bidonvilles ou jungles, mais l’émergence du mouvement des Indignés en Espagne a redonné une visibilité centrale au campement, les places ou monuments urbains symboliques (Wall Street pour Occupy) étant devenus de nouveaux lieux d’occupation. Ces nouvelles formes de campement permettent de prolonger la réflexion sur l’habiter. Avec ces mouvements, la population semble se réapproprier des espaces urbains, en leur conférant de nouveaux usages, de nouvelles pratiques et en leur donnant une portée politique et symbolique inédites, où le commun fait ou refait son apparition. Cette forme de réappropriation rappelle que le campement est aussi un moyen de faire communauté, en reflétant une autre manière de concevoir le vivre ensemble.

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3. Le campement-signe : cristalliser la contestation dans un lieu (Catalogue de l’exposition, 2016)

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La logistique du campement reste peu mise en avant. Les photographies capturent des états sans donner à voir les conditions d’installation des abris, ni introduire les acteurs-ressources qui ont permis l’établissement. Comment les tentes du festival technologique de Mexico peuvent-elles s’aligner si rigoureusement ? Quels sont les pré-requis à l’installation d’une yourte selon les contextes législatifs propres à chaque territoire ? Si l’abondance d’exemples ne fait pas défaut, il reste des non-dits sur les trajectoires qui ont présidé à l’émergence de ces campements.

Si la logistique du campement est souvent absente, cela rejoint l’invisibilité de certains acteurs. L’habitant du campement tient une place centrale, mais les éventuels décideurs, concepteurs ou propriétaires des abris, voire des terrains, ne sont que très peu représentés. Une fois sorti de la « Tangente », le visiteur peut consulter des vidéos ou ouvrages qui laissent transparaître certains de ces acteurs. Ne montrer que l’habitant suffit dans certains types de campements, auto-construits et nés d’une volonté à s’y établir. Au-delà de l’absence de certains acteurs, l’exposition montre très peu les trajectoires des habitants. La raison qui explique la présence de ces habitants/occupants dans les campements n’est évoquée qu’implicitement. Le migrant pourrait être à la fois infortuné, contestataire, exilé et nomade. Si la transversalité des trajectoires ressort ainsi, elle suppose également que tous les types de campement soient présentés de manière équivalente et équitable. L’exposition ne hiérarchise ni ne distingue les pèlerins des festivaliers, les sans-papiers des chauffeurs routiers.

L’exposition Habiter le campement offre un inventaire de types de campements en déployant des exemples à foison, frôlant l’exhaustivité. Ce parti pris reflète la richesse d’une exposition de petite taille, à la scénographie très efficace et agréable. L’exhaustivité mène parfois à un manque de sélectivité, qui aurait pu permettre la mise en valeur de photographies ou exemples particulièrement révélateurs de ce qui fait le campement. Si le catalogue de l’exposition, ainsi que des clés de lecture architecturales, urbanistiques, politiques ou géographiques peuvent compléter sa compréhension, son organisation permet à tout à chacun d’appréhender le caractère mondialisé et universel de la forme d’habiter qu’est le campement.